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Points de vue - Page 203

  • Femmes plus petites que les hommes : un complot phallocrato-carniste ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Lemoine, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la polémique autour des origines du dimorphisme sexuel dans les sociétés humaines lancée par une anthropologue féministe du CNRS. Philippe Lemoine est chercheur en logique et en épistémologie.

    Sur le même sujet, on pourra également lire les articles de Peggy Sastre sur Slate :

    Si les femmes sont plus petites que les hommes, ce n'est pas à cause du steak

    Pourquoi autant de médias ont relayé la thèse du «patriarcat du steak»

     

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    Conan, phallocrate carniste des Ages sombres, surpris dans son antre

    par l'anthropologue féministe Priscille Touraille...

     

    Femmes plus petites que les hommes : un complot phallocrato-carniste ?

    C'est un fait que, aussi bien sur le plan physiologique que psychologique, les hommes et les femmes sont différents. Les différences physiologiques sautent tellement aux yeux qu'il ne vient à personne l'idée de les nier. Non seulement les hommes et les femmes ont des organes sexuels différents, mais les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, ont une masse musculaire bien plus importante même en tenant compte du fait qu'ils sont plus grands, etc. L'ensemble de ces différences physiologiques entre hommes et femmes constitue ce qu'on appelle le dimorphisme sexuel.

    Il est plus commun de nier l'existence de différences psychologiques entre les sexes, mais celles-ci sont pourtant également bien établies, notamment sur le plan des traits de personnalité. Mais l'existence de différences psychologiques entre hommes et femmes ne nous dit rien sur leur origine. Elles pourraient être le produit de différences génétiques entre hommes et femmes, de facteurs culturels ayant pour conséquence que les garçons et les filles ne sont pas traités de la même façon, d'une combinaison des deux et/ou d'une interaction subtile entre facteurs naturels et culturels. Les féministes ont tendance à nier l'importance des facteurs naturels et à affirmer que, dans la mesure où il existe des différences psychologiques entre hommes et femmes, elles sont le produit de l'ensemble de forces sociales qu'ils appellent le patriarcat. (Peu importe qu'il semble que, dans les pays où l'égalité entre les sexes est plus importante, les différences psychologiques entre les sexes sont également plus marquées.) Mais c'est beaucoup plus difficile dans le cas du dimorphisme sexuel, qui est généralement présumé être entièrement le fruit de forces naturelles.

    C'est précisément cette idée qu'est venue remettre en cause Priscille Touraille, anthropologue au CNRS, dans un livre publié en 2008. Selon elle, si le fait que les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes s'explique principalement par des différences génétiques entre les sexes, ces différences elles-mêmes sont le produit de facteurs culturels ayant influencé l'évolution de notre espèce. Touraille remarque d'abord que, pour des raisons médicales diverses, les risques de complication pendant la grossesse et l'accouchement sont moins importants chez les femmes plus grandes et leurs enfants ont de meilleures chances de survie.

    D'après elle, les femmes ayant des gènes codant pour une plus grande taille auraient par conséquent dû avoir un succès reproductif plus important et donc transmettre leurs gènes plus souvent, ce qui aurait dû rendre les femmes aussi grandes, voire peut-être même plus, que les hommes. Or, comme nous l'avons vu, ce n'est pas le cas: les hommes sont plus grands que les femmes, bien qu'à des degrés divers, dans toutes les sociétés humaines.

    Pour expliquer ce qu'elle voit comme un paradoxe, Touraille affirme que, dans la plupart des sociétés mais notamment dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs (comme l'étaient nos ancêtres pendant la plus grande partie de l'évolution de notre espèce), les femmes avaient un accès restreint à la nourriture, notamment à la viande que les hommes se réservaient en priorité. Comme les besoins énergétiques d'un individu, peu importe son sexe, sont d'autant plus importants qu'il est grand, les femmes plus grandes avaient de ce fait moins de chance de survivre et de se reproduire.

    Le sexisme des hommes préhistoriques aurait donc créé une pression sélective suffisante pour contrecarrer celle issue du fait que les femmes plus grandes ont moins de complications obstétriques et que leurs enfants survivent plus souvent. Autrement dit, si les hommes de Cro-Magnon avaient lu Judith Butler, les femmes ne seraient peut-être pas plus petites que les hommes aujourd'hui…

    Cette théorie a récemment remporté un grand succès auprès des féministes et fait l'objet d'une couverture médiatique où l'on chercherait en vain le moindre esprit critique. En 2014, Arte a notamment diffusé un documentaire qui présentait cette théorie, qui avait fait l'objet d'une recension dansLe Monde et d'un article de la part de l'AFP. Elle a connu un regain de popularité ces dernières semaines, durant lesquelles elle a notamment été défendue sur RFI, France Inter et Libération. C'est aussi dû à la publication d'un livre de la journaliste Nora Bouazzani, dans lequel elle reprend cette thèse, qui a été recensé favorablement sur Slate,Télérama, etc. et a été présenté par l'auteur dans une vidéo sur le site de l'Obs. Même Françoise Héritier, anthropologue au CNRS (qui avait dirigé la thèse de Priscille Touraille), reprenait cette théorie sans la moindre réserve dans une interview au Monde peu avant son décès.

