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Géopolitique - Page 52

  • Un homme à abattre ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article consacré à la crise syrienne, traduit par les soins du site Euro-synergies et publié à l'origine par la revue autrichienne de tendance nationale-libérale Zur Zeit.

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    Les Américains veulent absolument imposer un “changement de régime” en Syrie. Leurs principales motivations? Des intérêts économiques et un soutien à Israël!

    Le sol devient de plus en plus brûlant sous les pieds du leader syrien Bachar El-Assad. Fin mars, un sénateur américain très influent, John McCain, a demandé que les Etats-Unis et l’Europe soutiennent militairement les rebelles syriens: “Ils méritent notre soutien et le soutien de la communauté internationale pour pouvoir riposter aux attaques du régime”, a affirmé le candidat républicain à la présidence lors des élections de 2008.

    Le gouvernement d’Obama songe aussi à intervenir militairement. Jusqu’à présent, on mise encore et toujours sur la pression diplomatique et politique à exercer contre Damas. Mais, comme l’a laissé entendre le ministre américain de la défense, Leon Panetta, lors d’une audience au Sénat, “on songe à de possibles démarches complémentaires (...), y compris d’éventuelles interventions militaires, si nécessaire”. C’est clair: les Américains refusent, en ultime instance, de tenir compte de la déclaration du conseil de sécurité de l’ONU, appuyée par la Russie et par la Chine. Cette déclaration demande au gouvernement syrien et aux rebelles de réaliser sans délais le plan de paix de l’envoyé spécial Kofi Annan. Ce plan de paix prévoit un armistice, l’envoi d’aide humanitaire et l’ouverture d’un dialogue entre le gouvernement et les adversaires du régime.

    Washington, en revanche, ne veut pas abandonner l’objectif que les Etats-Unis se sont fixé une fois pour toutes; ils veulent tout bonnement un “changement de régime” à Damas, comme le confirme par ailleurs les nombreuses opérations spéciales que mènent depuis des mois les services spéciaux occidentaux. “Le MI6 et la CIA ont infiltré la Syrie pour connaître la vérité”, expliquait en date du 1 janvier le quotidien “Daily Star”, en  se référant à une source non citée mais considérée comme “bien informée”. Ensuite, les contacts sont étroits entre les rebelles libyens et l’”armée syrienne libre”, comme le signalait le 27 novembre 2011 le journal britannique “The Telegraph”. D’après cette information, Abdulhakim Belhadj, chef du conseil militaire de Tripoli et ancien commandant du “Groupe de Combat Libyen-Islamique”, aurait rencontré à Istanbul et le long de la frontière turco-syrienne des chefs de l’”armée syrienne libre”, pour que celle-ci soit entraînée par des “combattants libyens”. Toujours selon le “Telegraph”, Belhadj aurait été envoyé en Turquie par Moustafa Abdoul Djalil, qui n’est rien moins que le président de transition en Libye.

    Or il est tout de même peu vraisemblable que les Libyens aient agi de leur propre chef. Il est plus plausible de dire qu’ils ont reçu cette mission de Washington, pour camoufler l’immixtion américaine. On peut clairement émettre cette hypothèse si on analyse les déclarations du ministre américain de la défense, Panetta: “le soutien aux réformes politiques et économiques, lesquelles correspondent aux aspirations légitimes des citoyens de la région”, relève des mêmes principes fondamentaux qui ont défini les réponses que nous avons apportées aux événements de Tunisie, d’Egypte, de Libye et, dorénavant, de la Syrie”.

    En déclarant cela, Panetta nous révèle clairement que les Etats-Unis n’entendent pas seulement apporter à la Syrie les bienfaits de la démocratie de facture occidentale mais veulent également imposer à ce pays du Levant le système économique esquissé à Wall Street et qui doit s’étendre à la planète entière par l’effet de la globalisation. Ensuite, d’après un livre récemment publié par la CIA, avant que n’éclatent les troubles en Syrie, il y a environ un an, il n’y aurait eu que de “timides réformes”, tant et si bien que l’économie, y “est encore largement régulée par les milieux gouvernementaux”. Dans l’Egypte de Moubarak et dans la Libye de Kadhafi aussi l’économie, surtout les secteurs clés, était sous le contrôle des gouvernements, ce qui rendait l’accès aux marchés locaux difficile pour les entreprises occidentales.

    Quant à l’imposition, partout dans le monde, de réformes libérales, visant à instaurer en tous points du globe l’économie de marché, Michel Chossudovsky, critique canadien du processus de globalisation, pointe du doigt un aspect important, tu en Occident. On dit et on écrit généralement que les causes premières de ces protestations de masse en Syrie sont l’augmentation du chômage et la détérioration du niveau de vie; or ceux-ci découlent tout bonnement de l’adoption d’un programme de réformes exigé par le FMI et que les autorités syriennes ont tenté d’appliquer à partir de 2006. Les mesures réclamées par le FMI comprenaient des privatisations, des dérégulations dans le système financier et un gel des salaires.

