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immigration - Page 75

  • Quand la peur pathologique de la stigmatisation vire à l'aveuglement...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, cueilli sur Atlantico et consacré à la montée de la violence en France, avec Alexandre Baratta, psychiatre et expert en justice,  Guylain Chevrier, enseignant et docteur en histoire, et Tarik Yildiz, chercheur en sociologie politique et auteur de l'essai intitulé Le racisme anti-blanc - Ne pas en parler: un déni de réalité.

     

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    Ce qu’on dit et ce qu’on ne dit pas sur le lynchage... Quand la peur pathologique de la stigmatisation vire à l’aveuglement

    Atlantico : Alors que les condamnations du lynchage d'un jeune Rom de 16 ans à Pierrefitte sur Seine ont été nombreuses et unanimes, aucune trace de mise en perspective du contexte et de l'environnement dans lequel cette agression a eu lieu. Aucune mention n'est faite du climat de violence qui peut généralement régner dans cette ville de Seine-Saint-Denis. Pourtant  les témoignages et faits divers ne manquent pas : gynécologue ou journalistes agressés, tirs de mortiers sur des CRS... Le degré de barbarie de l'acte commis est-il vraiment sans lien avec l'environnement violent dans lequel il a été perpétré ? Un tel acte aurait-il pu avoir lieu dans n'importe quel endroit en France ?


    Guylain Chevrier : On se demande de quoi l’on parle effectivement, alors qu’il n’est ici aucunement question de stigmatisation pour expliquer la cause de ce lynchage épouvantable. C’est plutôt l’argument massue qui sert un discours qui soigneusement élude le questionnement sur les véritables causes de ce type d’acte. Des actes d’une violence qui choquent l’opinion en n’ayant plus de limite et marquent de plus en plus les quartiers sensibles de la banlieue. Ce qui vient de se passer est le reflet d’une dégradation abyssale du lien social qui lui, a bien des causes.
    On apprend que ce lynchage a été la conséquence d’un cambriolage, commis par le jeune Rom qui en a été victime, dans un appartement d’une cité proche qui aurait concerné l’un des membres d’une bande locale qui aurait vu rouge. On a ici les ingrédients de ce qui en ce moment s’installe dans le paysage de certaines banlieues, selon un mode qui se généralise. On voit se développer une logique de bandes et de communautés, avec une ethnicisation même parfois des quartiers, qui pose déjà potentiellement le risque de ce genre de basculement dans une violence qui n’a pas de limite. Il s’y développe un rejet de l’autre sur le fondement des codes propres à chaque communauté, pouvant à tout moment se traduire par des violences intercommunautaires, ou entre groupes rivaux. Le territoire devient alors un enjeu de rivalité dans l’occupation de l’espace qui n’a plus rien à voir avec la nation mais avec des zones dont des groupes d’intérêts particuliers concurrents prennent, sous une forme ou sous une autre, possession, en se croyant en situation de faire leur loi. Il est évident que certains quartiers, certaines villes et départements sont plus marqués par la concentration de ces phénomènes, qui vont avec ce type de logiciel se définissant entre dégradation sociale profonde, phénomène de bandes et multiculturalisme local.
    Une situation que l’on doit pour une part à un échec de l’intégration de trop d’enfants d’immigrés qui n’ont pu trouver leur place dans la société française et en viennent même à en rejeter les valeurs, le modèle, par perte de signification. On joue même trop souvent sur une promotion des communautés qui va avec un repli communautaire que l’on peut penser donner des facilités pour gérer certains phénomènes d’exclusion, et ce, de façon totalement erronée. Cela se retourne vite contre la société en se manifestant par un recul du sentiment d’appartenance et un rejet du pays d’accueil ainsi que de ses lois. On peut même en arriver à une délinquance qui se justifie par le rejet de la loi française pour ceux qui s’identifient à une communauté qui ne la reconnait déjà pas.


    Alexandre Baratta : Dans ma pratique d’expert judiciaire portant sur les régions Alsace, Lorraine et parisienne, je suis régulièrement confronté aux affaires de violences de toutes sortes. Dont la fréquence et la cruauté atteint un niveau de banalité déconcertant. Règlements de comptes au pistolet automatique ; home-jacking avec séquestration du locataire du logement pouvant aller jusqu’à la torture et actes de barbarie (crâne défoncé à coups de pelle), agressions gratuites à l’arme blanche dans les transports en commun... Le lynchage du jeune Rom de 16 ans aurait pu survenir n’importe où en France, pour la simple raison que de tels faits surviennent régulièrement partout en France. Souvenons-nous de l’octogénaire de 89 ans séquestrée chez elle à Bar-le-Duc en octobre 2013, battue, puis enfermée dans sa voiture et jetée dans le canal. Souvenons-nous des 3 jeunes ayant séquestré chez lui un vieillard à Montigny-les-Metz avant de le torturer jusqu’à entrainer son décès en avril 2012.

    De telles violences se produisent régulièrement en France, sans qu’elles ne connaissent la même couverture médiatique. J’y suis confronté en moyenne deux fois par semaine dans le cadre de mes missions d’expertises judiciaires. Bien entendu, de tels actes de violence sont plus régulièrement observés dans des quartiers à risque, de véritables zones de "non-droit". La Seine Saint Denis en fait partie. Le point commun  de ces zones : une grande précarité, le désengagement de l’Etat (grande précarité, absence de politique sanitaire et criminologique efficace).
    Il est remarquable de souligner la gradation grandissante des actes de cruauté, chez des délinquants et des criminels de plus en plus jeunes. Il n’est pas rare de voir des adolescents de 14 ans auteurs de violences gratuites particulièrement sordides.


    Tarik Yildiz : Il y a un environnement qui est plutôt violent, et ce n’est pas uniquement Pierrefitte. C’est quelque chose qui est assez caractéristique de ce qui se passe aujourd’hui en France. On a de plus en plus de zones qui, par le passé, pouvaient être localisées uniquement dans les cités, et qui maintenant prennent de l’ampleur dans les banlieus des grandes aglomérations (Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, etc) et on a une atmosphère faite de violences, qui peut être de la petite délinquance. Ce sont les vols à l’arrachée, les violences aux personnes, des agressions a répétition. C’est très courant à Pierrefitte, notamment sur la Nationale 1 qui passe à proximité de la cité et quasiment chaque jour il y a des gens qui se font agresser avec leur voiture, avec un bris de glace, et après ils volent des sacs à main. cela arrive quotidiennement. J’ai pu le constater à plusieurs reprises.
    Mais pour moi le problème est vraiment global, et ce n’est pas pour minimiser ce qui se passe à Pierrefitte, mais malheureusement ça peut se passer aujourd’hui dans beaucoup d’endroits en France, et de plus en plus. Cela peut arriver dans ce qu’on appelle les "banlieues", c’est-à-dire les banlieues plutôt pauvres des grandes agglomérations françaises. Dans ces endroits je pense que ça peut se passer partout, particulièrement dans les quartiers et les villes difficiles. Il n’empêche que c’est d’autant plus inquiétant que le problème n’est pas borné à une seule zone en particulier et que, au contraire, il est en train de progresser un petit peu partout. Ajoutons que la démission perçue de l’Etat favorise les règlements de comptes en direct.


    En avril 2010, un habitant de Pierrefitte sur Seine avait signé sur le site Mediapart un billet de blog dénonçant les œillères des élus sur la progression de la violence dans les cités difficiles. Peut-on parler d'un aveuglement collectif sur cette question ? Par peur de stigmatiser certaines populations, en vient-on à refuser de regarder en face leur réalité, au détriment finalement des plus faibles d'entre eux ?