    Dans tous les cas, pas le moindre doute n'est émis quant à la validité de cette théorie, qui est le plus souvent présentée comme un fait établi. Le moins que l'on puisse dire est que, pour des gens qui nous rebattent les oreilles à longueur de journées au sujet des méfaits supposés du patriarcat, les féministes ont plutôt bonne presse! C'est d'autant plus remarquable que la théorie de Touraille est très loin d'être un fait scientifique établi et que les raisons de douter de sa validité ne manquent pas. Je n'en évoquerai ici que quelques unes, sans prétendre clore le débat, qui de toute façon ne peut pas être réglé dans les pages du Figaro.

    D'abord, la théorie de Touraille repose sur l'hypothèse que chez nos ancêtres les femmes étaient moins bien nourries que les hommes, mais les données dont nous disposons sont assez pauvres à ce sujet. Elle note que, dans beaucoup de sociétés de chasseurs-cueilleurs contemporaines, des chercheurs ont observé que les femmes étaient sujettes à des restrictions alimentaires dues à l'existence de tabous divers et variés, mais ces observations n'ont quasiment jamais donné lieu à des études quantitatives du type qui serait requis pour établir cette hypothèse indispensable à la théorie de Touraille.

    D'autre part, s'il est bien établi que les femmes plus grandes ont moins de complications obstétriques, il ne s'ensuit pas qu'elles ont un succès reproductif plus important. Il est possible que cet avantage qu'ont les femmes grandes soient plus que compensé par des inconvénients qui résultent d'autre part de leur grande taille. En particulier, plus un individu est grand, plus ses besoins énergétiques sont importants. Or, dans la plupart des endroits et à la plupart des époques, les êtres humains ont été confronté à la disette, y compris chez les chasseurs-cueilleurs. Le fait que les femmes petites ont des besoins énergétiques moins importants a donc pu leur conférer un avantage.

    On répondra que, pour la même raison, les hommes petits auraient également dû être avantagés et avoir un succès reproductif plus important. Mais c'est oublier que, contrairement aux hommes, les femmes étaient souvent enceintes ou avec des enfants en bas âge qu'elles devaient allaiter. (D'autant que les infortunées femmes de Cro-Magnon n'avaient pas accès à la pilule.) Or la grossesse et l'allaitement, qui chez l'être humain durent très longtemps, augmentent radicalement les besoins énergétiques de la femme. C'est d'ailleurs l'une des explications qui ont été proposées pour expliquer le dimorphisme sexuel chez les primates.

    En effet, le dimorphisme sexuel n'existe pas que dans notre espèce, mais il est fréquent dans le règne animal. En particulier, chez les mammifères et plus encore chez les primates, les mâles sont généralement plus gros que les femelles. (C'est notamment vrai chez les chimpanzés, nos cousins les plus proches.) Il existe de nombreuses hypothèses pour expliquer ce phénomène, dont certaines pourraient également s'appliquer à l'homme.

    En particulier, d'après l'hypothèse de la sélection sexuelle (qui remonte à Darwin), il y a une compétition entre les mâles pour l'accès aux femelles et, de ce fait, les plus gros sont favorisés par l'évolution car ils ont plus de chances de sortir vainqueurs de combats et/ou d'être choisis par les femelles pour se reproduire. Il y a de nombreuses raisons de penser que la sélection sexuelle explique en partie le dimorphisme sexuel dans notre espèce. D'ailleurs, la théorie de Touraille n'est pas incompatible avec l'hypothèse de la sélection sexuelle, ni avec beaucoup d'autres explications du dimorphisme qui ont été proposées.

    Surtout, même si Touraille avait raison, ça ne nous dirait rien sur le sexisme aujourd'hui. On se doute que les hommes de Cro-Magnon se fichaient pas mal de l'égalité hommes-femmes, mais quand bien même leur sexisme aurait-il contribué au dimorphisme actuel (ce qui est douteux), ça ne prouverait pas l'existence du patriarcat aujourd'hui. La théorie de Touraille, même si elle n'est pas vraie, illustre la façon dont la sélection sexuelle peut interagir avec la culture, ce qui est important et souvent méconnu, mais elle n'aide guère les féministes d'aujourd'hui, sinon à leur donner la satisfaction un peu dérisoire, voire même franchement puérile, de penser que même la différence de taille entre hommes et femmes est un produit du sexisme.

    Philippe Lemoine (Figaro Vox, 26 décembre 2017)

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  • Services publics...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli dans le n°108 d'Antipresse, lettre d'information de Slobodan Despot, dont la nouvelle formule sera disponible en début d'année 2018. L'auteur évoque la dégradation de la qualité des services publics qui va de concert avec l'augmentation de leur coût...

    Auteur de plusieurs essais essentiels comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) ou De l'extermination (Thaël, 1993 puis Xénia, 2013) Eric Werner vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

     

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    Services publics

    Que veut réellement l’État au XXIe siècle? Pour qui roule-t-il? Et pourquoi rafle-t-il toujours plus d’impôts pour fournir toujours moins de prestations?

    Dans la dernière décennie du siècle précédent, l’État décida de se réorganiser pour faire des économies. C’est son développement même qui l’y contraignait. Il devait également faire face à de nouvelles dépenses (à l’international en particulier). Or, pour y parvenir il lui fallait impérativement réduire ses dépenses en certains secteurs. Il aurait pu également, c’est vrai, augmenter les impôts. Ce qu’il fit, d’ailleurs. Mais sa marge de manœuvre en la matière était limitée: trop d’impôt, comme on le sait, tue l’impôt. Il s’employa donc surtout à réduire certaines dépenses.

