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jean-claude michéa - Page 16

  • Guerriers et boutiquiers...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Romaric Sangars, animateur du Cercle Cosaque, publié initialement sur Causeur, le site de la revue d'Elisabeth Lévy. L'auteur distribue quelques beaux coups de sabre !...

     

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    Guerriers et boutiquiers

    Georges Kaplan concluait son dernier article en citant Bastiat : « si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront ». Cette allégation imbécile renferme un chantage implicite qui sous-entend : « si vous ne voulez pas jouer le jeu du grand marché mondial, on viendra mitrailler vos familles ». Voilà qui vous pose un pacifiste.

    On peut lui objecter que le chantage, la terreur sournoise et l’injonction autoritaire indirecte sont typiques du langage marchand. Les publicités omniprésentes nous disent en substance : « si vous n’achetez pas le dernier Smartphone, vous demeurerez une merde insignifiante ». Fort de ce constat, on vous propose la camelote dernier cri pour que vous puissiez consommer au nom de la sacrosainte « liberté ».

    Il est frappant d’observer que les apôtres de la déesse Marchandise produisent une rhétorique, des réflexes et des valeurs de pisseuse. Tout cela donne la nostalgie des confrontations franches d’autrefois. Il fut en effet un temps où la guerre était à la fois considérée comme la pire calamité possible et comme la mère de toutes les vertus. Quel paradoxe ! Mais toute vérité profonde n’est-elle pas paradoxale ?

    L’ethos consumériste ne déteste pas tant la guerre que les vertus militaires

    A contrario, la paix marchande qui, pour paraphraser Clausewitz, n’est que la guerre poursuivie par des moyens économiques, se révèle mère de tous les vices. Car la guerre économique en cours repose sur la capacité de chaque individu à se faire acheter. Cet éthos consumériste ne déteste pas tant la guerre classique, qui peut tout aussi bien interrompre les flux commerciaux qu’ouvrir de nouveaux marchés, que les vertus militaires : honneur, sacrifice de soi et fidélités supérieures. Ce triptyque de valeurs forge des types d’hommes peu maniables, sinon réfractaires à la marchandisation.

    Or, la marchandise n’a pas besoin d’hommes prêts à mourir – d’ailleurs, qui mourrait pour elle ?- mais de femelles prêtes à se coucher. Lorsque plus personne ne sera en mesure de prendre les armes pour défendre une souveraineté, donc une liberté concrète, lorsque tout aura été pris en charge par l’alliance du Droit et du Marché (1), la marchandise pourra pleinement étendre son empire.

    Ce jour-là, le Droit totalitaire aura triomphé, permettant la poursuite incessante de la guerre économique mondiale. Un Droit totalitaire dont Eva Joly aimerait exalter le triomphe par des « défilés citoyens » dont l’exemplarité morale désignerait fatalement tous ceux qui ne savent pas suffisamment « vivre-ensemble » et autres sociaux-traîtres présumés.

    Les conséquences monstrueuses de cette guerre économique étant indénombrables, ne mentionnons que ses ravages les plus visibles : inégalités comme aucune époque n’en a jamais connues, esclavage industriel dans des proportions inouïes, millions de déportés économiques qui migrent (il)légalement pour occuper des franges sinistrées des territoires autochtones avec le ressentiment et le désespoir des vaincus, colonisations culturelles nivelant par le bas la diversité des créations humaines et minant les plus anciennes et les plus hautes civilisations, etc.

    Quand les hommes ont des mentalités de pisseuses

    Avec désormais en ligne de mire la possible destruction de la planète elle-même, la marchandise poursuit sa course effrénée. Pour quelque idéal inatteignable brandi comme un étendard au-dessus du monde en souffrance ? Pour la gloire de quelque civilisation supérieure ? Pour le rayonnement d’un mot sacré ? Non, rien de tout cela.

    Ce processus qui s’autoalimente ne vise qu’à dorer les chiottes du yacht privé de quelque boutiquier milliardaire, ou autres joyeusetés frivoles.

    Alors, contrairement à la phrase imbécile de Bastiat prétendant nous préserver de grands maux grâce à un déversement massif de camelote, le 14 juillet, tandis que la circulation automobile avait en grande partie cessé et que le ciel se voyait fendu d’escadrilles, je pensais à la Justice, à la Paix et à l’Honneur de l’Homme.

