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otan - Page 7

  • L’Europe de la défiance...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hadrien Desuin consacré à la question de l'Europe de la défense et cueilli sur Geopragma. Spécialiste des questions géopolitiques, chercheur associé à Geopragma, Hadrien Desuin est l'auteur de La France atlantiste (Cerf, 2017).

     

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    L’Europe de la défiance

    La France multiplie les effets d’annonce en faveur de “l’Europe de la défense” sans pouvoir masquer sa dépendance à l’OTAN.

    Quelques jours avant le sommet de Londres, les 3 et 4 décembre 2019, un entretien présidentiel publié dans l’hebdomadaire britannique The Economist met le feu aux poudres. En qualifiant l’OTAN d’organisation “en état de mort cérébrale“, Emmanuel Macron vole la vedette à Donald Trump, pourtant habitué à ce type de sortie fracassante. Son duel à fleuret moucheté avec le président turc et membre de l’OTAN, Erdogan, se poursuit en juin 2020, sur fond de guerre civile libyenne, lors de la venue à Paris du président tunisien, Kais Saied. Quelques jours plus tôt, la flotte turque a menacé une frégate française envoyée par l’OTAN au large des côtes libyennes. Washington n’a pas condamné la Turquie et l’OTAN a prudemment demandé une enquête, renvoyant dos à dos Turcs et Français. Ce camouflet illustre la marginalisation de la France dans l’alliance atlantique et justifie a posteriori ses doléances exprimées à Londres: une Europe de la défense indépendante de la tutelle américaine, moins complaisante vis-à-vis de la Turquie et moins obnubilée par la menace russe. Entre temps, Jens Stoltenberg, le secrétaire général norvégien de l’OTAN, est venu à l’Elysée demander des explications: « Nous avons besoin d’une structure de commandement forte et compétente, pas de diviser les ressources en deux ». Il serait selon lui « dénué de sens de permettre à l’OTAN et à l’Union européenne de rivaliser ». Nicole Bacharan, figure de la French-American Foundation, souvent critique du président Trump, sait mettre de l’eau dans son vin quand c’est nécessaire:  « Sur le fond Trump a raison, c’est irréaliste de penser qu’une armée européenne pourrait se passer des États-Unis ». Angela Merkel a certes tenté une synthèse: « il ne s’agit pas d’une armée contre l’OTAN, bien au contraire ! Cela peut être une armée qui complétera l’OTAN de façon très utile, sans remettre ce lien en cause »;  Vladimir Poutine est finalement le seul à voir dans une « une armée européenne : un processus positif pour le renforcement du monde multipolaire ».


    La roue de secours de l’OTAN ?

    En réalité, les malentendus entre l’OTAN et les projets d’armée européenne ou d’Europe de la Défense ne datent pas d’aujourd’hui. Après deux guerres mondiales Britanniques et Français sont traumatisés par l’engagement tardif des Américains contre l’Allemagne. Dès le 5 mars 1946, dans un discours resté fameux à Fulton, Winston Churchill s’alarme du “rideau de fer descendu à travers le continent, de Stettin dans la Baltique à Trieste sur l’Adriatique.” Suivront en 1947, la doctrine Truman et le plan Marshall mais aussi le traité franco-britannique de Dunkerque, signé le 4 mars, dans une ville ô combien symbolique. Un an plus tard, à Bruxelles, le traité bilatéral franco-britannique s’élargit au Benelux. Son article 5 prévoit une assistance mutuelle en cas d’agression extérieure. L’Europe de la défense ne va toutefois durer qu’un an. En 1949, avec le traité de Washington, les dispositions du traité de Bruxelles sont vidées de leurs substances et mis en sommeil. Washington, qui planifie une guerre imminente contre l’URSS, au vu de ce qui se passe au même moment en Corée, prend directement les commandes.Bien loin d’être concurrents, les deux projets militaires, OTAN et Europe de la défense apparaissent dès l’origine complémentaires dans la mesure où la dernière sert de palliatif ou de plan B, pour encourager ou suppléer une puissance américaine parfois hésitante. En 1954, lorsque Jean Monnet échoue de peu à fonder la CED (communauté européenne de Défense), l’Union de l’Europe occidentale (UEO) réactive le traité de Bruxelles et puis sombre à nouveau dans l’oubli.

    35 ans plus tard, la guerre froide s’achève sur une victoire de l’OTAN par abandon des soviétiques. La paix européenne présuppose la réintégration de la Russie dans le concert européen mais la chose est impensable pour Washington. Les structures otaniennes diminuent leur empreinte au sol mais s’élargissent vers l’est. Les Européens, et singulièrement la France, tentent dans le même temps une relance de l’Union de l’Europe Occidentale, “troisième pilier du traité de Maastricht”.
    Dans les faits, malgré l’implosion yougoslave et l’intervention tardive des Etats-Unis (accords de Dayton puis occupation du Kosovo), les nations européennes se sont empressées d’ “engranger les dividendes de la paix“. Formule prononcée par Laurent Fabius dès le 10 juin 1990 et symptomatique d’une vision économique du monde. La plupart des armées européennes se contentent des missions dites de Petersberg, du nom de la déclaration de l’UEO, faite à l’hôtel éponyme sur les hauteurs de Bonn en 1992. Missions “civilo-militaires” de formation, de coopération ou d’interposition dont les contours politiques s’avèrent assez flous. Il faut “gagner la paix” et non plus “faire la guerre”. Il y a une “division du travail entre les États-Unis, qui “faisaient le dîner”, et les Européens, qui “faisaient la vaisselle” ironise Robert Kagan dans un article dePolicy Review publié en 2002 et destiné à préparer l’opinion à la guerre en IrakArticle qui sera à l’origine de son ouvrage majeur, La puissance et la faiblesse. Pour Kagan, l’Europe s’apparente à Vénus, déesse de l’amour, tandis que Mars, dieu de la guerre, inspire l’Amérique. Autrement dit, l’armée américaine détruit l’ennemi et les Européens réparent les dégâts.
    La PESD (Politique Européenne de Sécurité et de Défense), héritière de l’UEO n’a jamais pu se substituer à l’armée américaine en Europe. Dans les accords de “Berlin +”, la condition pour que l’UE bénéficie des moyens de l’OTAN est que celle-ci ne soit pas engagée. La mission judiciaire et policière EULEX Kosovo n’a, par exemple, pas d’accord de partenariat avec la KFOR. Cet accord est aujourd’hui verrouillé par la Turquie qui fait payer aux Européens, via l’OTAN, sa non adhésion à l’UE.