    On cessa par exemple de considérer que la poste, le téléphone et les chemins de fer étaient des services publics, et qu’à ce titre l’État se devait de veiller à combler la différence entre ce qu’ils coûtaient et ce qu’ils rapportaient. La poste, le téléphone et les chemins de fer devinrent ainsi des entreprises comme les autres, assujetties comme les autres à des critères de profit et de rentabilité. Elles devaient au minimum équilibrer leurs comptes, au mieux dégager une plus-value. Autrefois l’argent allait de l’État aux services publics, maintenant c’était le contraire: il allait de la poste, du téléphone et des chemins de fer à l’État.

    Les personnels furent ainsi invités à travailler plus pour gagner moins. Les cadences augmentèrent, à l’image de ce qui se passait au même moment dans le secteur privé. Les personnels s’adaptèrent, ils n’avaient pas le choix. Certains tombèrent malades, d’autres se suicidèrent. Quant aux anciens usagers, rebaptisés clients, ils furent invités à mettre la main au porte-monnaie. Les tarifs explosèrent, ce que les nouveaux managers (on fait ici référence au «New public management», un courant de pensée issu du néolibéralisme) justifièrent en invoquant la «vérité des coûts». Cela nous a coûté tant, cela vous sera facturé tant. Plus, comme il se doit, un petit bénéfice pour nous permettre «d’investir», autrement dit de récompenser l’État actionnaire en lui versant un dividende. Là encore, les gens s’adaptèrent.

    On a évoqué plus haut la pression fiscale. Normalement, elle aurait dû diminuer, puisque l’État avait renoncé à combler la différence entre ce que coûtaient les services publics et ce qu’ils rapportaient. Mais l’État ne l’entendait évidemment pas de cette oreille. Non seulement les impôts ne diminuèrent pas, mais ils continuèrent régulièrement d’augmenter. Les individus se virent ainsi confrontés à une double hausse: celle des tarifs des services publics, d’une part, de leur feuille d’impôt de l’autre. Les gens acceptèrent.

    Parallèlement, comme on pouvait s’y attendre, on assista à une baisse de la qualité des services fournis. Prenons l’exemple du téléphone. Les technologies ont évidemment beaucoup évolué depuis une trentaine d’années. Tout le monde ou presque dispose aujourd’hui d’un téléphone cellulaire, le plus souvent également d’un smartphone, etc. Le téléphone offre ainsi beaucoup plus de possibilités qu’il n’en offrait il y a une trentaine d’années. Mais tout, en même temps, est devenu beaucoup plus fragile (pour ne pas dire chaotique). C’est le cas même avec le téléphone fixe. Pour réduire ses coûts, l’opérateur Swisscom vient, on le sait, de renoncer à l’ancienne technologie analogique, pour lui en substituer une autre, articulée à Internet. La conséquence en est que le téléphone tombe assez souvent maintenant en panne, ce qui n’était pas le cas autrefois. La péjoration est évidente.

    Mais on en voit aussi la cause. L’ancienne technologie donnait pleine et entière satisfaction. Mais elle coûtait trop cher aux yeux de l’opérateur. Celui-ci lui en a donc substitué une autre moins coûteuse, mais aussi plus fragile. Le résultat est là. On ne se demande plus si quelque chose fonctionne ou non, mais si les technologies qu’on utilise contribuent ou non à accroître le bénéfice de l’entreprise. A terme, il est probable que le téléphone fixe sera purement et simplement supprimé. Il rapporte en effet beaucoup moins aux opérateurs que le téléphone portable. Il sera alors temps de dresser un bilan, et pour cela de comparer le champ de ruine ainsi créé à l’excellent réseau téléphonique des années 70 et 80 du siècle passé, réseau auquel 90 % des gens étaient alors raccordés. L’ancien appareil à cadran manuel était simple, rudimentaire, mais au moins fonctionnait-il.

    On parle aujourd’hui beaucoup du train: trains en retard, supprimés, immobilisés, etc. Les dysfonctionnements aujourd’hui observés sont systémiques. Ils tiennent fondamentalement au fait que les autorités encouragent les gens à habiter de plus en plus loin de leur lieu de travail, et donc à prendre de plus en plus le train. Or les infrastructures n’ont pas suivi. D’où les dysfonctionnements actuels. L’actuel réseau ferroviaire est saturé. On pourrait être tenté d’incriminer l’incompétence des responsables, leur imprévoyance, etc. Mais on pourrait aussi dire qu’ils ont toujours su très bien ce qu’ils faisaient. Créer des infrastructures coûte cher.

    Cela interpelle sur ce qu’est aujourd’hui l’État. Sur ce qu’il est et sur ce qu’il veut. L’État ment, disait Nietzsche. «Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche: «Moi, l’État, je suis le Peuple». [1] L’État n’est évidemment en rien le Peuple. Il est l’État. Quoi qu’il dise ou prétende, il ne se soucie en rien non plus du Peuple. De quoi alors se soucie-t-il? De lui-même, tiens donc. De lui-même et de rien d’autre. Il est à lui-même sa propre fin. Tout ce qu’il fait et entreprend, il le fait d’abord pour lui-même. Nietzsche encore: «L’État ment dans toutes ses langues du bien et du mal; et dans tout ce qu’il dit, il ment – et tout ce qu’il a, il l’a volé. Tout en lui est faux; il mord avec des dents volées». Ce qui se passe aujourd’hui est donc normal, on ne peut plus normal. Le «New public management» n’a rien inventé. Il met simplement en forme, juste en forme, ce qui est la manière normale et habituelle d’agir de l’État.

    Voilà ce que les gens devraient se dire quand, par exemple, pauvres pendulaires en attente d’un train qui ne vient pas, ils gèlent sur un quai de gare en consultant leurs mails professionnels.