    Au-delà de ces réformes exigées par le FMI, la “libération” de la Syrie, assortie de la disparition du régime d’El-Assad, va bien entendu dans le sens des intérêts stratégiques des Etats-Unis en tant que puissance hégémonique globale, comme s’est plu à le souligner Panetta lors d’une audience au Sénat: “La Syrie constitue un pays-clef pour l’Iran. La Syrie est le seul pays allié à l’Iran dans la région et elle représente un facteur décisif dans tous les efforts qu’entreprend l’Iran pour soutenir les militants de la région qui mettent en danger Israël et la stabilité régionale. Les désordres en Syrie ont donc contribué à affaiblir considérablement l’Iran et il est clair que, plus El-Assad est affaibli, plus l’Iran sera perdant”.

    Israël espère ardemment que se construira bientôt une Syrie post-Assad. Car, alors, d’une part, la milice libanaise du Hizbollah, soutenue par Damas et par Teheran, sera affaiblie; d’autre part, l’Etat sioniste espère aussi que se constituera, sur son flanc nord-est, un Etat-tampon, qui servira pour toutes éventuelles opérations contre l’Iran. Un tel Etat-tampon pourrait s’avérer fort utile en cas d’attaque israélienne contre l’Iran car il y a peu de chances que des pays comme la Jordanie ou l’Arabie Saoudite ouvrent leurs espaces aériens aux appareils de Tsahal. Avec une Syrie neutralisée, l’aviation israélienne pourrait se servir du territoire syrien et de l’Irak, dépendant des Etats-Unis, pour aller frapper des cibles en Iran. Il faut voir, toutefois, si ce calcul et ces espérances se concrétiseront vraiment. L’expérience libyenne récente, où une nouvelle guerre civile menace après la fin de l’union sacrée des contestataires contre Kadhafi, et les événements d’Egypte, où les islamistes sont désormais la principale force politique du pays, semblent indiquer que le pari sur les “révolutions arabes” n’a pas été le bon. En plus, il faut savoir que l’armée syrienne libre, qui lutte contre Bachar El-Assad, parce qu’il est alaouite, est soutenue par l’Arabie Saoudite, finalement plus anti-chiite ou anti-alaouite qu’anti-sioniste. L’Arabie Saoudite, d’inspiration wahhabite, vise à diffuser un islam particulièrement rétrograde dans le monde arabe. Un islam rétrograde, wahhabite ou salafiste, qui reçoit de grosses quantités d’armes, souvent achetées en Occident, de la pétro-monarchie saoudienne.

    Bernhard TOMASCHITZ (Zur Zeit, n°13/2012)

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  • Les deux guerres du Mali...

    Bernard Lugan, africaniste réputé, directeur de la revue L'Afrique réelle, donne à Realpolitik.tv son point de vue sur la situation au Mali.


    Bernard Lugan : les deux guerres du Mali par realpolitiktv

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  • Défendre le continent européen avec qui et contre qui ?...

     Nous reproduisons ci-dessous un article de Jean-Pierre Chevènement, paru dans la revue Défense nationale et cueilli sur Theatrum Belli, dans lequel il développe sa vision de la défense européenne.

     

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    Défendre le continent européen avec qui, contre qui ?

    J’observerai d’abord que le continent européen n’a pas d’existence politique propre. Il y a les 27 pays membres de l’Union européenne qui, par le traité de Lisbonne (2008), ont souscrit une obligation de défense mutuelle, mais la politique de défense européenne n’a qu’une existence embryonnaire. Aussi bien, les Etats-Unis n’en veulent pas et la plupart des pays européens non plus, au premier rang desquels la Grande-Bretagne et les pays de l’arc atlantique, mais aussi les pays d’Europe centrale et orientale.

    Depuis 1949 il existe une obligation de défense mutuelle entre les pays de l’Alliance atlantique. Celle-ci s’est dotée à travers une organisation militaire intégrée, l’OTAN, d’un bras armé et d’un Etat-major sous l’autorité d’un général américain. Aux pays de l’Union européenne membres de l’OTAN (22 sur 27), s’ajoutent la Norvège et la Turquie dont le territoire est pour l’essentiel situé en Asie. Les Etats membres de l’Union européenne qui le sont également de l’OTAN se sont engagés par le traité de Lisbonne à faire de cette dernière organisation "l’instance d’élaboration et de mise en œuvre" de leur politique de défense. Ainsi la réponse parait-elle avoir été trouvée : c’est à l’OTAN, c’est-à-dire en dernier ressort aux Etats-Unis, que l’Union européenne a confié sa défense.

