Bonnets rouges...
On sait, peut-être, que ce nom recouvre l’une des plus grandes révoltes de l’Ancien Régime, qui survint en Bretagne sous le règne de Louis XIV en 1675[1] et qui fut l’une des grandes révoltes populaires, annonciatrice de la Révolution de 1789[2].
Les bonnets rouges, on les a vus ressurgir en Bretagne, et en particulier ce samedi 26 octobre lors des manifestations qui ont eu des suites tragiques (un blessé avec une grave blessure au cou, un autre avec une main arrachée). Si ces manifestations ont clairement tourné à l’émeute, c’est qu’elles ne font que témoigner du désespoir d’une partie de la population. La Bretagne, on le sait, est durement touchée par la crise actuelle. Celle-ci se traduit par la fermeture, ou par des licenciements, dans des petites et moyennes entreprises dont le rôle est critique sur des bassins d’emplois très segmentés. Une misère néo-rurale, concentrée dans des bourgs ou des gros villages, liée à la fermeture de l’employeur local, est en train de faire tache d’huile en Bretagne. À ce phénomène, qui dure depuis maintenant deux ans est venu s’ajouter la crise spécifique de la filière agro-alimentaire qui entraîne avec elle une partie de l’agriculture. Ce que l’on appelle la « crise de la filière porcine » est le résultat d’un dumping sauvage pratiqué par l’Allemagne abritée derrière l’Euro. Ce dumping est en train de ravager la Bretagne. On le voit avec les problèmes des abattoirs, de sociétés comme Doux et Gad. Ces faillites, et ces fermetures viennent ajouter la misère à la misère ; très souvent c’est un couple et non seulement la femme ou l’homme qui sont employés sans ces entreprises. La fermeture d’un site, souvent l’unique employeur du canton, est une véritable condamnation à mort.
Enfin, goutte d’eau ultime, nous avons l’écotaxe, un impôt fondé sur des principes justes mais tellement mal ficelé qu’il pénalise en premier lieu les producteurs locaux au profit d’un transport autoroutier. De plus, des primeurs qui sont produits à 300-km de Paris vont être plus taxés que des salades ou autres légumes débarquant de l’autre bout du monde par avion à Roissy. C’est bien là toute l’aberration d’un impôt dont la mise en place a été livrée au jeu des lobbys européens et à l’inconséquence de hauts fonctionnaires méconnaissants les réalités locales.
Telles sont les raisons de la révolte qui, après avoir couvée pendant de longs mois, est en train d’exploser en Bretagne. Face à cette révolte, les mesures annoncées par le gouvernement ne sont même pas de l’ordre du dérisoire ; elles sont une véritable insulte à ces milliers de personnes que la politique gouvernementale jette dans la rue et sur les routes, et où elles ne trouvent en face que les CRS et la répression.
Pourtant des solutions sont à la portée de la main du gouvernement. La première d’entre-elle est, bien entendu, la dissolution de zone Euro suivie d’une dévaluation qui seule peut redonner sa compétitivité à l’industrie et à l’économie française. Cette dévaluation rendra inutiles les abattements d’impôts qui sont aujourd’hui nécessaires à la survie de nombreuses entreprises. Sur les 70 milliards que représentent ces diverses « niches fiscales », il devrait être ainsi possible d’en supprimer 30 milliards au moins. Ce gain fiscal important (1,5% du PIB) permettra de réduire le montant d’autres impôts.
Une seconde solution est, bien entendu, une refonte de l’écotaxe afin d’en faire un mécanisme protecteur des productions locales face aux productions à longues distances. Il est insensé que des produits venant de plusieurs milliers de kilomètres payent moins que d’autres qui sont fait quasiment à la porte des consommateurs.
Faute de comprendre l’ampleur du désespoir et la profondeur de la révolte, ce gouvernement et ce Président, dont la popularité est au plus bas et dont la légitimité est aujourd’hui clairement en cause, pourraient bien se réveiller avec une France soulevée contre eux.
Jacques Sapir (RussEurope, 27 octobre 2013)
Notes :