    Encore une fois, ce qui frappe, c’est la résignation générale. Les gens avalent tout, acceptent tout. Ils croient aussi tout ce que l'État leur raconte. On pourrait se demander pourquoi: pourquoi une telle propension à la résignation? La lassitude est peut-être une explication. Peut-être aussi l’absence de perspective. L’inculture empêche de porter une appréciation articulée sur ce qui est acceptable ou inacceptable. On manque de points de comparaison. N’oublions pas non plus la peur. Les gens ont peur des autorités. Et donc se taisent. C’est aussi une explication possible.

    Eric Werner (Antipresse n°108, 24 décembre 2017)

    NOTE

    1. Ainsi parlait Zarathoustra, I, «De la Nouvelle Idole» (Œuvres complètes, t. II, Bouquins, Robert Laffont, 1993, p. 320).
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  • Le retour de l'Autriche-Hongrie...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 21 décembre 2017 et consacrée à la mise en place du gouvernement d'alliance entre la droite et l'extrême droite en Autriche...

     

                                    

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  • Bruxelles, un chaudron multi-ethnique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain Destexhe, sénateur belge de centre-droit, cueilli sur Figaro Vox et consacré aux violences ethno-communautaires qui secouent désormais régulièrement la capitale belge...

     

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    Bruxelles, un chaudron multi-ethnique

    La publication par toute la presse belge ce jeudi 14 décembre, des portraits de neuf individus recherchés par la police pour leur participation aux émeutes du mois dernier à Bruxelles est une gifle aux journalistes des media traditionnels qui s'obstinent à refuser de voir le caractère ethnique des émeutes à répétition qui secouent la capitale de l'Europe.

    Neuf portraits, neuf jeunes, blacks ou de type méditerranéen comme disait encore il y a peu la police, tous d'origine extra européenne et assez peu représentatifs, statistiquement, d'une population d'origine européenne. Tous recherchés pour destruction de mobilier urbain, pillages de magasins et agressions contre des policiers. Des faits criminels d'un nouveau genre, apparus il y a quelques années, qui n'étaient pas concevables, jadis, dans la ville de Jacques Brel.

    Impossible cette fois de nier l'évidence de l'origine des auteurs: ce sont les photos communiquées par la police qui l'attestent. Unanime, la presse refuse pourtant de qualifier correctement les faits et leurs auteurs autrement que de «jeunes». Lorsque nos médias emploient ce terme, le commun des mortels comprend désormais et ajoute mentalement «d'origine étrangère». Des jeunes «Belges», sans doute puisqu'on a naturalisé à tour de bras, mais qui ne sont pas perçus par la population majoritaire comme faisant partie de la communauté nationale.

    Pourtant, il ne fallait pas faire un grand effort d'imagination pour voir que cette violence est d'origine communautaire ou ethnique. Ainsi le 20 octobre dernier, à la porte d'Anderlecht, ville du célèbre club de football, une centaine de migrants syriens et des jeunes (Belgo-marocains) s'affrontaient dans la rue pour le «contrôle de l'espace public du quartier», notamment la jouissance d'un parc public.

    Le 11 novembre, c'est à la suite du match Côte d'Ivoire-Maroc que le centre ville s'enflammait. L'incitateur de ces émeutes avait posté, la veille sur Facebook ce message: «On va tout cramé à Lemonnier Maroc city». Lemonnier, c'est le nom du boulevard en question mais l'expression «Maroc city» peut-elle signifier autre chose qu'une volonté de s'approprier, au moins pour un soir, ce territoire? Cela n'a pas empêché un député écologiste de déclarer le plus sérieusement du monde à la télévision qu'on ne connaissait pas l'origine des émeutiers!

    Quatre jours plus tard, sur la place de la Monnaie, un symbole de l'indépendance de la Belgique, de jeunes immigrés semaient à nouveau la panique et pillaient des commerces en plein centre-ville, à l'occasion de la venue de Vargasss92, un Youtubeur français prénommé Mansour («béni de Dieu pour être victorieux»). Le 10 décembre, c'est un jeune roumain de 29 ans qui est décédé au métro Bockstael à Laeken, après une bataille rangée entre bandes rivales dans les couloirs de la station. Plusieurs Roumains ont été arrêtés.

    Un peu plus tôt, le 28 novembre, c'est à la suite d'une manifestation contre l'esclavage, rassemblant surtout des Africains dans le haut de la ville, près du quartier de Matongé (du nom d'une commune de Kinshasa), que des «jeunes» s'en sont pris aux commerces et aux forces de police. Arrivé peu après sur les lieux, policiers et témoins me confirmèrent que les fauteurs de troubles - une centaine de personnes - étaient tous des jeunes noirs, mais peut être s'agissait-il d'un groupe de skinheads qui s'était déguisé en pères fouettards pour semer le doute, au moins dans l'esprit des journalistes.

    A propos de skinheads, je n'ai aucun souci à reconnaître qu'il s'agit d'un phénomène violent qui concerne presque exclusivement des individus «de race blanche» et je ne me sens nullement offensé, stigmatisé ou victime d'amalgames, pour reprendre les expressions médiatiquement consacrées, si on le décrit comme tel.