    Guylain Chevrier : On laisse les choses se dégrader actuellement en envoyant comme seul message de ne pas stigmatiser les populations en question sous prétexte de victimisation. On le fait, de plus, sous le signe d’un recul constant des sanctions face à des actes graves, parlant de substituer systématiquement à la prison des peines alternatives qui maintiennent les individus en cause dans leur milieu ordinaire aménagées de quelques contraintes, comme le prévoit en le généralisant la réforme pénale de la garde des Sceaux, Mme Taubira. Ainsi, quel message délivre-t-on ? "Allez-y, continuez !", parce que l’on ne veut pas ou l’on n’est pas en situation de leur dire,  "arrêtez !", on va vous proposer autre choses, une société qui vous permette de trouver votre place, mais avec des exigences et des obligations qui soient les mêmes pour tous.
    Le discours laxiste actuel en matière de répression des délits a à voir avec une perte de considération pour ceux dont les conditions sociales les exposent plus que les autres au risque de la délinquance. Ce contexte est comme une invitation à un piège qui se referme sur eux. Il faut en réalité changer complètement de philosophie en se ré-intéressant à ce qui fait le bien commun, dont le respect de la loi égale pour tous est une dimension essentielle.
    Les mineurs aujourd’hui sont, lorsqu’ils commettent des actes de délinquance, trop souvent confrontés à une absence de réponse rapide et proportionnée, capable de leur  faire prendre conscience de la responsabilité de leurs actes. Les réponses prennent de longs mois avec des sanctions qui ont souvent peu de signification dans la façon dont elles sont mises en œuvre, tels les "travaux d’intérêt général", les fameux TIG. Aussi, ce manque de réponse est bien connu des jeunes, un phénomène qui se collectivise sous la forme d’un laisser-faire qui est pris pour un laissez-passer aux lourdes conséquences, car les premières victimes de ce laxisme sont les jeunes en risque de délinquance eux-mêmes, et leurs futures victimes.


    Alexandre Baratta : En effet, la France se caractérise par une peur de la stigmatisation. Il s’agit même d’un leitmotiv particulièrement prégnant : "il ne faut pas stigmatiser…". Un discours similaire est retrouvé dans le cas de la schizophrénie : il est de bon ton d’affirmer que les personnes souffrant de schizophrénie ne sont pas plus dangereuses que les autres, et qu’il ne faut pas les stigmatiser. C’est faire fi des données criminologiques : la schizophrénie multiplie le risque de violence par deux ; risque multiplié par neuf si elle s’associe à la consommation de stupéfiants.
    Le même déni de réalité se retrouve face aux phénomènes de violences dans les zones urbaines dites à risques.


    Tarik Yildiz : je pense qu’il y a surtout un aveuglement des élites au sens large. Il s’agit d’une certaine caste politico-médiatique. En revanche, les gens sur le terrain, quand on les interroge, ne sont pas dupes du tout et d’ailleurs les habitants de ces villes-là sont les premiers à se plaindre et à faire remonter des choses, que ce soit à la mairie, au commissariat ou ailleurs. Au quotidien, quand on discute avec les uns et les autres, et même dans les enquêtes d’opinion, on se rend compte que les préoccupations majeures des gens, ce sont des questions liées à la petite délinquance et à la sécurité en général. C’est donc quelque chose de très ancré dans la population, qui est devenu un sujet majeur. En revanche, cela ne se traduit jamais par des actes au niveau politique d’une part, et dans le traitement médiatique de l’autre. Je crois que c’est dramatique parce que, étant donné qu’on ne pose pas le constat de façon sereine, on n'arrive pas à répondre aux problématiques, et c’est ce qu’il y a de plus dangereux.

    Cette situation existe forcément au détriment des plus faibles. les premiers concernés, ce ne sont pas les gens qui vivent dans les beaux quartiers, les gens qui ont une vie confortable. Ce sont tous les autres, c'est-à-dire une grande majorité des Français. Ensuite, il peut y avoir en arrière-plan la peur de stigmatiser certaines populations, mais c’est une culture politique qui s’est un peu installée en France, qui fait qu’on est toujours très frileux avec ces questions. D’une part, parce que tous ceux qui véhiculent cette culture ne vivent pas cela au quotidien. On s’aperçoit que parmi les sociologues, parfois les responsables associatifs, l’élite politique, la presse , etc.

    Ces gens qui véhiculent ces craintes ne vivent pas au jour le jour dans ces quartiers-là. Ils sont loin de cette réalité. Du coup, parfois ils sont de bonne foi et pensent que ceux qui utilisent ces questions-là le font avec de mauvaises intentions, parfois pour imposer une théologie. On n'arrive pas à avoir un débat serein en se disant qu’il y a de vraies préoccupations, majeures, et qu’il faut écouter les gens. Il y a effectivement d’autres craintes. Traditionnellement en France, on fait des liens entre la condition sociale et les actes de délinquance. C'est une conception un peu marxiste consistant à dire que si on a des problèmes c’est parce qu’on est pauvre, ce qui peut parfois se défendre, mais c’est devenu systématique dans la culture politique française.


    Quel prix payons-nous pour cet aveuglement ? Comment est-il instrumentalisé par ceux qui, dans ces territoires, ont intérêt au maintien de zones de non droit ?


    Guylain Chevrier : Les peines-plancher ont été supprimées, ainsi que les tribunaux correctionnels pour adolescents de 16 à 18 ans, la garde des Sceaux en appelle même à moins de répression encore. Mais qu’a-t-il été mis à la place, rien ! Le précédent président de la République avait supprimé ses moyens d’agir à la Protection judiciaire de la jeunesse, la majorité actuelle qui gouverne n’a pas réinvesti de moyens dans ce domaine. Si l’on veut garantir le primat de l’éducatif sur le répressif, il faut s’en donner les moyens et penser leur utilisation de telle façon que cela n’apparaisse pas comme un simple pis-aller, mais bien comme une politique de lutte contre la délinquance des mineurs. Il faut une politique d’action  éducative qui soit à la mesure des enjeux, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui ! Que ce soit du côté des moyens ou du projet, on en reste à une idéologie d’accompagnement de la situation qui fait des délinquants d’abord des victimes des dysfonctionnements sociaux, dont l’argument atteint aussi ses limites, et ne saurait amener à faire l’économie de réponses cohérentes qui rappellent à la loi.
    Nous sommes tout simplement en plein laxisme et désengagement de l’Etat de l’une de ses missions essentielles, la justice, ce qui conduit à ne plus respecter non seulement l’Etat mais par voie de conséquence la société, les autres. Lorsqu’on se fait respecter, on inspire le respect, on en fait une valeur collective de référence attractive. Ces jeunes des banlieues le savent bien, pour lesquels l’usage en est fait à coups de rapports de forces, à défaut que la société leur délivre un autre message.

    "L'excuse de minorité" - le principe selon lequel les peines applicables aux mineurs sont plus faibles, pour les mêmes faits, que celles visant les adultes - doit être maintenue. Mais aller uniquement dans ce sens pour ne pas sanctionner, lorsque l’on a affaire à des multirécidivistes, c’est tout simplement encourager la généralisation de ces faits pour des milliers de jeunes. C’est l’encouragement d’un modèle inspiré de ceux qui en ont déjà franchi le pas, à ne pas avoir eu à temps les réponses appropriées leur faisant percevoir l’intérêt de la loi, sa valeur de protection pour tous, le bien commun précieux qu’elle représente en dehors duquel aucune vie sociale n’est viable. C’est tout simplement la garantie des libertés individuelles et de la démocratie dont cet enjeu résonne.


    Alexandre Baratta : Le prix à payer est lourd, avec absence de politique de répression adaptée ; ainsi qu’une politique de prévention inadaptée (suivis addictologiques mis en échec avec les agressions des médecins par exemple). Nous précisons à ce sujet qu’en matière de criminologie, la France a un retard considérable par rapport à ses voisins européens et autres pays anglo-saxons.
    Les principales victimes sont les habitants de ces zones. Mais ne nous y trompons pas : ces zones urbaines sensibles ne doivent pas nous faire oublier que de nombreuses violences se produisent chaque jour sur le territoire ; avec une augmentation galopante de leur fréquence et de leur gravité.
    Pour s’en rendre compte, il suffit de vérifier le nombre d’agressions des personnels soignants dans les urgences de zones non étiquetées comme sensibles. Ces agressions, pouvant être graves, sont quotidiennes, et tendent à se banaliser.


