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influence - Page 4

  • Influentia...

    Les éditions Lavauzelle viennent de publier sous la direction de Ludovic François et de Romain Zerbib un ouvrage intitulé Influentia - La référence des stratégies d'influence. Les 22 auteurs des différents chapitres sont des chercheurs ou des praticiens de l'influence stratégique.

     

     

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    " Êtes-vous sous influence ? INFLUENTIA est le premier ouvrage entièrement dédié au décryptage des stratégies d'influence (relations publiques, lobbying, publicité, gestion de crise, communication politique, etc.). Les organisations, qu'elles soient politiques ou économiques, évoluent au sein d'un environnement de plus en plus instable et complexe dans lequel, pour se développer, elles doivent provoquer des attitudes favorables. Quelles armes, outils et méthodes utilisent-elles pour maintenir leur position et influer sur les marchés ou façonner l'opinion? Comment orientent-elles les comportements des élus, des citoyens et des consommateurs ? Comment imposent-elles des idées et des convictions ? Au-delà des questions techniques, l'ouvrage s'intéresse également aux problématiques éthiques que soulève l'omniprésence des professionnels de l'influence dans notre société ultra médiatisée. INFLUENTIA réunit les plus grands experts sur le sujet et lève le voile sur cet aspect souvent méconnu de la mondialisation. "

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  • Conspirationnisme et idéologie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site et consacré au conspirationnisme.

    Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe a récemment publié Think tanks - Quand les idées changent vraiment le monde (Vuibert, 2013).

     

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    Conspirationnisme et idéologie

    Le développement du phénomène dit conspirationniste comme sa dénonciation ne datent pas d'hier ; ces dernières années, il s'est écrit force livres sur les théories délirantes qui expliquent les malheurs du monde par le protocole des Sages de Sion, le retour des Illuminati, les services secrets qui ont mis en scène le onze septembre, la Trilatérale ou la réunion de Bilderberg.
    Par ailleurs, des sites (type hoaxbuster ou conspiracywatch) traquent l'apparition des rumeurs en ligne, trucages, "hoaxes", légendes urbaines et de ce qui les accompagne presque automatiquement, une explication, opposée à la "version officielle", et qui suppose l'action de forces cachées et groupes occultes capables de tromper les masses (sauf, bien sûr, les malins qui ont détecté le trucage). Les travaux qui démontent les mécanismes du démontage conspirationniste ne manquent donc pas et personne ne peut plaider la surprise.

    Alors où est le problème ? Il est d'abord dans la capacité de résilience dudit conspirationnisme, capacité nourrie par le scepticisme de masses (ce que nous avons appelé la mentalité X Files : la vérité est ailleurs) : aucune tentative de réfutation de la réfutation ne vient à bout du soupçon. Les livres, émissions ou sites tentant de démontrer que l'homme a vraiment débarqué sur la lune et que le onze septembre a bien été provoqué par des avions détournés sont sans effet sur des millions de gens. Au contraire les efforts des autorités scientifiques ou a fortiori politiques renforcent la conviction que les soupçons sont justifiés puisque le système fait de tels efforts pour les éradiquer.
    De plus, les réseaux sociaux sont intrinsèquement favorables à l'éclosion des théories du complot : chacun peut y jouer au détective, rencontrer des milliers de gens qui cherchent dans le même sens (et trouvent forcément des bizarreries et coïncidences troublantes dans la "version officielle"). Il va ainsi s'isoler avec ses nouveaux amis pour ne se confronter qu'aux arguments qui vont dans son sens en ignorant les autres (c'est ce que l'on nomme biais de confirmation).

    Conspirationniste toi-même !

    Mais le problème pourrait aussi naître des stratégies "anti-conspirationnistes" et de politiques de réfutation qui finissent par nourrir (voire imiter) ce qu'elles combattent.
    Dans le conflit ukrainien les pro-russes expliquent que les tireurs de la place Maïdan ont tiré sur les deux camps pour provoquer un affrontement et que les activistes dits pro-Européens étaient formés par une aide étrangère comme les "tech camps" pour activistes subventionnés Département d'État. Côté pro Maïdan on soutient que Poutine avait des plans pour l'invasion de la Crimée, et que tous les comptes pro-indépendantistes sur les réseaux sociaux sont manipulés par les services de propagande du Kremlin. Dans l'affaire de l'avion malaisien abattu au dessus de l'Ukraine, les théories ont fleuri. Les deux camps (ou plutôt des gens dans les deux camps) se sont mutuellement accusés de ce crime sur la base de documents falsifiés (conversations radios remontés pour les pro Maïdan, fausse photo satellite pour les pro-indépendantistes). Qui fait de la théorie du complot dans cette affaire et comment réfuter l'une sans prendre un peu de l'autre ?
    D'autant que l'État s'en mêle. Comme le fait remarquer une récente et excellente note de la fondation Jean Jaurès sur le conspirationnisme "Les attentats de Paris des 7 et 9 janvier ont eu un effet collatéral inattendu : la désignation de la part des plus hautes autorités l'Etat du conspirationnisme comme problème public." De fait l'accusation de conspirationnisme rentre dans l'arsenal idéologique, à la rubrique armes de réfutation massive. Les déclarations présidentielles et ministérielles se sont multipliées. Elles s'expliquent par des sondages inquiétants. Ils disent qu'environ 17% de la population croit que les massacres de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher dissimulent un complot, sur la base d'indices plus que ténus (des rétroviseurs qui semblent avoir changé de couleur ou une vidéo presque illisible ou Coulibaly abattu par la police paraît avoir les mains jointes ce qui fut aussitôt interprété comme la preuve qu'il était menotté et que tout était mis en scène). Pour autant suffira-t-il d'opposer la "force lumineuse de la vérité" à ces pauvres gens dans l'erreur ?

    Un incident récent nous montre comment la catégorie "conspirationniste" peut fonctionner de façon autonome et passablement contre-productive.
    Un fait simple au départ : lors de son accrochage verbal avec Marion Maréchal Le Pen 10 mars, le Premier ministre est saisi d'un irrépressible tremblement de la main gauche. C'est du moins ce que montre la caméra de l'Assemblée Nationale. Le site Panamza de Hichem Hamza relaie la vidéo qui devient virale. Sur ce tremblement naissent les commentaires que l'on peut imaginer, notamment sur des sites proches de Soral ou Dieudonné qui spéculent sur l'état mental ou l'Alzheimer de Valls. Avant que la classe politique ne s'en empare et que Philippot et Sarkozy n'ironisent à leur tour sur une nervosité qui colle mal avec la fonction.
    Et les médias de réagir le Huffington Post suivi par l'Express, etc. s'empressent de révéler qu'une cassette sur la fatale tremblotte circule et de dénoncer "la thèse complotiste et dieudonniste que le FN récupère".
    Le problème étant précisément qu'il n'y a pas de thèse. Le fait de dire que quelqu'un perd ses nerfs peut être insultant mais ne présuppose aucune théorie du complot. Que, par ailleurs Hamza ou Dieudonné soient obsédés par une gigantesque machination sioniste n'a aucun rapport, du moins tant qu'ils ne mettent pas Nethanyaou ou les extra-terrestres en cause dans l'état neuro-musculaire du premier ministre. Si des trotskystes ont constaté que Sarkozy est de petite taille et souvent agité de tics, il est permis de s'offusquer que l'on se moque du physique de l'ancien président, mais pas d'y voir une preuve automatique d'allégeance à la quatrième internationale.
    Et dans l'affaire de la main révélatrice, à suggérer que Sarkozy imite Philippot qui prend ses sources sur un site dieudonniste qui s'est renseigné sur un site anti-sioniste et donc, CQFD, qu'il faut être antisémite pour rire de cette pauvre mimine, que fait-on d'autre que du complotisme à l'envers ?
    Qualification ("conspirationnistes!") n'est ni réfutation ni explication. Faute de rigueur dans l'usage des mots, ils deviennent des armes idéologiques pour se rassurer et pour disqualifier (à ce compte quelle critique du système, du capitalisme, de l'influence internationale de tel ou tels pays ou du lobbying de tel ou tel groupe n'est pas une théorie du complot ?).