    L’Europe de la Défense portée disparue.
    Certes la France et le Royaume-Uni tentent de conserver une capacité de projection et d’intervention “en premier” sur un théâtre d’opération. Ce sont les deux “nations-cadres” qui peuvent encore agir en autonomie ou diriger une coalition. Pour le reste, c’est le désarmement général: les crédits de défense dépassent péniblement les 1% du PIB. Le nombre de soldats et de régiments est divisé par deux ou trois en 30 ans. Dans son discours sur “l’État de l’Union” du 14 septembre 2016, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker a dévoilé un projet de “corps européen de solidarité” où les jeunes pourront servir les autorités nationales et locales mais aussi les ONG et les entreprises…Avec le Brexit, certains ont cru qu’il n’y avait plus d’obstacle à une Europe de la Défense. C’est méconnaître le tropisme atlantiste des pays d’Europe centrale, du nord et même du sud. Même la France a très tôt réaffirmé son étroite collaboration militaire avec le Royaume-Uni à l’occasion du sommet de Sandhurst en janvier 2018 et lors de l’exercice naval Griffin strike en Ecosse en octobre 2019. En théorie, la France a pu apparaître comme la dernière nation, avec peut-être la Belgique et le Luxembourg, à croire encore à l’Europe de la Défense. Mais en 2009, la France est rentrée dans le giron de l’OTAN et le fond européen de défense qu’elle a péniblement obtenu d’Angela Merkel pourra d’ailleurs servir à l’achat d’équipement militaire non-européen, signe de la dépendance américaine de l’Europe de la défense.

    Les administrations américaines successives appellent de leur côté les nations européennes de l’OTAN à stopper l’hémorragie budgétaire. 70% de la défense européenne est en effet assurée par les États-Unis et les états-majors de l’OTAN sont pléthoriques. On comprend que Donald Trump ait menacé de se retirer pour obtenir une meilleure répartition financière. Mais cette confortable réticence européenne peut s’expliquer. D’une pierre deux coups; cet effort européen permet à l’armée américaine de financer son propre réarmement. Et l’Europe, en première ligne, sert de tête de pont à la défense américaine. La mise en place en Europe du bouclier antimissile face à la Russie coûte par exemple très cher et c’est l’industrie américaine (Raytheon) qui en bénéficie en très grande partie. Une base navale en Espagne, un centre de commandement en Allemagne et deux bases de lancements en Pologne et en Bulgarie, sans compter le coût du système d’arme. Voilà pourquoi, l’achat de système de défense anti-missile russe S-400 par la Turquie a suscité plus de colère et de frayeur à Washington que les protestations françaises face à l’intervention militaire de Erdogan en Libye et en Syrie.

    Hadrien desuin (Geopragma, 25 juin 2020)

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  • Souveraineté française : l’urgence du déconfinement mental...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros cueilli sur Geopragma et consacré au besoin pour la France d'une affirmation souveraine. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Souveraineté française : l’urgence du déconfinement mental

    Cela part vraiment dans tous les sens. Après le black-out forcé des populations occidentales terrées chez elles à des degrés divers pour parer l’effondrement de systèmes de santé -Potemkine, voilà que le déconfinement ouvre une autre boite de Pandore, celle de la violence sociale, du communautarisme et du « racialisme » triomphants ; au nom de l’antiracisme naturellement, car on n’est pas à un cynisme près. Mi terrorisés, mi séduits, on écoute comme on le ferait d’oracles, tous ceux qui veulent couper le souffle à jamais aux nations et aux Etats, pour en finir avec ces survivances tyranniques qui soi-disant étouffent la liberté et l’égalité d’individus hyper-narcissiques et revendicatifs.

    Cette déstabilisation se produit à la faveur d’un drame ordinaire de l’ultraviolente Amérique. 350 millions d’habitants. 300 millions d’armes à feu. Seuls les bébés ne sont pas armés dans ce pays. Et la police risque sa vie à tout instant pour protéger la population d’une délinquance endémique et éviter que chacun n’en vienne à se faire justice lui-même. Une Amérique toujours aussi raciste néanmoins, bien au-delà des rangs policiers. Huit ans d’un président noir n’y auront rien changé et d’ailleurs lui-même n’aura pas fait grand-chose. Une mort inique et tragique qui allume la mèche d’une trainée de poudre disproportionnée et inquiétante par les débordements qu’elle permet. Les images qui saturent nos écrans depuis 10 jours illustrent bien la décadence de l’Empire. L’empire américain n’est plus. Il se bat pour ne pas mourir tout à fait, pour reprendre en main ses vassaux, pour redéfinir les nouveaux standards du monde en toutes matières (notamment financière avec l’émergence d’un nouvel étalon-or que serait le dollar à l’heure où la guerre pour le contrôle des crypto monnaies fait rage).