    Cette réponse est pourtant fragile : d’une part les Etats-Unis se tournent de plus en plus vers le Pacifique et la Chine. L’Asie de l’Est et du Sud et la région du Golfe arabo-persique viennent désormais dans leurs préoccupations stratégiques bien avant l’Europe. Par ailleurs les Etats-Unis sont engagés dans une vaste opération de réduction de leur budget de défense (de 500 à 1000 Milliards de dollars d’ici 2020, selon les estimations). Ils viennent d’entamer le retrait de deux des quatre brigades qu’ils maintenaient encore en Europe : la présence de leurs forces terrestres y devient ainsi symbolique. La garantie militaire américaine repose donc désormais pour l’essentiel sur les forces aériennes et maritimes des Etats-Unis et, en dernier ressort, sur leurs armes nucléaires. Dans ce contexte, la demande, en 2010, du retrait des armes nucléaires tactiques stationnées sur leur sol par quatre pays européens membres de l’OTAN (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Norvège) illustre le paradoxe d’une Europe devenue pacifiste dans le contexte d’un monde marqué à la fois par le début du repli américain et par la montée en puissance de nations dites « émergentes », qui ne sont pas seulement les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) mais d’autres, situées à nos portes et héritières de civilisations prestigieuses : Turquie, Iran, sans parler du monde arabe agité par ses révolutions démocratiques dont le processus, par définition, nous échappe.

     

    Les pays européens réduisent leur effort de défense tandis que les pays émergents, notamment en Asie, développent le leur. Pour autant il serait prématuré de conclure de ces mouvements contradictoires que les Etats-Unis vont relâcher leur emprise sur l’Europe. Ils prétendent lui faire partager un effort de défense dont ils entendent bien conserver la maîtrise. C’est ainsi qu’au sommet de l’OTAN de Lisbonne (2011), ils ont fait entériner le principe d’un bouclier antimissiles balistiques qui va à la rencontre d’une opinion publique européenne de plus en plus pacifiste. De même est-il probable qu’après le retrait de l’OTAN d’Afghanistan ils veuillent faire supporter aux Européens une part plus importante de l’«afghanisation».

    L’Union européenne peut-elle se borner à n’être qu’un contributeur financier à un effort de défense global de ce qu’il est convenu d’appeler "l’Occident" ? L’idée même de "défense" peut-elle faire l’impasse sur la volonté de défense ?

    Force est de constater que les peuples européens (à la seule exception de la France et d’une certaine manière de la Grande-Bretagne) ont entièrement délégué le souci de leur propre défense à une puissance extérieure, certes alliée, mais dont les préoccupations stratégiques et les intérêts ne recoupent pas forcément les leurs. La réintégration par la France des Etats-majors de l’OTAN s’inscrit dans cette tendance lourde, même si nos autorités prétendent le contraire, faisant valoir, exemple libyen à l’appui, que l’OTAN n’aurait en rien obéré notre liberté de mouvement. Ce n’est pas ce qu’on entend de l’autre côté de l’Atlantique où on parle d’une stratégie de leadership from behind, bref de "tireur de ficelles". Une chose est sûre en tout cas : l’affaire libyenne a manifesté le vide abyssal du concept de défense européenne. La France et la Grande-Bretagne ont fait l’essentiel du travail, avec – faut-il le rappeler ? – l’appui des frappes et de la logistique américaines, pour un résultat dont l’évaluation finale reste à faire. Quoi qu’on en pense, le conflit libyen a fait apparaître le lien indissociable entre la défense et la nation. Quelle que soit l’évolution future de l’OTAN, l’esprit national restera la clé de tout effort de défense et de tout engagement militaire qui sera, comme en Libye, à géométrie variable. L’Europe est à repenser dans le prolongement des nations ou elle ne sera pas.

    La France ne pourrait pas conserver une voix audible à travers une défense européenne confinée à des tâches de sous-traitance. La défense est faite pour soutenir la diplomatie ! Une défense complètement intégrée à celle de l’Amérique sonnerait le glas de notre indépendance, de notre influence, de notre capacité de médiation. Il est de l’intérêt de la France et du monde qu’au sein de l’Occident on n’entende pas que la seule voix des Etats-Unis. Qu’il puisse y avoir un avis modéré, sensé, comme cela fut le cas durant la guerre du Vietnam ou au moment de l’invasion de l’Irak. Que, sur le Proche-Orient, la France puisse favoriser de manière originale une solution de paix qui n’a que trop tardé.

    Compte tenu du texte du traité de Lisbonne, on se demande ce qui peut rester de la défense européenne désormais asservie à l’OTAN : une alouette, un cheval ! A la limite, l’OTAN voudra bien sous-traiter à une pseudo-défense européenne quelques obscures missions de maintien de la paix en Iturie, au nord-est de la République démocratique du Congo, ou bien encore au Kosovo. Pour les choses sérieuses (la Libye par exemple), le recours aux Etats-majors de l’OTAN s’impose et, malgré quelques réticences initiales, notre gouvernement s’y est résigné.

    La France a réintégré l’OTAN au prétexte de faire progresser la défense européenne. On voit le résultat. La Grande-Bretagne veut bien coopérer avec la France, mais elle ne veut surtout pas d’une "défense européenne". Pour autant, les accords de Lancaster House sont une bonne chose : mieux vaut une coopération bilatérale que pas de coopération du tout. Il serait temps que la France revienne à cette idée simple que les coopérations doivent se décider à l’aune de l’intérêt national. Seul le ressort national peut permettre à l’effort de défense de ne pas passer en dessous de la limite basse actuelle : 1,5 % du PIB.

    A ce stade de mon propos, je voudrais aborder la partie du continent européen qui ne fait pas partie de l’Europe : l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie.