    Qu'est-ce que le conspirationnisme ?

    Comment s'accorder sur une définition du complotisme ou conspirationnisme ?
    On ne peut les réduire à la croyance qu'il existe des conspirations (après tout, il doit quand même y avoir de véritables conjurations, des gens qui discutent la façon d'atteindre leurs buts politiques, économiques ou autres, à travers des relais et réseaux plus ou moins discrets, en usant de manœuvres et stratagèmes, le tout sans convoquer BFM TV).
    Le conspirationnisme comme système suppose :
    - la croyance que lesdites conspirations (ou au moins une) réussissent et qu'une poignée d'hommes jouit d'un pouvoir immense puisqu'ignoré, provoquant les événements en cascade et maniant les foules à sa guise ;
    - la conviction que le hasard ne joue guère de rôle dans les affaires humaines et qu'une logique occulte explique en quoi elles se conforment à ce dessein unique ;
    - la méfiance à l'égard de la réalité telle qu'elle est présentée par les médias ou les élites autorisées à s'exprimer, méfiance qui amène à déceler systématiquement des contradictions, bizarreries et coïncidences troublantes dans la "version officielle". Corolaire : un discours si hypercritique et hyper-rationnel qu'il résiste à toute argumentation adverse (comprenez : toute affirmation que la réalité pourrait bien être comme l'ont constaté des milliers de gens) au profit du mécanisme plus rassurant du plan caché. Au cours de son développement et en dépit de sa monstrueuse puissance, la conspiration laisserait filtrer toutes sortes de signes, perceptibles par les esprits démystificateurs, et il y aurait des indices évidents pour qui regarde bien. Du coup les conspirationnistes développent l'art de la réinterprétation : il y a des contradictions (ou au moins des coïncidences troublantes) donc la contre-explication, par un plan caché, s'impose.
    La démarche du complotisme pousse le culte de l'unité à l'extrême : un dessein se réalise, un plan se développe sous les apparentes contradictions des événements, une réalité seconde transparaît sous l'accumulation des trucages, mensonges et leurres.
    Cette trilogie - pouvoir des volontés, plus rationalité des événements, plus intelligibilité des ressorts par la critique- apporte à celui qui la pratique à la fois le sens d'une supériorité - il a déchiré les voiles de l'illusion - et une certaine espérance - si tout le mal vient de causes mauvaises, elles-mêmes réductibles à des volontés perverses, il lui est permis d'espérer renverser un jour les imposteurs-. Au pire il pourra nommer la cause de son malheur.

    On comprend la difficulté qu'il y a à réfuter une thèse conspirationniste
    - Si vous vous attaquez à l'affirmation de fond - l'omnipotence des conjurés - vous devez démontrer un fait négatif et hypothétique. Ainsi vous devez faire admettre au conspirateur qu'il est impossible que des milliers de gens aient participé au trucage du onze septembre par exemple, en truffant les immeubles d'explosifs, en manipulant des dizaines de jihadistes inconscients et en détruisant des milliers de traces, le tout sans se faire prendre, sans que personne n'avoue, sans qu'il y ait un Whistelblower etc. Bref qu'il y a peut-être des conjurations, mais que, comme toute action stratégique, elles se heurtent aux aléas, aux faiblesses des acteurs, à la résistance du réel... Le conspirationniste vous prendra pour un naïf, au mieux il en retira une conviction supplémentaire que le système trompe même les gens intelligents : il lui apparaît si évident que les événements ont unanimement servi des intérêts cachés et qu'avec les moyens que possèdent ces gens là....
    - Si vous lui dites qu'il surinterprète et qu'il y a vraiment du fortuit dans la vie - par exemple, il est possible que quelqu'un qui mitraille au hasard un musée juif tombe sur deux citoyens israéliens ayant eu des rapports avec le Mossad - il vous regarde avec consternation. Et essayez de suggérer qu'un ministre et un journaliste célèbres, fréquentant le même milieu social, s'informant aux mêmes sources et ayant la même formation idéologique peuvent défendre les mêmes causes parce qu'ils sont formatés pour cela et pas parce qu'un groupe qui organise un dîner mensuel leur en donne la consigne ! Le refus de croire aux coïncidences voire aux probabilités, l'intentionnalité étant présumée omniprésente et omnipotente, renvoie à un monde sans hasard. Mais aussi un monde sans lois générales : pourquoi faire une analyse des causes géopolitiques, économiques, sociales, culturelles, etc. des actions humaines et de leur interaction puisqu'il suffit de nommer des coupables ?
    - Si vous essayez d'attaquer sur le troisième point - la surabondance de témoignages et d'indices montrant que les choses se sont passées comme il a été dit - vous vous exposez à une rafale de contres. Consacrant un énorme temps de cerveau humain à cette tâche, et soutenus par les idées mijotées en vase clos de leurs semblables, les complotistes ont développé une capacité à douter de tout et à repousser tout argument que ce soit en raison de sa source, de ses conséquences, de son incapacité à tout expliquer, de son obligation de s'appuyer sur des sources externes (elles mêmes discutables en vertu du même principe). Et comme vous ne pouvez pas vous engager dans une argumentation à l'infini - la preuve de la preuve de la preuve - vous ne pouvez jamais certifier la thèse dite "officielle", ce qui est aussitôt interprété comme la démonstration qu'il n'y en a que deux et que la thèse inverse, complotiste, est prouvée ipso facto et a contrario sans qu'il faille davantage argumenter. Difficile, en effet, de contredire la contradiction : la thèse conspirationniste s'octroie à elle-même une indulgence - des indices deviennent des preuves, des hypothèses ne sont pas soumises à réfutation - qui fait contraste avec sa façon de démolir la croyance commune en la soumettant à des exigences probantes impossibles à satisfaire.

    La réfutation du conspirationnisme oblige à lutter non seulement contre des raisonnements douteux (mais séduisants par leur supposée valeur éclairante) mais aussi contre une communauté de croyants qui soutiennent l'interlocuteur d'un flux incessant de confirmations supplémentaires (particulièrement sur les réseaux sociaux où toutes les inventivités peuvent se coaliser).

