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  • La France doit quitter l'OTAN !...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Régis Debray, publié dans le Monde diplomatique en forme de réponse à Hubert Védrine, après la rédaction par celui-ci d'un rapport adressé au Président de la République et favorable au maintien de la France dans l'OTAN. Le texte date de mars 2013, mais garde plus que jamais sa pertinence, même si on peut ne pas partager toutes les appréciations de son auteur...

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    La France doit quitter l'OTAN

    Cher Hubert,

    Les avis rendus par un « gaullo-mitterrandien » — intrépide oxymore — connu pour son aptitude à dégonfler les baudruches pèsent lourd. Ainsi de ton rapport sur le retour de la France dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), que t’avait demandé en 2012 le président François Hollande, confiant — et qui ne le serait ? — en ton expertise et en ton expérience. Le bruit médiatique étant inversement proportionnel à l’importance du sujet, il n’y a pas de quoi s’étonner de la relative discrétion qui l’a entouré. Les problèmes de défense ne mobilisent guère l’opinion, et la place de la France dans le monde ne saurait faire autant de buzz que Baby et Népal, les éléphantes tuberculeuses du zoo de Lyon. Sauf quand une bataille d’Austerlitz nous emplit de fierté, comme récemment avec cette héroïque avancée dans le désert malien qui, sans trop de morts ni coups de feu, fit reculer dans la montagne des bandes errantes de djihadistes odieux.

    Ce rapport m’a beaucoup appris, tout en me laissant perplexe. Tu donnes indirectement quitus à M. Nicolas Sarkozy, avec une sorte de oui mais, d’avoir fait retour au bercail atlantique. Réintégration que tu n’aurais pas approuvée en son temps, mais qu’il y aurait plus d’inconvénient à remettre en cause qu’à entériner. Dans l’Union européenne, personne ne nous suivrait. Resterait pour la France à y reprendre fermement l’initiative, sans quoi il y aurait « normalisation et banalisation » du pays. Voilà qui me donne l’envie de poursuivre avec toi un dialogue ininterrompu depuis mai 1981, quand nous nous sommes retrouvés à l’Elysée dans deux bureaux voisins et heureusement communicants (1).

    Le système pyramidal serait devenu un forum qui n’engage plus à grand-chose, un champ de manœuvre où chaque membre a ses chances, pourvu qu’il sache parler fort. Bref, cette OTAN affaiblie ne mériterait plus l’opprobre d’antan. Je la jugeais, de loin, plus florissante que cela. Considérablement étendue. Douze pays en 1949, vingt-huit en 2013 (avec neuf cent dix millions d’habitants). Le pasteur a doublé son troupeau. L’Alliance était atlantique, on la retrouve en Irak, dans le Golfe, au large de la Somalie, en Asie centrale, en Libye (où elle a pris en charge les frappes aériennes). Militaire au départ, elle est devenue politico-militaire. Elle était défensive, la voilà privée d’ennemi mais à l’offensive. C’est le nouveau benign neglect des Etats-Unis qui aurait à tes yeux changé la donne. Washington a viré de bord, vers le Pacifique, avec Pékin et non Moscou pour adversaire-partenaire. Changement de portage général. D’où des jeux de scène à la Marivaux : X aime Y, qui aime Z. L’Europe énamourée fixe ses regards vers l’Américain, qui, fasciné, tourne les siens vers l’Asie.

    Le Vieux Continent a l’air fin, mais le cocu ne s’en fait pas trop. Il demande seulement quelques égards. Nous, Français, devrions nous satisfaire de quelques postes honorifiques ou techniques dans les états-majors, à Norfolk (Etats-Unis), à Mons (Belgique), de vagues espoirs de contrats pour notre industrie, et de quelques centaines d’officiers dans les bureaux, réunions et raouts à foison.

    La relation transatlantique a sa dynamique. Evident est le déclin relatif de la puissance américaine dans le système international, mais le nôtre semble être allé encore plus vite. L’OTAN n’est plus ce qu’elle était en 1966 (2) ? Peut-être, mais la France non plus.

    Nos compatriotes broient déjà assez du noir pour leur éviter la cruauté d’un avant/après en termes de puissance, de rayonnement international et d’indépendance d’allure (« indépendance », le leitmotiv d’hier, étant désormais gommé par « démocratie »). Emploi, services publics, armée, industrie, francophonie, indice des traductions, grands projets : les chiffres sont connus, mais passons. En taille et en volume, le rapport reste ce qu’il était : de un à cinq. En termes de tonus et de vitalité, il est devenu de un à dix.

    Une nation normalisée et renfrognée

    Etats-Unis : une nation convaincue de son exceptionnalité où la bannière étoilée est hissée chaque matin dans les écoles et se promène en pin’s au revers des vestons, et dont le président proclame haut et fort que son seul but est de rétablir le leadership mondial de son pays. « Boosté » par la révolution informatique qui porte ses couleurs et parle sa langue, au cœur, grâce à ses entreprises, du nouvel écosystème numérique, il n’est pas près d’en rabattre. Sans doute, avec ses Latinos et ses Asiatiques, peut-on parler d’un pays posteuropéen dans un monde postoccidental, mais s’il n’est plus seul en piste, avec la moitié des dépenses militaires du monde, il peut garder la tête haute. Et mettre en œuvre sa nouvelle doctrine : leading from behind diriger sans se montrer »).

    France : une nation normalisée et renfrognée, dont les beaux frontons — Etat, République, justice, armée, université, école — se sont évidés de l’intérieur comme ces nobles édifices délabrés dont on ne garde que la façade. Où la dérégulation libérale a rongé les bases de la puissance publique qui faisait notre force. Où le président doit dérouler le tapis rouge devant le président-directeur général de Google, acteur privé qui jadis eût été reçu par un secrétaire d’Etat. Sidérante diminutio capitis (3). Nous avons sauvé notre cinéma, par bonheur, mais le reste, le régalien…

    Le Français de 1963 (4), s’il était de gauche, espérait en des lendemains chanteurs ; et s’il était de droite, il avait quelque raison de se croire le pivot de la construction européenne, avec les maisons de la culture et la bombe thermonucléaire en plus. Celui de 2013 ne croit en rien ni en personne, bat sa coulpe et a peur autant de son voisin que de lui-même. Son avenir l’angoisse, son passé lui fait honte. Morose, le Français moyen ? C’est sa résilience qui devrait étonner. Pas de suicide collectif : un miracle.

    Garder une capacité propre de réflexion et de prévision ? Indispensable, en effet. Quand notre ministre de la défense vient invoquer, pour expliquer l’intervention au Mali, la « lutte contre le terrorisme international », absurdité qui n’a même plus cours outre-Atlantique, force est de constater un état de phagocytose avancée, quoique retardataire. Loger dans le fourre-tout « terrorisme » (un mode d’action universel) les salafistes wahhabites que nous pourchassons au Mali, courtisons en Arabie saoudite et secourons en Syrie conduit à se demander si, à force d’être interopérable, on ne va pas devenir interimbécile.

    Le défi que tu lances — agir de l’intérieur — exige et des capacités et une volonté.

    1. Pour montrer « exigence, vigilance et influence », il faut des moyens financiers et des think tanks compétitifs. Il faut surtout des esprits originaux, avec d’autres sources d’inspiration et lieux de rencontre que le Center for Strategic and International Studies (CSIS) de Washington ou l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres. Où sont passés les équivalents des maîtres d’œuvre de la stratégie nucléaire française, les généraux Charles Ailleret, André Beaufre, Pierre Marie Gallois ou Lucien Poirier ? Ces stratèges indépendants, s’ils existent, ont apparemment du mal à se faire connaître.