    Car ces nouveaux phénomènes d'émeutes, de cocktails Molotov lancés contre des commissariats, de policiers victimes d'embuscades, de pompiers empêchés d'intervenir, de contrôleurs de la société de transport public tabassés, de bandes urbaines, de zones de non droit,… sont tous et toujours reliés aux conséquences de la politique d'immigration incontrôlée que la population belge a subie depuis 30 ans, sans jamais avoir la possibilité d'en débattre. Décrire ces nouveaux types de délinquance sans les relier à l'immigration et à l'échec de l'intégration est en soi une désinformation.

    Le système médiatique n'autorise à nommer correctement les choses que lorsqu'il s'agit de le présenter sous l'angle de la victimisation. Ainsi, lors d'une émission de la RTBF (la chaîne publique) consacrée aux émeutes, seule l'invitée voilée d'origine immigrée, a été autorisée à parler de «la jeunesse issue de l'immigration marocaine, maghrébine, disons de confession musulmane» pour dénoncer son «abandon». Le même discours, s'il était tenu par un politique belgo-belge pour caractériser les délinquants aurait été qualifié de «grave dérapage».

    Puisqu'il s'agit de faits pourquoi ce refus de parler de «jeunes Maghrébins», de «jeunes noirs», de «jeunes Congolais», lorsque, régulièrement des opposants au régime du président Kabila créent des troubles à Bruxelles?

    Sans doute parce que l'intégration des communautés étrangères a totalement échoué, même si beaucoup d'individus l'ont réussie.

    Sans doute parce qu'il ne faut pas admettre que Bruxelles, est une poudrière incontrôlable, qui commence a ressembler à ce hell hole (trou d'enfer) décrit par Donald Trump, expression que, curieusement, la presse belge a traduite de manière créative par «trou à rats».

    Sans doute parce qu'il faut nier que Bruxelles est une juxtaposition de communautés qui vivent entre elles, sans rien partager, ne lisant plus les mêmes journaux, ne regardant plus les mêmes chaines de télévisions et ne célébrant plus les mêmes fêtes. Et qu'il faut masquer cette triste réalité à grand renfort de slogans comme le «vivre ensemble» ou de couteuses campagnes célébrant la «diversité» ;

    Sans doute parce qu'il ne faut pas nommer la grande responsable, l'immigration incontrôlée, tellement massive qu'elle empêche l'intégration, une immigration voulue par des dirigeants de presque tous les partis politiques pressés de vivre dans le paradis multiculturel et de jeter par dessus bord l'ancien monde de la «Belgique de papa».

    Sans doute parce qu'il faut minimiser l'exode des classes moyennes d'origine belge (mais aussi d'origine immigrée plus ancienne) qui cherchent par tous les moyens à fuir certains quartiers de la capitale et sont contraintes de s'exiler en Flandre ou en Wallonie.

    Sans doute parce que nul ne sait que faire face à la montée en puissance inquiétante de l'islam et de l'islamisme alors que le reste de la société belge est de plus en plus sécularisée.

    Sans doute aussi parce que Bruxelles est une ville en voie de paupérisation avec un revenu par habitant qui diminue où 90% des allocataires sociaux sont d'origine immigrée.

    Enfin et surtout parce qu'il faut masquer l'échec total de la gestion du Parti socialiste au pouvoir dans la région bruxelloise depuis… 28 ans sans interruption.

    Alain Destexhe (Figaro Vox, 20 décembre 2017)

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  • Dr. Emmanuel et M. Macron : chronique d'une imposture écologique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Joachim Imad cueilli sur Figaro Vox et consacré à la politique d'Emmanuel en matière d'écologie. l'auteur est vice président de l'association Critique de la Raison européenne.

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    Dr. Emmanuel et M. Macron : chronique d'une imposture écologique

    Avec l'ouverture ce mardi à Paris du sommet pour le climat, Emmanuel Macron réaffirme son ambition de faire de la France un acteur décisif sur la question écologique. Ce projet trouve ses racines dans son intention consistant à «Make our planet great again», exprimé habilement suite au retrait du président américain Donald Trump de l'Accord de Paris. Si nous ne pouvons que déplorer la décision de ce dernier, il importe tout de même d'admettre que malgré sa puissance symbolique indéniable, l'Accord de Paris demeure largement insuffisant pour espérer endiguer le processus de destruction de notre planète. Cette destruction menace l'Homme lui-même et des experts estiment que près de 200 millions de personnes seront considérées comme des déplacés environnementaux, mais l'indifférence sur ce sujet semble généralisée. Brandir l'étendard du bien en se posant comme le défenseur de l'Accord de Paris comme le fait Emmanuel Macron est moralement coupable en plus d'être concrètement inefficace. Une telle posture vise certainement à nous aveugler sur ses incohérences en matière écologique. Il est en effet légitime de craindre que la sensibilité écologique revendiquée d'Emmanuel Macron, relativement nouvelle et probablement opportuniste, ne finisse par se heurter à son adhésion sans faille à l'Union européenne et à la mondialisation néolibérale. Emmanuel Macron n'échoue jamais à afficher son européisme béat comme nous l'avait montrée la cérémonie de célébration de sa victoire à la présidentielle, placée sous les auspices de l'hymne à la joie. Pourtant, l'Union européenne telle qu'elle est construite et pensée idéologiquement est incompatible avec tous les engagements qu'il conviendrait de prendre pour défendre un programme résolument écologique et capable de sauver notre «maison commune».

    L'Union européenne est tout d'abord anti-écologique de par son ADN authentiquement libéral. L'Acte Unique de 1986, qui sanctifie la libre-circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, représente la quintessence de cette vision du monde, tout comme l'ensemble des traités qui l'ont suivi et n'ont en rien abdiqué cette croyance folle aux vertus de la circulation sans limites.