    Même si celle-ci s’étend, au-delà de l’Oural, en Asie, son peuple est incontestablement européen. Il est concentré à l’Ouest de l’Oural. Sa civilisation est partie intégrante de la civilisation européenne à laquelle elle a apporté une contribution éminente. L’Administration Obama semble avoir renoncé, au moins provisoirement, à l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie pour ne pas heurter les intérêts et la sensibilité russes.

    Cet élargissement à l’Est n’est pas non plus dans l’intérêt de la France. Bien sûr l’évolution de la Russie n’est pas écrite d’avance. Sa population est à 20% composée de minorités musulmanes. Mais nous devons tout faire pour rapprocher la Russie de l’Europe. Les complémentarités énergétiques et économiques sont fortes. Les peuples européens – y compris le peuple russe – aspirent à la paix. Cette aspiration est légitime. Je ne la confonds pas avec un pacifisme dont l’Histoire a toujours montré le caractère illusoire et même dangereux (ainsi en France, entre 1918 et 1940). La Russie est nécessaire à l’équilibre et à la stabilité du Caucase. Elle est un contrepoids utile, en Asie Centrale, au fondamentalisme islamiste. Sa relation particulière à la Chine et à l’Inde peut contribuer à canaliser l’élan de ces Etats-nations, milliardaires en hommes et héritiers de civilisations millénaires, pour qu’ils prennent leur place dans un monde stable, régi par des règles communes. Pour toutes ces raisons, notre intérêt est d’aider la Russie a réussir enfin sa modernisation. L’Europe ne sera l’Europe que si elle sait développer un étroit partenariat avec la Russie. C’est l’intérêt de la France, comme de l’Allemagne, si nous voulons peser dans le monde multipolaire de demain.

    Les menaces auxquelles l’Europe est et sera de plus en plus confrontée ne seront peut-être pas principalement militaires encore qu’en la matière il soit toujours déraisonnable de baisser la garde.

    Ni le terrorisme, qui est l’arme des faibles contre les forts, ni la piraterie, ou pire encore les risques de blocus des grandes voies maritimes, ne vont disparaître, ni les tentatives de prolifération nucléaire s’interrompre. La menace balistique qui y est associée a été favorisée, dans le passé, par des transferts de technologies en provenance d’URSS, de Chine, puis, dans une période plus récente, de Corée du Nord ou du Pakistan. Cette menace balistique est certainement l’une de celle à laquelle l’Europe devra faire face à l’avenir. Il serait cependant déraisonnable de s’en remettre à la défense antimissiles balistiques dont l’efficacité ne saurait être entièrement garantie et dont la mise en place en Europe, sous égide américaine, risque d’entraîner une vassalisation stratégique et technologique définitive. Tout montre, deux ans après le discours du Président Obama à Prague, que l’arme nucléaire ne va pas disparaître de l’horizon de l’Histoire. Les Etats-Unis ne signeront pas avant longtemps le traité d’interdiction des essais. Le Pakistan et les puissances asiatiques n’entendent pas interrompre la production de matières fissiles à usage militaire. Il est raisonnable pour la France de maintenir son effort nucléaire, ne serait-ce que pour ne pas se laisser entrainer dans l’engrenage de guerres lointaines par leur origine mais où nos intérêts vitaux ne seraient pas engagés. J’ajoute que le maintien d’une dissuasion nucléaire indépendante en Europe occidentale constitue un gage irremplaçable de stabilité sur notre continent. Enfin, la disposition d’une dissuasion nucléaire souple (avec ses deux composantes) interdit toute agression au-delà d’un certain seuil, par un Etat qui voudrait exercer un chantage sur notre politique. Nous devons aussi rester attentifs aux attaques dans le cyberespace et aux tentatives d’espionnage économique.

    L’heure de la fin de l’Histoire n’a pas sonné et celle-ci est fertile en surprises stratégiques. Le trait dominant de la période historique où le XXIe siècle nous a fait entrer est la fin du monopole technologique et politique des pays occidentaux et d’abord des Etats-Unis. Certes, ceux-ci restent, de toutes les nations occidentales, la plus puissante mais leur déclin est inscrit dans les courbes de la démographie et de l’économie mondiales. Le maintien de l’alliance euro-américaine va de soi, mais la France et d’autres nations européennes n’auraient aucun intérêt de devenir ou rester de simples supplétifs des Etats-Unis. Si eux-mêmes voulaient bien y réfléchir, ce ne serait pas non plus le leur, car des nations qui s’abandonnent ne sont jamais des alliés sûrs.

    Nous n’avons pas de stratégie à long terme vis-à-vis des puissances émergentes. Notre intérêt est de les faire participer à un ordre mondial raisonnable prenant aussi en compte les intérêts des pays anciennement industrialisés. Ce n’est pas facile car beaucoup de ces pays sont portés par un nationalisme conquérant et quelquefois par le sentiment d’avoir à prendre une revanche sur l’Histoire, c’est-à-dire sur l’Occident. A cet égard, la poursuite des délocalisations industrielles ou la prise de contrôle d’entreprises stratégiques constituent des menaces tangibles. La crise du capitalisme financier qui s’est développée sur la base d’une totale dérégulation des mouvements de capitaux, des biens, des services et des technologies depuis les années 1980, a marqué l’échec d’une pensée purement économiciste (la croyance dogmatique en la théorie de l’efficience des marchés), entièrement déconnectée de toute considération politique raisonnable. Il n’est pas besoin de s’en prendre à la Chine. C’est l’Occident lui-même qui a réchauffé dans son sein le serpent d’un néolibéralisme suicidaire. Les nations doivent reprendre le contrôle d’un système financier qui, tel Frankenstein, leur a échappé.