    Je me disais que pour préserver ces mots trop grands et trop fragiles, il nous faudrait moins d’hommes aux mentalités de pisseuses. Moins d’individus convaincus d’exister le dernier Smartphone en poche et davantage d’hommes fiers, libres, intransigeants à la mentalité de soldats. Non pas davantage de soldats mais plus d’hommes capables, pour défendre un peuple et une liberté, de partir exploser en plein ciel aux commandes d’un Rafale.

    Romaric Sangars (Causeur, 20 juillet 2011)

    (1) Comme l’a brillamment démontré Jean-Claude Michéa.

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  • Les drogues douces et le Meilleur des mondes...

    Alors que le débat sur la dépénalisation de la consommation de cannabis fait rage, grâce à une habile campagne médiatique de mise en condition, nous reproduisons ci-dessous un texte de Claude Bourrinet publié par Voxnr, qui pose bien les données du problème...

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    Les drogues douces et le Meilleur des mondes

    Les récentes prises de position en faveur de la dépénalisation des drogues dites « douces », ou de leur légalisation, soit sous forme de proposition de loi, soit sous celle de déclarations individuelles, parfois au plus haut niveau, permettent de mettre en lumière les contradictions d’un système juridique qui, dans le fond, comme le rappelle Jean-Claude Michéa dans « L’empire du moindre mal » (Champs essais), a décrété qu’on pouvait se passer de la Vérité, du bien, de la Gloire et de l’Honneur, pour se rabattre pragmatiquement sur la logique du pur utilitarisme.

    Celui-ci revient en fait à l’enregistrement d’un simple rapport de force, puisque rien de transcendant, sinon la liberté elle-même, n’informe ou ne limite l’expression de la transgression permanente des normes. Les glissements sémantiques, idéologiques, peuvent aller très vite. Aussi voit-on les affirmations provocatrices d’un Cohn Bendit, au début des années 80, encore marquées du coin brûlant de mai 68, sur la libido et la légitimité du plaisir enfantin, avec ou sans la participation d’adultes, susciter maintenant gêne ou indignation quand, à l’époque, ce discours était tenu pour acceptable, ou comme non sujet à condamnation pénale. La société serait-elle devenue plus « morale » ? Il faudrait alors que l’adoption par des couples homosexuels, que l’on considérait jadis comme une aberration, au point qu’une telle hypothèse n’était même pas dicible, le fût devenue - ce qui est bien sûr le cas dans le discours de certains, avec éventuellement la reconnaissance de la prostitution comme métier à part entière, ou la constitution d’un service sexuel dû aux handicapés. Dans l’ordre du relatif, tout est possible (et même le jeu ironique des effets « domino » : le pédophile, au fond, n’est-il pas la victime collatérale de la survalorisation du « droit de l’enfant », si à la mode actuellement, et qui vise à saper sournoisement l’autorité de l’adulte ? Un jour, quand l’enfant éternel aura supplanté l’homme mûr, on s’avisera qu’on est tous égaux, et alors ce sera la revanche et le triomphe du pédophile !). Mais l’étonnant est qu’on puisse encore emprunter le ton moralisateur pour démolir la morale.

    On voit bien, du reste, que cette morale, qui constitue un obstacle au progrès indéfini des droits de la personne, s’inscrit dans une tradition qu’il s’agit d’abattre. Or, tout ce qui est stable demeure un danger pour le jeu fluctuant du marché. La seule et ultime raison de la gestion irraisonnée de l’homme est sa satisfaction personnelle, que l’on pare du slogan pompeux et prétentieux de « réalisation de soi », ce qui est, d’un point de vue philosophique, un casse-tête désespérant (qu’est-ce que « soi » ? quand pourrions-nous parler de « réalisation » ? et dans quelle mesure l’homme est-il sa propre mesure ?). Il n’est pas besoin, d’ailleurs, d’être grand philosophe, pour percevoir jusqu’où, jusqu’à quels délires, peut aller cette revendication d’autosatisfaction. Sade n’est pas loin, et dans ce cas comme en d’autres, l’argument qui met en avant la nocivité pour autrui de certaines pratiques , étant donné la plasticité et la relativité d’un tel concept, ne vaut pas grand-chose. Littéralement, on n’en sort pas. Car pourquoi, par exemple, ne pas prendre sérieusement en considération, sinon par des sondages préfabriqués par le matraquage, ou trafiqués, l’opinion de la majorité, ou du moins de certains courants religieux ou philosophiques, pour atténuer des revendications qu’on nous présente toujours comme légitimes, et pour ainsi dire avalisés par le cours de l’Histoire ? Au fond, le mariage homosexuel heurtera l’Eglise, une grande partie des Israélites et la majorité des Musulmans. Mais il est vrai que la doxa politiquement correcte considère la religion comme un legs nuisible du passé. De quel droit ?