    Mais on ne domine véritablement que par l’exemple. Et l’Amérique n’est plus un exemple depuis bien longtemps. Cela ne date pas de Trump. Le discrédit moral s’est creusé depuis 20 ans et il est devenu irrattrapable. La Chine s’est engouffrée dans la brèche et ne lâchera plus la corde. Elle exprime désormais sans fard son ambition. La France a peut-être compris qu’il s’agissait de connaitre et pratiquer l’adversaire pour mieux le combattre. Elle n’a, pour une fois, pas embrayé sur la curée américaine envers Pékin accusé d’avoir diffusé sciemment le virus au monde entier pour se venger d’une guerre commerciale voulue par Washington. Paris dit même vouloir nouer un « partenariat stratégique global » avec Pékin. Pourquoi pas ? Du moment que l’on ne quitte pas une badine pour une autre.

    Mais cette intelligence de situation conjoncturelle ne suffit pas à articuler une stratégie de puissance et d’influence digne de ce nom. Tant que nos dirigeants refuseront de comprendre la pertinence protectrice des nations et des frontières, tant qu’ils nieront l’essence des peuples et la singularité du lien patriotique inscrit dans une histoire structurante, creuset d’une identité nationale, notre Terre ne restera à leurs yeux embués qu’un vaste espace indifféremment peuplé, dépeuplé, repeuplé par ceux qui la traversent et auxquels il est de bon ton de ne rien demander d’autre que de servir la voracité consumériste mondiale. Au-delà des grands discours, nous nous refusons toujours, par dogmatisme sectaire et naïf, à structurer une vision de ce que doit être notre pays sur la scène mondiale, à nourrir une ambition nationale, encore moins à la concrétiser méthodiquement. On avance par à-coups et par « coups » aussi. Or, l’opportunisme n’est jamais qu’une habileté tactique, en rien une stratégie. C’est là que cela se gâte. Alors que le monde entier a pris le tournant réaliste et se met en ordre de bataille, alors que les alliances sont à géométrie variable car on ne croit plus à rien ni à personne (tout en affectant de vouloir la concorde et le dialogue multilatéral), alors que toutes les nations sont en danger de mort si elles ne trouvent pas le courage d’affirmer leurs intérêts nationaux pour survivre dans la nouvelle « Tour infernale » au sommet de laquelle s’écharpent Washington et Pékin, notre pays palabre, recule, s’auto-mutile et rougit toujours de lui-même.

    Notre société semble l’étalon de ses sœurs occidentales, très, trop individualistes, où l’on a complètement perdu de vue la nécessaire complémentarité des droits et devoirs ; sociétés volatiles, désorientées, inconscientes des « cinquièmes colonnes » qui les minent en les culpabilisant. Leur sensiblerie est épidermique ; elles sont sur-informées mais ignorantes, déracinées volontaires, oublieuses d’elles-mêmes en se croyant à la page. Elles sont les idiotes utiles de mouvements enkystés désormais dans la chair des nations et qui fomentent tranquillement leur déliquescence, leur renoncement post moderniste à elles -mêmes dans une extase suicidaire ; elles sont les proies offertes de forces qui hurlent à la tyrannie si on ose les empêcher d’envahir l’espace public et de dénaturer le cœur même de notre vie commune et de notre bien commun. Nos sociétés post-modernes confondent souveraineté et bellicisme, patriotisme et nationalisme, frontière et haine ; elles n’ont plus de culture donc plus de boussole.

    Ainsi, tel une cocotte-minute, l’Occident semble près d’imploser car le mondialisme n’a pas tenu ses promesses utopiques. Plus conjoncturellement enfin, on remarquera qu’aux Etats-Unis, l’affaire George Floyd et le déchainement de violence qu’elle a déclenché ont très opportunément fait complètement oublier un autre scandale, celui de « l’Obama-Gate » qui menaçait tout l’Establishment démocrate ; la corruption massive, sur fond de coup d’Etat en Ukraine et de déstabilisation régionale, des grandes figures du « parti de l’âne », et en premier lieu celle de J. Biden, challenger de D. Trump, est passée à la trappe. Après ses dernières maladresses, le président américain parait bien mal parti pour récupérer une partie au moins du vote noir, alors même que celle-ci avait été profondément déçue par la présidence immobile d’Obama en la matière. Mais l’économie américaine repart, infiniment plus vite qu’en Europe. Et sur l’échiquier mondial, grandes manœuvres et petites trahisons se poursuivent entre Washington et Pékin via Hong Kong, entre Moscou (qui semble à force d’avanies, avoir définitivement oublié son rêve d’Europe comme en témoigne sa nouvelle doctrine nucléaire) et Ankara en Syrie et en Libye, entre Téhéran et Israël via le Hezbollah, etc

    Et nous, Français, dans tout ça ? Ah …mais nous « déconfinons » ! La grande affaire, avec une économie à terre et une incapacité à dire la vérité aux Français infantilisés à outrance : s’ils persistent à faire de l’égalitarisme et de la revanche sociale les mantras de leur citoyenneté, ceux-ci achèveront de perdre notre pays. La France est sur une ligne de crête décisive. Elle peut chuter ou prendre son envol, mais elle veut encore ignorer le précipice et croire que c’est un refuge douillet contre la brutalité du monde.  Donc, nous « déconfinons » notre population et notre économie, à la vitesse de l’escargot, et sur la base folle du volontariat -nouvelle version de la démagogie politique très en vogue-. Mais le déconfinement mental lui, n’est toujours pas à l’ordre du jour. Pourtant, si la France, Phénix aux ailes brisées, ne renait pas très vite avec vigueur et fougue, « on est morts » comme dirait l’autre.