    L’Europe ne doit pas s’enfermer dans la stagnation mais trouver d’autres ressorts de croissance, en associant à son développement la Russie, à l’Est, et l’Afrique, au Sud. Le risque de migrations incontrôlées ne sera conjuré que par une politique de codéveloppement avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée et avec l’Afrique noire qui découvre aujourd’hui son potentiel de croissance. Le problème des matières premières va se poser avec plus d’acuité avec la croissance de la Chine et des "émergents". Il faut penser ce monde nouveau, et parce qu’il se fera inévitablement, il vaut mieux qu’il se fasse avec la France et avec l’Europe, plutôt que contre elle.

    Avant que ne s’installe ce nouvel ordre mondial coopératif, il n’est pas déraisonnable d’anticiper les tensions que génère toute transition. La France a un rôle majeur à jouer pour organiser l’Europe sur une base réaliste (la géométrie variable) et pour l’ouvrir à des coopérations fécondes fondées sur le principe de l’intérêt mutuel, avec les pays du Sud de la Méditerranée qu’elle connait souvent mieux que d’autres.

    L’Europe, pour se défendre, doit d’abord s’ouvrir vers l’Est et le Sud. Dans le monde du XXIe siècle que structurera la bipolarité Chine Etats-Unis, l’Europe pour trouver sa place doit s’organiser souplement, car elle ne le fera pas sans les nations (déjà faites, ou encore à construire) mais au contraire avec elles.

    L’erreur a été de vouloir construire l’Europe en substitut des nations. Pour se redresser, l’Europe doit, demain comme hier, s’appuyer sur la force de ses nations.

    Le reste, c’est-à-dire une défense efficace, viendra par surcroît.

    Jean-Pierre CHEVENEMENT

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  • La Libye, de la « libération » à la somalisation...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent article de Camille Galic, cueilli sur Polémia et consacré à la situation en Libye, où, comme prévu, l'anarchie s'installe...

     

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    La Libye, de la « libération » à la somalisation

    Alors que les turbulences se poursuivent en Egypte et en Tunisie, où l’asphyxie du tourisme et le départ des investisseurs provoquent un chômage sans précédent, le risque (prévisible) de sécession de la Cyrénaïque remet la Libye au premier plan, affolant chancelleries et rédactions.

    Le 8 mars était trompettée une excellente nouvelle : après « trente-trois ans » de total dévouement à un régime qu’il vient de découvrir « criminel », Abdo Hussameddine, vice-ministre syrien du Pétrole, choisissait de « rejoindre la révolution du peuple qui rejette l'injustice » et de reprendre ainsi « le droit chemin ». Cette miraculeuse conversion à la démocratie est aussi une inestimable prise de guerre pour les rebelles syriens réputés, par notre ministre Alain Juppé en particulier, incarner les droits de l’homme.

    Mais cette sensationnelle annonce faisait bientôt place à une autre, beaucoup moins réjouissante pour les zélateurs des « printemps arabes » : l’éventualité de la « dislocation de la Libye », avec la proclamation unilatérale de l'autonomie de l'Est libyen par des dignitaires locaux, chefs de tribu et commandants de milice réunis à Benghazi – deuxième ville du pays et berceau de l'insurrection qui a renversé Muammar Kadhafi – devant des milliers de personnes qui les ont follement applaudis. Moustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition (CNT) au pouvoir, répliquait aussitôt à cette « provocation » par la menace de « recourir à la force » pour mater les « séparatistes ». S’il réprime la rébellion de ces derniers avec la vigueur d’un Bachar al-Assad, quel dilemme pour Nicolas Sarkozy qui, le 1er septembre à l’Elysée, et au nom des « Amis de la Libye » (dont le Britannique David Cameron, l’onusien Ban-Ki-Moon et l’émir du Katar), remettait au même Abdeljalil 15 milliards de dollars pour la « reconstruction de la Libye nouvelle » ! Un mirage exalté par tous les médias.