    Pas un complot, mais des stratégies d'influence

    Ce n'est pas une raison pour faire du «conspirationnisme» une sorte d'injure ou de catégories politique ("les éternels obsédés du complot") qui psychiatrise quasiment l'opinion suspecte. Et qui sous-entend que les niais qui s'y rallient ne relèvent pas de la dialectique mais du diagnostic : on ne combat plus leurs opinions, on les qualifie. Elles traduiraient par exemple des "réflexes de peur", une paranoïa ou des "crispations" et haines face à un monde changeant et complexe.Ce qui n'explique rien et surtout permet tout, y compris de censurer. À considérer le complotiste comme un débile (avec parfois des connotations de mépris antipopuliste ou antipopulaire : il faut être un peu primitif pour croire de telles calembredaines), ou comme une conséquence négative de l'Internet sur les masses incultes, on se rassure d'abord sur sa propre intelligence. Mais on suggère aussi implicitement que la pensée s'inscrit dans les limites d'un cercle du pensable : il y aurait un certain ordre des choses, donc des interprétations, donc des contestations admissibles. À pousser par là, c'est être complotiste que de supposer derrière les débats médiatiques la propagation de thèmes par des groupes intellectuels, de prêter du pouvoir d'influence à tel pays dans les affaires d'un autre ou de supposer que des forces politiques puissent obéir à des puissances financières et que des choix puissent refléter des intérêts qui se présentent sous le masque de valeurs ou nécessités techniques.
    Bref l'accusation de complotisme peut servir d'arme du paresseux contre toute critique générale du système en termes de rapports de force et d'influence, ou contre toute tentative,justifiée ou pas, d'analyser le jeu des intérêts, solidarités et des alliances derrière les comportements publics.
    Sans compter que l'on finit par toujours être le complotiste de quelqu'un. Qui est complotiste ? Poutine qui pense que les Occidentaux ont conspiré produire Maïdan et pour tenter de le renverser ? Ou ceux qui pensent que Poutine trompe le peuple russe qui le soutient à 85% en manipulant les médias à sa botte relayés par des complices occidentaux stipendiés ? Ceux qui croient que le Front National est persécuté et caricaturé par les médias pleins de bobos gauchos ? Ou ceux qui attribuent la montée du FN à la complaisance des mêmes médias ? Ceux qui pensent que Patrick Buisson, en tant que gourou de Sarkozy, a déterminé les orientations idéologiques d'un quinquennat, ou ceux qui croient qu'il est un épouvantail destiné à culpabiliser la droite ?
    Ce n'est pas parce qu'il y a des allumés qui croient que les extra-terrestres ou une secte d'origine médiévale nous manipulent dans l'ombre que toute accusation d'influence ou de concertation est forcément idiote. Or, par glissement progressif, le mot "complotisme" peut finir par s'interdire de déceler un effet de domination ou de critiquer l'explication prédominante de la réalité (en gros la thèse la plus répandue par les médias et les élites). Ceux qui pensent que tout relève d'une stratégie unitaire, que tout se justifie d'une explication unique et que tout est truqué sont effectivement délirants. Pour autant inspirations et propagations, falsifications et dominations existent, certes multiples, contradictoires, imparfaites, aléatoires, échouant souvent et produisant des effets inattendus. Entre croyance en un plan caché et conviction que tout résulte du jeu transparent des institutions et des intérêts individuels, il y a la place de la stratégie.
    Nous ne préconisons pas une position "centriste" (rire des théories énormes sur les templiers ou les extra-terrestres, accorder un moment d'attention aux accusations plus raisonnables), mais il nous semble indispensable de distinguer les thèses complotistes trop "irréfutables", celles qui fonctionnent trop bien puisque toute contre-argumentation vient les renforcer, de l'hypothèse - difficile à démontrer matériellement mais quand même pas délirante- que certains groupes sociaux ou organisations spécialisées dans l'influence (d'un lobby à un service secret) défendent des intérêts par des solidarités discrètes et des actions concertées sur l'opinion.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 16 et 25 mars 2015)

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  • Identité, influence, puissance...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par l'essayiste et économiste Hervé Juvin à Bruno Racouchot pour la revue Communication & Influence, éditée par le cabinet COMES. Hervé Juvin, qui avait déjà marqué les esprits avec Le renversement du monde (Gallimard, 2010), vient de publier un essai remarquable et politiquement incorrect, intitulé La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013), dont nous vous recommandons chaudement la lecture.

     

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    Dans votre dernier ouvrage, on voit que le processus de mondialisation exerce son pouvoir d'une part brutalement via les normes, la finance et le droit ; et d'autre part plus subrepticement via une pensée unique qui ne tolère pas la diversité des identités et des valeurs. Nous sommes donc bien là confrontés à un système de domination combinant hard et soft powers ?

    Permettez-moi de commencer par une anecdote historique rapportée par Alain Peyrefitte, qui tenait les minutes du conseil des ministres du général de Gaulle. Lorsqu'il organise son gouvernement, le général de Gaulle confie à Jean Foyer la charge de Garde des Sceaux. Il lui donne expressément la mission de respecter l'ordre suivant dans la hiérarchie des préoccupations : l'Etat d'abord, puis le droit. L'Etat et la nation ont primauté sur les formes et la conformité du juridique. Or, nous vivons aujourd'hui exactement l'inverse. L'Etat apparaît comme le moyen de la mise en conformité du peuple et de la nation au regard de normes et de règles venues d'ailleurs. A la source de ce dysfonctionnement, il y a Bruxelles bien sûr, mais surtout Washington. Car beaucoup de mesures qui entrent en application en Europe viennent directement de tel ou tel think tank, ONG ou relais d'influence américain. Ce qui dénote au passage un vide de la pensée et de l'analyse inquiétant sur le Vieux continent.

    Si l'on fait ainsi l'histoire des mots comme "gouvernance", "conformité juridique", "création de valeur", on observe qu'ils sont d'importation nord-américaine récente. On voit aussi que les "droits de l'homme" ne sont plus une proclamation généreuse, à caractère général sans conséquence légale concrète. Dans les faits, ils sont aujourd'hui devenus une arme politique et géopolitique de premier plan, qui peut être utilisée pour saper l'unité interne de n'importe quel pays et n'importe quel peuple. Peu d'historiens et d'analystes politiques se sont essayés à décortiquer ce processus. A l'exception notoire de Marcel Gauchet qui publie en 1980, dans la revue Le Débat, un article de fond intitulé très clairement "Les droits de l'homme ne sont pas une politique", où il souligne notamment que "la conquête et l'élargissement des droits de chacun n'ont cessé d'alimenter l'aliénation de tous". Marcel Gauchet persévère et signe en 2000, toujours dans les colonnes de la revue Le Débat, un autre article intitulé "Quand les droits de l'homme deviennent une politique". Il n'apporte pas la réponse, mais je crois qu'en filigrane, nous pourrions deviner que ce soit une catastrophe ! En réalité, le système unique, c'est le rêve que tous les humains soient les mêmes partout dans le monde, sans que leur origine, leur sexe, leur croyance, leur langue, leur communauté politique puissent leur donner une identité. Ce qui justifie la remarque de René Girard, qui explique qu'à force de tolérer toutes les différences, on finit par n'en plus respecter aucune. Je crains ainsi que sous couvert de l'éloge indiscriminé des différences individuelles, on soit en train de faire disparaître à grande échelle et très rapidement toutes les différences réelles, lesquelles sont par nature et donc nécessairement collectives.