    2. Il faut une volonté. Elle peut parfois tirer parti de l’insouciance générale, qui n’a pas que des mauvais côtés. Elle a permis à Pierre Mendès France, dès 1954, et à ses successeurs de lancer et de poursuivre en sous-main la fabrication d’une force de frappe nucléaire. Or l’actuelle démocratie d’opinion porte en première ligne, gauche ou droite, des hommes-baromètres plus sensibles que la moyenne aux pressions atmosphériques. On gouverne à la godille, le dernier sondage en boussole et cap sur les cantonales. En découdre dans les sables avec des gueux isolés et dépourvus d’Etat-sanctuaire, avec un bain de foule à la clé, tous nos présidents, après Georges Pompidou, se sont offert une chevauchée fantastique de ce genre (hausse de la cote garantie). Heurter en revanche la première puissance économique, financière, militaire et médiatique du monde reviendrait à prendre le taureau par les cornes, ce n’est pas dans les habitudes de la maison. La croyance dans le droit et dans la bonté des hommes n’entraîne pas à la virtu, mais débouche régulièrement sur l’obéissance à la loi du plus fort. Le socialiste de 2013 prend l’attache du département d’Etat aussi spontanément qu’en 1936 celui du Foreign Office. Le pli a la vie dure. WikiLeaks nous a appris que, peu après la seconde guerre d’Irak, l’actuel ministre de l’économie et des finances M. Pierre Moscovici, alors chargé des relations internationales au Parti socialiste, s’en est allé rassurer les représentants de l’OTAN sur les bons sentiments de son parti envers les Etats-Unis, jurant que s’il remportait les élections, il ne se conduirait pas comme un Jacques Chirac. M. Michel Rocard avait déjà manifesté auprès de l’ambassadeur américain à Paris, le 24 octobre 2005, sa colère contre le discours de M. Dominique de Villepin à l’Organisation des Nations unies (ONU) en 2003, en précisant que, lui président, il serait resté silencieux (5). Demander à l’ex-« gauche américaine » de ruer dans les brancards est un pari hasardeux. Napoléon en 1813 n’a pas demandé à ses Saxons de reprendre leur poste sous la mitraille.

    L’« embêteuse du monde »

    Dans l’ADN de nos amis socialistes, il y a un gène colonial et un gène atlantiste. Personne n’est parfait. On peut échapper à la génétique, bien sûr, mais à sa génération ? On a les valeurs de ses épreuves. François Mitterrand et Gaston Defferre, MM. Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevènement avaient l’expérience de la guerre, de la Résistance, de l’Algérie. L’Amgot (6), Robert Murphy (7) à Vichy et les crocs-en-jambe de Franklin Delano Roosevelt flottaient encore dans les têtes, à côté du débarquement et des libérateurs de 1944. La génération actuelle a la mémoire courte et n’a jamais pris de coups sur la figure. Grandie dans une bulle, elle traverse dans les clous. Et subit l’obligation d’être sympa. Ceux qui cassent la baraque ne sont jamais sympas. Chaque fois que la France fut l’« embêteuse du monde », elle s’est mis à dos tout ce qui compte chez elle, grands patrons, grands corps et grande presse (lire « Les lobbyistes de Washington », dans « Citations et extraits »). Le sursaut que tu préconises exigerait une mise sous tension des appareils d’Etat et des habitudes, avec sortie du placard, des mal-pensants, qu’on taxera soit de folie, soit de félonie (les nouveaux chiens de garde étant mieux introduits que les anciens). Il jure avec le « passer entre les gouttes » qui fait loi dans un milieu où tout « anaméricain » est baptisé antiaméricain. D’autant que « les Américains, ça leur fait l’effet d’une insulte dès que nous n’acceptons pas d’être leurs satellites » (de Gaulle, encore). Surtout quand le rapport de force se noie dans la décontraction, prénom, tutoiement et tapes dans le dos.

    « Clarifier, dis-tu, notre conception de l’Alliance » ? Oui, et ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Tu parles clair, avec faits et chiffres. Mais c’est la langue de coton qui règne, mélasse d’euphémismes où nous enlisent les technostructures atlantique et bruxelloise, avec leurs prétendus experts. Nous parlons par exemple de commandement intégré, quand c’est le leader qui intègre les autres, mais garde, lui, sa liberté pleine et entière. L’intégration n’a rien de réciproque. Aussi les Etats-Unis sont-ils en droit d’espionner (soudoyer, intercepter, écouter, désinformer) leurs alliés qui, eux, se l’interdisent ; leurs soldats et leurs officiers ne sauraient avoir de comptes à rendre devant la justice internationale, dont seuls leurs alliés seront passibles ; et nos compagnies aériennes sont tenues de livrer toutes informations sur leurs passagers à des autorités américaines qui trouveraient la réciproque insupportable.

    Chaque stéréotype est ainsi à traduire. « Apporter sa contribution à l’effort commun » : fournir les supplétifs requis sur des théâtres choisis par d’autres. « Supprimer les duplications inutiles dans les programmes d’équipement » : Européens, achetez nos armes et nos équipements, et ne développez pas les vôtres. C’est nous qui fixons les standards. « Mieux partager le fardeau » : financer des systèmes de communication et de contrôle conçus et fabriqués par la métropole. « L’Union européenne, ce partenaire stratégique avec une place unique aux yeux de l’administration américaine » — alors que l’hypopuissance européenne n’est pas un partenaire, mais un client et un instrument de l’hyperpuissance. Il n’y a qu’une et non deux chaînes de commandement dans l’OTAN. Le commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur) est américain ; et américaine, la présidente du groupe de réflexion chargé de la prospective (Mme Madeleine Albright, ancienne ministre des affaires étrangères).

    Cette novlangue poisseuse est indigne d’une diplomatie française qui, de Chateaubriand à Romain Gary, a eu le culte du mot juste et le goût de la littérature, qui est l’art d’appeler un chat un chat. Le premier temps d’une action extérieure, c’est la parole. La formule qui réveille. Le mot cru. De Gaulle et Mitterrand les pratiquaient allègrement. Tu as connu le second de près. Et le premier, en privé et dès 1965 en public, qualifiait l’OTAN de protectorat, hégémonie, tutelle, subordination. « Allié, non aligné » veut dire d’abord : retrouver sa langue, ses traces et ses valeurs. « Sécurité » accolé à « défense », fétichisme technologique et aspiration à dominer le monde (d’origine théologique) jurent avec notre personnalité laïque et républicaine. Pourquoi donc la gauche au gouvernement devrait-elle entériner ce qu’elle a condamné dans l’opposition ?

    Pour ma part, je m’en tiens à l’appréciation de M. Gabriel Robin, ambassadeur de France, notre représentant permanent auprès de l’OTAN et du Conseil de l’Atlantique nord de 1987 à 1993. Je le cite : « L’OTAN pollue le paysage international dans toutes les dimensions. Elle complique la construction de l’Europe. Elle complique les rapports avec l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] (mais ce n’est pas le plus important). Elle complique les rapports avec la Russie, ce qui n’est pas négligeable. Elle complique même le fonctionnement du système international parce que, incapable de signer une convention renonçant au droit d’utiliser la force, l’OTAN ne se conforme pas au droit international. Le non-recours à la force est impossible à l’OTAN car elle est précisément faite pour recourir à la force quand bon lui semble. Elle ne s’en est d’ailleurs pas privée, sans consulter le Conseil de sécurité des Nations unies. Par conséquent, je ne vois pas très bien ce qu’un pays comme la France peut espérer de l’OTAN, une organisation inutile et nuisible, sinon qu’elle disparaisse (8). »

    Inutile, parce qu’anachronique. A l’heure où chaque grand pays joue son propre jeu (comme on le voit dans les conférences sur le climat, par exemple), où s’affirment et s’exaspèrent fiertés religieuses et identités culturelles, ce n’est pas bâtir l’avenir que de s’enrôler. Sont à l’ordre du jour des coalitions ad hoc, des coopérations bilatérales, des arrangements pratiques, et non un monde bichrome et manichéen. L’OTAN est une survivance d’une ère révolue. Les guerres classiques entre Etats tendent à disparaître au bénéfice de conflits non conventionnels, sans déclarations de guerre ni lignes de front. Au moment où les puissances du Sud s’affranchissent de l’hégémonie intellectuelle et stratégique du Nord (Brésil, Afrique du Sud, Argentine, Chine, Inde), nous tournons le dos à l’évolution du monde.