    L'Union européenne acte le refus d'un modèle de société fondé sur la réhabilitation du local et des circuits courts, pourtant davantage respectueux des savoir-faire des producteurs et dont le rôle est salvateur pour nos terroirs comme pour l'environnement. L'UE soutient même une philosophie fondamentalement antithétique à l'écologie en ceci que ses règlements et les traités de libre-échange qu'elle promeut, à l'instar du CETA qui est déjà appliqué sans pourtant avoir été ratifié par la France, imposent une distance toujours plus accrue entre le producteur et le consommateur et promeuvent des modèles de production allant toujours plus loin en matière d'élevage intensif.

    La construction de la ferme-usine des 1000 vaches en Picardie était déjà suffisamment inquiétante, mais plus rien ne semble en mesure de s'opposer à la marche néo-libérale de l'Europe lorsque l'on découvre l'existence d'une ferme industrielle aux 2000 vaches à Kemberg en Allemagne. Une telle course au gigantisme, qui consacre par ailleurs notre droit à traiter l'animal comme un produit à l'usage des besoins humains et à le soumettre à l'inquiétante ivresse de notre toute-puissance, est évidemment encouragée par les traités de libre-échange qui poussent au nivellement par le bas des normes mais aussi par la logique de la PAC. L'attribution des aides de la PAC dépend en effet du nombre d'hectares et pousse donc inexorablement les exploitants agricoles à agrandir leurs fermes. Cela va évidemment de pair avec le développement de modes de production qui contaminent l'environnement, notamment en raison de l'emploi d'engrais et pesticides très concentrés et nocifs. L'agriculture fait figure d'exemple parmi tant d'autres des erreurs funestes de l'Union européenne en matière d'écologie, mais c'est bien la logique de libre-échange qui lui est inhérente qui constitue le fond du problème. Emmanuel Macron ne compte aucunement revenir sur ce postulat fondateur des traités européens. Pire encore, il y souscrit.

    Le deuxième problème majeur que pose l'Union européenne à tout écologiste convaincu réside dans le poids pris par les lobbies dans ses institutions et dans ses cercles de décisions. Comme l'a brillamment montré la juriste Anne-Marie Le Pourhiet, la Commission européenne est ainsi courtisée par des lobbies de grandes entreprises qui manœuvrent dans l'ombre afin de défendre des intérêts privés, par essence, contraires à l'intérêt général, et particulièrement à l'intérêt de la planète.

    Les débats sur l'interdiction du glyphosate, un herbicide particulièrement controversé, ont constitué une démonstration probante de la tyrannie des lobbies à Bruxelles. Nous savons à présent que l'agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) a copié-collé, dans son rapport sur le glyphosate, plus d'une centaine de pages émanant d'un document produit directement par Monsanto, une entreprise américaine qui utilise du glyphosate pour produire son produit phare, le Roundup.

    Cependant, le refus de voir le réel semble être la chose la mieux partagée au monde par les dirigeants européens. Quiconque s'interroge sur la prégnance des lobbies dans l'Union européenne ou encore sur l'existence de conflits d'intérêts, qui conduisent souvent à sacrifier les intérêts de la planète par ailleurs, est immédiatement voué aux gémonies au nom de l'accusation de complotisme. Emmanuel Macron, s'il était sincèrement animé de la sensibilité écologique qu'il prétend porter, dénoncerait le poids des lobbies à Bruxelles. Il ne le fera pas, pas plus qu'il ne le fait à l'échelle nationale. Cela n'est évidemment pas une surprise lorsque l'on connaît le poids des intérêts privés et des grandes fortunes dans sa campagne, mais n'en reste pas moins grave pour autant. Entre l'Union européenne et sa promesse d'interdire le glyphosate en France d'ici trois ans, Emmanuel Macron choisira certainement la première pour ne pas risquer toute querelle avec les commissaires européens.

    Au-delà des pudeurs, voire de la servitude, d'Emmanuel Macron sur la question européenne, on peut regretter que son entourage soit traversé par des contradictions irréconciliables. La nomination au ministère de l'écologie de Nicolas Hulot aurait pu être de bon augure, mais la ligne qu'il incarne semble de plus en plus marginalisée, ce qui n'est pas surprenant lorsque l'on mesure l'étendue des différences qui l'opposent au Premier ministre Edouard Philippe, l'ancien directeur des affaires publiques d'Areva.

    Le projet du président français de prendre la tête du mouvement écologique au niveau mondial n'est rien d'autre qu'une façade idéologique, un excellent coup de communication, discipline dans laquelle Emmanuel Macron règne en maître. Son hypocrisie sur la question écologique est à l'image de sa gouvernance de la France, entièrement fondée sur l'ambivalence et l'ambiguïté, la volonté de satisfaire toutes les sensibilités intellectuelles, par la manipulation sémantique. Après avoir théorisé l'idée de souveraineté européenne sans demos européen, Macron nous vend l'écologie libre-échangiste comme nouvelle fin de l'histoire. Le monde décrit par George Orwell n'est jamais bien loin.

    Emmanuel Macron espère en effet s'appuyer sur des mesures techniciennes, sur les progrès de la science et sur le bon vouloir des entrepreneurs pour régler le drame écologique dont notre terre est le théâtre. Il refuse néanmoins d'interroger les idéologies et le rapport fou à la consommation qui encadrent la vie des habitants des sociétés occidentales. Il existe une contradiction fondamentale entre la philosophie libérale qui l'anime et l'écologie politique. Tandis que le libéralisme repose sur le refus de toute entrave au marché, au nom du dogme de la concurrence libre et non faussée, l'écologie est conservatrice par essence et nous invite à nous donner des limites. Or notre société se meurt précisément du fait qu'elle a oublié l'idée chère à Aristote de juste mesure et criminalise toute éthique de la transmission.