    Tarik Yildiz : Etant donné que l’on ne pose pas le constat, on n'apporte pas les solutions adéquates. on ne prend pas le problème à bras le corps. On ne veut pas voir qu’il y a une certaine jeunesse qui est en manque d’autorité, qui veut des limites, où il y a besoin parfois de sanctions, de règles , de sanctions qui fixent une sorte d’ordre dans la société. C’est un grand problème parce que ces jeunes-là percoivent l’état en général comme étant mou. Dans ces âges et ces conditions-là, les jeunes testent les limites et ils vont de plus en plus loin dans la petite délinquance, et puis quand ils sont condamnés pour la quinzième fois ils font un petit passage en prison mais c’est presque considéré comme quelque chose de valorisant, parfois. C’est une culture qui s’est installée, et étant donné qu’on n'a pas posé le bon constat au départ, on n'arrive pas à trouver des réponses qui soient vraiment adéquates. Cela amène à des problématiques assez graves. C’est pour cela que ce qui s’est passé à Pierrefitte peut se passer autre part, dans le même contexte, et cela est voué à progresser.


    La force publique est accusée de démission. En quoi cette démission est-elle la conséquence de cet aveuglement ? Refuse-t-on de se donner les moyens de lutter ?


    Guylain Chevrier : La police ne peut jouer son rôle et être elle-même respectée, qu’à la condition de représenter une société qui se fait respecter et qui en même temps délivre un message de respect. Est-ce bien la meilleure façon de respecter ces jeunes que d’organiser ce laxisme, n’est-ce pas leur dire ainsi qu’ils ne valent finalement rien à nos yeux si on les laisse faire et s’enfoncer dans la délinquance au lieu de leur dire fermement et avec bienveillance "arrêtez" ! ? Dire non, c’est envoyer ce message qu’ils ont de la valeur aux yeux de la société et qu’elle tient à eux, et refuse de les laisser toucher le fond.
    Il faut évidemment aussi se donner les moyens de l’accompagnement éducatif et social de ces jeunes et de leurs familles. Faut-il encore ne pas non plus favoriser le regroupement de populations socialement sinistrées, sous prétexte de conditions sélectives d’accès au logement social  qui conduisent à une homogénéisation et à l’enfermement, à la ghettoïsation, au lieu de la mixité sociale qui est un facteur essentiel de la cohésion sociale, en favorisant cet équilibre du vivre ensemble qui s’y nourrit.


    Alexandre Baratta : Lorsque la force publique est incapable d’assurer la protection de ses propres agents (contrôleurs de train agressés ; pompiers caillassés ; véritables embuscades organisées contre des patrouilles de police) ; comment serait-elle en mesure d’assurer la protection du citoyen lambda ? Surtout lorsque celui-ci vit dans une zone urbaine gangrenée par une économie parallèle basée sur le trafic de stupéfiants ? Mais la priorité est ailleurs, parce qu’il ne faut surtout pas stigmatiser, toujours le même leitmotiv récité tel un mantra.


    Tarik Yildiz : Il y a une démission qui n’est pas assumée dans la mesure où il y a des problèmes très graves de délinquance qui se passent un peu partout en France, et cela ne date pas d’hier. tous les gouvernements y ont participé. C’est un problème très profond, et en réponse, on a de temps en temps des acteurs associatifs qui sont complètement à côté de la plaque parce que la jeunesse face à eux a besoin de repères, de choses fixes et d’ordre, et c’est dans ce sens qu’on ne veut pas évoluer. Si on a peur de donner une sanction très rapidement de manière efficace, c’est un problème. En fait, c’est toute la chaîne qui est à revoir, donc il faut un minimum de courage pour le mettre en place.
    Il y a certes l’aspect policier au départ - ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu’ils ont -, et ensuite il y a le passage devant la justice, qui est long et fastidieux. Ensuite, à la première ou à la deuxième condamantion, cela ne se traduit pas forcément par une peine de prison, et puis les juges préfèrent ne pas envoyer ces jeunes en prison parce qu’ils considèrent, à juste titre, que quand ils vont en prison ils ressortent pires que lorsqu’ils sont rentrés. C'est l'effet "école du crime", quand ils vont en prison ils se radicalisent en devenant parfois des extrémistes islamistes, et certains s’en sortent en ayant appris d’autres techniques de cambriolage, etc.

    C’est toute la chaîne qui est à revoir. Il faudrait, par exemple, construire de nouvelles places de prison pour que les conditions soient décentes et qu’il n’y ait plus d’école du crime. Il faudrait apporter une réponse juste et très rapide de la justice au premier acte de délinquance. C’est très important. Et donner plus de moyens d’agir. C’est toujours la même chose, mais tant qu’on n'ira pas dans ce sens-là, avec des réformes, eh bien malheureusement on ne pourra pas avancer sur ce dossier-là et on ne pourra pas s’en sortir.


    Cet aveuglement ne se limite pas aux causes de la violence. Comment se manifeste-t-il dans les domaines de l'échec scolaire ? Avec quelles conséquences ?


    Guylain Chevrier : L’échec scolaire est lié à un manque évident de perspective mais aussi à ce laxisme devant l’exigence du respect de la loi, qui incite à son contournement et à la facilité du décrochage à la faveur des phénomènes de bandes. La baisse des exigences scolaires sous prétexte d’intégrer tout le monde, comme si tout tirer vers le bas allait le permettre, est un autre aspect de la dévalorisation de l’école. Le recul progressif de la culture générale et de l’histoire en nombre d’heures allouées, dans les programmes scolaires, est de ce point de vue significatif. La volonté d’intégrer la diversité des populations jusqu’à en abaisser les exigences, tout en développant des programmes où on encourage l’enseignement des religions et des cultures d’origines, est-elle bien la bonne voie ?
    L’enseignement des valeurs de la république devrait être pris bien plus au sérieux à condition qu’on leur donne le sens d’une réussite pour tous qui implique l’effort, l’élévation de soi et donc l‘estime de soi. Nous verrons de ce point de vue les résultats de ce qu’a mis en place le précédent ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, autour de la Charte de la laïcité à l’école, qui n’est pas à négliger. La décision de l’actuel ministre de l’éducation Benoît Hamon, de laisser à l’appréciation des établissements scolaires au cas par cas l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées, contre le sens de la mission laïque de l’école qu’elle s’exerce à l’intérieur de ses murs ou à l’extérieur, est un très mauvais signe quant au respect de ces valeurs et particulièrement de notre République laïque. C’est un signe qui va à l’inverse de l‘intégration et des valeurs qui devraient la porter. C’est aussi encourager le malentendu entre les populations de quartiers marquées socialement ou/et par la diversité culturelle et le reste de la population française, avec tous les dangers de rupture que cela constitue, y compris sur le plan du décrochage politique et de la promotion des extrêmes.

    Tarik Yildiz : Sur le volet éducation, il y a moins de conséquences à court terme, davantage à long terme. On a créé une génération qui arrivait à faire des études, sans aller très loin, mais il y aussi toute une partie de la population qui décroche complètement du système scolaire, et c’est parfois les mêmes personnes que l’on retrouve dans la délinquance. Et puis, même quand il y a un certain niveau, celui des collèges, et des lycées dans une moindre mesure dans ces zones là, cela pose un gros problème. Les différences de niveaux sont extrémement fortes et notables, l’écart n’était pas aussi important il y a encore 20 ans. Aujourd’hui il existe donc une France à plusieurs niveaux avec des gens qui vont avoir une autre culture, d’autres codes, avec une culture "au rabais", où on va essayer d’adapter la connaissance en fonction des gens que l’on a en face de soi, et cela a des conséquences désastreuses. Cela se voit particulièrement dans les collèges, où violence plus échec scolaire donnent des résultats très inquiétants.


    Et en matière d'échec de l'intégration, de chômage, de lutte contre la pauvreté ?