    Pourquoi nocive ? Parce que déresponsabilitante et anesthésiante. Trois fois nuisible. A l’ONU d’abord, et au respect du droit international, parce que l’OTAN soit détourne à son profit, soit contourne et ignore les résolutions du Conseil de sécurité. Nuisible à la France, ensuite, dont elle tend à annuler les avantages comparatifs chèrement acquis, en l’incitant à faire siens par toutes sortes d’automatismes des ennemis qui ne sont pas les nôtres, en diminuant notre liberté de parler directement avec tous, sans veto extérieur, en ruinant son capital de sympathie auprès de nombreux pays du Sud. Nous sommes fiers d’avoir obtenu d’obligeantes déclarations sur le maintien de la dissuasion nucléaire à côté de la défense antimissile balistique dont le déploiement, en réalité, ne peut que marginaliser à terme la dissuasion du faible au fort, dont nous avons les outils et la maîtrise. Mais peut-être va-t-on nous convaincre que nous vivons, à Paris, Londres et Berlin, sous la terrible menace de l’Iran et de la Corée du Nord…

    Nuisible, enfin, à tout projet d’Europe-puissance, dont l’OTAN entérine l’adieu aux armes, la baisse des budgets de défense et le rétrécissement des horizons. Si l’Europe veut avoir un destin, elle devra prendre une autre route que celle qui la rive à son statut de dominion (l’Etat indépendant dont la politique extérieure et la défense dépendent d’une capitale étrangère). On comprend que cela soit un bien pour l’Europe centrale et balkanique (notre Amérique de l’Est), car de deux grands frères mieux vaut le plus lointain, et ne pas rester seul face à la Russie. Pourquoi oublier que tout Etat a la politique de sa géographie et que nous n’avons pas la même que celle de nos amis ?

    La « famille occidentale », une mystification

    Rentrer dans le rang pour viabiliser une défense européenne, la grande pensée du règne précédent, témoigne d’un curieux penchant pour les cercles carrés. Neuf Européens sur dix ont pour stratégie l’absence de stratégie. Il n’y a plus d’argent et on ne veut plus risquer sa peau (on a déjà donné). D’où la fumisterie d’un « pilier européen » ou d’un « état-major européen au sein de l’OTAN ». Le seul Etat apte à des accords de défense conséquents avec la France, le Royaume-Uni, conditionne ceux-ci à leur approbation par Washington. Il vient d’ailleurs d’abandonner le porte-avions commun. L’Alliance atlantique ne supplée pas à la faiblesse de l’Union européenne (sa « politique de sécurité et de défense commune »), elle l’entretient et l’accentue. En attendant Godot, nos jeunes et brillants diplomates filent vers un « service diplomatique européen » richement doté, mais chargé d’une tâche surhumaine : assumer l’action extérieure d’une Union sans positions communes, sans armée, sans ambition et sans idéal. Sous l’égide d’une non-personnalité.

    Quant au langage de l’« influence », il fleure bon la ive République. « Ceux qui acceptent de devenir piétaille détestent dire qu’ils sont piétaille » (de Gaulle encore, à l’époque). Ils assurent qu’ils ont de l’influence, ou qu’ils en auront demain. Produire des effets sans disposer des causes relève de la pensée magique. Influer veut dire peser sur une décision. Quand avons-nous pesé sur une décision américaine ? Je ne sache pas que M. Barack Obama ait jamais consulté nos influentes autorités nationales avant de décider d’un changement de stratégie ou de tactique en Afghanistan, où nous n’avions rien à faire. Il décide, on aménage.

    La place du brillant second étant très logiquement occupée par le Royaume-Uni, et l’Allemagne, malgré l’absence d’un siège permanent au Conseil de sécurité, faisant désormais le troisième, nous serons donc le souffleur n° 4 de notre allié n° 1 (et en Afghanistan, nous fûmes bien, avec notre contingent, le quatrième pays contributeur). Evoquer, dans ces conditions, « une influence de premier plan au sein de l’Alliance » revient à faire cocorico sous la table.

    Nous glissions depuis longtemps le long du toit, me diras-tu, et M. Sarkozy n’a fait que parachever un abandon commencé sous ses prédécesseurs. Certes, mais il lui a donné son point d’orgue symbolique avec cette phrase : « Nous rejoignons notre famille occidentale. » Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’un champ clos de rivalités ou un système de domination se déguise en famille. Vieille mystification qu’on croyait réservée à la « grande famille des Etats socialistes ». D’où l’intérêt d’en avoir plusieurs, des familles naturelles et des électives, pour compenser l’une par l’autre.

    Sentimentalement, j’appartiens à la famille francophone, et me sens autant et plus d’affinités avec un Algérien, un Marocain, un Vietnamien ou un Malgache qu’avec un Albanais, un Danois ou un Turc (tous trois membres de l’OTAN). Culturellement, j’appartiens à la famille latine (Méditerranée et Amérique du Sud). Philosophiquement, à la famille humaine. Pourquoi devrais-je m’enfermer dans une seule ? Pourquoi sortir de la naphtaline la notion chérie de la culture ultraconservatrice (Oswald Spengler, Henri Massis, Maurice Bardèche, les nervis d’Occident (9)), qui ne figure pas, d’ailleurs, dans le traité de l’Atlantique nord de 1949, qui n’apparaît presque jamais sous la plume de de Gaulle et que je ne me souviens pas avoir entendue dans la bouche de Mitterrand ?

    En réalité, si l’Occident doit aux yeux du monde s’identifier à l’Empire américain, il récoltera plus de haines que d’amour, et suscitera plus de rejet que de respect. Il revenait à la France d’animer un autre Occident, de lui donner un autre visage que Guantánamo, le drone sur les villages, la peine de mort et l’arrogance. Y renoncer, c’est à fois compromettre l’avenir de ce que l’Occident a de meilleur, et déjuger son propre passé. Bref, nous avons raté la marche.

    Mais au fond, pourquoi monter sur ses grands chevaux ? Il se pourrait bien que la métamorphose de l’ex-« grande nation » en « belle province » vers quoi on se dirige — sans tourner les yeux vers le Québec, hélas, où des stages de formation seraient les bienvenus — serve finalement notre bonheur et notre prospérité. De quoi se plaint-on ? Intervenir manu militari dans l’ancien Soudan [Mali], sans concours européen notable, avec une aide technique américaine (dont les satellites d’observation militaires, contrairement aux nôtres, ne sont pas repérables et traçables sur la Toile), n’est-ce pas, pour un pays très moyen (1 % de la population et 3 % du produit intérieur brut de la planète), amplement suffisant pour l’amour propre national ? Que demander de plus, au-delà d’un retrait rapide de nos troupes pour éviter l’ensablement ?

    Je n’ignore pas qu’un disciple de Raymond Aron, l’ex-procureur de la « force de frappe » et chef de l’école euro-atlantique, puisse saluer comme un beau geste envers notre vieil allié le fait de rallier sa bannière au mauvais moment. Ce juste retour de gratitude, après 1917 et 1944, a pu tourner la tête d’un enfant de la télé et de John Wayne fier de pouvoir jogger dans les rues de Manhattan avec un tee-shirt NYPD.

    Et si on prend un peu plus de hauteur, toujours derrière Hegel, il se pourrait bien que l’américanisation des modes de vie et de penser (rouleau compresseur qui n’a pas besoin de l’OTAN pour poursuivre sa course) ne soit que l’autre nom d’une marche en avant de l’individu commencée avec l’avènement du christianisme. Et donc une extension du domaine de la douceur, une bonne nouvelle pour les minorités et dissidences de toutes espèces, sexuelles, religieuses, ethniques et culturelles. Une étape de plus dans le processus de civilisation, comme passage du brut au raffiné, de la rareté à l’abondance, du groupe à la personne, qui vaut bien qu’on en rabatte localement sur la gloriole. Ce qui peut nous rester d’une vision épique de l’histoire, ne devrions-nous pas l’enterrer au plus vite si l’on veut vivre heureux au XXIe siècle de notre ère, et non au XIXe ?