    Uniquement parce qu’elle est du passé et prétend à la vérité. L’ultima ratio du système est le présent informe. Une réforme ne se justifie que par son actualité. Elle appartient au monde de maintenant, elle est « moderne ». Mais qui est légitime pour affirmer cela ? Nous avons là, comme dans les cultes à mystère, l’absolue absence de réponse rationnelle.

    Cela ne va pas sans contradiction, et des légitimités s’entre choquent. Prenons par exemple l’un des chevaux de bataille des Verts rejoints par les socialistes, la revendication de la légalisation des drogues dites « douces » (et qui ne le sont pas). L’argument est d’abord pratique : il s’agit d’empêcher les circuits illégaux et parallèles, qui enrichissent la mafia et nourrissent une partie de la banlieue (cette dernière réalité étant, faut-il le dire, prise en compte cyniquement par l’Etat, ce qui explique l’absence de moyens radicaux pour mettre fin au trafic). Parallèlement, il est indispensable d’éviter, tant que faire se peut (le fameux « moindre mal »), les risques encourus par les consommateurs livrés à des produits douteux, car « impurs ».

    On notera au passage l’argument qui consisterait à créer un marché légal des hallucinogènes. La gauche se révèle au grand jour dans cette circonstance. Finalement, elle se fait la championne du marché (certes, légal !). Cela ne va pas sans tartufferie : qu’est-ce qui fait dire en effet que de l’ « herbe », même non trafiquée, serait sans nocivité pour la santé ? Ne faut-il pas, du reste, fumer, pour consommer ces drogues ? Le tabac n’est-il donc plus nuisible ? Et le mineurs n’ont-ils pas « droit » aussi à ces drogues, donc au tabac, qui leur est interdit ? Et quand celui-ci sera définitivement prohibé (ce qui arrivera), que faire ? Manger, comme au 19e siècle, le haschisch ? Et comment pourra-t-on éviter la persistance d’un marché noir de drogues « dures » ? Faut-il aussi légaliser celles-ci ? C’est ce qui, logiquement, devrait s’ensuivre…

    Mais outre ces apories, il faut saisir ce en quoi ces positions sont suprêmement idéologiques (ce qui permet de souligner combien le système libéral, qui voudrait nous délivrer de la tyrannie des systèmes d’opinions, nous y ramène infailliblement). Ainsi, comment expliquer que, comme pour le mariage homosexuels, qui n’émeut qu’une frange minoritaires de bobos en manque de sensations … plutôt banales (qui songe encore à se marier dans un monde qui discrédite toute valeur ?!), la question de la légalisation du haschisch et assimilé hante et agite le bocal empesté des progressistes ? Pourquoi, par exemple, s’en prendre, avec les puritains et autres hygiénistes américanoïdes, à l’alcool, et singulièrement au vin, avec des accents que l’on ne retrouve que quand on attaque avec des traits haineux les « réactionnaires » ?

    Les « drogues douces » ont, par rapport à notre civilisation, une origine allogène. Elles viennent du Proche et du Moyen Orient, ou des pays du Maghreb. Elles sont donc entachées d’un préjugé favorable, comme les immigrés, les sans papiers, le raï, le rap, et tout ce qui contredit la culture indigène (c’est-à-dire d’ici). Aussi le vin, par exemple, si ancré dans notre terroir et ses traditions de bonne vie ou ses racines sacrées, est-il vertement dénoncé. Il ne faut pas chercher plus loin pour vilipender un produit si digne de soupçon. Et le rapprocher des alcools durs, qu’on ingurgite brutalement pour atteindre l’ivresse, lors de soirées étudiantes par exemple, c’est faire preuve d’une extrême mauvaise foi, et d’une propension à la reductio ad diabolum, comme c’est la coutume dans d’autres domaines.