    Le déconfinement doit donc être, chez nos élites politiques et intellectuelles, celui de l’état d’esprit. C’est l’heure de recouvrer enfin, tout simplement notre souveraineté ! Souveraineté tous azimuts : stratégique, diplomatique, en matière de défense et de sécurité ; souveraineté industrielle, économique, sanitaire, souveraineté technologique, numérique et même aéronautique; et naturellement notre souveraineté culturelle aussi. Nos atouts sont très nombreux. Même le carcan européen -qui n’a pas que des défauts- nous laisse des espaces d’affirmation de nos intérêts nationaux. Il suffit de les investir résolument, de les occuper, de les assumer aussi, sans se défausser au prétexte qu’ils détruiraient la dynamique européenne alors qu’ils la renforceront bien au contraire. Une fois encore, on ne fera pas l’Europe par-dessus ou contre les Nations, mais avec elles.

    Mais la souveraineté, c’est d’abord dans la tête. Ce sont des limites intérieures à la complaisance, à l’inertie ou à l’obéissance. C’est de l’amour propre à l’échelle de l’Etat et de la patrie. C’est ce qui nous sauvera. Jamais plus en effet, nous n’aurons une telle chance de pouvoir nous repenser en liberté. Le Coronavirus a permis d’ouvrir les vannes budgétaires avec un prétexte en or. Il faut en profiter pour recalibrer tout notre socle régalien, pour oser enfin la puissance au nom de la souveraineté, pour reprendre du poids et du muscle sur la scène internationale. Il y a tant à faire pour qu’on nous prenne de nouveau au sérieux ! Déjà arrêter de demander la permission, arrêter d’avoir peur du jugement de nos pairs, sortir des langes…et sortir de l’OTAN pendant qu’il en est encore temps, avant que l’Alliance ne nous entraîne dans une nouvelle aventure folle en Asie ou en Afrique au nom de la sécurité mondiale mais surtout au profit des intérêts strictement américains !

    La France a donc aujourd’hui une immense responsabilité : celle de mettre fin officiellement à la sujétion militaire de l’Europe aux Etats-Unis qui est tout sauf une fatalité. Cessons de nous mentir : il n’y aura, sinon, jamais de défense européenne crédible. Si nous ne choisissons pas, nous serons bientôt, tel l’âne de Buridan, morts de faim ET de soif : ni d’accord avec l’impérialisme atlantique, ni capables de lui opposer une véritable alternative adaptée aux intérêts européens et d’abords français !

    On dit souvent que nous n’avons plus les moyens d’être souverains. L’excuse vient de sauter. Nous en avons désormais les moyens avec les budgets votés par l’UE pour enrayer la récession économique européenne. Evidemment, ce processus de semi-mutualisation des dettes semble approfondir un peu plus encore l’évolution fédéraliste délétère de notre Vieux Continent. C’est très grave, mais on peut pour une fois, y trouver notre intérêt propre en saisissant l’opportunité inédite des moyens du relèvement national. Pourquoi ne pas voir enfin grand, au lieu de toujours mettre des rustines ? C’est paradoxalement en réformant aux bonnes dimensions notre appareil de défense et de sécurité et notre politique étrangère (tout autant que notre politique industrielle et notre appareil sanitaire) que nous paraîtrons bientôt aux yeux de nos partenaires, qui depuis trop longtemps moquent nos fanfaronnades inconséquentes, non des cigales au petit pied, mais des fourmis ailées.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 9 juin 2020)

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  • Le mystère Macron...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il fait le point sur la présidence Macron à mi-parcours de son mandat. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « La descente aux enfers d’Emmanuel Macron est-elle forcément une bonne nouvelle pour Marine Le Pen? »

    Nicolas Gauthier : Le quinquennat Macron n’avait pas trop mal commencé avec l’épisode du Louvre. Mais l’état de grâce n’a pas duré très longtemps et la situation ne cesse de se dégrader, alors même qu’Emmanuel Macron avait affirmé que s’il ne réussissait pas, un ou une populiste lui succéderait à l’Élysée. Cela en prend-il le chemin ?

    Alain de Benoist : En matière d’élection présidentielle, vous le savez bien, toute prédiction faite plus de trois mois avant le scrutin n’a aucune valeur. On peut, en revanche, dresser un rapport d’étape. Tout le monde a longtemps répété qu’en 2022, on allait assister à la répétition de ce qui s’est passé en 2017 : un duel Macron-Marine Le Pen au second tour, avec le résultat qu’on sait. Inutile de s’interroger : c’était plié d’avance. Mais deux nouvelles questions se posent : Macron sera-t-il à nouveau candidat en 2022 ? Et s’il se représente, sera-t-il présent au second tour ? Nous n’en savons rien, bien sûr, mais le simple fait qu’on puisse se poser ces questions montre que beaucoup de choses ont changé. Les gilets jaunes sont passés par là, les grèves aussi. Pour faire adopter ses réformes, Macron a été obligé de passer en force. Après avoir voulu séduire tout le monde, il a déçu partout. On parle régulièrement de sa « baisse de popularité », mais on n’en est même plus là. Nous avons un Président qui ne peut plus mettre un pied en dehors de l’Élysée sans se heurter à des manifestants qui exigent sa démission en brandissant, en effigie pour l’instant, sa tête au bout d’une pique ! Chirac, Giscard, Hollande, Sarkozy ont pu être impopulaires. Macron n’est pas seulement impopulaire, il est détesté, exécré, haï des Français à un degré rarement vu. Il n’est donc pas certain qu’il veuille (ou puisse) se représenter, ni qu’il soit présent au second tour s’il le faisait. Ajoutons, puisqu’il a été mis en place pour adapter la France aux exigences de la mondialisation libérale, que ceux qui l’ont patronné se disent peut-être aussi qu’ils n’ont pas misé sur le bon cheval et qu’il serait peut-être temps d’en trouver un autre.