    Guylain Chevrier : La lutte contre les exclusions passe par plus d’intégration sociale, dont la condition est la réduction des inégalités, alors que celles-ci ne font que se creuser. Pour lutter correctement contre l’exclusion sociale il faut aussi avoir un projet de société qui se tienne et réponde aux grands besoins sociaux et permette, au-delà de la grande cause économique, à chacun de trouver à se réaliser, à se sentir de la valeur, que la société s’intéresse à tous.
    Pour autant, la question économique n’est pas la seule en jeu. C’est pour cela qu’il faut rejeter la tendance à vouloir en passer aujourd’hui par la logique de "l’inclusion sociale", qui considère l’intégration économique comme une fin en soi jusqu’à utiliser pour cela le relai communautaire, en oubliant les valeurs qui conditionnent de se sentir appartenir à une même société. La notion d’intégration sociale a une portée plus large qui implique l’accession à un corpus de valeurs communes dans lesquelles tous se reconnaissent, car aucune société ne peut être une simple addition de différences.
    C’est aussi un signe fort à envoyer à la diversité des populations qui vivent sur le territoire commun. Il y a danger à encourager le repli communautaire à travers un clientélisme politique qui joue sur les revendications identitaires comme mise en jeu de l’influence électorale. Cela pousse dans le sens de la division du corps social et politique, qui provoque des ruptures qui elles aussi ont leurs conséquences sur la montée de la violence dans les quartiers. Il en va avec cela tout particulièrement de la cohésion sociale, c’est-à-dire du degré de la reconnaissance qui est celui des citoyens dans leurs institutions, dans notre République, sa promesse d’égalité et de solidarité sociale.


    Alexandre Baratta : L’échec scolaire, tout comme le chômage sont des avatars des phénomènes de violences grandissants. Nous savons depuis fort longtemps qu’une désinsertion socio-professionnelle, l’absence de qualification diplômante sont des facteurs de risque de délinquance. Il s’agit donc de leviers d’actions  efficaces dans une politique de lutte contre la délinquance, au même titre que les sanctions pénales de type répressif.
    Le problème des zones urbaines sensibles provient des économies parallèles. L’un des exemples est cet auteur d’homicide récemment  examiné en expertise. Déscolarisé à 16 ans, il a débuté une carrière de dealer en vendant du cannabis. Avec un bénéfice mensuel de 3000 euros, nets d’impôts. Il n’a jamais travaillé de sa vie. Lever entre 10h et 11h, son activité commerciale est effectuée l’après-midi ; pour ensuite consacrer la soirée à des sorties festives jusque tard dans la nuit. Aujourd’hui âgé de 34 ans, comment lui proposer une insertion sociale cohérente avec un projet professionnel incertain, nécessitant plus d’efforts pour un salaire divisé par 3 ? En passant par une  lutte contre cette économie parallèle, omniprésente dans les banlieues. Mais attention : la pauvreté n’est pas l’une des causes de la violence : elle en est davantage la conséquence.


    Tarik Yildiz : L’échec de l’intégration est très lié à l’éducation et à la violence. Je suis persuadé que si on règle ces deux questions en montrant un Etat fort sur ces deux volets-là, on aura gagné le pari de l’intégration. Pour le chômage je ne pense pas que ce soit l’Etat qui décrète de le supprimer. Ce sont des choses qui sont autrement plus complexes. Il y a des taux de chômage qui sont très importants dans d’autres zones en France, notamment dans certaines zones rurales. C’est un problème plus général et il y a des moyens qui sont mis à disposition pour aider l’emploi dans les ZUS, etc. Le chômage est un levier commun à un ensemble de la société. Faire des politiques différenciées vis-à-vis de ces populations, c’est un échec en soi.


    Guylain Chevrier, Alexandre Baratta et Tarik Yildiz (Atlantico, 18 juin 2014)

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  • Le foot, miroir de notre société ?...

    La revue Réfléchir et Agir publie dans son dernier numéro (n°47 - été 2014), disponible en kiosque, un dossier sur le football, comme miroir de notre société...

     

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    Au sommaire :

    Quenelle
    Dieudonné

    Dossier : Le football, miroir de notre société

    D'où viens-tu football ?
    par Pierre Gillieth

    Le foot moderne, miroir de notre époque
    par Pierre Gillieth

    Quand le football était encore un sport populaire
    par Eugène Krampon

    Qatar: le sport comme outil de réputation
    par Eugène Krampon

    Au royaume des trous de balle
    par Benoît Lambert

    Footballistiquement incorrect
    Entretien avec Alexis Bosetti, propos recueillis par Pierre Gillieth

    Entretien avec Yann Vallérie, propos recueillis par Pierre Gillieth

    L'exemple de Coubertin
    par Pierre Gillieth

    Entretien
    Béatrice Bourges

    Actualité
    Me Frédéric Pichon: de la manif pour tous à la répression pour tous
    propos recueillis par Eugène Krampon

    Histoire
    La Commune n'est pas morte
    par Pierre Gillieth

    Réflexion
    Immigration, arme du capital
    par Laurent Rodesches

    Politique étrangère
    L'Ukraine, pivot géopolitique de l'Eurasie
    par Edouard Rix

    Notes de lecture
    Cinéma

    Art
    Raymond Espinasse
    par Pierre Gillieth

    Musique
    Soldat Louis
    par Eugène Krampon

    Disques

     

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  • Contre le grand remplacement : discours à la XVIIe chambre...

    Romancier, essayiste et diariste, mais aussi contempteur du "Grand remplacement", Renaud Camus a été attaqué à plusieurs reprises devant les tribunaux par les ligues de bienpensance antiraciste. Il vient de publier, à son compte,  sous le titre Discours à la XVIIe chambre, une version remaniée du discours qu'il a tenu face à ses juge lors de sa dernière convocation en février 2014.

    Le livre est disponible en version électronique sur le site d'une grande librairie en ligne, et en version papier sur le site de l'auteur.

     

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    " Autant le reconnaître d’emblée, ce discours n’a jamais été prononcé. Le 21 février 2014, à l’issue du procès qui m’était intenté par le Mrap pour “incitation à la haine raciale”, il me fut demandé, comme c’est l’usage, par Mme la présidente de la XVIIe chambre, si j’avais quelque chose à ajouter. Or, j’avais absolument quelque chose à ajouter, oui. J’avais pris des notes pendant les épisodes précédents de l’audience, en particulier lors du contre-examen des témoins par l’avocat du Mrap, et durant sa plaidoirie. Et je tenais fort à exprimer la teneur de ces notes, c’est-à-dire mon indignation et ma protestation. « Le prévenu a transformé le tribunal en tribune », écrivait le lendemain Jérôme Dupuis, dans L’Express : « Et l’on a alors assisté à ce spectacle stupéfiant d’un accusé faisant publiquement le procès de l’avocat qui le poursuivait ! [...] Le tribunal en est resté coi. »

    Sur le moment, toutefois, je n’étais parvenu qu’à demi, dans ma véhémence ulcérée, à débiter ce que j’estimais avoir à déclarer. En voici la version restituée et, je l’espère, améliorée. "

     

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  • La situation après les élections du 25 mai...

    Nous avons cueilli sur RussEurope un entretien donné par l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir au site italien Antidiplomatico et consacré aux résultats des élections européennes...

     

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    La situation après les élections du 25 mai

    Aux élections européennes du 25 mai, c’est de France qu’est arrivé à Bruxelles  le message le plus fort avec le Front national comme premier parti du Pays et son programme qui demande clairement la sortie de l’Euro. Il s’agit d’un véritable tremblement de terre comme l’a défini le premier Ministre Manuel Valls. D’après vous qu’est-ce qui a poussé les Français à faire ce choix ?

     

    Le choix des français s’est fait pour de nombreuses raisons lors de ces élections. Certaines tiennent à la nature du processus dit de construction européenne. Il est clair que pour beaucoup, voter pour le Front National c’était envoyer le message le plus clair à Bruxelles que l’on refusait tant l’Euro que l’UE. De ce point de vue, si d’autres partis, comme le Front de Gauche, avaient eu des positions plus claires, et plus compréhensibles, le résultat aurait pu être un peu différent. Les progrès réalisés par le parti « gaulliste » Debout la République, qui a presque atteint les 4% des votes est symptomatique de ce qu’un discours clair est immédiatement porteur dans ce contexte.