    Un pays livré à des milices surarmées

    Du coup, c’est l’affolement dans les rédactions. « Libye : l’autonomie de l’Est fait craindre une partition du pays », titrait Le Parisien, « Menace d‘une nouvelle guerre civile », s’inquiétait Libération, « Libérée de Kadhafi, la Libye s’enfonce dans le chaos », constatait avec tristesse Le Nouvel Observateur ; l’AFP évoquait un « risque de somalisation » et Le Point lui-même, où sévit Bernard-Henri Lévy, héraut de la « croisade » contre Kadhafi et tombeur du raïs, admettait par la plume de son correspondant Armin Arefi l’extrême gravité de la situation : « Ce devait être le grand succès international du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Mais la Libye post-Kadhafi semble inexorablement basculer dans l'impasse. L'annonce de l'autonomie de la région de Cyrénaïque a fait l'effet d'une bombe. » Les conséquences en seront d’autant plus graves et plus sanglantes que, depuis la révolution, la Libye souffre d’un « fléau » : « l'abondance d'armes en libre circulation à travers le pays ». Ces armes, fournies notamment par les « officiers de liaison » français envoyés par Paris, avaient été « confiées aux rebelles organisés en milices pour se débarrasser de Muammar Kadhafi ». Las ! Les milices sont désormais « hors de contrôle » et, selon le diplomate français Patrick Haimzadeh cité par l’hebdomadaire de François Pinault, il n'est donc pas exclu que les autonomistes de Benghazi « aillent à l'affrontement avec le gouvernement central, en cas de refus », tant ils sont convaincus que « la révolution a été déviée » et qu’elle leur a été confisquée par Tripoli.

    Conclusion de Armin Arefi : « Si le candidat Nicolas Sarkozy peut se targuer d'avoir évité le bain de sang que promettait Muammar Kadhafi à Benghazi, il semble bien moins se soucier aujourd'hui du sort d'un pays miné par les intérêts personnels et les rivalités, tant régionales que tribales […] Nicolas Sarkozy s'attendait à une guerre pliée en une semaine, car il ne connaissait pas la société libyenne. Or on ne change pas une culture politique en quelques mois. Cette situation va durer au moins dix ans. »

    « Silence médiatique » malgré le tocsin

    Mais qu’importait, sans doute, aux yeux du président-candidat ! « Le temps où les caméras, appareils photo et plumes du monde entier informaient non-stop sur la Libye paraît bien loin. La Libye est retournée au silence médiatique. Les regards se sont tournés vers la révolution suivante, en Syrie », commentait de son côté Gaël Cogné sur France TV Info, grand service de « l’actu en continu » lancé en fanfare le 14 novembre dernier par le géant France Télévisions, avec l’ambition d’être « la première plateforme d'informations en temps réel du service public », alimentée par les multiples rédactions de la télévision d’Etat.

    Evoquant les cent cinquante tribus composant la société libyenne et agitées de violents antagonismes, Gaël Cogné écrit benoîtement que « ces divisions ne sont pas une surprise ».
    Eh bien si, c’en est une, et de taille pour le bon peuple, qui a financé de ses deniers durement gagnés une intervention militaire (au coût exorbitant en ces temps de crise : plus de 350 millions d’euros, estimait L’Express du 28/09/2011) mais dont on lui avait juré qu’elle procurerait un avenir radieux au peuple libyen et, à la France, un marché du siècle : « A ceux qui parlent d’argent, je fais remarquer que c'est aussi un investissement sur l'avenir », avait osé déclarer un mois plus tôt notre inénarrable ministre des Affaires étrangères au quotidien Le Parisien (du 27/8/2011). Un investissement bien compromis par les événements actuels.

    Pourtant, les mises en garde n’avaient pas manqué. Le fils du colonel Kadhafi, Seif Al-Islam, avait prédit dès les premiers temps de l'insurrection que les tensions entre tribus « pourraient causer des guerres civiles ». Une mise en garde avait été lancée d’emblée par Polémia qui, sur son site, avait multiplié les alertes (1) dans des articles où était clairement souligné le risque de « partition » du pays, à partir des travaux de Bernard Lugan. Dès le 13 mars 2011, le célèbre africaniste avait déploré qu’ « en écoutant BHL et non les spécialistes de la région, le président Sarkozy ait involontairement redonné vie au plan Bevin-Sforza rejeté par les Nations unies en 1949 ». Et Lugan d’expliquer : « Ce plan proposait la création de deux Etats, la Tripolitaine, qui dispose aujourd’hui de l’essentiel des réserves gazières, et la Cyrénaïque, qui produit l’essentiel du pétrole. Voilà donc la première étape de ce plan oublié désormais réalisée avec la reconnaissance par la France, suivie par l’UE, du gouvernement insurrectionnel de la Cyrénaïque… Deux Etats existent donc sur les ruines de la défunte Libye : la Cyrénaïque – provisoirement ? – aux mains des insurgés, et la Tripolitaine. C’est à partir de cette donnée qu’il convient d’analyser la situation, tout le reste n’étant une fois encore que stérile bavardage, vaine gesticulation et soumission à la dictature de l’émotionnel. »

    La fidélité de BHL… à Israël

    Mais qui avait écouté Lugan (2) parmi les innombrables « spécialistes » de France Télévisions et des autres médias qui nous affirment aujourd’hui assister « sans surprise » aux déchirements libyens ?