    Est-ce une bonne nouvelle pour Marine Le Pen ? Je ne le pense pas. Elle a tout intérêt, en effet, à avoir face à elle, au second tour, un homme discrédité et détesté par le peuple plutôt qu’un concurrent qui, n’ayant jamais accédé à la charge suprême, aura toujours la possibilité de multiplier les promesses et de ratisser large entre les deux tours. Un Xavier Bertrand, une Ségolène Royal, un Yannick Jadot, une Rachida Dati, un François Baroin ou n’importe quel(le) autre candidat(e) de ce calibre l’emporterait sans doute plus facilement contre Marine Le Pen que ne le ferait Macron, même si le « plafond de verre » auquel elle s’est longtemps heurtée a déjà commencé à se lézarder. D’où une troisième question : du point de vue de Marine Le Pen, quelle est la personnalité, mis à part Macron, face à laquelle elle pourrait avoir le plus de chances de l’emporter ?

    Emmanuel Macron prétendait aussi être le candidat du « nouveau monde ». Maintenant qu’il a dépassé son mi-mandat, qu’avons-nous appris sur ce monde-là et sur lui-même ?

    J’ai déjà eu l’occasion de le dire : il y a un mystère Macron. Chirac, Sarkozy, Hollande, chacun dans son style, n’avaient rien de mystérieux. Il suffisait de les observer un peu pour savoir à quoi s’en tenir sur leur compte. Avec Macron, c’est autre chose. Ses ressorts intimes sont cachés, et l’on ne sait pas, au fond, ce qui le meut. Même ses relations avec sa maternelle épouse sont un mystère. Sous la surface lisse comme une image de synthèse, on ignore tout de sa machinerie intérieure et de ses évidents troubles de la personnalité. On peut lui trouver une tête de gendre idéal, lui reconnaître une bonne mémoire et une excellente connaissance technique des dossiers, voire un certain talent oratoire, on ne parvient pas à trouver qu’il était taillé pour le poste, alors qu’il serait parfait derrière un guichet de banque ou dans le rôle d’un DRH chargé d’annoncer au personnel un nouveau plan de licenciements. L’impression qui domine est que la politique, au fond, lui est tout aussi étrangère que la culture du pays qu’il est censé diriger. Que ce soit en France ou dans le monde, cet homme à la fois hautain, méprisant et bavard ne comprend pas ce qui se passe. Il gère (mal), il communique (mal), il réprime (brutalement), il supprime la liberté d’expression (efficacement) mais il ne gouverne pas.

    C’est un Président narcissique qui n’a ni ami ni homme de confiance – puisqu’il ne fait confiance à personne. Qui a de l’influence sur lui ? Brigitte peut-être, personne d’autre. Entouré de députés inconsistants et de ministres de circonstance, il ne sait pas choisir ses collaborateurs, comme en témoignent l’affaire Benalla et la multiplication des départs au sein de son entourage. Mieux encore, c’est le premier président de la République qui n’a pas su attirer à lui la moindre personnalité dotée d’une carrure d’homme d’État. Il s’est entouré d’une majorité de transparents anonymes condamnés à le rester (Cédric O, Franck Riester), parmi lesquels bon nombre de médiocres et d’incultes, de ridicules ou de grotesques, de François de Rugy (« Homard m’a tué ») à Benjamin Griveaux (« Paris m’habite ») en passant par Agnès Buzyn (coronavirée), le Castaner de l’Intérieur ou la Belloubet de la Justice, sans oublier Sibeth. Qui peut prendre au sérieux pareille équipe de Branquignols ?

    Peut-on néanmoins mettre à son crédit une esquisse d’ambition politique européenne, que ce soit avec l’Allemagne ou la Russie, l’Iran ou les États-Unis ?

    Il en est resté, précisément, au stade de l’esquisse, qui chez lui prend la forme d’une série d’hésitations et se traduit par des inconséquences. C’est la marque d’une absence totale de vision des choses. En Europe, où il s’est brouillé avec la moitié des gouvernements, après avoir cherché à associer Angela Merkel à ses projets de « refondation » européenne, il n’a cessé de se heurter aux rebuffades de la chancelière, qui a vite évalué le personnage, mais il n’en a pas tiré les leçons. Il a fait sensation en déclarant l’OTAN en état de « mort cérébrale » sans comprendre que l’OTAN pèse toujours de tout son poids et que c’est bien, plutôt, l’Union européenne qui est en état de mort cérébrale. Il a paru comprendre qu’il était de l’intérêt de la France de se rapprocher de l’axe Moscou-Damas-Téhéran, mais il n’a pas fait le moindre geste pour s’opposer aux sanctions absurdes qui frappent ces trois pays. Tout récemment, il est encore allé en Allemagne pour dénoncer les entreprises de « déstabilisation » qu’il attribue à la Russie, montrant par là qu’en dépit de ses divergences avec Trump, il reste plus que jamais le fidèle vassal des Américains. Comment s’étonner, là encore, qu’on ne le prenne au sérieux ni à Moscou ni à Washington ni à Pékin ?

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 février 2020)

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  • Vincent Desportes : «L’OTAN est devenue un protectorat américain dirigé par un allié brutal»...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par le général Vincent Desportes le 18 décembre 2019 à RT France et dans lequel il développe son analyse de l'OTAN et des ambitions de l'Europe de la défense. Spécialiste de la stratégie, le général Desportes est notamment l'auteur de Comprendre la stratégie (Economica, 2001), de Décider dans l'incertitude (Economica, 2004) et, dernièrement, de Entrer en stratégie (Robert Laffont, 2019).

    analyse de l'OTAN qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de décrypter les ambitions de l'Europe de la défense.

    En savoir plus sur RT France : https://francais.rt.com/international/69181-vincent-desportes-otan-est-devenue-protectorat-americain-dirige-allie-brutal
    analyse de l'OTAN qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de décrypter les ambitions de l'Europe de la défense.