    Verdun, Stalingrad, Hiroshima… Alger, Hanoï, Caracas… Des millions de morts, des déluges de souffrances indicibles, dans quel but, finalement ? Il m’arrive de penser que notre indifférence au destin collectif, le repli sur la sphère privée, notre lente sortie de scène ne sont pas qu’un lâche soulagement mais l’épanouissement de la prophétie de Saint-Just, « le bonheur est une idée neuve en Europe ». En conséquence de quoi il y a plus de sens et de dignité dans des luttes pour la qualité de l’air, l’égalité des droits entre homos et hétéros, la sauvegarde des espaces verts et les recherches sur le cancer que dans de sottes et vaines querelles de tabouret sur un théâtre d’ombres.

    Affres et atouts mêlés de la virilité

    Vénus après Mars. Vénus supérieure à Mars ? Après tout, si la femme est l’avenir de l’homme, l’effémination des valeurs et des mœurs qui caractérisera le mieux l’Europe d’aujourd’hui aux yeux des historiens de demain est une bonne nouvelle. Se rangeront sous cette rubrique, au-delà des belles victoires du féminisme et de la parité, le dépérissement du nom du père dans la dévolution du nom de famille, le remplacement du militaire par l’humanitaire, du héros par la victime, de la conviction par la compassion, du chirurgien social par l’infirmière, du cure par le care cher à Mme Martine Aubry. Adieu faucille et marteau, bonjour pincettes et compresses.

    « Ce n’est pas avec l’école, ce n’est pas avec le sport que nous avons un problème, c’est avec l’amour. » Ainsi parlait non Zarathoustra mais M. Sarkozy, chef d’Etat (à Montpellier, le 3 mai 2007). Nietzsche aurait hurlé, mais Ibn Khaldoun lui aurait tiré la manche. Tu sais que, dans son Discours sur l’histoire universelle, ce philosophe arabe et perspicace (1332-1406) observe que les Etats voient le jour grâce aux vertus viriles et disparaissent avec leur abandon. Puritanisme de Bédouin on ne peut plus incorrect, mais description intéressante de l’entropie des civilisations. « Comme le ver file sa soie, puis trouve sa fin en s’empêtrant dans ses fils… »

    Un Ibn Khaldoun saluerait peut-être le talent des Etats-Unis d’Amérique pour freiner le processus et retarder la fin. Tout en poussant hors périmètre, par leurs technologies et leurs images, aux joies de l’hyperindividualisme et du quant-à-soi festif, ils conservent par-devers eux les affres et les atouts mêlés de la virilité : culte des armes, gaz de schiste, budget militaire écrasant, massacres dans les écoles, patriotisme exacerbé. Phallocrates et souverainistes pour ce qui les concerne, mais soutenant ailleurs ce qu’on pourrait appeler la féminisation des cadres et des valeurs. Les derricks pour eux, les éoliennes pour nous. D’où une Europe plus écologique et pacifique et paradoxalement moins traditionaliste que l’Amérique elle-même. Pendant que notre littérature et notre cinéma cultivent l’intime, les leurs cultivent la fresque historique et sociale. Steven Spielberg élève une statue à Lincoln, la Central Intelligence Agency (CIA) nous met la larme à l’œil avec ses agents — voir Argo. OSS 117, avec Jean Dujardin, nous fait pleurer, mais de rire.

    Bref, si le problème c’est Hegel, et la solution Bouddha, mes objections tombent à l’eau. Je ne l’exclus pas a priori. Mais c’est une autre discussion. En attendant, je me félicite de te savoir en réserve de la République et me réjouis pour ma part, spectateur dégagé, de revenir à mes chères études. Sans rapport avec l’actualité, elles me préservent de toute mauvaise humeur. Chacun ses défenses.

    Bien amicalement à toi.

    Régis Debray (Le Monde diplomatique, mars 2013)

     

    (1) En 1981, Régis Debray devient chargé de mission pour les relations internationales auprès du président François Mitterrand. La même année, M. Hubert Védrine est nommé conseiller à la cellule diplomatique de l’Elysée. (Les notes sont de la rédaction.)

    (2) En 1966, la France annonce son retrait du commandement intégré de l’OTAN.

    (3) En droit romain, réduction de capacité civique pouvant aller jusqu’à la perte de liberté et de citoyenneté.

    (4) En 1963, le général de Gaulle s’oppose à l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne (CEE), le jugeant trop proche des Etats-Unis (vis-à-vis desquels le président français souligne l’autonomie de la défense nucléaire nationale).

    (5) Le Monde, 2 décembre 2010.

    (6) L’Allied Military Government of Occupied Territories (Amgot), ou gouvernement militaire des territoires occupés, piloté par des officiers américains et britanniques, était chargé d’administrer les territoires libérés au cours de la seconde guerre mondiale.

    (7) Chargé d’affaires américain auprès du régime de Vichy (1940-1944).

    (8) « Sécurité européenne : OTAN, OSCE, pacte de sécurité », colloque de la fondation Res publica, 30 mars 2009.

    (9) Respectivement philosophe allemand, auteur de l’essai Le Déclin de l’Occident (1918), associé à la « révolution conservatrice » allemande ; essayiste et critique littéraire français ayant participé au régime de Vichy ; écrivain français ayant soutenu la collaboration et dénoncé la Résistance comme « illégale » ; et groupuscule français d’extrême droite (ayant compté parmi ses membres MM. Patrick Devedjian, Gérard Longuet et Alain Madelin).

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  • La France n'a plus de politique étrangère autonome !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'alignement, désormais systématique, de la politique étrangère française sur celle des Etats-Unis...

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    Les États-Unis ont désigné Poutine comme leur ennemi. C’est un fait capital.

    Une certaine intelligentsia de gauche a longtemps révéré l’URSS. Mais ce n’est pas forcément pour cela qu’elle aimait la Russie. La preuve par Soljenitsyne naguère ou Poutine aujourd’hui ?

    À l’époque de la guerre froide, les États-Unis s’opposaient, certes, à l’Union soviétique au nom de l’anticommunisme (ce qui leur permettait d’exercer sur leurs alliés une forme inédite de racket à la protection) mais, avertis des réalités de la géopolitique, ils s’opposaient tout autant, voire plus encore, à la Russie « éternelle ». La preuve en est que l’écroulement du système soviétique n’a pas modifié leur attitude en profondeur. La Russie est toujours, pour eux, une puissance à « contenir » par tous les moyens, toute leur politique étrangère visant à l’encercler, à pousser l’OTAN jusqu’à ses frontières et à empêcher les Européens de s’allier aux Russes, comme il serait tout naturel qu’ils le fassent s’ils avaient conscience de la nécessité de penser en termes continentaux. La guerre froide a donc maintenant repris ses droits. Cela va peser sur toute la politique mondiale pour les vingt ans qui viennent.

    En politique, on devient un ennemi dès lors que l’on est désigné comme tel. Les États-Unis ont aujourd’hui désigné Poutine comme leur ennemi. C’est un fait capital. Dans l’affaire ukrainienne, profitant du conditionnement médiatique qui joue en leur faveur, ils sont parvenus à ce résultat prodigieux de faire adopter par l’Union européenne une politique allant directement à l’encontre des intérêts européens. Je fais évidemment allusion ici aux lamentables et très contre-productives sanctions antirusses (mais évidemment pas anti-israéliennes !) que les Européens ont accepté de soutenir – gouvernement français en tête – alors que les inévitables représailles qui s’ensuivront vont leur coûter extrêmement cher. Lorsque ces sanctions ont été annoncées, le ministère russe des Affaires étrangères a simplement déclaré : « Nous avons honte pour l’Union européenne qui, après avoir longuement cherché sa propre voie, a adopté celle de Washington, rejetant ainsi les valeurs européennes fondamentales. » C’est très exactement cela, hélas ! L’Union européenne s’est alignée sur l’Amérique parce qu’elles partagent l’une et l’autre la même idéologie libérale. Le drame est que tout cela se déroule dans l’indifférence générale, alors qu’il s’agit d’un événement de première grandeur.