    L'urgence n'est plus au changement ou à la recherche effrénée de croissance, mais à la modestie et à l'acceptation de la finitude du monde et de l'homme lui-même. Une formule somptueuse d'André Thérive gagnerait à être méditée de tous, tant elle s'applique à l'écologie: «Ce que nous voulons poser par simple prudence, c'est le mécanisme du frein. La pente n'a pas besoin de défenseur.» Nous sommes cependant en droit de douter qu'Emmanuel Macron, comme la Commission européenne, qui se rejoignent dans une même soumission à l'hubris, sauront se montrer à la hauteur de l'histoire et tirer les leçons que l'urgence de la situation climatique rend pourtant indispensables.

    Joachim Imad (Figaro Vox, 15 décembre 2017)

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  • Trump : la fin du soft power U.S. ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog Huyghe.fr et consacré à la fin de la suprématie des Etats-Unis dans le domaine du soft power. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information et directeur de recherches à l'IRIS, François Bernard Huyghe a publié récemment La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et, dernièrement, Daech : l'arme de la communication dévoilée (VA Press, 2017).

     

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    Trump : la fin du soft power U.S. ?

    Trump peut-il détruire le soft power américain ? Dans tous les cas, il suffit d’ouvrir un journal ou une télévision n’importe où dans le monde pour être au courant de sa provocation quotidienne, des manifestations ou des déclarations qui se déchaînent contre lui, des indignations qu’il suscite. Nixon au moment des bombardements du Vietnam ne provoquait pas plus de rejet, ou, pour employer un mot à la mode, n’était pas plus clivant. Et le contraste entre les mois Trump et les années Obama, dont le passage en France vient de montrer l’incroyable popularité hors frontières souligne le contraste.

    Bien entendu, que l’image d’un homme ou d’une politique repousse n’implique pas que l’on parle moins anglais à travers le monde, que l’on porte moins de Nike ou que l’on programme moins de blockbusters, ni même que nos mœurs politiques ou autres s’américanisent moins en profondeur comme le montre Régis Debray dans Civilisation. Mais, si l’on considère que le soft power comprend un volet d’attraction spontanée, celle d’un mode de vie, d’une culture, des goûts des populations(au sens du mainstream, de ce qui plaît à tout le monde, sur toute la planète) mais aussi une part de stratégie délibérée de séduction, de réseaux et de persuasion, le second volet fait singulièrement défaut.

    Au-delà du caractère d’un homme ou de l’image d’une politique, l’influence ne se réduit pas au fait d’être gentil ou de bien communiquer.
    Comme on le sait, le terme « soft power » a été « inventé », ou au moins popularisé, par Jospeh Nye dans un livre de 1990, Bound to Lead.

    L'émergence de ce concept-valise dans cette période s'inscrivait dans un contexte de soulagement (disparition de l’ennemi) et d'optimisme (la mondialisation heureuse). Il fait la synthèse d'une pluralité d'éléments :

    - l'assimilation des industries culturelles américaines à un modèle universel : l'irrésistible attirance du contenu "mainstream" prolonge la prédominance politique et économique de l'hyperpuissance

    - l'exemplarité du mode de vie US, que l'on cherche à imiter partout sur la planète, l'admiration pour une société ouverte et prospère

    - plus largement encore, la notion qu'une sorte de sens de l'histoire qui menait l'humanité à adopter un même modèle politique, économique et culturel, favorisé par la fin de la grande confrontation Est Ouest et par l'émergence des nouvelles technologies

    - le triomphe des valeurs occidentales confirmé par leur victoire contre le communisme

    - et la stratégie qui semblait en découler : chercher le plus possible à obtenir le consensus, l'alliance et le soutien de autres nations. Bref, ne pas se montrer autoritaire pour rester séduisant.

    Le tout repose sur deux éléments : l'absence de réelle compétition face à un modèle présumé triomphant, et la fin inéluctable de l'hostilité. Contrairement à la vision volontariste et agressive de la diplomatie publique antérieure (la lutte idéologique contre le communisme menée depuis les années 60 sous l’étiquette « diplomatie publique »), il ne s’agissait plus de gagner une compétition entre deux visions du monde ou de déstabiliser l'autre, mais d'assurer paisiblement une transition heureuse sur fond de pax americana. De ne pas contrarier un mouvement auquel tendent les lois de l'économie et de la technique (via la révolution de l'information ). Et d'attirer encore davantage vers ce que tous tendent naturellement à admirer.

    Le 11 septembre bouleversa tout. Autant que la révélation de sa fragilité, l'Amérique fut frappée par le retour du tragique et du conflit. La figure de l'Ennemi revient et avec elle le principe de compétition idéologique. Dans un réflexe presque pavlovien, l'une de premières réactions de l'administration Bush fut de recréer un sous secrétariat d'État à la Diplomatie Publique. Ses missions : répondre à l'angoissante question "Mais pourquoi nous haïssent-ils ?", rétablir l'image de l'Amérique en lançant de nouveaux médias arabophones cette fois (et, modernité oblige quelques sites Internet), mener une politique de séduction envers le monde arabe en séparant ceux avec qui l'Amérique a "des valeurs communes" de "ceux qui haïssent notre liberté et notre mode de vie". Plus tard, on s’essaiera au contre-discours et à la déradicalisation comme réponse psychologique à un problème géopolitique. On commencera aussi à pratiquer quelques interventions pour soutenir des mouvements politiques de type révolutions de couleurs qui devaient liquider les derniers autocrates de la planète, avec de l’argent, des médias et une formation à l’activisme non violent.