    En savoir plus sur RT France : https://francais.rt.com/international/69181-vincent-desportes-otan-est-devenue-protectorat-americain-dirige-allie-brutal

     

                                       

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  • L'OTAN est morte, qu'on en sorte !...

    Le 16 décembre 2019, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Xavier Moreau, animateur de Stratpol, pour évoquer la question de l'OTAN, une organisation en état de "mort cérébrale", comme l'a reconnu Emmanuel Macron. Saint-Cyrien ancien officier parachutiste et spécialiste des questions géopolitiques, Xavier Moreau est l'auteur de La nouvelle grande Russie (Ellipses, 2012) et Ukraine - Pourquoi la France s'est trompée (Rocher, 2015).

     

                                               

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  • " L’Europe demeure mentalement sous tutelle américaine "...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Caroline Galactéros à l'hebdomadaire Marianne à l'occasion de la sortie de son recueil de chroniques Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Macron et l’Otan : “ L’Europe demeure mentalement sous tutelle américaine ”

    Marianne : La Chine et les Etats-Unis nous mènent-ils à une nouvelle Guerre froide ?

    Caroline Galactéros : Il me semble que poser la question en ces termes nous fragilise et nous empêche – nous, Européens, mais aussi les autres parties du monde, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine -, de voir la réalité dans sa complexité et ses opportunités. Cela nous emprisonne dans une prétendue alternative où nous n’aurions le choix qu’entre un “maitre” et un autre. Certes, le nouveau duo-pôle stratégique de tête entre Washington et Pékin – qui est autant un duel qu’un duo -, surdéterminera de plus en plus la vie internationale comme les chaines d’influence, d’intérêts et de dépendances. Cependant, le nombre des acteurs, comme l’intrication des intérêts et des enjeux font que le paysage international a profondément changé par rapport à celui qui prévalait durant la Guerre froide jusqu’au tournant du XXIe siècle, avec les attentats du 11 septembre 2001.

    D’un point de vue stratégique, cette tragédie fut un coup de semonce aux dimensions telluriques. L’étoile américaine a dès lors commencé à pâlir en termes de crédit moral (discrédit aggravé à partir de 2003 et de l’invasion de l’Irak), mais aussi en termes de suprématie militaire et de crédibilité perçue. On a assisté à l’émergence de nouveaux modèles de puissance et de nouvelles ambitions jusqu’alors bridées, qui se consolident depuis, à la faveur des calculs hasardeux de l’Occident en matière d’intervention (Libye, Syrie, Yémen), de fiascos sécuritaires (Afghanistan, Irak), de nos graves inconséquences ou complaisances catalysées en terreur islamiste menaçant la cohésion des sociétés européennes. Sans parler des ingérences vécues comme de moins en moins justifiables, quelles que soient les parties du monde ciblées comme devant bénéficier de notre martiale bienveillance démocratique.

    Le Sahel est un autre de ces théâtres immenses où se répand le désordre du monde et révèle notre difficulté croissante à y faire converger développement et lutte contre le terrorisme. Dans cette immensité, la France porte quasi seule le fardeau d’une mission retardatrice de la déstabilisation djihadiste sur fond d’États faillis et de menace migratoire. Elle vit, dans la chair de ses enfants tombés au combat, une impuissance structurelle que masquent de moins en moins l’excellence et l’héroïsme de nos armées. Ce drame se noue tandis que l’Amérique, avec l’Otan, y est en embuscade, et lorgne ce considérable marché sécuritaire et d’armements, et tandis que la Chine et la Russie sont elles aussi en lice. Moscou notamment, forte de ses succès syriens dans la lutte anti-djihadiste, commence à trouver un écho à ses propositions d’appui auprès de populations qui se sentent abandonnées, quand ce n’est pas flouées, par leurs pouvoirs comme par l’approche militaire française qui leur semble insuffisante face à la recrudescence de la violence et des effectifs des groupes armés. Ici comme ailleurs, l’urgence s’impose d’une réflexion désinhibée et sans tabous sur la sécurité de la région, loin des pressions américaines pour y installer l’Alliance ou de celles de Pékin. Seul un tel effort nous permettra de défendre notre crédibilité militaire, mais aussi nos intérêts et nos principes démocratiques.

    Quoi qu’il en soit, pour l’heure, mis à part en Europe, qui peine décidément à sortir de sa gangue et à grandir enfin, il n’existe plus de réflexe ni de volonté de s’aligner sur l’un ou l’autre “camp”, même si Washington comme Pékin essaient évidemment, chacun à leur manière, de rallier des clientèles anciennes ou nouvelles et de sécuriser leur contrôle politique, militaire ou économico-financier sur le maximum possible d’acteurs. Des puissances régionales telles que la Turquie, l’Iran, ou même l’Inde, poussent chacune leur agenda. C’est évidemment aussi le cas de l’ancien deuxième “Grand”, la Russie, qui est toujours demeurée une puissance globale, mais peut désormais le réaffirmer pleinement depuis ses succès militaires et diplomatiques en Syrie et dans tout le Moyen-Orient. Plus généralement, le caractère totalement décomplexé des actes comme des paroles de tous ces acteurs illustrent les effets délétères de la destruction méthodique des règles et structures du multilatéralisme et le boomerang de la promotion détabouisée de l’intérêt national, grand vainqueur de ce jeu de massacre. Les Etats-Unis eux, ne se résolvent pas à voir émerger un autre empire et menacer leur préséance. D’où les crispations au sein de l’ONU, de l’OMC, la remise en cause de presque tous les accords et traités multilatéraux (et bilatéraux comme avec la Russie en matière de désarmement), et naturellement la crise de l’Otan, qui n’est pas en état de mort cérébrale mais souffre de fortes migraines depuis que certains alliés ont réalisé, à la faveur des agissements turcs en Syrie avec aval américain, que leur avis comptait décidément pour du beurre. Ce n’est pourtant pas un scoop !