    A contrario, la classe politique française n’en finit plus d’être fascinée par le « modèle américain ». Jean Lecanuet se présentait comme le JFK français, et même Jean-Marie Le Pen se voulait l’équivalent hexagonal de Ronald Reagan…

    L’UMP ressemble aujourd’hui de plus en plus à l’ancien MRP, et le PS de plus en plus à l’ancienne SFIO. Ces deux partis de la IVe République, l’un de droite et l’autre de gauche, communiaient dans la même soumission aux Américains. Seule l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle a permis, à partir de 1958 (et surtout de 1966), d’imposer une politique d’indépendance nationale qui n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir. Nicolas Sarkozy, qui a fait revenir la France dans la structure intégrée de l’OTAN, était en adoration hystérique devant le modèle américain. François Hollande et Laurent Fabius renouent, pour leur part, avec l’atlantisme inconditionnel d’un Guy Mollet. D’où l’inertie que l’on constate de la part du Quai d’Orsay, tant à propos de l’Ukraine que de la Palestine, de l’Irak ou de la Syrie. Aujourd’hui, la France n’a tout simplement plus de politique étrangère autonome. Elle se contente de relayer les consignes d’Obama.

    Les États-Unis ont, par ailleurs, toujours été très attentifs à placer sous influence la classe politique française. Le programme phare de la French-American Foundation, créée en 1976 et qui rassemble aujourd’hui plus de 400 dirigeants issus du monde de l’entreprise, de la haute administration et des médias, consiste à sélectionner chaque année un certain nombre de Français âgés de 30 à 40 ans jugés outre-Atlantique particulièrement « prometteurs ». Parmi ces « Young Leaders » dont on attend à Washington qu’ils s’emploient à « renforcer les liens entre la France et les États-Unis », on trouve aussi bien François Hollande (promotion 1996) qu’Alain Juppé (promotion 1981), mais aussi Jean-Marie Colombani, Laurent Joffrin, Guy Sorman, Jacques Toubon, Najat Vallaud-Belkacem, Christine Ockrent, Alain Minc, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, François Léotard, Marisol Touraine, Anne Lauvergeon, Jean-Noël Jeanneney, Bruno Le Roux, Valérie Pecresse, Fleur Pellerin, sans oublier Yves de Kerdrel (promotion 2005), qui vient de saborder le mensuel Le Spectacle du monde pour mieux mettre l’hebdomadaire Valeurs actuelles au service exclusif de Nicolas Sarkozy.

    Paradoxe français, nous vantons notre exception nationale, mais n’en finissons pas non plus de nous référer à des modèles étrangers, qu’ils soient allemands, suisses ou anglo-saxons…

    L’herbe du voisin paraît toujours plus verte, c’est bien connu. Les Français, qui sont très xénophobes, mais pas du tout racistes, aiment bien en effet se référer à des modèles venus d’ailleurs. Pourquoi ne le feraient-ils pas lorsque cela est justifié ? Ce qui est dommage, c’est que les modèles français, qui existent aussi, semblent désormais appartenir au passé. À moins, bien sûr, qu’on ne prenne en compte aussi les modèles négatifs ; auquel cas, la France actuelle serait incontestablement en tête de classement !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 août 2014)

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  • Désastres à l'américaine...

     

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré aux guerres scélérates menées par l'Amérique depuis cinquante ans et qui ont immanquablement conduit à des désastres. Le dernier exemple en date est celui de l'Irak...

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    Désastres à l'américaine

    Après la chute de Fallouja en janvier, la prise de Mossoul et Tikrit à la mi-juin reporte tout à coup l’attention sur l’Irak. Il ne s’agit pas seulement d’une succession d’opérations djihadistes bien menées mais d’un soulèvement général des tribus sunnites marginalisées par les autorités de la capitale. Plus que le gouvernement irakien, ce sont les Américains qu’il faut accuser : ce sont eux qui ont fabriqué le système des communautés ethniques et confessionnelles aujourd’hui effondré.

     

    Ce nouvel échec de la guerre à l’américaine et de la diplomatie des Etats-Unis devrait faire réfléchir les Etats nationaux qui s’abritent derrière l’Otan et les peuples ou les partis qui regardent avec sympathie les envoyés de Washington. Je sais que les mises en garde ne pèsent guère face à des agents qui utilisent sans le moindre scrupule l’intimidation et la corruption. Mais il faut tout de même rappeler aux jeunes générations, en Europe et ailleurs, les causes et les conséquences des échecs américains car il n’est pas impossible que de nouvelles élites décident, un jour ou l’autre, de refuser les voies prescrites par les Etats-Unis.

    Il y a eu le Vietnam. A la suite d’une guerre mal comprise et mal conduite, en dépit des bombardements massifs et du recours aux armes chimiques, le Vietnam et le Cambodge ont été conquis par des communistes qui ont installé des dictatures ici implacables et là génocidaires.

    Il y a eu, en 1999,  la guerre d’agression contre le Kosovo. Au cours de cette prétendue « guerre morale », les frappes aériennes de l’Otan sur la Serbie et le Monténégro n’ont pas permis d’unifier le pays et de régler les conflits entre ses habitants. Nul ne s’intéresse aux crimes commis par les extrémistes de l’UCK (1) et aux débris de projectiles à l’uranium appauvri qui provoquent et provoqueront d’innombrables cancers sur des terrains contaminés à jamais.

    Il y a eu la guerre d’Irak entre 2003 et 2011. Menée sans l’accord des Nations unies, cette guerre a fait plus d’un million de morts et provoqué l’exil de deux millions d’Irakiens ; les Etats-Unis ont dépensé 4 000 milliards de dollars pour aboutir, onze ans plus tard, à une catastrophe sans fin prévisible.

    Il y a eu la guerre de Libye. Menée par les néo-conservateurs français et britanniques avec l’accord et l’aide des Américains, elle a provoqué hors du mandat des Nations unies la chute d’une dictature et laissé le pays s’engager dans un processus de décomposition qui menace les pays voisins.

    Il y a la guerre d’Afghanistan. Elle va entrer dans une nouvelle phase après le retrait des Etats-Unis, responsables depuis 2001 d’innombrables fautes politiques et stratégiques, de tortures et d’exécutions sommaires, et qui ont laissé se constituer un narco-Etat miné par la corruption et largement reconquis par les Talibans.

    Il y a la guerre civile en Syrie. Les Américains ont eu l’intelligence de ne pas bombarder Damas comme le souhaitaient François Hollande et Laurent Fabius mués à leur tour en clones néo-conservateurs, mais ils ont laissé leurs alliés saoudiens et qataris appuyer les djihadistes.

    Il y a la guerre civile en Ukraine. Encouragé et financé par les Etats-Unis, le mouvement insurrectionnel de l’ouest du pays aurait pu conduire à une transition démocratique. A Kiev, le coup d’Etat parlementaire du 22 février a durci les oppositions et provoqué des affrontements meurtriers. Tout cela pour arrimer l’Ukraine à l’Union européenne et lui faire intégrer l’Otan…

    Ce n’est pas fini. L’Otan a ouvert une représentation à Tachkent le 16 mai et l’on s’inquiète des opérations de déstabilisation menées par des agents américains en Asie centrale pour contrer les Russes – au risque de faire exploser diverses poudrières.

    Persuadés qu’on ne peut rien faire contre les Etats-Unis, les dirigeants français sont complices de ces manœuvres irréfléchies et criminogènes. Ils devraient prendre exemple sur la « petite » Slovaquie et sur la « petite » République tchèque, qui viennent de refuser le déploiement de troupes de l’Otan sur leur territoire. Il suffirait que la France réaffirme sa souveraineté pour qu’une autre politique soit possible, afin de contenir puis de refouler les boutefeux américains.

    Bertrand Renouvin (Blog de Bertrand Renouvin, 17 juin 2014)

     

    Notes :

    (1)  Cf. Jean-Arnault Dérens, Kosovo, un trou noir dans l’Europe (1) : sur la piste de trafics d’organes, Mediapart, 29 juillet 2012. - See more at: http://www.bertrand-renouvin.fr/#sthash.zb0Umnaw.dpuf

     

    (1)  Cf. Jean-Arnault Dérens, Kosovo, un trou noir dans l’Europe (1) : sur la piste de trafics d’organes, Mediapart, 29 juillet 2012

    Après la chute de Fallouja en janvier, la prise de Mossoul et Tikrit à la mi-juin reporte tout à coup l’attention sur l’Irak. Il ne s’agit pas seulement d’une succession d’opérations djihadistes bien menées mais d’un soulèvement général des tribus sunnites marginalisées par les autorités de la capitale. Plus que le gouvernement irakien, ce sont les Américains qu’il faut accuser : ce sont eux qui ont fabriqué le système des communautés ethniques et confessionnelles aujourd’hui effondré.