     

    D’autres raisons tiennent à la situation particulière qu’il y a aujourd’hui en France. Il y a en particulier une montée de l’exaspération contre la politique d’un gouvernement, et d’un Président, qui défait aujourd’hui ce que près de quarante années de luttes sociales avaient construit. Ici encore, à tort ou à raison, le Front de Gauche n’a pu recueillir la part qui était logiquement la sienne dans ce vote d’exaspération en raison de position peu lisibles par l’électorat. Pourtant, la sanction par rapport au vote PS a été très claire et l’effondrement de la popularité de François Hollande le confirme.

     

    Enfin, il y a un vote d’adhésion aux thèmes développés depuis maintenant un peu plus de trois ans par le Front National. Dans ces thèmes, il ne faut pas sous-estimer (ni sur-estimer d’ailleurs) un sentiment si ce n’est de xénophobie mais en tous les cas de lassitude face à l’immigration telle qu’elle se développe aujourd’hui. Pour de nombreux français aux revenus très modestes, les nouveaux arrivants sont en concurrence directe avec eux sur de nombreux points (comme l’obtention de logements ou la santé). Je remarque d’ailleurs que de nombreux français issus de l’immigration des années 1960 à 1980 ont voté Front National. Il suffit d’analyser le vote quartier par quartier pour le voir. Ainsi, dire que ce vote est un vote « raciste » est une idiotie complète, même s’il y a des racistes au Front National, comme il y en a d’ailleurs dans d’autres partis, hélas. Mais, on a mal mesuré le sentiment de vulnérabilité des française des classes populaires à l’arrivée de la vague actuelle d’immigration. Très souvent ce sont des anciens immigrés, naturalisés français, qui se sont intégrés dans la société française, et qui considèrent que les nouveaux arrivants ont plus de droits qu’eux ou mettent en cause les mêmes budgets sociaux sur lesquels ils ont des avantages. Ce phénomène explique le basculement vers le vote Front National des Français les plus modestes.

     

    De ce point de vue, les manifestations des jeunes lycéens et étudiants, guère plus de quelques milliers pour toute la France, ont été très symptomatiques. Dans le cas de la manifestation de Paris, qui a été la plus importante, vous aviez presque uniquement des « blancs » et des « bourgeois ». Il n’y avait pratiquement pas de jeunes issus des lycées professionnels. Aujourd’hui la « protestation » contre le vote FN ne se manifeste que dans les classes supérieures de la société et c’est sans doute cela le véritable « tremblement de terre ».

     

    Le prochain Parlement européen accueillera trois groupes qui se sont opposés dans leurs campagnes électorales aux politiques de Bruxelles, Berlin et Francfort, avec à leur tête :  Marine Le Pen,  Nigel Farage et pour la gauche A. Tsipras. Réussiront-ils à créer un bloc d’opposition compact pour empêcher la technocratie européenne de continuer dans son projet d’austérité ?

     

     

    Je ne crois pas. Je ne sais pas si le Front National va réussir à constituer un groupe au Parlement Européen, mais il est clair qu’il y a trop de différences entre le FN, UKIP ou Syriza. En un sens, ceci vérifie le fait qu’il n’y a pas de peuple européen et que la dimension nationale du vote est toujours prééminente. Après, il est possible qu’au moment des votes des alliances se réalisent, et ceci est même à souhaiter.

     

     

    Le PPE et le PSE seront obligés de tomber les masques du rôle de la fausse opposition  et finiront, comme c’est le cas dans différents pays, par se coaliser pour former la prochaine Commission. Ne craignez-vous pas que ces « ententes européennes élargies » ne favorisent une ultérieure perte de souveraineté nationale, sans tenir compte du cri de détresse qu’ont lancé les peuples européens ?

     

    Je crains qu’hélas ce cri de détresse ne soit pas entendu, parce que les partis du PPE et du PSE ont systématiquement ignorés les réactions et les réticences des peuples depuis maintenant près de 25 ans. Nous aurons une coalition pour faire du Parlement Européen une chambre d’enregistrement de décisions technocratiques prises par la commission.

     

     

    D’après vous, quels sont les premières mesures que les nouveaux groupes eurosceptiques qui se sont créés au Parlement européen devraient proposer dans les trois mois ?

     

    Si une alliance est possible, elle devrait se faire autour des mots d’ordres suivants. Tout d’abord, interruption des négociations avec les Etats-Unis du traité de libre-échange transatlantique. C’est un traité léonin, qui va contribuer encore plus au démantèlement du modèle social européen. On a aujourd’hui la preuve que la politique des Etats-Unis est extraordinairement agressive contre l’Europe et les européens. Ensuite, ces partis devraient s’entendre pour refuser toute mesure aggravant les politiques d’austérité qui sont aujourd’hui mises en œuvre en Europe. Sur cette base, il est même possible que des alliances de circonstances soient possibles avec le groupe des « Verts », voire avec certains membres du PSE.

     

     

    La propagande pré-électorale des gouvernements au pouvoir et de Bruxelles        voulait nous rassurer sur la situation économique actuelle, toutefois les économies   de l’Italie, de la Hollande et du Portugal se sont contractées et la France est dans une situation de stagnation. De surcroît, la zone euro est dans une situation de basse inflation – déflation pour de nombreux pays – qui rend de moins en moins soutenable la trajectoire débit/PIB. Dans un tel contexte, pensez-vous que la zone euro risque de connaître une nouvelle crise qui pourrait remettre en question les outils créés ou bien que  «  le pire est derrière nous »  comme on nous le dit ?

     

    Le risque d’une nouvelle crise est d’ores et déjà présent. C’est cela qui obligé M. Mario Draghi, le Président de la Banque Centrale Européenne à agir le 5 juin. Mais, les limites de son action montrent aussi son impuissance de fond. Les seules choses qu’il a pu faire ont été d’introduire un taux négatif sur les dépôts et de mettre en place un nouveau LTRO (1) au profit des banques pour un montant de 400 milliards d’euros, au moment d’ailleurs où il faudra rembourser le premier. Ce n’est absolument pas l’équivalent du « quantitative easing » de la réserve fédérale. On sait que les taux négatifs ont une efficacité plus que limitée. Quand au LTRO, il y en avait déjà eu un en 2012. Il est donc intéressant de regarder comment a réagi le taux de change entre l’Euro le Dollar. Le 5 juin au matin, il était tombé à 1,35 USD pour 1 Euro. Il est remonté à 1,36 dès le soir. C’est la preuve que Draghi n’a plus cette capacité qu’il avait il y a deux ans de charmer les marchés. Ces derniers veulent du tangible. Mais, cela, Draghi ne peut le faire sans un conflit majeur avec l’Allemagne. Par ailleurs, les marchés vont maintenant regarder de très prés l’évolution de la situation dans des pays comme la Grèce, mais aussi l’Italie et la France. Touts les conditions pour une nouvelle phase de crise dans la zone Euro dès cet été ou dès septembre sont réunies.

     

    Nous savons que vous suivez de près la crise ukrainienne. Quel est votre jugement d’ensemble sur l’action de l’UE ? Quelle serait, à l’échelle européenne, la meilleure stratégie à adopter pour sortir de cette dangereuse impasse ?

     

    L’action de l’UE a été très néfaste. Elle a mis, de fait, l’Ukraine devant un choix impossible, celui entre l’Europe et la Russie. Or, compte tenu de la complexité et de la fragilité de ce pays, c’était le type même de choix qu’il fallait éviter. Ensuite, les dirigeants de l’UE ont fermé les yeux sur les dérives du mouvement populaire de la place Maidan. Ce mouvement, commencé comme une protestation contre la corruption du régime, a commencé à dériver dès le mois de décembre 2013 quand il a été hégémonisé par des partis d’extrême-droite. Enfin, l’UE a soutenu implicitement le coup d’Etat qui a provoqué le départ du Président Yanoukovitch. Or, un accord avait été signé entre l’opposition et le pouvoir et des élections étaient normalement prévues. Mais, tout cela a été balayé par le coup d’Etat. Désormais, nous vivons une crise de l’Etat ukrainien, avec des référendums d’auto-détermination qui se sont tenus dans la partie est du pays, et qui conduit désormais à une véritable guerre civile. Le gouvernement de Kiev utilise ses avions et ses hélicoptères contre les insurgés, c’est à dire le même niveau de violence qui avait été le prétexte à une intervention en Libye et qui avait suscité l’émotion de la communauté internationale en Syrie. Il serait urgent que l’UE fasse pression sur les autorités de Kiev pour qu’elle proclame un cessez le feu et qu’elles ouvrent immédiatement des négociations inconditionnelles avec les insurgés. Au-delà, il est clair qu’il faut des élections à une Assemblée Constituante, qui seule pourra déterminer la nature et le degré de fédéralisation du pays, et un engagement de toutes les parties extérieures en présence, tant l’UE que la Russie, de respecter l’indépendance et la neutralité de l’Ukraine.

