Entretien de la revue Rébellion avec David L'Epée
Quelle a été la genèse de la publication de cette brochure ?
Ayant ces dernières années publié plusieurs articles courts consacrés à la Corée du Nord1, j’avais commencé de travailler sur un article de fond, plus fourni, sur l’histoire de ce pays hors du commun et notamment l’histoire de son modèle économique très particulier. Un article que je souhaitais proposer à Rébellion car, comme le savent bien certains de nos collaborateurs – je pense notamment à notre ami Thibault Isabel qui, comme moi, use et abuse de ce privilège ! – cette revue a sur les autres l’avantage d’offrir de larges plages d’expression à ses contributeurs, ce qui permet de publier des articles longs, prenant le temps d’aller au fond des choses et de faire des analyses poussées qui seraient impossibles sur le modèle court d’une chronique d’une ou deux pages. Seulement, il s’est avéré que cet article, même découpé en parties, n’était pas publiable en l’état dans la revue, que j’avais cette fois vraiment dépassé les bornes… C’est pourquoi Olivier Gnutti et Louis Alexandre m’ont proposé de publier ce texte sous forme de brochure (un peu sur le même modèle que celle qu’ils avaient fait paraître quelques années auparavant sur Costanzo Preve2), additionné de deux autres textes consacrés, eux, au socialisme chinois.
De la revue à la brochure on peut dire en quelque sorte que la boucle est bouclée car un de tes premiers articles publié dans Rébellion parlait, déjà, de la Chine.
Il s’agissait en effet d’une série de réflexions que nous avions publiées sous le titre Chroniques chinoises3 et que j’avais écrites à mon retour d’un séjour d’un an dans l’Empire du milieu. J’étais revenu de ce long voyage avec le manuscrit d’un livre, Les Enfants de Yugong (sous-titré Comment la Chine déplace les montagnes), que j’avais présenté à plusieurs éditeurs – j’en profite ici pour remercier Slobodan Despot, des éditions Xénia, qui m’avait donné quelques bons conseils – mais qui n’est finalement pas sorti, du fait que j’étais alors pris par un certain nombre d’affaires (j’étais encore, je le confesse, en pleine période militante…). Au dire des deux éditeurs qui avaient manifesté de l’intérêt pour mon manuscrit, il avait le défaut de coller à une actualité trop précise, celle de la Chine du gouvernement Hu Jintao, plongée dans la préparation des Jeux Olympiques de 2008. C’était donc un livre à sortir immédiatement ou jamais, et je n’ai pas su réagir assez vite – ce qui ne m’attriste pas plus que ça car ce livre avait, je m’en rends compte en le relisant aujourd’hui, beaucoup de défauts, et si j’avais à le réécrire, j’en ferais quelque chose de bien différent. Je me souviens d’une phrase de Sartre, que m’avait cité un de ces deux éditeurs, qui dit que la littérature d’actualité, c’est comme les bananes : ça doit se manger sur l’arbre. Je suis assez d’accord avec ça.
Y a-t-il un rapport avec ce manuscrit non publié et les deux textes de ta brochure consacrés au socialisme chinois ?
Indirectement oui. Un de ces textes est la transcription partielle d’un entretien que j’ai donné à mon retour de Chine dans l’émission La Radio Vraiment Libre (RVL) au micro de mon ami Patrick Berger4 qui, si je ne m’abuse, occupait encore à l’époque des fonctions dans une cellule locale du PCF. Je m’en souviens très bien, nous avions enregistré l’émission à Saint-Ouen et j’avoue que, revenu depuis peu dans notre chère Europe multi-kulti, le contraste visuel entre Pékin et Saint-Ouen était assez frappant ! L’autre texte, qui est un texte de fond, et que j’ai intitulé Parti de rien, parti de tous (tout le monde n’a pas le talent du Canard enchaîné pour trouver des titres accrocheurs !), est la version réécrite d’un chapitre de mon livre consacré à la doctrine économique du Parti communiste chinois. Un texte qui n’est pas à consommer comme une banane hors saison mais plutôt comme une nature morte, une sorte d’arrêt sur image de l’état des forces et des divisions du Parti à un moment donné, celui de l’année 2006-2007, période durant laquelle j’ai pu constater sur place ce qu’il en était, faire mes propres recherches et rencontrer plusieurs acteurs du milieu politique, syndical et associatif. Ce recul temporel me donne maintenant davantage d’assurance dans les hypothèses que je posais alors (notamment celle des rapports stratégiques entre le développement social de la Chine et sa montée en puissance au sein de la mondialisation) et qui semblent s’être vérifiées grosso modo. Je serais par contre incapable de faire ce même type d’analyse pour la Chine actuelle, celle de la présidence Xi Jinping, c’est encore trop tôt et il me paraît vraiment difficile d’y voir clair pour le moment. Peut-être dans quelques années…
Tu parles de la Chine en t’appuyant sur ta connaissance personnelle du pays mais tu ne peux pas en dire autant de la Corée du Nord…
C’est vrai, et cette inexpérience pratique est peut-être le talon d’Achille de cette brochure. J’ai beaucoup étudié la question du socialisme nord-coréen (« socialisme » auquel il faudrait dans l’idéal ajouter beaucoup de guillemets, comme le comprendront mes lecteurs) mais je n’ai de ce système très étrange qu’une connaissance théorique. Raison pour laquelle, comme journaliste, je proposerai bientôt à Rébellion un entretien avec quelqu’un qui s’est rendu il y a quelques mois en Corée du Nord, que j’ai rencontré récemment et qui a bien voulu me confier son témoignage – un témoignage assez étonnant comme vous le verrez. Cela étant dit, j’envisage de plus en plus sérieusement d’entamer les démarches nécessaires pour me rendre moi-même là-bas, dans des conditions qui restent à définir. Je ne suis ni un zélateur ni un ennemi du régime, juste un observateur curieux et donc forcément attiré par les zones troubles, ces espaces irréductiblement autres qui semblent à première vue échapper à ce qu’on nous présente comme l’histoire en marche. Mon tout premier article publié en Suisse à mon retour de Chine s’appelait d’ailleurs L’exotisme au cœur de la mondialisation5. Une sorte de quête personnelle à laquelle je reviens toujours…
Note :