    Ce nouvel échec de la guerre à l’américaine et de la diplomatie des Etats-Unis devrait faire réfléchir les Etats nationaux qui s’abritent derrière l’Otan et les peuples ou les partis qui regardent avec sympathie les envoyés de Washington. Je sais que les mises en garde ne pèsent guère face à des agents qui utilisent sans le moindre scrupule l’intimidation et la corruption. Mais il faut tout de même rappeler aux jeunes générations, en Europe et ailleurs, les causes et les conséquences des échecs américains car il n’est pas impossible que de nouvelles élites décident, un jour ou l’autre, de refuser les voies prescrites par les Etats-Unis.

    Il y a eu le Vietnam. A la suite d’une guerre mal comprise et mal conduite, en dépit des bombardements massifs et du recours aux armes chimiques, le Vietnam et le Cambodge ont été conquis par des communistes qui ont installé des dictatures ici implacables et là génocidaires.

    Il y a eu, en 1999,  la guerre d’agression contre le Kosovo. Au cours de cette prétendue « guerre morale », les frappes aériennes de l’Otan sur la Serbie et le Monténégro n’ont pas permis d’unifier le pays et de régler les conflits entre ses habitants. Nul ne s’intéresse aux crimes commis par les extrémistes de l’UCK (1) et aux débris de projectiles à l’uranium appauvri qui provoquent et provoqueront d’innombrables cancers sur des terrains contaminés à jamais.

    Il y a eu la guerre d’Irak entre 2003 et 2011. Menée sans l’accord des Nations unies, cette guerre a fait plus d’un million de morts et provoqué l’exil de deux millions d’Irakiens ; les Etats-Unis ont dépensé 4 000 milliards de dollars pour aboutir, onze ans plus tard, à une catastrophe sans fin prévisible.

    Il y a eu la guerre de Libye. Menée par les néo-conservateurs français et britanniques avec l’accord et l’aide des Américains, elle a provoqué hors du mandat des Nations unies la chute d’une dictature et laissé le pays s’engager dans un processus de décomposition qui menace les pays voisins.

    Il y a la guerre d’Afghanistan. Elle va entrer dans une nouvelle phase après le retrait des Etats-Unis, responsables depuis 2001 d’innombrables fautes politiques et stratégiques, de tortures et d’exécutions sommaires, et qui ont laissé se constituer un narco-Etat miné par la corruption et largement reconquis par les Talibans.

    Il y a la guerre civile en Syrie. Les Américains ont eu l’intelligence de ne pas bombarder Damas comme le souhaitaient François Hollande et Laurent Fabius mués à leur tour en clones néo-conservateurs, mais ils ont laissé leurs alliés saoudiens et qataris appuyer les djihadistes.

    Il y a la guerre civile en Ukraine. Encouragé et financé par les Etats-Unis, le mouvement insurrectionnel de l’ouest du pays aurait pu conduire à une transition démocratique. A Kiev, le coup d’Etat parlementaire du 22 février a durci les oppositions et provoqué des affrontements meurtriers. Tout cela pour arrimer l’Ukraine à l’Union européenne et lui faire intégrer l’Otan…

    Ce n’est pas fini. L’Otan a ouvert une représentation à Tachkent le 16 mai et l’on s’inquiète des opérations de déstabilisation menées par des agents américains en Asie centrale pour contrer les Russes – au risque de faire exploser diverses poudrières.

    Persuadés qu’on ne peut rien faire contre les Etats-Unis, les dirigeants français sont complices de ces manœuvres irréfléchies et criminogènes. Ils devraient prendre exemple sur la « petite » Slovaquie et sur la « petite » République tchèque, qui viennent de refuser le déploiement de troupes de l’Otan sur leur territoire. Il suffirait que la France réaffirme sa souveraineté pour qu’une autre politique soit possible, afin de contenir puis de refouler les boutefeux américains.

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  • Poutine ou le Maître de la Parole...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte remarquable de Philippe-Joseph Salazar, cueilli sur le site Les Influences et consacré à Vladimir Poutine et à sa parfaite maîtrise de la parole dans la conduite de la crise ukrainienne. Philippe-Joseph Salazar est philosophe et spécialiste de la rhétorique.

     

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    Poutine ou le Maître de la Parole

    On se souvient de la phrase du philosophe allemand Hegel, le génial auteur de la Phénoménologie de l’Esprit, quand il vit Napoléon passer sous sa fenêtre, en octobre 1806 : « J’ai vu l’âme du monde à la manœuvre » [1]. Eh bien, voilà un mois en écoutant Vladimir Poutine s’adresser à la Diète fédérale russe, lors de la réincorporation des terres irrédentes de Crimée à la Mère Patrie Russe, j’ai entendu parler l’âme du monde. J’ai entendu, et vu, la plus puissante des paroles se déployer, avec une telle sûreté de ton, une telle acuité d’arguments, une telle saisie du moment qu’une autre phrase de Hegel m’est venue naturellement aux lèvres : Poutine explique la politique « comme l’oiseau de Minerve qui prend son vol à la nuit tombée », pour mieux saisir sur le vif ceux qui n’y voient goutte, qui sont dans la nuit de leurs idées toutes faites, et ne savent plus ni parler, ni écouter – je veux dire « l’Ouest » comme le disent les médias, ces perroquets câblés.

    Vladimir Poutine, âme du monde ? Ça mérite une explication. Maître absolu de la parole ? Ça mérite une analyse.

    Depuis l’Irak et l’Afghanistan les directeurs de la communication des Etats-Unis et de l’OTAN ont mis au point une technologie rhétorique dite de « stratcomm », « communication stratégique », d’une simplicité qui s’est voulu génialement opérationnelle (ça tient sur une carte qu’on met dans la besace du trouffion, littéralement) et qui s’est révélée accablante d’efficacité, comme on le sait. Le spectacle désolant qu’offrent ces deux pays, jadis féodaux mais en paix, désormais féodaux mais en guerre, suffit à démontrer la terrible stupidité de la « stratcomm ». La stratcomm est supposée suppléer à la force brutale par l’influence persuasive, en alimentant le discours public et la propagande à coups de mots simples comme « stabilité, paix, prospérité » [2].

    Dans le cas de l’Ukraine le mot clef, dès que l’Union Européenne, les Etats-Unis et l’OTAN ont mis le doigt dans l’engrenage, a été « désescalade ». Il faut « désescalader » ont répété les perroquets et les perruches médiatiques.

    Le terme est codé : il implique que l’adversaire a « escaladé » ; en bon français (mais qui s’en soucie) le mot est très récent (1970) et il est militaire : « Ensemble d’opérations stratégiques visant à diminuer ou à supprimer la gravité des mesures militaires » [3]. On a bien lu : « mesures militaires ». Dans ce langage codé que parlent entre eux les services secrets, qui manipulent les médias en usant d’honorables correspondants, ou en plantant des infos sur les fameux réseaux sociaux, et les services de communication/propagande, le concept est militaire. Dire « désescalade » c’est déjà accuser la Russie d’avoir « escaladé ».

    Qu’a fait Vladimir Poutine. Rien. Il a laissé dire. Sachant que s’il dit le mot, il est pris au piège.

    Quel piège ? Celui-ci : le problème, avec le langage de la stracomm, c’est qu’il faut que l’adversaire le parle aussi. En philo on appelle ça le « différend » : vous m’accusez de ceci, et vous voulez que j’utilise pour me défendre les mots que vous employez pour m’accuser ? Le piège est grossier ! Car me défendre avec les termes que vous employez, c’est déjà accepter que c’est vous qui définissez le cadre de ma défense. Je suis cuit. Allez au diable ! Je « diffère » [4], et je dis autrement.