     

     

    En tant qu’économiste de référence en la matière, pensez-vous que les résultats de ces dernières élections ont renforcé la bataille intellectuelle contre la monnaie unique ou non ?

     

    Je pense que c’est parce que nous avons marqué des points importants dans le combat intellectuel que l’on a eu des résultats marqués par cette vague d’euro-scepticisme aux dernières élections du 25 mai. Mais, il est dans le même temps clair que le résultats de ces élections, tant le niveau d’abstention que la montée des forces euro-sceptiques, va rendre bien plus audible les discours que nous tenons depuis des années sur l’Euro.

    Jacques Sapir (RussEurope, 7 juin 2014)

     

    Note :

    1- Long term refinancing operations, prêts à long terme accordés aux banques par la BCE.

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  • La remigration, une utopie ?...

    Vous pouvez écouter ci-dessous sur la radio Méridien Zéro l'émission du 18 avril 2014 dirigée par Jean-Louis Roumégace qui accueillait Laurent Ozon, animateur de l'organisation localiste et identitaire Maison commune, à propos de la remigration, c'est-à-dire l'inversion organisée des flux migratoires...

    On notera que les locaux de la radio associative Méridien Zéro ont été récemment dévastés par un incendie d'origine "inconnue" et qu'il est possible de soutenir financièrement l'association pour racheter le matériel détruit :

    Soutenez Méridien Zéro !

     


    Méridien zéro 2014.04.18 Laurent Ozon - La... par Hieronymus20

     


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  • L'oligarchie mondialiste, fléau de l'Amérique et de l'Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Arnaud Imatz, cueilli sur le site du Cercle Aristote et consacré au rôle délétère de l'oligarchie et de son idéologie mondialiste...

     

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    L'oligarchie mondialiste, fléau de l'Amérique et de l'Europe

    Lorsqu’on vit depuis des années à l’étranger un sujet régulier d’étonnement est le mélange de répulsion-fascination que suscitent les États-Unis dans les grands médias de l’Hexagone. Certes, il ne s’agit pas d’une nouveauté. La généalogie de l’américanophobie et de l’américanophilie est bien établie. Les historiens la font remonter au XVIIIe siècle. Mais l’ampleur du parti pris journalistique à l’heure de traiter l’information sur l’ami-ennemi américain, est proprement sidérante. Le matraquage « obamaniaque », à l’automne 2012, quelques jours avant les élections présidentielles, n’en est qu’un exemple criant. Le message était d’un simplicité enfantine : il y avait d’une part, Barack Obama, le « bon », le réformateur, le « créateur » du système de protection sociale, et, d’autre part, Mitt Romney, le « méchant », le réactionnaire-opportuniste, le mormon milliardaire, le capitaliste va-t-en-guerre. Oubliée la loi de protection de la santé adoptée par l’État du Massachusetts, en 2006, sous l’impulsion du gouverneur Romney. Oubliées les interventions répétées de l’armée américaine sous les ordres du président démocrate sortant, les attaques de drones qui violaient le droit international (10 fois plus nombreuses que sous Bush Jr.) en particulier au Pakistan et au Yemen, l’envoi de 33000 hommes en Afghanistan, l’intervention en Lybie… En démocratie, disait le théoricien des relations internationales, Hans Morgenthau, « la propagande est inévitable, elle est un instrument de la politique », et son contrôle ne peut être qu’un travail de Pénélope. On ne supprime pas la propagande, pas plus qu’on n’élimine la conflictivité, au mieux, on la minimise.

    En attendant le prochain déferlement de passion, il n’est peut être pas inutile de s’interroger sereinement sur l’hyperpuissance mondiale, sur son oligarchie et son peuple. Que penser de « l’Amérique et des Américains » ? Vaste question ! J’entends déjà mes amis d’Amérique hispanique s’insurger avec raison : « Ne vivons-nous pas en Amérique ? Ne sommes-nous pas, nous aussi, des Américains ? ». Mais passons. Faute d’espace, et à défaut d’analyses rigoureuses, voici quelques sentiments, opinions et pistes de réflexion.

    Fonctionnaire international à l’OCDE, émanation du célèbre Plan Marshall, j’ai eu la chance de travailler dans l’entourage immédiat du Secrétaire général et de côtoyer moult ambassadeurs et hauts fonctionnaires d’Amérique du Nord et d’Europe. Par la suite, fondateur et administrateur d’entreprise, j’ai entretenu des relations suivies avec un bon nombre de cadres d’universités et d’hommes d’affaires des États-Unis et du Canada. Une expérience restreinte, limitée à la classe directoriale et aux milieux urbains (après plus de trente voyages je reste avec l’envie d’admirer un jour les grands espaces !), mais néanmoins une connaissance directe, tirée de situations vécues pendant trois décennies. Disons le tout de suite, l’image qui en ressort est nuancée, voire ambigüe. Un peuple jeune, dynamique, agressif, violent, sans racines, né de la fusion d’apports les plus divers, a-t-on coutume de répéter. Je dirai pour ma part que les Américains du Nord sont généralement des gens aimables, ouverts, spontanés, simples, sympathiques et très « professionnels ». Ils méritent en cela considération et respect. La cuistrerie, le pédantisme, la suffisance, l’arrogance, le ressentiment, l’esprit de caste et la manie de la hiérarchisation reposant sur les écoles, les titres et les diplômes, ces plaies sociales de notre vieux continent, omniprésentes dans la pseudo-élite française, qu’elle soit intellectuelle, politique ou économique, sont nettement moins répandus outre-Atlantique. À tout prendre, je préfère d’ailleurs l’amabilité commerciale, pourtant très artificielle, du diplômé de Yale, Harvard ou Stanford à la fatuité et la présomption de tant d’énarques, de polytechniciens voire de docteurs d’État de l’Hexagone.

    J’admire sans réserves l’attachement, presque indéfectible, du peuple américain au premier amendement de sa Constitution : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre ». Je sais bien sûr l’aptitude des juristes à réinterpréter un texte constitutionnel, parfois même dans un sens absolument contraire à l’esprit des pères fondateurs, afin de satisfaire les intérêts de la classe politique ou de répondre à ses injonctions. Je ne suis pas non plus naïf au point de croire que cette fidélité au Bill of Rights est appelée à perdurer éternellement sans aucune faille. Mais à ce jour, malgré les accrocs et les accusations répétées de violations, le principe et son application me semblent résister. Et ce n’est pas rien ! Il suffit de comparer la situation états-unienne avec celle de la France pour s’en convaincre. Une loi mémorielle, qui imposerait le point de vue officiel de l’État sur des faits historiques, est tout-à fait inconcevable aux États-Unis.

    J’admire aussi évidemment les découvertes scientifiques et surtout techniques de cette grande nation. Il faudrait d’ailleurs être dépourvu de raison et de cœur pour les ignorer. Je fais en outre le plus grand cas de la littérature nord-américaine. Qui oserait prétendre qu’elle n’a pas souvent atteint les plus hauts sommets ? Même le cinéma hollywoodien ne me semble pas aussi médiocre qu’on le prétend. Quantitativement pitoyable, soit ! Mais il réalise chaque année de véritables chefs d’œuvres. Peut être 1 % de la production, qui a toujours rivalisé en nombre et en qualité avec le meilleur du cinéma européen et qui, depuis déjà près de trente ans et à l’exclusion de quelques rarissimes exceptions, distance ce dernier de très loin. Enfin, dans le domaine qui m’est le plus familier, l’histoire des faits et des idées et les sciences politiques, j’ai la ferme conviction qu’au tournant du XXIème siècle, les travaux d’auteurs aussi différents que Christopher Lasch, Paul Gottfried, Robert Nisbet, John Lukacs ou Paul Piconne, égalent, et parfois dépassent, ceux de n’importe quelle figure intellectuelle européenne.