    Ces différences politiques, religieuses, de mœurs, de droit... sont ainsi visées directement par le rouleau compresseur de la mondialisation et son corollaire, à savoir la conformité aux droits individuels.

    Pour ce qui est de combattre ce soft power de la pensée unique à l'échelle mondiale, quelles stratégies de contre-influence imaginer et sur quel socle les faire reposer ?

    Il nous faut ouvrir les yeux et travailler. Nous devons nous mettre d'urgence aux outils et à la logique du soft power. Je suis frappé du fait qu'en Chine, aux Etats-Unis, en Russie et dans bien d'autres pays émergents, on travaille sérieusement cette question. Un exemple : la floraison de think tanks et d'ONG anglo-américaines a permis que de nouveaux concepts soient acceptés comme vérités d'Evangile, en France, en Europe ou ailleurs, à notre plus grande défaveur. C'est la construction de dispositifs intellectuels, d'outils de diffusion et de promotion, qui favorise cette puissance discrète. De même, le repérage de jeunes talents ou de personnages ayant une audience fait partie du jeu. Voyez comment certains diplomates américains travaillent avec les minorités visibles des banlieues françaises. Ces jeunes sont assez vite conviés à venir à Washington pour participer à des travaux, et entrent ainsi dans une spirale d'influence. Il y a donc travail à plusieurs niveaux : organisation, déploiement de moyens, recherche d'incitations productives, puis montée en puissance et synergie. Chinois, Russes, Américains, Israéliens... ont tous une conscience aigue que les distinctions entre public et privé s'effacent quand l'intérêt national est en jeu. Encore plus quand il s'agit d'un enjeu de survie.

    Le libre-échange, l'égalité entre les peuples, et autres thèmes en vogue sont en fait des doctrines à vocation d'exportation, de la part d'entités politiques qui se conçoivent comme des puissances en lutte. Or dans cette lutte, tous les outils – commerciaux, juridiques, intellectuels, militaires, etc. – doivent être employés au service de l'intérêt national. Prenez l'exemple des sociétés les plus créatives, les plus échevelées et innovantes, comme le sont les sociétés américaines de la sphère internet : elles travaillent main dans la main avec les agences de renseignement des Etats-Unis ! Nous sommes là aux antipodes de notre praxispolitique actuelle, bien française, qui veut qu'il y ait une frontière bien marquée entre sphère publique et sphère privée. Nous ne parlons malheureusement pas en France en termes d'intérêt national. On s'interdit de travailler main dans la main entre public et privé alors que l'intérêt national l'exigerait. A cet égard, les dogmes de la Commission de Bruxelles – par exemple en matière de concurrence – nous font énormément de mal et surtout nous bloquent dans l'expression de notre puissance.

    Le concept d'identité se trouve au cœur de la démarche développée depuis quinze ans par Comes Communication. Selon vous, la mise en valeur de son identité par une entreprise ne constitue-t-elle pas un puissant facteur différenciant, donc un avantage concurrentiel ? En ce sens, l'identité, qui permet d'affirmer sa spécificité et son authenticité, ne s'impose-t-elle pas comme un facteur de performance, générant de la création de valeur, pour les entreprises comme pour d'ailleurs toute organisation ?

    En matière d'identité, ce qui a fait durant des siècles l'autorité et l'écoute du discours français, c'est d'abord son autonomie, faisant de nous un pays non-aligné pas vraiment comme les autres. Notre parole n'était pas celle d'une superpuissance, mais celle d'une puissance phare en matière d'intelligence et de liberté. Si l'on devait refaire aujourd'hui une conférence de Bandung [ndlr : conférence des non-alignés en 1955], la France y aurait pleinement sa place, aux côtés de ceux qui entendent conserver leur identité et leurs singularités. Là réside sans doute le grand champ géopolitique de demain.

    De même, ce qui vaut pour la sphère politique vaut aussi pour les sociétés privées. Depuis une trentaine d'années, ces dernières développent des stratégies essentiellement guidées par des critères financiers. Or les stratégies ainsi définies s'arrêtent à la surface des choses. Parce qu'à mon sens, les entreprises qui seront gagnantes sur le long terme seront celles qui auront su développer, en interne comme en externe, une identité propre, autrement dit une singularité les distinguant de leurs concurrents et de leur environnement. Cette identité assure leur pérennité dans le temps car elle est transmissible. On observe d'ailleurs que la définition de cette identité d'entreprise est fréquemment liée à la personnalité d'un dirigeant, qui marque souvent plus par l'implicite que par l'explicite. L'identité n'est ni une succession de power points, ni une logique de ratios. L'identité ne se laisse jamais mettre en équation ni cerner par les chiffres. Une entreprise qui se réduit à des chiffres se réduit assez vite à rien. Si elle veut agir dans la durée, et favoriser la création de valeur ajoutée, la résilience, la capacité de mobilisation des équipes, l'entreprise doit s'efforcer de jouer sur son identité bien plus que sur le socle fallacieux des chiffres.

    Sur le plan géostratégique et géoéconomique, le recours aux liens identitaires constitue à vos yeux un moyen idoine pour enrayer la montée en puissance à l'échelle planétaire de l'individu-déraciné-et-consommateur que prône la mondialisation. Le rôle-clé de l'identité, son action, son rôle s'appliquent-ils de la même façon aux individus, aux peuples, aux Etats ? Comment l'identité s'intègre-t-elle dans les rapports de force économiques, politiques, sociaux, culturels... ?

    Si l'on se place dans une perspective historique, il apparaît que l'identité est clé dans tous les processus de résilience ainsi que dans la performance stratégique. On a usé et abusé de la formule de Sénèque, selon laquelle il n'estpas de vent favorable à celui qui ne sait où aller. Je serais tenté de dire qu'il n'y a pas de vent favorable non plus pour celui qui non seulement ne sait pas qui il est, mais en outre, ignore qui l'accompagne sur le bateau. La capacité à affirmer une identité va de plus en plus s'imposer comme un élément-clé dans les années à venir. L'idée américaine selon laquelle on doit fermer les yeux sur les questions de sexe, de religion, de culture, d'appartenance à une communauté, aboutit à nier même la notion même de singularité des hommes et des organisations. Or, ce sont justement ces singularités ne se réduisant pas à une valeur monétaire qui vont compter dans les années à venir. Les entreprises qui se laisseront prendre au piège de l'indifférenciation et de la mondialisation, passeront à côté de cette question-clé de l'identité. L'entreprise sans usine, qui externalise tout, qui sous-traite au point de perdre la maîtrise de ses métiers de base, se trouve en fait réduite à rien, dépassée et dévorée. Prenons l'exemple d'une chaîne de supermarchés: ce sont d'abord des épiciers, avec l'alliance subtile de leurs défauts et leurs qualités, qui in fine produit leur identité. Ce ne sont pas des comptables ou des financiers qui en sont les artisans. Nous avons donc bien là affaire à des logiques intimes, clairement différentes.