    Un autre terme a donc été lancé par les services de stratcomm de l’OTAN et Cie, pour tenter de cerner et donc de cataloguer les récusants russophones d’abord de Crimée et depuis des régions frontalières orientales : ils ont été « radicalisés ». Les protestataires (on ne dit pas qu’ils sont des agents russes, ce qui est aussi difficile à prouver que de démontrer qu’à chaque fois qu’un chef de la CIA vient à Kiev, deux jours plus tard, comme par miracle, les Ukrainiens ont une poussée d’adrénaline et de frais uniformes), les protestataires, donc, sont « radicalisés ».

    Ce terme est apparu lors de l’attentat de Boston par les frères Tsarnaev. « Ces jeunes gens ont été radicalisés » jacassait la presse américaine, aussitôt relayée par les médias français, jamais en retard d’une attrape. Or le terme est toujours employé à la voix passive : « ils ont été radicalisés », pas « ils se sont radicalisés » . Il existe un « par », un agent qui radicalise. Ici : la Russie, bien sûr [5].

    Ce qui est intéressant est que, devant la faillite rhétorique de « désescalade/escalade », la stratcomm a tenté de lancer « radicalisation ». Mais, derechef, bec dans l’eau. Vladimir Poutine (et à faire pâlir d’envie le Quai d’Orsay, ce grand diplomate à la Metternich ou à la Kissinger, M. Lavrov), à la manœuvre, a fait comme si rien n’avait été dit. Il a ignoré. Magistral.

    On va me dire : tout cela est un langage entre eux, nous, les péquins, on s’en tamponne le château arrière comme le déclama un jour Régine Crespin, sur la scène du Châtelet, dans son immortelle Grande Duchesse de Gérolstein. Or justement, la réplique de Vladimir Poutine à cette ligne de stratcomm a été de réduire l’OTAN, et les bavards de Bruxelles, non loin du GQG, à n’être que des grandes duchesses d’opérette. Il a simplement ignoré le mot, et donc mis de côté l’implication.

    C’est alors que Poutine a retourné contre la communication « occidentale » sa propre méthode, à la stupéfaction des commentateurs américains depuis dix jours (Wall Street Journal, Reuters). Par exemple, il a ré-expédié à « l’Ouest » un autre terme clef de la stratcomm : « faire la guerre contre son propre peuple ».

    De fait, dans l’arsenal rhétorique de la bienfaisance militaire occidentale, « to wage war against your own people », « faire la guerre contre votre propre peuple », a été l’expression clef, la litanie médiatique issue du glossaire américain de la stratcomm, pour justifier l’invasion de l’Iraq, l’intervention en Lybie et l’appui donné à la rébellion en Syrie : « Assad/Yanoukovitch, si vous faites la guerre contre votre propre peuple, alors nous, qui sommes les représentants de la démocratie, c’est à dire, du droit des peuples, nous avons le droit d’intervenir, car ce droit est moral ». Certes, mais encore ?

    Vladimir Poutine a retourné l’expression. Les putschistes en place à Kiev « font la guerre à leur propre peuple ». Donc la Russie endosse le manteau dont s’est drapé jusque là « l’Ouest », pour venir à la défense des opprimés.

    Du coup soudain, la chandelle est soufflée, et on n’entend plus l’expression naguère favorite de M. Obama. Lequel, par une de ces bévues dont il parsème ses discours quand il se prend lui-même dans les réticules séduisants de sa propre éloquence, a nommé la Russie : « Une puissance régionale ». Je suppose que ça a dû plaire à son auditoire américain, très cultivé, mais il suffit de regarder une mappemonde pour voir que ladite région, ma foi … Vladimir Poutine n’a de nouveau rien répliqué. Il laisse dire. Il ne pratique pas le jeu psychanalytique du fort-da, du tu me donnes, je te prends, je t’envoie, tu me renvoies, qui, chez Freud, est une marque d’infantilisme.

    Quand on a rétabli les armoiries de la Russie impériale sur son drapeau, qu’on prépare un grandiose défilé militaire célébrant la victoire de l’Armée rouge sur l’Allemagne, qu’on méprise les fameuses sanctions comme un pauvre arsenal de boutiquier capitaliste, s’entendre dire que son empire, qui va de l’ancienne capitale Teutonique et prussienne de Königsberg à Vladivostok, on ne peut que sourire et laisser dire.

    La maladie infantile du néo-capitalisme communicationnel est la fièvre de la réponse instantanée, de la re-réponse, de la re-re-réponse. Je ne vais pas vous faire un dessin. Voyez internet.

    Laisser dire, un grand art. A « l’Ouest » règne l’irrépressible désir de parler, toujours, encore, et plus. De Russie, qui est aussi occidentale que nous le sommes, on mesure ses mots, comme à la manœuvre. Car, une des forces de la machine rhétorique de M. Poutine, est sa capacité à ne parler le langage de l’adversaire quand ça lui sert, et à ne rien rétorquer quand ça ne lui sert pas.

    Car l’art du pouvoir exige le silence, la réponse mesurée à l’effet à obtenir, ce contrôle exigeant de soi-même à ne pas parler. A attendre. Et à frapper.

    Dans la saga tragicomique et saignante de l’Ukraine, une vraie pièce d’Alfred Jarry, tout le monde est là à parler, à s’époumoner, à vitupérer, à baragouiner dans un anglais de bastringue (je recommande les débats désopilants sur France24 où des experts français bafouillent dans un anglais d’Auvergnat devant des Ukrainiens d’opéra-bouffe, sous l’œil ironique du très patient M. Picard), évidemment afin de satisfaire les médias – tandis que Vladimir Poutine, maître de la parole, calibre chaque conférence de presse, juge exactement du timing d’un communiqué, prend à chaque fois l’ « Ouest » au dépourvu, et simplement impose son rythme, son calendrier, sa marche, sa « manœuvre » en un mot.

    Vladimir Poutine est donc l’âme du monde, au sens exact du « monde » dont il s’agit ici, le monde du politique, et au sens exact où « âme » signifie principe – Vladimir Poutine nous donne à voir ce que nous vîmes jadis à l’œuvre avec le Général, quand la France comprenait ce qu’est la puissance : la politique comme principe vital du monde où nous vivons, et la parole politique comme mesure de l’action à entreprendre.

    Et l’âme, bien sûr, c’est aussi là où se loge, dans un fusil, la balle.

    Philippe-Joseph Salazar (Les influences,  6 mai 2014)

     

    Notes :

    [1On traduit toujours mal cette phrase en français (« j’ai vu Napoléon passer à cheval », pourquoi pas en patinette ?) car, dans l’allemand de haute précision de Hegel, elle est terrible, et le mot clef y est « recogniziert » : Napoléon est là, dans une manœuvre de reconnaissance du terrain. Relisez cette phrase hautaine et décisive, où la langue ennemie devient presque du latin cicéronien : « Den Kaiser – diese Weltseele – sah ich durch die Stadt zum rekognoszieren hinausreiten ».

    [3Trésor de la langue française, en ligne.

    [4Tout ça, of course, dans Lyotard.

    [5Dans l’attentat des Tsarnaev, les services de sécurité, incapables et d’avoir prévu et d’expliquer si/comment/pourquoi/avec qui, ont lancé dans la presse l’expression « self-radicalized », auto-radicalisés – ce qui était une manière de dire : nous n’avons pas à chercher plus loin qu’eux. La propagande n’a pas pris : les médias ont laissé tomber car un terroriste auto-radicalisé ne fournit par une « histoire » avec des complices, des réseaux, des épisodes, bref du tirage.

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  • L'atlantisme est un piège !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré à l'atlantisme et à ses œuvres...

     

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    L'atlantisme est un piège

    Les manifestants de Kiev qui brandissaient des drapeaux bleus ont obtenu ce qu’ils voulaient : la signature du volet politique de l’accord d’association entre l’Union européenne et le pouvoir né de l’insurrection. Ils feraient bien de lire ce texte et de le mettre en relation avec les conditions posées par le Fonds monétaire international au début des discussions sur le prêt à l’Ukraine.