     Les schémas de guerre froide trouvent une nouvelle jeunesse dans une perspective de guerre au terrorisme (que l'administration Obama rebaptisera pudiquement "combat contre l'extrémisme violent"). Avec la même notion sous-jacente d'un malentendu : si les gens nous connaissaient vraiment, ils nous aimeraient. L'anti-américanisme est évoqué en termes de "misperception", comme si tout était affaire de mauvaise compréhension. Une bonne communication « basée sur les faits », qu’elle passe par des chaînes internationales ou par les réseaux sociaux (où va se déployer une diplomatie numérique) doivent y porter remède.

    Durant les années Obama, l’image du personnage - celle qui lui permet, par exemple, d’avoir été le président américain qui a fait le plus de guerres et le plus longtemps pendant ses mandats tout en ayant la réputation d’être l’archange de la paix - occulte bien des choses.

    D’abord la multiplicité des acteurs qui s’essaient au jeu du soft power. Les autres grandes Nations qui adoptent des stratégies d'image (on parle désormais de "Nation branding") et de communication. La prolifération des chaînes internationales d'information (y compris qatarie, saoudienne, vénézuelienne, russe...) en est un bon symptôme. La Chine, la Russie adoptent les mêmes méthodes : développement de médias internationaux, réseaux d’influence, protections de leur espace Internet et intervention sur celui des autres.

    Mais les États ne sont pas seuls à jouer le nouveau jeu : les lobbies internationaux, les mouvements d'idées, les ONG, les groupes activistes transnationaux, etc. sont aussi entrés en lice avec des moyens de dénonciation, d'inspiration, de mobilisation jusque là inconnus. Ils sont désormais à même d'imposer leur thématique, leurs débats, leurs exigences à des États courant souvent derrière l'évolution de l'opinion pour reprendre le contrôle de leur agenda et l'initiative politique. Même les mouvements terroristes (après tout le terrorisme, "propagande par le fait" est aussi un moyen d'influence) fonctionnent avec des moyens d'expression nouveaux que ce soit sur le Net ou à travers des médias classiques (voir le Hezbollah se dotant d'une chaîne de télévision par satellite).

    - Les réseaux numériques perturbent la donne. En interne, ils affaiblissent le contrôle des États : la critique venue de l'extérieur ou de l'intérieur, l’appel à la résistance et à l’action se développent avec le Web 1.0 puis 2.0. Tandis que dans le camp des démocraties, le discours officiel est contredit par le journalisme citoyen, la fuite ou le "whistle blowing" (de la circulation des images de sévices à Abou Graibh aux révélations à très grande échelle de Wikileaks). La tendance lourde d'Internet s'est exaspérée (une capacité de communiquer avec la planète entière à la portée de chacun, pourvu qu'il parvienne à mobiliser les réseaux de l'indexation, de la citation, de la recommandation etc, qui permettront à son message d'émerger et d'attirer l'attention de l'opinion en situation de surinformation). Du coup, ce qui enchantait l’Occident au moment du printemps arabe - l’État ne peut contrôler l’expression, les réseaux se jouent des frontières, l’information est produite par tout un chacun, émetteur et prescripteur à la fois - change de signe au moment de l’Ukraine et surtout de l’année de l’élection présidentielle US. C’est désormais la subversion 2.0 que l’on craint.

    Avec la propagande djihadiste, les États-Unis ont découvert la résistance de croyances « archaïques » face aux effets sophistiqués des machines à produire du consensus global. En clair le fondamentalisme islamique se renforce du spectacle de nos démocraties et de nos modes de vie. Et, surprise, voilà que se développent des courants populistes, des idéologies « illibérales », assumées à l’est de l’Europe, et que la Russie recommence à exercer attraction et influence hors de ses frontières.

    Le phénomène arroseur arrosé culmine en 2016 et 2017 quand l’appareil d’État américain se met à dénoncer la désinformation et les manipulations que subiraient les U.S.A. L’ingérence venue du froid est devenue une machine à expliquer la conduite des peuples qui votent mal (Brexit, Trump, Catalogne)... Moscou utiliserait conjointement les réseaux humains (sa cinquième colonne) et les réseaux virtuels pour répandre théories conspirationnistes et fake news. Pire, les Russes attaquent sur tous les fronts (cela s’appelle la guerre hybride) : interventions militaires et soutiens à des gouvernements ou mouvements armés, propagande par des médias internationaux (Russia Today et Radio Spoutnik), trolls et pirates en ligne, intrusions dans les ordinateurs du Parti démocrate ou de Macron pour faire fuiter des informations compromettantes, alimentation des réseaux de fausses nouvelles...

    Que Trump se fiche du soft power, c’est une évidence. Il s’adresse bizarrement à son électorat, à des gens qui hurlent de joie chaque fois qu’il choque les médias et les élites, des gens qui l’ont, après tout, élu sur un programme isolationniste. Mais derrière Trump cause, il y a Trump symptôme. Celui d’une Amérique qui avait déjà perdu le monopole des moyens et de l’ambition de séduire la planète. Idéologiquement, en tout cas.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 6 décembre 2017)

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