     

    Vous écrivez dans votre dernier livre : " La décomposition des nations européennes procède de la censure, de la grande fatigue devant l'histoire et de leur soumission par en haut aux institutions internationales, par en bas aux communautés et minorités revendicatrices." Comment les peuples peuvent-ils espérer agir pour renouer avec cette énergie vitale et cette confiance en eux qui leur permettront d'affronter les défis à venir ?

    Nous sortons d'une période de prospérité dont nous n'avons pas eu clairement conscience. En France et en Europe, l'immense majorité de la population vit bien. Au regard de l'histoire de l'humanité, je dirai même que ce constat constitue une exception : pacification des territoires, niveau de vie, santé, etc. nous avons prospéré durant ces dernières décennies sur un mode extrêmement privilégié. Le retour au réel risque d'être quelque peu brutal. Nous allons devoir nous confronter de nouveau aux dures réalités géopolitiques.

    Le facteur déclenchant sera probablement l'explosion de la classe moyenne. La lucidité politique va s'imposer rapidement à nous. En outre, l'idée béate dans laquelle se complaît l'Europe, selon laquelle tous les problèmes de ressources sont liés aux marchés et aux prix, va trouver de fait ses limites. Nous allons très vite basculer sur des logiques de survie, n'ayant plus rien à voir avec une approche rationnelle. Et probablement assister demain, avec la question de l'eau, des terres rares ou des terres arables, à des défis semblables à ceux du pétrole hier. Le pétrole est un objet géopolitique, bien avant d'être l'objet du marché. Par la force des choses, nous allons donc être ramenés aux réalités des enjeux géopolitiques. Et notre survie va exiger que soit dès lors prioritairement prise en compte la notion d'intérêt national.

    Ne nous leurrons pas : la question de notre survie politique se trouve bel et bien posée. Est-ce que quelque chose qui s'appellera encore la France existera en 2050? L'Union européenne existera-t-elle en 2020? Pour ma part, ce qui m'inquiète, c'est que nos élites et nos dirigeants ne me paraissent pas formés pour faire face à ces défis. Ces gens ont toujours œuvré dans un monde de continuité. La question était : va-t-on faire + 3 % ou + 5 % de croissance ?... Oui, nous entrons dans un monde avec des perspectives radicalement différentes. Ce qui veut dire que notre mindset, notre disposition d'esprit, notre logiciel de pensée, et donc toutes nos approches stratégiques, doivent être revus de fond en comble.

    C'est là, me semble-t-il, le vrai défi d'actualité pour la pensée française. A savoir la capacité à penser le monde de l'après-mondialisation, du retour des singularités, des identités et des déterminations politiques. Je crois que nous avons tous les atouts pour cela. A condition toutefois de ne pas céder à la paresse ou à la facilité intellectuelle, qui nous conduisent à renoncer et à perdre notre place dans le monde. Ne nous y trompons pas : au-delà des rodomontades et des stupidités de notre politique étrangère - qui jouent assez peu, en fait, sur le long terme - c'est la capacité de la France à être un émetteur d'idées, un diffuseur de pensée, avec une réelle autorité et une authentique aptitude créatrice, qui compte. Mais prenons garde à ce que ces atouts ne soient pas en train de s'épuiser...

    Hervé Juvin, propos recueillis par Bruno Racouchot  (Communication & Influence, novembre 2013)

     

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  • Quand les idées changent vraiment le monde...

    Les éditions Vuibert viennent de publier Think tanks - Quand les idées changent vraiment le monde, un essai de François-Bernard Huyghe, préfacé par Alain Juillet et Eric Delbecque. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais marquants comme La soft-idéologie (Robert Laffont, 1987), La quatrième guerre mondiale (Rocher, 2004) ou Les maîtres du faire-croire (Vuibert, 2008).

     

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    " Un éclairage sur les think tanks, ces « réservoirs d’idées » à l’importance croissante. Les think tanks tiennent une place croissante dans le débat public. Leur double fonction, produire des solutions originales en politique et persuader les décideurs ou l'opinion, suscite des fantasmes à la mesure de leur méconnaissance. Cet ouvrage vise à clarifier la nature de ce phénomène, qui n'a maintenant plus rien de spécifiquement américain ni même occidental, de le replacer dans le cadre de la montée des contre-pouvoirs et groupes d'influence.
    Un éclairage sur une actualité décisive qui ouvre un débat de fond sur la nature et les mécanismes du pouvoir dans nos sociétés. "

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  • Opérations extérieures et opérations d'influence...

    "Nous autres idéalistes, enfants des lumières et de la civilisation, pensons régulièrement que la guerre est morte. Las, cet espoir est aussi consubstantiel à l'homme que la guerre elle-même. Depuis que l'homme est homme, la guerre et lui forment un couple indissociable parce que les hommes sont volontés – volonté de vie et volonté de domination – et que la confrontation est dans la nature même de leurs rencontres." Général Vincent Desportes, La guerre probable (Economica, 2008)


    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le général Vincent Desportes à Bruno Racouchot pour l'excellente revue Communication & Influence, éditée par le cabinet COMES. Le général Desportes est l'auteur de nombreux essais consacrés à la stratégie comme Comprendre la guerre (Economica, 2000) ou La guerre probable (Economica, 2008). 

     

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    Opérations extérieures et opérations d'influence: le décryptage du Général Vincent Desportes

    Somalie, Centrafrique, Mali… à des titres divers, l'armée française intervient sur bien des fronts. Il ne s'agit plus seulement de frapper l'ennemi, il faut aussi gérer les conflits informationnels et anticiper les réactions, le tout en intégrant de multiples paramètres. Comment percevez-vous cette imbrication des hard et soft powers ?

    Nous assistons indéniablement à un affrontement des perceptions du monde. Les terroristes cherchent à faire parler d'eux, à faire émerger leur perception du monde à travers des actions militaires frappant l'opinion, actions dont la finalité est d'abord d'ordre idéologique. Ils inscrivent leurs actions de terrain dans le champ de la guerre informationnelle. Ils font du hard power pour le transformer en soft power. Les opérations militaires qu'ils conduisent le sont en vue de buts d'ordre idéologique. Ils ne recherchent pas l'effet militaire immédiat. Ils agissent plutôt en termes d'influence, à mesurer ultérieurement. Dans cette configuration, il y a une interaction permanente entre le militaire stricto sensu et le jeu des idées qui va exercer une influence sur les opinions publiques. La guerre est alors vue comme un moyen de communication, qui a pour but de faire changer la perception que le monde extérieur peut avoir de celui qui intervient.