    Par ailleurs, les drogues dites « douces » appartiennent à l’imaginaire, aux codes de la société postmoderne, hédoniste et décomplexée, telle qu’elle s’est développée dans la Silicone vallée, et telle qu’on nous la donne en viatique pour un avenir radieux. Elles constituent, si l’on veut, l’hostie, la relique, par quoi on entre dans la nouvelle religiosité (qui saura trouver son inquisition), le dogme de la philosophie sectaire, par laquelle on nous somme d’être heureux, on nous initie aux mystères du Brave new world (souvenons-nous du soma, consommé à outrance, dans le célèbre ouvrage d’Aldous Huxley).

    Pauvre libéralisme, qui orne la misère humaine du halo du droit, et du romantisme de pacotille d’une bohème usée et fatiguée. Ne resterait-il que le joint pour être révolutionnaire ? Quel manque d’imagination, quelle médiocrité!

    Claude Bourrinet (Voxnr, 19 juin 2011)

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  • Culture de masse ou culture populaire ?...

    Les éditions Climats rééditent Culture de masse ou culture populaire ?, un essai du sociologue critique américain Christopher Lasch, mort en 1994, dont l'oeuvre a influencé des auteurs comme Jean-Claude Michéa ou Alain de Benoist. Ses ouvrages les plus connus sont désormais disponibles en collection de poche : La culture du narcissisme (Champs Flammarion, 2008), Le seul et vrai paradis (Champs Flammarion, 2006) ou La révolte des élites et la trahison de la démocratie (Champs Flammarion, 2010).

     

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    "La culture de masse est défendue à partir de l'idée qu'elle a permis de faire accéder chacun à un éventail de choix autrefois réservé aux plus riches. La confusion entre démocratie et libre circulation des biens de consommation est si profonde que toute protestation contre l'industrialisation de la culture est automatiquement perçue comme une protestation contre la démocratie elle-même. Alors que le marketing de masse, dans le domaine culturel comme ailleurs, n'augmente pas, mais réduit les possibilités de choix des consommateurs. La culture de masse, homogénéisée, des sociétés modernes n'engendre nullement une " mentalité " éclairée et indépendante, mais au contraire la passivité intellectuelle, la confusion et l'amnésie collective. Ce pseudo pluralisme culturel appauvrit l'idée même de culture et ignore le lien intrinsèque existant entre liberté intellectuelle et liberté politique.
    Une culture vraiment moderne ne répudie pas les schémas traditionnels. La gauche doit donc réviser ses idées sur ce qui fait accéder les hommes à la modernité."

     

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  • L'enseignement de l'ignorance...

    Vous pouvez regarder ci-dessous un extrait de l'émission On n'est pas couché du 26 mars 2011. La journaliste Sophie Coignard, qui a récemment publié Le pacte immoral, livre consacré à la question de l'éducation en France, dont nous avions annoncé la sortie, s'entretient avec Laurent Ruquier, Eric Naulleau et Eric Zemmour. Ce dernier fait référence à L'enseignement de l'ignorance (Climats, 2006),  le remarquable essai de Jean-Claude Michéa. A voir !

     


    Coignard Vs Zemmour Naulleau l'Education [ITW]... par peanutsie

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  • Entretien avec Jean-Claude Michéa

    Nous reproduisons ici un entretien avec Jean-Claude Michéa mis en ligne sur le site d'Egalité et Réconciliation. Comme toujours, brillant, percutant et clair !

    Les thèmes abordés sont les suivants : Le libéralisme et sa logique, la privatisation des valeurs, le nomadisme d’Attali, la démission de la gauche, la croissance, le jeunisme, la logique du don, les partageux, le NPA de Besancenot.


    Entretien avec Jean-Claude Michéa
    envoyé par oligarchie. - L'info video en direct.

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  • "Nous sommes tous mendiants du beau jeu !"

    Le site internet Miroir du football vient de publier un excellent entretien avec Jean-Claude Michéa, à l'occasion de la réédition de son ouvrage Les intellectuels, le peuple et le ballon rond aux édtions Climats.

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    Le football est-il la joie du peuple ou l’opium des peuples ? 