    Il va presque sans dire que l’accord signé le 21 mars détruit définitivement l’illusion d’une intégration de l’Ukraine dans l’Union. En attendant la signature du volet économique qui devrait avoir lieu après l’élection présidentielle du 25 mai, les Ukrainiens noteront qu’ils sont désormais soumis aux principes de l’économie de libre marché (titre I, article 3) et qu’ils sont engagés dans une coopération impliquant des contacts militaires (titre II, article 5) avec des pays qui sont membres de l’Otan. Il s’agit donc d’un accord d’association européo-atlantique, qui réjouit les plus occidentalistes des Ukrainiens, soucieux de trouver assistance et protection contre le voisin russe. Leur joie sera de courte durée. Ils ont déjà constaté que l’Occident n’a pas empêché le rattachement de la Crimée à la Russie et ils auraient déjà dû s’apercevoir que l’économie de marché est celle du renard libre dans le poulailler libre. Pourquoi ?

    Parce que le FMI exige, comme d’habitude, les « réformes » qui entraînent l’appauvrissement et le pillage des pays qui les acceptent : privatisations, annulation des subventions, augmentation des taxes, augmentation de l’âge de la retraite, augmentation des tarifs du gaz et de l’électricité,  réduction de la protection sociale et des dépenses d’éducation… Choisi par les Etats-Unis et soutenu par Bruxelles, Arseni Yatseniouk, qui fait fonction de Premier ministre, a déjà engagé un programme de restrictions budgétaires pour prouver sa pleine et entière collaboration à cette sauvagerie programmée.

    L’Ukraine est dans la mâchoire du piège atlantiste. La France aussi.

    A Kiev, l’accord d’association et le prêt de 15 milliards de dollars constituent l’appât. A Paris, il se présente sous la forme du Pacte transatlantique sur le commerce et l’investissement (PTCI). Avec d’autres peuples européens, nous sommes confrontés à la même idéologie libre-échangiste assortie de la même promesse d’avenir radieux par les progrès de la concurrence sur le marché dérégulé. En France et dans d’autres pays, nous constatons que le gouvernement des Etats-Unis est le maître de la manœuvre commerciale et financière comme il est, avec l’Otan, le maître de la manœuvre militaire. La solidarité avec les Ukrainiens insurgés n’est pas plus gratuite que le partenariat transatlantique : il s’agit d’assurer la domination américaine sur un territoire européen aussi étendu que possible afin qu’un bloc atlantique puisse être opposé à la Chine – par ailleurs bordée par le Partenariat transpacifique.

    Il ne s’agit pas d’un complot machiavélique mais d’une logique de puissance qui s’est réaffirmée après l’effondrement de l’Union soviétique. Au mépris de la promesse faite par James Baker à Mikhaïl Gorbatchev, l’Otan s’est étendue à l’Est, puis l’influence américaine s’est renforcée dans les Balkans, la France, divine surprise, est revenue dans le commandement militaire intégré et il a paru possible de rejeter la Russie encore plus loin vers l’Est par une révolution en Ukraine en attendant de faire la même opération en Biélorussie. Le Partenariat transatlantique ferait quant à lui l’affaire des multinationales américaines dans des secteurs-clés et permettrait à l’Allemagne de réorienter son approvisionnement énergétique. Alors que la France a tout à redouter d’un accord qui mettrait en péril ses secteurs les mieux protégés, François Hollande a souhaité une conclusion rapide des négociations pour éviter « une accumulation de peurs, de menaces, de crispations ». Cela signifie que, comme le retour dans l’Otan sous Nicolas Sarkozy, le PTCI doit être adopté sans débat public, à l’insu des peuples qu’on espère berner par la promesse d’un « plus de croissance ».

    Face au déni de démocratie, face au piège atlantiste, nous développerons, avec nos amis, le projet salutaire d’une confédération européenne des Etats nationaux de l’ensemble du continent. L’avenir de l’Europe ne doit plus s’écrire à Washington.

    Bertrand Renouvin (Blog de Bertrand Renouvin, 25 mars 2014)

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  • Ukraine : que pourrait faire la France ? ...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue équilibré de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré à la crise ukrainienne...

    Paris Berlin Moscou 3.jpg

    Ukraine : que pourrait faire la France ?

    Dans le débat français sur la crise ukrainienne, une question mériterait d’être privilégiée : que peut faire la France ? Ce souci est balayé par le discours dominant. Qui n’est pas pour Kiev est pour Moscou – et Paris se trouve naturellement dans le camp du Bien. Comme ce camp a fait beaucoup de mal, dans l’ancienne Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye… il est prudent de se garder des fausses évidences du manichéisme ambiant. Et si la France est approuvée par les arbitres du bon ton diplomatique, c’est en raison de son effacement. François Hollande répète ce que dit Barak Obama, s’en remet à la Commission européenne et laisse Angela Merkel discuter directement avec Vladimir Poutine.

    Plutôt que de remâcher cette nouvelle humiliation, il faut réfléchir à ce que pourrait faire la France, dès lors que, libérée de son oligarchie atlantiste, elle ferait exploser la zone euro et quitterait définitivement l’OTAN. Il ne s’agit pas de rédiger une feuille de route, ce qui impliquerait un cheminement au ras du sol, mais de regarder, avant tout engagement, la carte du monde. On voit la Chine, qui nous agresse commercialement, et les Etats-Unis en déclin. On voit aussi que la Russie ne nous menace en rien et l’on sait que l’Union européenne est moribonde. On se souvient que la pression islamiste se renforce sur l’Asie centrale et sur le Nord-Caucase et l’on constate que la Russie s’efforce de contenir la menace. Dès lors, la France pourrait construire un nouveau système d’alliances continentales, dans le cadre d’une confédération européenne respectant la souveraineté de ses Etats-membres.

    Cette nouvelle politique européenne viserait la réduction progressive des tensions en Europe à laquelle la France  contribuerait en incitant les Etats concernés à renoncer au bouclier anti-missiles américain  puis à quitter l’OTAN au profit d’une organisation européenne de sécurité. Cette politique d’apaisement et de sécurité collective impliquerait une coopération avec la Russie dans la lutte contre l’islamisme et, dans le même temps, un plan européen de développement économique et social conçu hors de la dogmatique ultralibérale, dans le souci de l’écologie générale du continent et des mers qui l’entourent.

    Si un gouvernement français s’était placé dans cette perspective, tracée par le général de Gaulle pendant la Guerre froide, il aurait été possible de favoriser le règlement de la crise ukrainienne. Il aurait fallu :

    Constater que l’insurrection kiévienne a engendré un pouvoir de fait qui a déchiré l’accord entre le président légal et les partis d’opposition et violé la Constitution en destituant Viktor Ianoukovitch et en supprimant la Cour constitutionnelle qui aurait dû se prononcer sur cette destitution.

    Exiger que ce pouvoir de fait ne signe pas de nouveaux traités et n’engage pas de discussion avec l’OTAN afin d’apaiser les craintes justifiées de la Russie – le projet d’accord entre l’Ukraine et l’Union européenne comportant des clauses de coopération militaire.

    Exiger le désarmement et la dissolution des partis nationaux-socialistes afin que la sécurité des personnes et les libertés publiques soient de nouveau garanties.

    Eviter que l’Ukraine ne tombe sous la coupe du FMI et ne subisse les effets désastreux d’une thérapie de choc en proposant à toutes les puissances européennes la mise en œuvre d’un plan d’urgence pour le financement et le développement de l’Ukraine.

    Prendre au mot le président de la Fédération de Russie qui a déclaré le 4 mars qu’il n’avait pas l’intention d’encourager les tendances annexionnistes, l’inciter à différer le référendum prévu en Crimée et les demandes de rattachement à la Russie de plusieurs villes d’Ukraine et soutenir sa proposition d’organiser la consultation de tout le peuple d’Ukraine en vue de l’adoption d’une nouvelle Constitution.

    Encourager les partis démocratiques d’Ukraine à se concerter pour organiser les élections législatives et présidentielles hors de toute pression extérieure – qu’elle soit américaine, allemande, polonaise,  russe – afin que le peuple ukrainien se donne librement de nouvelles institutions.

    C’est en étant libre de toute allégeance que la France aurait pu favoriser la paix en Europe.

    Bertrand Renouvin (Blog de Bertrand Renouvin, 12 mars 2014)

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