    Notons que cela ne joue pas que pour les terroristes. La France intervient au Mali et elle a raison de le faire. En agissant ainsi, de manière claire et efficace, elle modifie la perception que le monde pouvait avoir d'elle, à savoir l'image d'une nation plutôt suiveuse des États-Unis, comme ce fut le cas en Afghanistan. En intervenant dans des délais très brefs et avec succès loin de ses bases, en bloquant les colonnes terroristes, en regagnant le terrain perdu par les soldats maliens, et surtout en ayant agi seule, elle ressurgit d'un coup sur la scène médiatico-politique comme un leader du monde occidental. Était-ce voulu au départ ? Je ne sais pas. Mais le résultat est là. La France retrouve sa place dans le jeu complexe des relations internationales à partir d'une action militaire somme toute assez limitée. En conséquence, si l'on veut avoir une influence sérieuse dans le monde, nous devons conserver suffisamment de forces militaires classiques relevant du hard power, pour pouvoir engager des actions de soft power. L'un ne va pas sans l'autre. Le pouvoir politique doit bien en prendre conscience.

     

    Justement, à l'heure où s'achève la réflexion sur le futur Livre blanc, quid des armes du soft power dans le cadre de la Défense ? La France n'est-elle pas en retard dans ce domaine ? N'est-il pas grand temps, comme vous le suggériez dans La guerre probable, de commencer enfin à "penser autrement" ?

    "Toute victoire, disait le général Beaufre, est d'abord d'ordre psychologique." Il ne faut jamais perdre de vue que la guerre, c'est avant tout l'opposition de deux volontés. En ce sens, l'influence s'impose bel et bien comme une arme. Une arme soft en apparence, mais redoutablement efficace, qui vise à modifier non seulement la perception, mais encore le paradigme de pensée de l'adversaire ou du moins de celui que l'on veut convaincre ou dissuader. Dans la palette qui lui est offerte, l'homme politique va ainsi utiliser des moyens plus ou moins durs (relevant donc de la sphère du hard power) ou au contraire plus ou moins "doux" (sphère du soft power) en fonction de la configuration au sein de laquelle il évolue et des défis auxquels il se trouve confronté.

    Le problème de la pensée stratégique française est justement qu'elle éprouve des difficultés à être authentiquement stratégique et donc à avoir une vision globale des choses. Notre pays a du mal à construire son action en employant et en combinant différentes lignes d'opérations. L'une des failles de la pensée stratégique française est de n'être pas en continuité comme le percevait Clausewitz, mais une pensée en rupture. C'est-à-dire qu'au lieu de combiner simultanément les différents moyens qui s'offrent à nous, nous allons les employer successivement dans le temps, au cours de phases en rupture les unes avec les autres. On fait de la diplomatie, puis on a recours aux armes du hard power, puis on revient à nouveau au soft power. Cette succession de phases qui répondent chacune à des logiques propres n'est pas forcément le moyen idoine de répondre aux problèmes qui se posent à nous. Utiliser en même temps ces armes, en les combinant intelligemment, me paraîtrait souhaitable et plus efficace. Notre pays a malheureusement tendance à utiliser plus facilement la puissance matérielle que la volonté d'agir en douceur pour modifier ou faire évoluer la pensée – et donc le positionnement – de celui qui lui fait face.

    Notre tradition historique explique sans doute pour une bonne part cette réticence à utiliser ces armes du soft power. Pour le dire plus crûment, nous nous méfions des manœuvres qui ne sont pas parfaitement visibles. L'héritage de l'esprit chevaleresque nous incite plutôt à vouloir aller droit au but. Nous sommes des praticiens de l'art direct et avons beaucoup de mal à nous retrouver à agir dans l'indirect, le transverse. À rebours par exemple des Britanniques, lesquels pratiquent à merveille ces stratégies indirectes, préférant commencer par influencer avant d'agir eux-mêmes. Prenons l'exemple de leur attitude face à Napoléon. Le plus souvent, au lieu de chercher l'affrontement direct, ils ont joué de toutes les gammes des ressources du soft power et engagé des stratégies indirectes. Ils ont cherché à fomenter des alliances, à faire en sorte que leurs alliés du moment, les Russes, les Prussiens, les Autrichiens, s'engagent directement contre les armées françaises. Ils ont su susciter des révoltes et des révolutions parmi les populations qui étaient confrontées à la présence ou à la menace française, comme ce fut le cas en Espagne. Le but étant à chaque fois de ne pas s'engager directement mais de faire intervenir les autres par de subtils jeux d'influence.

     

    Cette logique demeure toujours d'actualité ?

    Indéniablement. Même sur le plan strictement opérationnel, cette même logique perdure sur le terrain. Les travaux de l'historien militaire Sir Basil Henry Liddle Hart dans l'entre-deux guerres mondiales en matière de promotion des stratégies indirectes sont particulièrement édifiants. Liddle Hart prône le harcèlement des réseaux logistiques de l'adversaire, des frappes sur ses réseaux de ravitaillement, et dans le même temps recommande de contourner ses bastions plutôt que de l'attaquer de front.

    En ce sens, nous avons un retard à combler. Comme les Américains, au plan militaire, nous préférons l'action directe. Nous avons la perpétuelle tentation de l'efficacité immédiate qui passe par le choc direct. Pour preuve nos combats héroïques mais difficiles d'août 1914. On fait fi du renseignement, on croit que l'on va créer la surprise, on préfère agir en fondant sur l'adversaire, en croyant benoîtement que la furia francese suffira à l'emporter. On sait ce qu'il advint… Le fait est que nous préférons le choc frontal aux jeux d'influence. Nous comprenons d'ailleurs mal les logiques et rouages des stratégies indirectes. Nous cherchons à attaquer la force plutôt que la faiblesse, ce qui est à l'exact opposé de ce que prône Sun Tzu. Comme on le sait, pour ce dernier, l'art de la guerre est de gagner en amenant l'ennemi à abandonner l'épreuve engagée, parfois même sans combat, en utilisant toutes les ressources du soft power, en jouant de la ruse, de l'influence, de l'espionnage, en étant agile, sur le terrain comme dans les têtes. En ce sens, on peut triompher en ayant recours subtilement aux armes de l'esprit, en optimisant les ressources liées à l'emploi du renseignement, en utilisant de façon pertinente les jeux d'influence sur les ressorts psychologiques de l'ennemi.

     

    Jusqu'à ces dernières années, on hésitait à parler d'influence au sein des armées, principalement à cause des séquelles du conflit algérien. Les blocages mentaux sont encore très forts. Cependant, les interventions conduites par les Anglosaxons en Irak et en Afghanistan ont contribué à tourner la page. Nos armées doivent-elles, selon vous, se réapproprier ce concept et les outils qui en découlent ?

    Dans les guerres de contre-insurrection que nous avons eues à conduire, nous avons compris que l'important était moins de détruire l'ennemi que de convaincre la population du bienfait de notre présence et de notre intervention. Ce sont effectivement les Américains, qui ont redécouvert la pensée française de la colonisation, de Lyautey et de Gallieni, qui privilégiaient la démarche d'influence à la démarche militaire stricto sensu. Notre problème dans les temps récents est effectivement lié aux douloureuses séquelles du conflit algérien, où nous avions cependant bien compris qu'il fallait retourner la majorité de la population pour stabiliser le pays et faire accepter la force française. Ce qui, dans les faits, fut réussi. Le discrédit jeté sur les armées et certaines méthodes ayant donné lieu à des excès, ont eu pour conséquence l'effacement des enjeux de la guerre psychologique et des démarches d'influence.