    Le seul qui ait eu alors droit à la parole était M. Lévy, promu par le chef de l’Etat véritable ministre en exercice des Affaires étrangères et de la Guerre (et même des Finances puisqu’il nous fit attribuer en juin dernier une première aide de 290 millions d'euros à ses protégés du Conseil national de transition) alors qu’on sait aujourd’hui qu’il n’agissait nullement au profit de la France. Au contraire. Dans l’affaire de Libye, « J'ai porté en étendard ma fidélité à mon nom et ma fidélité au sionisme et à Israël », devait-il proclamer fièrement le 20 novembre devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qui tenait à Paris sa première convention nationale – voir le « Billet » de Polémia du 22/11/2011. Allez savoir pourquoi, cette brûlante profession de foi (et d’allégeance à un Etat étranger) fut occultée… comme l’avaient été les risques de notre interventionnisme en Libye, et les fruits amers qu’il ne manquerait pas de porter, en commençant par l’éclatement du pays prétendument libéré – avec la vague migratoire et la réaction islamiste que cela ne manquera pas de susciter. Ce n’est du reste pas un hasard si, sans doute informés des intentions des « séparatistes » de Benghazi, les barbus libyens, déjà très influents au sein du CNT, avaient créé le 3 mars le parti Justice et Construction présidé par Mohammed Sawane, représentant des Frères musulmans… et farouchement opposé à l'autonomie de la Cyrénaïque, qu'il considère selon Armin Arefi comme « une première étape avant la scission totale de la région ».

    Une dislocation organisée

    Mais la « dislocation géopolitique mondiale » ne fut-elle pas l’objectif de l'OTAN en Libye, comme le soulignait ici même Xavière Jardez le 9 août 2011 en commentant un rapport du Laboratoire européen d'anticipation politique (LEAP), think-tank monégasque dirigé par Franck Biancheri (3)? L’entreprise était alors menée par Washington, le Katar se chargeant d’une partie du financement et de la mise en scène médiatique, celle de la « libération » de Tripoli par exemple. Or, simple hasard, cet émirat pétrolier serait aujourd’hui très actif auprès des autonomistes de Benghazi.

    Evoquant la campagne de l’OTAN, X. Jardez écrivait : « On demanda à l’opinion publique d’approuver, non de penser. » Et voilà cette opinion frappée de stupéfaction quand elle apprend que le pays qu’on lui avait dit arraché à la tyrannie et à la barbarie risque de connaître l’épouvantable destin de la Somalie, livrée à des factions se livrant une guerre inexpiable et redevenue un repaire des pirates. Ce que furent, soit dit en passant, la côte des Syrtes et celle de la Cyrénaïque pendant des siècles.

    Camille Galic (Polémia, 9 mars 2012)

    Notes

    (1) Voir entre autres les articles sur Polémia

    (2) Une interview par Robert Ménard fut déprogrammée en catastrophe fin décembre dernier par la chaîne itélé car elle n’était pas « dans la ligne » – voir http://www.polemia.com/article.php?id=4408
    (3)
    Opérations militaires de l'OTAN en Libye : accélérateur d'une dislocation géopolitique mondiale ?

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  • Bonne nouvelle pour la multipolarité !

    Vous pouvez lire ci-dessous un excellent point de vue du géopoliticien Aymeric Chauprade, cueilli sur Realpolitik.tv et consacré à la réélection de Vladimir Poutine à la tête de la Russie.

     

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    Bonne nouvelle pour la multipolarité

    Le dimanche 4 mars 2012 restera sans doute comme une date historique. Vladimir Poutine revient en effet à la présidence de la Russie. J’avais déjà pu écrire que 1999 avait été un tournant dans l’histoire de la géopolitique contemporaine parce que son arrivée au pouvoir avait mis fin à la tentative unipolaire américaine. Nous pouvons affirmer aujourd’hui que Poutine va consolider le monde multipolaire qui se dessine et achever sa mise en déroute de l’oligarchie américaine et de son État profond dont l’action occulte et agressive (à l’œuvre en ce moment en Syrie) ne cesse de miner, chaque jour un peu plus, les possibilités de paix dans le monde.

    Qu’est-ce qui nous permet d’affirmer cela ? La simple observation du déchaînement médiatique contre Poutine, que chacun d’entre nous aura pu observer, ces derniers mois, en Europe comme aux États-Unis. Manque de chance pour nos habituels aboyeurs de leçons démocratiques (qui ne sont en fait que les bons petits soldats de l’oligarchie occidentale), le peuple russe soutient massivement Poutine. Et ce ne sont pas les quelques irrégularités de fonctionnement du scrutin, statistiquement inévitables dans un pays aussi vaste que la Russie, et certainement moins graves que l’étrange comédie des bulletins de vote à trous lors de l’élection de Bush ou que l’obstruction en France à une candidature pesant autour de 20 %, qui pourront amoindrir l’incontestable légitimité de Poutine.

    Vladimir Poutine, candidat plébiscité par les Russes, que, dans des temps anciens on aurait sans doute appelé Vladimir le Bien élu, est sans conteste aujourd’hui, dans l’hémisphère nord, le chef d’État le plus légitime qui soit. Cela ne peut que redonner espoir à ceux qui doutent du politique. Remettre son pays sur le chemin de la puissance et obtenir du même coup le soutien massif de son peuple, oui ça reste possible !