    Avec la Russie, n’existe-t-il finalement pas une tripolarisation ?

    La Russie est une puissance globale qui a subi depuis 30 ans des coups de boutoir incessants de la part de l’Occident. Mais elle en a vu d’autres… Moscou a parfaitement mesuré, au contraire de l’Europe qui veut ignorer qu’elle est un simple outil d’affaiblissement de l’Eurasie voire une proie industrielle et technologique pour son grand Allié, qu’elle devait consolider sa puissance et son influence sous peine d’écrasement progressif entre la vindicte américaine et le “baiser de la mort” chinois. Puissance eurasiatique par excellence elle est plus que jamais l’acteur pivot de cet immense espace. Elle y poursuit méthodiquement l’intégration économique culturelle et sécuritaire autour de l’Union économique eurasiatique (l’UEE) et de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) notamment. L’UE ignore superbement (comme elle le fit pour les Nouvelles routes de la Soie chinoises) cette dynamique florissante à ses portes. Pourtant, l’UEE est la matrice d’un pendant à l’UE.

    C’est évident. C’est en cours. Moscou recherche “l’intégration des intégrations” et à terme, souhaite inscrire son rapprochement avec l’Europe communautaire dans un schéma très gaullien d’une Europe l’atlantique à Vladivostok voire au-delà. Au lieu de persister dans notre sidération et notre complexe de l’orphelin transatlantique, nous aurions tout intérêt à inscrire le futur de l’Europe dans cette nouvelle dimension eurasiatique. Les opportunités économiques industrielles de coopération mais aussi sécuritaires nous donneraient une masse critique incontournable entre Chine et Etats-Unis. L’Eurasie est pour moi la « Nouvelle frontière » de l’expansion vers l’Est de l’ensemble européen. Et la prise de conscience de cette évidence pourrait permettre à la France de jouer un rôle moteur dans cette projection d’influence et de puissance.

    Ce n’est pas pour rien que Zbigniew Brezinski dans Le Grand échiquier, a ingénument rappelé l’obsession américaine d’une fragmentation de l’Eurasie et d’une division de l’Europe de l’Ouest avec l’instrumentation de la “menace russe” comme vecteur d’un affaiblissement durable de l’ensemble européen. Cette ligne stratégique américaine est toujours à l’œuvre et totalement transpartisane. La pression pour l’élargissement de l’UE et de l’Otan à tous les anciens satellites soviétiques, la guerre contre la Serbie, la déstabilisation de la Géorgie et de l’Ukraine, la diabolisation de plus en plus ridicule de la figure de Vladimir Poutine : tout cela vise à rendre impossible – car dangereux pour la domination américaine sur le Vieux Continent -, un rapprochement de l’Europe avec la Russie qui signifierait la fin de la vassalisation pour nous et l’émergence d’un ensemble centrasiatique intégré selon des cercles concentriques et des coopérations sectorielles multiples, à géométrie variable, plus à même de résister aux offensives commerciales ou normatives américaines et chinoises. Seul peut-être Donald Trump avait-il compris l’intérêt de se rapprocher de Moscou contre Pékin et contre l’Europe. On sait ce qu’il lui en a coûté politiquement avec un Russia gate interminable et désormais la curée pour l’impeachment

    Quel rôle peut jouer l’Union européenne dans tout cela ?

    L’Europe demeure mentalement, plus encore qu’économiquement, sous tutelle américaine. Elle peine à sortir de son immaturité stratégique consentie. Elle a peur de devoir penser et plus encore se penser par elle-même. Trump ou pas Trump, les fondamentaux de la puissance et de l’impérialisme américain n’ont de fait pas bougé d’un iota. C’est la méthode qui a changé, et le gant de velours qui s’est simplement transformé en gant de crin…. Nous devons en tirer les conséquences et saisir cette opportunité pour nous penser en temps qu’ensemble de nations souveraines ayant des intérêts économiques, sécuritaires migratoires, stratégiques, technologiques, industriels et de défense propres. Il nous faut redéfinir l’intérêt national, ne plus opposer la souveraineté des nations européennes à la sauvegarde de l’ensemble européen, oser désobéir, refuser l’imposition destructive pour nos sociétés et nos économies d’une extraterritorialité injustifiable, et ne pas craindre de riposter. Le temps est venu d’une rébellion concrète non pour plastronner mais pour survivre. La France semble en passe de prendre, pour l’heure encore bien seule, la tête de cette croisade salutaire. Il faut juste du courage et tenir, car les représailles, pressions, chantages, intimidations vont pleuvoir pour tester notre détermination. Mais il en va de notre avenir commun.

    L’OTAN nous range-t-elle forcément dans le camp des Etats-Unis ? 

    Le sommet des soixante-dix ans de l’Alliance a mis en valeur l’ampleur de la discorde interne des visions, et surtout la prise de conscience française qu’il est temps de regarder la réalité en face. L’OTAN est en échec sur tous ses théâtres d’action. Nous ne contrôlons ni ne décidons rien en cette enceinte. Notre président a le courage de le dire et de briser une omerta embarrassée qui n’a que trop duré. L’OTAN, de fait, entretient les tensions et n’a à son bilan que des échecs à mille lieues de l’effet stabilisateur annoncé. Car son rôle est de persister dans l’être, de justifier un contrôle politique américain sur ses membres, de geler l’Europe au plan stratégique et de vendre des armes. Elle empêche structurellement l’Europe de s’émanciper alors que celle-ci en a les moyens, et que les “garanties otaniennes” -notamment le fameux « parapluie nucléaire américain »- ne sont plus crédibles à l’heure d’un pivot décisif et durable des préoccupations stratégiques américaines vers l’Asie et la Chine. Washington ne veut simplement plus payer pour la sécurité des Européens ni intervenir à leur profit, mais entend continuer à les diriger et à leur faire rendre gorge au nom du “partage du fardeau” … et au profit des marchands d’armes américains. Le reste est du decorum. Comment faire sans l’OTAN ? C’est assez simple en fait : commencer par renforcer considérablement notre “outil militaire” pour faire face au spectre élargi des menaces qui pèsent sur la sécurité de nos concitoyens et de nos intérêts, au loin comme sur le territoire national ; élargir notre vision à la dimension eurasiatique en termes sécuritaires et de défense ; initier des coopérations avec ceux qui le souhaitent sans exclusive ni naïveté ; enfin appuyer les efforts de ceux des États que l’unilatéralisme américain cible et affaiblit. Ils sont extrêmement nombreux. Alors le leadership français rêvé prendra corps et inspirera confiance et espoir.