     

    Les codes de la nouvelle classe dirigeante américaine

    Cela-dit, il y a plus d’une ombre au tableau. Après avoir longtemps structuré la nation nord-américaine, la pensée et le mode de vie des WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ont fait long feu. Le puritain, animé par l’idéal abstrait de renoncement personnel et de perfectionnement de soi, l’homme pieux, pour qui la réussite personnelle est secondaire par rapport à l’œuvre sociale, relève du souvenir lointain. Mort !, l’individualiste farouche d’antan, le cow-boy tenté par l’aventure de la vie sauvage. Enterré !, le « self made man », l’archétype du vieux rêve américain, cet être loyal, solidaire, zélé au travail, autodiscipliné, modéré, épargnant, refusant de s’endetter. Il y a belle lurette que la majorité de la société américaine n’accorde plus d’intérêt à ces valeurs et idéaux.

    En cinquante ans, les « codes » de l’élite politico-économico-médiatique « américaine » ont changé considérablement. Le style de vie de la classe directoriale est désormais marqué par l’anomie, le manque de racine, l’anxiété, le changement perpétuel, l’incertitude, le narcissisme, la hantise du « standing », l’obsession de la bonne santé physique, l’assujettissement à la consommation de la marchandise, la complaisance pour les hétérodoxies sexuelles, le mépris des traditions populaires jugées trop « réactionnaires », l’asservissement à la tyrannie de la mode, la fascination pour le marché capitaliste, l’admiration des formes de propriété anonyme, la recherche frénétique du profit, le culte passionné de l’accomplissement personnel, de la performance, du spectacle, de la réussite et de la célébrité.

    Ostensiblement égalitaire, antiautoritaire, cosmopolite, communautarienne et multiculturaliste,  la nouvelle classe dominante se distingue par ses revenus et son train de vie élevés. Elle tourne le dos à la question sociale et au peuple, mais fait le plus grand cas des questions de société telles que la lutte contre l’homophobie, le mariage gay, l’aide à la famille mononucléaire et monoparentale, le soutien de la pratique des mères porteuses, l’enseignement de l’idéologie du genre, la dépénalisation des drogues « douces », l’éloge de la discrimination positive en faveur des minorités ethno-religieuses, etc. Parmi ses membres, se recrutent les adeptes les plus fervents de la libre circulation des marchandises et des personnes. Ils sont les zélateurs du libre-échange et de l’immigration illimités. « Vivre pour soi-même et non pour ses ancêtres et sa postérité » ou « Avant moi le néant après moi le déluge » pourrait-être leur devise. Le conformisme « progressiste », la hantise des « valeurs périmées et dépassées », masque chez eux la diligence empressée à l’égard d’un nouvel ordre social banalisé, une domination reformulée, un contrôle social remodelé.

    Si vous devez négocier avec le représentant d’une grande entreprise ou d’une quelconque bureaucratie publique ou privée, avec un « CEO » (PDG) ou un haut fonctionnaire fédéral et ses conseillers, attendez-vous à toutes les chausse-trapes. Mensonge, félonie, dol, boniment, duplicité, sont permis. La fin justifie les moyens. On me dira bien sûr que j’ai tort de mettre en cause l’ensemble de cette « élite » ou plutôt « pseudo-élite », qu’il est faux de laisser entendre que tout le milieu est à l’image de quelques uns, que c’est ignorer la complexité de la nature humaine, pire, que c’est faire le jeu du « populisme » démagogique. Je ne nie pas qu’il y ait des exceptions remarquables, mais malheureusement, après des décennies d’expérience, je reste dans l’expectative de les rencontrer. La réalité, évidemment contestée par les intéressés, est que la lâcheté, l’hypocrisie et l’opportunisme sont  omniprésents parmi eux. Que pourrait-on d’ailleurs attendre d’autre de la part d’experts en communication, de spécialistes de la désinformation, de la manipulation, de la séduction et de l’impression produite sur les autres ? Exit donc l’idéal de la vieille culture américaine, celui du devoir et de la loyauté. La culture dominante des pseudo-élites modernes états-uniennes est résolument hédoniste, individualiste et permissive.

     

    Un modèle vénéré par les « élites » européennes de droite comme de gauche

    Je me refuse pour autant à reprocher à l’Amérique ou aux Américains du Nord les attitudes d’une caste interlope ou les défauts d’un modèle de société que la majorité de nos oligarques européens développe et vénère au quotidien. Dans le cœur et l’esprit de ces derniers, l’identité culturelle n’est-elle pas aussi ostensiblement remplacée par l’exaltation de la croissance du PNB, la glorification de l’accès massif à la consommation, la volonté d’étendre le mode de vie occidental au reste du monde, l’espoir fou que le développement des forces de production peut se perpétuer partout indéfiniment sans déclencher de terribles catastrophes écologiques ? Les « valeurs universelles », les « droits de l’homme » ne sont-ils pas sacralisés par la classe dirigeante européenne qui magnifie elle aussi la croisade démocratique mondiale et méprise souverainement les circonstances historico-culturelles données ? Le discours /récit des grands médias européens n’a-t-il pas lui aussi pour fonction de revêtir les aspirations et les intérêts matériels des nations « occidentales » sous l’apparence d’objectifs moraux universels ?

    Nul n’en disconviendra, les États-Unis occupent une place exceptionnelle sur la scène internationale. Ils sont les détenteurs du leadership mondial. Ils sont la superpuissance, l’hyperpuissance ou l’Empire (terme le plus exact, bien qu’il soit généralement évité pour prévenir l’accusation d’antiaméricanisme). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se voulaient le fer de lance de l’anticolonialisme, mais en réalité, leurs interventions dans le monde pour défendre leurs intérêts se comptent par milliers depuis le XIXe siècle. Pour le seul cas de l’Ibéro-Amérique, on n’en compte pas moins de 50 majeures et 700 mineures. L’application historique de la doctrine Monroe (1823) a montré que la devise « L’Amérique aux Américains » signifiait en réalité « L’Amérique aux Américains du Nord ».

    Dans la phase actuelle de recomposition des pôles politico-économico-culturels mondiaux, l’Empire thalassocratique perd de l’influence, mais il n’en conserve pas moins une position hégémonique. Au tournant du XXIe siècle, aucune puissance émergente n’est en mesure de surpasser les États-Unis. Ils produisent un peu moins du quart de la richesse mondiale, peuvent exploiter de fabuleux gisements de gaz de schiste et disposent d’une force militaire écrasante. Leur décadence, leur déclin, est semble-t-il inéluctable, mais la chute peut être ralentie durablement.

    L’hybris états-unienne, la démesure dictée par l’orgueil des pseudo-élites nord-américaines, constitue néanmoins un redoutable danger pour la stabilité de la planète. La guerre économique, dont ils sont un fauteur majeur depuis plusieurs décennies, est une réalité planétaire. La guerre du pétrole et du gaz n’en est qu’un des aspects les plus criants. Nier ou ignorer tout ce qui est en jeu : le contrôle des réserves énergétiques et agroalimentaires mondiales, la domination de l’information, des communications, de l’intelligence civile et militaire, est le signe de l’aveuglement, de l’incompétence ou de la trahison.