    Avec l'Afghanistan, les choses ont évolué. Au début, nous considérions que l'aide aux populations civiles avait d'abord pour but de faire accepter la force. Ce fut peut-être un positionnement biaisé. Nous n'avions sans doute pas suffisamment intégré le fait que les opérations d'aide aux populations étaient primordiales, puisqu'il s'agissait d'opérations destinées à inciter les populations à adhérer à notre projet. Les Américains ont compris avant nous que les opérations d'influence étaient faites pour faire évoluer positivement la perception de leur action, en gagnant comme ils aimaient à le dire, les cœurs et les esprits de ces populations.

     

    Dans Le piège américain, vous vous interrogez sur les raisons qui peuvent amener les États-Unis à perdre des guerres. Accorde-t-on une juste place aux opérations d'influence ? Comment voyez-vous chez nous l'évolution du smart power ?

    Premier constat, la force est un argument de moins en moins utilisable, car de moins en moins recevable dans les opinions publiques. Si nous voulons faire triompher notre point de vue et imposer notre volonté, il faut s'y prendre différemment et utiliser d'autres moyens. Et d'abord s'efforcer de trouver le meilleur équilibre entre les outils qu'offre le soft power, avec une juste articulation entre les moyens diplomatiques ou d'influence, et les outils militaires. Ces derniers ne peuvent plus être employés comme ils l'étaient avant, l'avantage comparatif initial des armées relevant de l'ordre de la destruction.

    Ce bouleversement amène naturellement les appareils d'État à explorer les voies plus douces présentées par les opérations d'influence, lesquelles sont bien sûr davantage recevables par les opinions publiques. Or, pour en revenir à votre question, la puissance militaire déployée par les Américains est par nature une puissance de destruction, donc de moins en moins utilisable dans le cadre évoqué ici. Sinon, comment expliquer que la première puissance mondiale, qui rassemble plus de la moitié des ressources militaires de la planète, n'ait pu venir à bout des Talibans ?

    C'est bien la preuve que le seul recours à la force brute ne fonctionne pas. Les États doivent donc chercher dans d'autres voies que celle de la pure destruction, les moyens d'assurer la poursuite de leurs objectifs politiques. Même si nous devons garder à l'esprit que ce moyen militaire stricto sensu reste essentiel dans certaines configurations bien définies. Il ne s'agit pas de se priver de l'outil militaire, qui peut demeurer déterminant sous certaines conditions, mais qui n'est plus à même cependant de résoudre à lui seul l'ensemble des cas auxquels les États se trouvent confrontés.

     

    Vous qui avez présidé aux destinées de l'École de guerre, quelle vision avez-vous de l'influence, des stratégies et des opérations d'influence ?

    L'enseignement à l'École de guerre évolue. Même si nous nous efforçons de penser avant tout sur un mode stratégique, néanmoins, nous travaillons toujours sur les opérations relevant prioritairement du hard power.

    Nous intégrons bien sûr les opérations relevant du soft power, mais elles ne sont pas prioritaires. L'élève à l'École de Guerre doit avant tout savoir planifier - ou du moins participer à des équipes de planification - dans le cadre de forces et d'opérations d'envergure. Il y a un certain nombre de savoir-faire techniques à acquérir, lesquels reposent davantage sur l'usage de la force que sur celui de l'influence. Pour les élèves, c'est là un métier nouveau à acquérir, complexe, très différent de ce qu'ils ont connu jusqu'alors, qui se trouve concentré sur l'emploi de la force militaire à l'état brut. Cependant, dans tous les exercices qui sont conduits, il y a une place pour les opérations d'influence. La difficulté est que l'on ne se situe pas là dans le concret, et que c'est délicat à représenter. Les résultats sont difficiles à évaluer, ils ne sont pas forcément quantifiables, ils peuvent aussi être subjectifs. Alors, peut-être d'ailleurs par facilité, on continue à faire ce que l'on sait bien faire, plutôt que de s'aventurer à faire ce qu'il faudrait réellement faire.

    L'Armée de Terre n'a pas à définir une stratégie d'ensemble. Elle doit simplement donner une capacité opérationnelle, maximale à ses forces. Une Armée se situe au niveau technique et opérationnel. Le niveau stratégique se situe au niveau interarmées. Et c'est là que doit s'engager la réflexion à conduire en matière de soft power. Ces précisions étant apportées, il n'en demeure pas moins que – tout particulièrement au sein de l'Armée de Terre – il est nécessaire d'avoir recours à la doctrine qui porte sur les actions à conduire en direction des populations, puisque l'on veut influer sur la perception qu'elles ont de notre action. Reconnaissons pourtant que nous sommes moins avancés que les Américains en ce domaine. Un exemple: un général américain qui commandait la première division de cavalerie en Irak, m'a raconté comment, avant de partir, il avait envoyé tous ses officiers d'état-major à la mairie de Houston pour voir comment fonctionnait une ville. Car il savait bien qu'il allait acquérir le soutien de la population irakienne non pas en détruisant les infrastructures, mais au contraire en rétablissant au plus vite les circuits permettant d'assurer les besoins vitaux, comme les réseaux d'eau ou d'électricité. Il a donc travaillé en amont sur une opération d'influence, qu'il a su parfaitement intégrer à sa manœuvre globale. De la sorte, la manœuvre d'ordre strictement militaire ne venait qu'en appui de la démarche d'influence.

     

    A-t-on agi de même en Afghanistan?

    En Afghanistan, on a travaillé sur trois lignes d'opérations: sécurité, gouvernance, développement. On a compris que l'on ne pouvait pas travailler de manière séquentielle, (d'abord sécurité, puis gouvernance, puis développement), mais que l'on devait travailler en parallèle sur les trois registres, avec une interaction permanente permettant d'aboutir harmonieusement au résultat final. Si les lignes gouvernance et développement relèvent peu ou prou de la sphère de l'influence, il faut cependant reconnaître que le poids budgétaire de la ligne sécurité est de loin le plus important.

     

    Pourquoi ?

    Au niveau des exécutifs gouvernementaux, on considère que les opérations militaires sont du ressort du hard power. Or, l'action sur les autres lignes d'opération est au moins aussi importante que sur la ligne d'opération sécurité. De fait, au moins dans un premier temps, les militaires sont d'autant plus à même de conduire les opérations d'influence qu'ils sont les seuls à pouvoir agir dans le cadre extrêmement dangereux où ils sont projetés. Mais ils ont effectivement une propension à penser prioritairement les choses selon des critères sécuritaires. Autre point à prendre en considération, les États ont des budgets limités pour leurs opérations. Les opérations militaires coûtent cher. La tendance naturelle va donc être de rogner sur les autres lignes qui n'apparaissent pas – à tort sans doute – comme prioritaires. Concrètement, influence, développement, gouvernance se retrouvent ainsi être les parents pauvres des opérations extérieures.

     

    N'y-a-t-il pas également un problème de formation?