    Contrairement aux anciennes formes de domination, qui laissaient généralement subsister en dehors d’elles des pans entiers de la vie sociale, le système capitaliste s’effondrerait très vite s’il cessait de trouver de nouveaux « débouchés », autrement dit de plier à ses propres lois l’ensemble des institutions et des activités humaines qui lui préexistaient ou qui s’étaient développées indépendamment de lui (qu’il s’agisse, par exemple, de la création artistique, de la recherche scientifique, de l’urbanisme, de la vie familiale, de l’organisation du travail ou des multiples traditions populaires). Il aurait donc été étonnant qu’un phénomène culturel aussi massif et aussi mondialisé que le football échappe à ce processus de vampirisation. Et, de fait, le football est devenu en quelques décennies l’un des rouages les plus importants de l’industrie mondiale du divertissement, à la fois source de profits fabuleux et instrument efficace du soft power (puisque c’est ainsi que les théoriciens libéraux de la « gouvernance mondiale » ont rebaptisé le vieil « opium du peuple »).

    Pour autant, ce rappel indispensable du rôle joué par le spectacle footballistique (et le sport médiatisé en général) dans le fonctionnement du capitalisme moderne ne doit pas nous conduire à légitimer les analyses mécanistes d’un Jean-Marie Brohm (analyses qui ne constituent, pour l’essentiel, qu’une reprise des critiques que la « gauche culturelle » américaine dirigeait, dès les années cinquante et soixante, contre l’athlétisme et le baseball). Cela reviendrait à oublier, en effet, que l’industrie du divertissement a toujours fonctionné selon deux lignes stratégiques distinctes. D’un côté, il lui faut fabriquer sans cesse de nouveaux produits (par exemple la télé-réalité, les jeux vidéo, Twitter, ou la musique industrielle) qui, dans leur principe même, sont entièrement (ou presque entièrement) conçus et façonnés selon les codes de l’idéologie libérale. De l’autre, elle travaille à récupérer, c’est-à-dire à reconfigurer en fonction de ses seules exigences, toute une série d’éléments issus des  différentes cultures populaires (mais également aristocratiques) et qui, à ce titre, relevaient à l’origine d’un tout autre système de valeurs. Tel est naturellement le cas de la logique du jeu - aussi ancienne que l’humanité - dont la dimension de plaisir et de gratuité constitutive est par définition irréductible à l’utilitarisme libéral  et à son obsession permanente de rentabilité à tout prix (c’est précisément sur l’inutilité et la futilité du jeu - incompatibles avec le nouvel esprit industriel - que se sont d’abord concentrées les premières critiques bourgeoises du sport).
    On comprend donc que la réinscription progressive des pratiques ludiques dans la logique du profit capitaliste (« le jeu - écrivait Christopher Lasch - répond au double besoin  de donner libre cours à sa fantaisie et d’affronter des difficultés sans conséquences ») ne pouvait que corrompre et dénaturer en profondeur l’essence même de l’activité sportive. Il suffit d’oublier un instant cette différence fondamentale entre la fabrication délibérée d’un nouveau gadget et la récupération d’une culture préexistante (c’est le cas de ceux qui réduisent le football à une simple « peste émotionnelle »)  pour jeter le bébé avec l’eau du bain et prêter une signification « radicale » à un type d’excommunication  qui ne fait, au fond, que reprendre sous une forme plus acceptable les vieilles croisades des puritains anglo-saxons du 19ème siècle « contre l’alcool et les distractions populaires » (Lasch). Un peu, en somme, comme si on décrétait que la prostitution - c’est-à-dire la marchandisation du plaisir sexuel - constituait l’essence même de ce dernier et sa seule vérité possible.

    Il ne s’agit donc pas de nier le fait que l’industrie du football contemporain fonctionne de plus en plus à la manière d’un « opium du peuple » (un kop d’ « ultras » donne assurément une image déprimante des pouvoirs de l’aliénation). Mais il est tout aussi important de souligner que le football moderne est aussi et encore, selon la formule d’Antonio Gramsci, un « royaume de la loyauté humaine exercé au grand air », ce qui explique pour une grande part la ferveur dont il continue à être l’objet dans les classes populaires. Et cela, même s’il est clair que le développement, résistible, de la logique marchande ne pourra que réduire toujours plus les fragiles frontières de ce royaume.

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