    Mais cela dit, l’honnêteté intellectuelle impose de souligner la complicité active ou la collaboration bienveillante dont bénéficie la nouvelle classe dirigeante américaine en Europe, sans oublier le rôle très discutable et la marge d’action considérable des managers des multinationales. Patriotes ou nationalistes sans complexes, les présidents Américains, démocrates ou républicains, nous répètent à l’envi que le peuple des États-Unis est « élu et prédestiné », que « le destin de la nation américaine est inséparable du Progrès, de la Science, de l’intérêt de l’Humanité et de la volonté de Dieu », mais c’est bien l’hyperclasse mondiale dans son ensemble qui reprend à l’unisson : « L’histoire des États-Unis d’Amérique se confond avec celle de la liberté, de la prospérité, de la démocratie et de la civilisation ».

     

    L’espoir d’une recomposition et d’une relève politique  

    Que les choses soient claires : « l’Amérique » ou les Américains du Nord ne sauraient être tenus pour l’adversaire principal.  L’adversaire est en nous, il est chez nous. L’adversaire, c’est l’idéologie mortifère de la pseudo-élite de gauche comme de droite ; c’est celle des leaders et apparatchiks (non pas des militants et sympathisants) des principaux partis européens au pouvoir, néo-sociaux-démocrates et néolibéraux, si proches des sociaux-libéraux du parti démocrate et des néoconservateurs du parti républicain d’outre-Atlantique ; c’est celle des maîtres de la finance mondiale et de leurs affidés médiatiques gardiens jaloux du politiquement correct ; c’est celle des « intellectuels organiques », contempteurs inlassables du populisme démagogique. Ce populisme, qui, selon eux, mettrait en cause dangereusement la démocratie, alors que, malgré d’inévitables dérapages, il est le cri du peuple, la protestation contre un déficit de participation, l’appel angoissé à la résistance identitaire, à la restauration du lien social, à la convivialité ou à la sociabilité partagée. L’adversaire, c’est bien l’idéologie des néolibéraux et des néo-sociaux-démocrates, et celle de leurs « idiots utiles », les altermondialistes, qui, à leur manière, rêvent de parfaire la transnationalisation des personnes et l’homogénéisation des cultures.

    Soulignons-le encore : le combat culturel ne se livre pas entre l’Europe et l’Amérique du Nord, mais entre deux traditions culturelles qui se déchirent au sein de la modernité. L’une, aujourd’hui minoritaire, est celle de l’humanisme civique ou de la République vertueuse, qui considère l’homme d’abord comme un citoyen qui a des devoirs envers la communauté, et qui conçoit la liberté comme positive ou participative. L’autre, majoritaire, est celle du droit naturel sécularisé, de la liberté strictement négative entendue comme le domaine dans lequel l’homme peut agir sans être gêné par les autres. L’une revendique le bien commun, la cohérence identitaire, l’enracinement historico-culturel (national, régional et grand continental), la souveraineté populaire, l’émancipation des peuples et la création d’un monde multipolaire ; l’autre célèbre l’humanisme individualiste, l’hédonisme matérialiste, l’indétermination, le changement, l’homogénéisation consumériste, l’État managérial et la « gouvernance » mondiale, sous la double bannière du multiculturalisme et du productivisme néo-capitaliste.

    Pour les tenants du « Républicanisme » ou de l’humanisme civique, les néolibéraux, néo-sociaux-démocrates et altermondialistes sont incapables d’engendrer un attachement solide au bien commun. Ils savent que le principal danger de la démocratie vient d’une érosion de ses fondements spirituels, culturels et psychologiques. Avec Aristote, Montesquieu, Rousseau, Jefferson, et tant d’autres, ils reconnaissent que la démocratie est impossible sans un territoire limité et un degré élevé d’homogénéité ou de cohésion socioculturelle. Ils savent qu’il n’y a pas un seul modèle de libre marché, le capitalisme dérégulateur anglo-saxon, et que des légions de défenseurs du libre marché se sont opposés au système de laisser-faire et de marchandisation globale. Ils savent que depuis les pionniers de l’économie politique de l’École de Salamanque au XVIème siècle, jusqu’aux théoriciens de l’ordolibéralisme de l’après-Deuxième-Guerre mondiale, en passant par les non-conformistes des années 1930, de très nombreux et prestigieux économistes considèrent que  le libre marché doit dépendre de la politique, de l’éthique et de la morale.

    Les partisans d’une troisième voie moderne (laquelle ne se confond pas avec les versions décaféinées de Clinton, Blair ou Bayrou), défendent le principe de la petite et moyenne propriété (individuelle, familiale et syndicale) des moyens de production coexistant avec de plus grandes formes de propriété rigoureusement réglementées dans le cadre d’une économie régionale autocentrée. Ils se dressent contre le capitalisme monopolistique et financier, contre les processus de concentration du grand marché néolibéral, contre le collectivisme socialo-communiste, contre toutes les formes de bureaucratisations publiques et privées. Ils considèrent que le protectionnisme entre ensembles régionaux homogènes (non pas entre pays) aux niveaux de vie très différents, est non seulement justifié, mais nécessaire. Enfin, ils accordent une priorité absolue aux mesures de politique démographique et au contrôle de l’immigration qui sont d’une importance vitale pour la survie de l’identité culturelle, de la sécurité et du progrès économique et social.

    Depuis près de 40 ans, à droite comme à gauche, le lobby immigrationniste occupe une position dominante. Pour ne pas être diabolisées, les rares voix discordantes des partis majoritaires ont été contraintes au silence ou à manier la litote. Après avoir défendu « la limitation de l’immigration » et plaidé pour « la réduction de l’immigration clandestine », elles ont fini par soutenir du bout des lèvres « l’immigration choisie ». Mais au fil du temps, malgré les efforts désespérés de l’oligarchie « discuteuse » en faveur d’une main-d’œuvre afro-maghrébine abondante et bon marché, une partie croissante de l’opinion a décroché. Les complaisances d’usage pour « l’islamisme pluriel et pacifique », des esprits affaiblis, tétanisés par la peur du conflit, ne font plus recette. Les arguties, les insultes et les réactions passionnées des Fukuyama, Morin, Lévy, Touraine, Habermas et autres gardiens jaloux du temple se révèlent de plus en plus inefficaces. L’influence sur l’opinion du discours politique de l’oligarchie dominante ne cesse de décroître. La bipolarisation droite-gauche, sacralisée par les élites politiques et leurs soutiens que sont les bobos des grandes villes, les fonctionnaires et les retraités, ne correspond plus à rien pour les classes populaires. Ouvriers, employés, petits agriculteurs et petits commerçants prennent conscience que les prétendues « valeurs républicaines ou démocratiques », réduites aux seuls droits de l’homme, signifient en réalité les valeurs du grand marché. Ils ne croient plus à la vieille rengaine : « la mondialisation bénéficie à tous », « l’immigration est une chance  » ou « il n’y a pas trop d’immigrés ».  Ils savent qu’ils sont au contraire et resteront irrémédiablement les exclus du mondialisme et du multiculturalisme. Par ailleurs, un bon nombre de jeunes se rebellent. Pour perdurer, l’oligarchie  doit en tenir compte malgré les vœux et les cris d’Orphée que poussent encore ses membres les plus dogmatiques.

    « Toute vérité franchit trois étapes, disait fort justement Arthur Schopenhauer. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subitune forte opposition. Puis, elleest considéréecomme ayant toujours étéuneévidence ». C’est un honneur que d’aller contre les modes, les interdits, le « politiquement correct »  de son temps ; que de refuser le chemin de la servitude, du totalitarisme de l’argent et du magma mondialiste. C’est un honneur que de s’inscrire dans la filiation des Charles Péguy, Miguel de Unamuno, Daniel-Rops, Georges Bernanos, Simone Weil, Wilhelm Röpke, Julien Freund, Jules Monnerot, Christopher Lasch, Maurice Allais et tant d’autres résistants au fléau de l’oligarchie mondialiste. Notre Europe n’a jamais été celle des disciples de Jean Monnet, celle des multinationales, sous la tutelle définitive des États-Unis d’Amérique, « l’Europe où, comme disait Charles de Gaulle, chaque pays perdrait son âme ». Notre Europe est celle du meilleur gaullisme, celle des peuples, celle de la « troisième force », celle de l’axe grand-continental ou grand-européen.

    Arnaud Imatz (Cercle Aristote, 28 octobre 2013)

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