    Le Moyen-Orient est-il encore au centre de l’attention ? 

    Il semble en effet sorti du scope en ce moment, mais c’est l’effet déformant du zapping médiatique et politique comme de la densité de l’actualité internationale. Je pense aussi que l’on se tait car on n’a plus grand-chose à dire ni de discours victorieux ou seulement martiaux à mettre en scène sans rougir. Les masques sont tombés. La France a été progressivement sortie du jeu moyen-oriental. Nos calculs politiques indéfendables moralement ont de plus échoué pratiquement. La Syrie a échappé au démembrement et est en passe de recouvrer son intégrité territoriale. Mais ce n’est pas fini pour autant. Les Etats-Unis nous ont laissé, avec la Turquie autorisée à agir à sa guise dans le Nord-Est syrien, une bombe à fragmentation redoutable. Grand allié du flanc sud de l’Alliance c’est-à-dire de Washington, Erdogan la représente de fait sur le théâtre syrien. Il sait à merveille jouer de son double positionnement stratégique pour Washington contre Moscou, et tout aussi important pour Moscou contre Washington…

    Les Kurdes ont parié et perdu, mais leur sens pratique et leur instinct de survie les rallient à la cause syro-russe qui seule peut leur épargner la fureur ottomane. L’Iran, essaie en dépit de toutes les pressions de consolider son arc d’influence régional. Quant à Israël, il vient, après Jérusalem, de récupérer le Golan avec la bénédiction américaine (ce qui, au passage, remet la question de la Crimée en perspective) : Une provocation considérable pour les Libanais comme pour les Jordaniens et un nouvel encouragement à la déstabilisation régionale.

    Et puis il y a le Yémen. L’inhumanité de cette guerre ingagnable où nous avons si coupablement joué les utilités et la folie saoudienne sont en passe de lasser même le parrain américain. Les Emirats Arabes Unis adoptent une attitude prudente…. Peut-être une brèche vers la sortie d’un conflit désastreux pour l’image moderniste du royaume wahhabite ? Rien n’est réglé et il est à parier que des scénarii guerriers occupent des centaines de planificateurs militaires au Pentagone.

    Le “processus de Genève”, dédié à la sortie politique du conflit syrien et vicié dans son essence, est un échec flagrant. Mais la Russie, pragmatique et habile, a admis son “couplage” symbolique avec le Processus d’Astana dirigé par Moscou et bien plus efficace. Peut-être l’embryon d’une solution politique acceptable pour ce pays martyr qui a échappé à l’emprise islamiste radicale ? Les anathèmes contre « Bachar bourreau de son peuple » et les accusations d’usage d’armes chimiques de moins en moins étayées contre le régime syrien, tout cela doit nous faire réaliser que nous l’avons échappé belle. Que serait aujourd’hui le Moyen-Orient s’il était passé sous la coupe des Frères musulmans en Égypte, en Syrie avec les parrains qataris et turcs et les innombrables surgeons terrifiants d’Al-Qaida ? La France doit sortir de cette compromission criminelle et si dangereuse pour son propre équilibre national.Notre président pourrait exprimer, au nom de la France, un mea culpa sincère pour nos errements passés. Ce serait un coup de tonnerre diplomatique. Une renaissance. Un geste d’honneur que seul un homme d’État ayant une hauteur de vue et de cœur suffisantes peut faire sans crainte.

    Un geste qui change la donne, libère les consciences. Rien à voir avec la repentance ridicule, tout avec l’honneur d’un chef d’Etat capable de reconnaitre que son pays s’est trompé, qu’il l’a lui compris et que tout peut être différent à l’avenir. Nous ne sommes pas frappés à jamais d’une malédiction et il est grand temps pour notre pays de définir une nouvelle politique étrangère indépendante et libre, qui nous sorte des fourvoiements moraux, des complaisances électoralistes ou des préoccupations mercantiles si peu à la hauteur des enjeux du monde et de ce que nous voulons être. Nous vendons des armes certes, et elles sont excellentes. Parmi les meilleures au monde. Notre industrie de défense est un pan important de notre socle d’emploi et d’excellence technologique. Mais nous ne devons plus être des proxys américains ou saoudiens qui vendent leur âme pour quelques contrats. Nous pouvons vendre à des Etats qui se défendent, plus à ceux qui mettent la planète à feu et à sang.

    Sur tous ces sujets, l’inflexion présidentielle sensible, observable depuis quelques mois doit être saluée, car elle rompt avec des années de servitude volontaire à contre-emploi de nos intérêts comme de nos principes. Il faut réinventer notre politique étrangère, introuvable depuis 15 ans au moins, et prendre nos distances à l’intérieur ou en dehors s’il le faut, d’une Alliance atlantique dont le bilan est catastrophique mis à part celui de sa persistance dans l’être et de l’entretien de menaces inexistantes.

    Caroline Galactéros, propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire (Marianne, 5 décembre 2019)

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