    Dans les armées, on est formé comme lieutenant, capitaine, commandant pour parvenir d'abord à l'efficacité technique immédiate. On est ainsi littéralement obsédé par cet aspect des choses et son corollaire, à savoir le très rapide retour sur investissement. On concentre ainsi nos ressources intellectuelles sur le meilleur rendement opérationnel des forces, en privilégiant le budget que l'on consent à une opération. N'oublions pas que nous évoluons aujourd'hui au sein de sociétés marchandes qui veulent des retours sur investissement quasiment immédiats. Nous sommes ainsi immergés dans le temps court, à la différence par exemple des sociétés asiatiques qui, elles, ont une perception radicalement différente du facteur temps. Elles savent qu'à long terme, il est infiniment moins onéreux de laisser le temps au temps, de laisser les transformations se faire progressivement, d'accompagner par l'influence ces transformations. La Chine se vit et se pense sur des millénaires, elle connaît la force des transformations silencieuses qui atteignent leur objectif par le biais de savantes et patientes manœuvres d'influence. Nous cherchons le rendement immédiat à coût fort. Ils visent le rendement à long terme et à faible coût.

     

    En guise de conclusion, peut-il y avoir une communication d'influence militaire ?

    C'est un peu la vocation du Centre interarmées des actions sur l'environnement, créé en juillet dernier de la fusion du Groupement interarmées actions civilo-militaires (GIACM) et du Groupement interarmées des opérations militaires d’influence (GI-OMI). Sur les théâtres où nous opérons, nous mettons naturellement en place des vecteurs destinés aux populations locales, visant à mieux faire comprendre notre action, à faire percevoir en douceur les raisons pour lesquelles nous agissons. En un mot, nous nous efforçons de jouer sur les perceptions et sur l'image. Mais ce jeu assez fin sur l'influence reste le parent pauvre de l'action militaire.

    L'influence est tout en subtilité. On ne la perçoit pas comme on peut percevoir un tir d'artillerie ou une frappe aérienne. Même si nous sommes persuadés du bienfondé des opérations d'influence, nous ne parvenons pas à faire d'elles des priorités, donc à dégager suffisamment de budgets et de personnels à leur profit. En outre, les configurations actuelles privilégient plutôt les projections de puissance pour faire plier l'adversaire. Or, dans l'histoire et en prenant les choses sur le long terme, on constate que l'utilisation de la seule force pure ne marche pas dès lors qu'on examine les choses dans la durée. La projection de puissance ou l'action brutale sont capables de faire plier momentanément l'adversaire. Mais tant que l'on n'a pas changé les esprits, l'adversaire va revenir à la charge, quitte à contourner les obstacles. D'où l'importance capitale des opérations d'influence quand on embrasse une question dans son ensemble. Sur ces questions, je renvoie volontiers au remarquable ouvrage du général Sir Rupert Smith, L'utilité de la force, l'art de la guerre aujourd'hui (Economica, 2007). Pour lui, désormais, les opérations militaires doivent être considérées moins pour ce qu'elles produisent comme effets techniques que pour ce qu'elles produisent sur l'esprit de l'autre. C'est là une préoccupation relativement récente. Ainsi, les dommages collatéraux se révèlent contre-productifs et viennent miner le résultat militaire que l'on vise. Il nous faut bien plutôt réfléchir en termes d'effets à obtenir sur l'esprit de l'autre. C'est là que l'influence s'impose comme une démarche capitale, qu'il nous faut apprendre à maîtriser. Si l'on fait l'effort de mettre les choses en perspective, sur le long terme, on voit bien que toute action militaire, au fond, doit intégrer pleinement la dimension influence, jusqu'à être elle-même une action d'influence.     

    Général Vincent Desportes, propos recueillis par Bruno Racouchot (Communication & Influence, janvier 2013)

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  • Quand l'Europe renonce à se défendre...

    Nous reproduisons ci-dessous un éditorial du quotidien Le Monde consacré à l'effondrement des budgets de défense en Europe et à ses conséquences... 

     

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    Danger : l'Europe renonce à se défendre

    Supprimons carrément une arme : l'infanterie, la marine ou l'armée de l'air ! C'est le choix volontairement provocateur qu'a proposé il y a six mois le chef d'état-major suédois, le général Sverker Göranson, pour alerter sur le prix à payer de la réduction de moitié des dépenses militaires, opérée par la Suède depuis quinze ans.

    Faute d'être entendu, le bouillant militaire récidive. Il vient de lancer un cri dans la presse : ses moyens actuels, écrit-il, ne lui permettraient pas de défendre le pays plus d'une semaine si d'aventure la Suède devait être attaquée.Le général Göranson pourrait faire école, car cet autre " modèle suédois " - celui de budgets militaires peau de chagrin - s'est tellement répandu en Europe que les secrétaires américains à la défense, de Robert Gates à Leon Panetta, ne cessent de déplorer ce qu'ils considèrent comme une automutilation de la part d'un continent sur le point de se priver des moyens stratégiques nécessaires pour préserver la petite part d'influence qui lui reste.

     L'Europe de la défense n'existe pas, faut-il se résigner au fait que la défense en Europe n'existe plus ? De Londres à Rome et à Madrid en passant par Berlin et Paris (les autres pays ne comptent guère en termes de capacités militaires à part la Pologne), le rabot de la rigueur fait son œuvre. 

    En ces temps d'incertitude stratégique, l'Europe désarme.L'ancienne secrétaire d'État américaine Madeleine Albright avait fixé, dans un rapport publié en 2010, à 2 % du produit intérieur brut le seuil au-dessous duquel les pays membres de l'OTAN seraient avisés de ne pas aller, sous peine de compromettre un niveau de sécurité commune crédible.C'est peu dire qu'elle n'a pas été entendue. En 2012, face aux États-Unis, qui concentrent 46% des dépenses militaires mondiales, et alors que la Chine et la Russie investissaient massivement, l'Italie était à 0,84 %, l'Espagne à 0,65 % et la France à 1,7 %. Seul le Royaume-Uni remplissait sa part du contrat.

     L'enjeu est pourtant stratégique à un autre titre, qu'a rappelé le rapport remis par l'ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine à François Hollande en novembre 2012. A ce rythme, il est en effet plus que probable que les industriels européens de la défense disparaîtront définitivement des appels d'offres des pays émergents, comme ce fut le cas dans ce qui apparaîtra vite comme une butte témoin du passé pour les avionneurs suédois et français au Brésil.Cette spirale d'attrition ne pourra qu'emporter les industries de la défense du Vieux Continent et placer définitivement les Européens dans l'orbite d'un complexe américain sans doute avide de compenser au-delà de ses frontières les coupes budgétaires qu'il doit également subir chez lui. La baisse des budgets de la défense ignore les retombées civiles du militaire ; elle accélère la désindustrialisation que l'on prétend combattre.

    Perte d'influence, d'emplois et d'autonomie, c'est à ces autres aunes que les coupes budgétaires dans la défense doivent également être examinées. Quitte à passer pour d'éternels râleurs, les généraux ont raison : alors que le Sud émergent réarme à grande vitesse, l'Europe va trop loin dans les coupes dans la défense.

    Elle risque de sortir de l'Histoire.

    Editorial du Monde (5 janvier 2013)

     

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