    Logiquement il y a quelqu’un qui devrait être content ce soir, c’est Alain Soral. Quelqu’un qui a tout compris des forces profondes de l’histoire, celles que ne veut pas voir notre bon « bourgeois occidental » (Molière avait raison avec son bourgeois gentilhomme) aveuglé qu’il est par les chiffrons rouges agités devant ses yeux par la « grande presse ». Donc écoutez-le et lisez-le. Nous n’utilisons pas forcément les mêmes mots (et tant mieux), mais nos pensées sont en convergence.

    Ce soir du 4 mars 2012 en tout cas, la dissidence internationale a marqué un point. Un point sans doute décisif pour l’avenir. Unissons nos forces, car au-delà de la cause des peuples souverains qui résistent à l’Empire, n’oublions pas qu’in fine, c’est la question de la liberté individuelle qui est en cause. L’Empire, machine à crétiniser les hommes en les gâtant en citoyen-consommateur, avance en effet tout à la fois vers « 1984 » et le « Meilleur des mondes ». Face à lui, les États qui nous sont aujourd’hui présentés comme des dictatures implacables (Syrie, Iran…) ne sont jamais que les premiers réfractaires à ce Big Brother mondial lequel masque de moins en moins ses desseins. A ceux qui en douteraient, confrontés aux images de l’incontestable brutalité de la guerre en Libye, puis en Syrie, je rappellerais qu’ils ne voient qu’une face de l’histoire. Sur l’autre, les projecteurs des médias occidentaux ne s’allument jamais. Cette autre face, je n’ai pas grand mérite, je l’ai prise en pleine poire en 1996, dans le Sud du Liban, devant les cadavres calcinés d’une bonne centaines de femmes et d’enfants libanais qui avaient cru qu’un abri de l’ONU restait un endroit sacré auquel jamais une armée ne s’attaquerait. Ils ne pouvaient pas savoir, les pauvres, ce que j’ai compris devant leurs corps en bouillie : l’histoire est dite par les vainqueurs et le droit ne s’applique qu’aux vaincus. Si vous êtes dans le club qui s’est autorisé à avoir l’arme atomique, vous pouvez écraser un pays, au nom d’une légalité que vous avez décrétée, tout pays qui prétend entrer dans le club sans votre autorisation. Si vous êtes pro-américain vous êtes forcément une démocratie, et si vous ne l’êtes pas, ce n’est pas grave ! Si vous êtes une démocratie mais que vous n’êtes pas pro-américain, c’est grave et vous ne pouvez donc pas… être une démocratie..

    Donc je veux bien que l’on soit horrifié par les bombardements sur Homs qui doivent être terribles pour les civils piégés. Mais alors, il faut avoir le courage de regarder en face le résultat des bombes de l’OTAN sur la Serbie, sur l’Irak, sur la Libye, sur l’Afghanistan ; le résultat des bombes d’Israël sur Gaza ou le Sud du Liban. Car enfin, ces corps-là, ces enfants-là, ces femmes-là, on ne vous les montre jamais ! Comme on ne vous parle pas des reporters de guerre qui sont morts sous des bombes occidentales dans les prétendues guerres humanitaires de l’ère post-soviétique.

    Peut-être que l’intelligence consiste aussi à être capable d’imaginer (un peu de bon sens devrait suffire, pas besoin de longues études) ce que les télévisions occidentales ne vous montrent jamais…

    En résumé :

    1. L’Occident de l’ingérence humanitaire a davantage massacré dans toutes les agressions qu’il a menées depuis 1990 que les régimes qu’il combattait.
    2. Il y a, au moins, autant de trucages et de verrouillages dans les élections dites démocratiques des pays occidentaux (surtout en France et aux États-Unis, car je ne parle pas de la Suisse, seule authentique démocratie d’Europe) qu’il y en a dans cette Russie présentée sans cesse comme une éternelle autocratie.

    Conclusion : Qu’on cesse de nous prendre pour des cons parce qu’il reste, en France, quelques penseurs qui ne sont pas « à la gamelle » et qui continuent à réfléchir. Quand j’étais gosse, dans mon école publique (je n’ai été que dans des écoles publiques) on m’apprenait que l’école ça sert à former l’esprit critique. Je n’ai retenu que cela.

    Aymeric Chauprade (Realpolitik.tv, 5 mars 2012)

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  • Tout le monde réarme, sauf les Européens...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Alain Frachon, cueilli dans le quotidien Le Monde, qui dresse un constat inquiétant et pose, au final, une question essentielle. On aimerait savoir ce qu'en pensent les candidats à l'élection présidentielle... 

     

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    Tout le monde réarme, sauf les Européens 

    La Russie réarme, à grande vitesse. La Chine pourrait doubler son budget de la défense d'ici à 2015. Les Etats-Unis entendent rester la première puissance militaire mondiale. Un seul continent désarme, comme s'il avait chassé la guerre de son horizon : l'Europe. Est-ce que c'est important ?

    Commençons par l'actualité la plus récente, celle des propos fracassants tenus par Vladimir Poutine au début de la semaine. A quelques jours de l'élection présidentielle du 4 mars, qu'il n'imagine pas perdre, M. Poutine a annoncé le plus gigantesque programme militaire russe depuis la fin de la guerre froide. L'une de ses priorités sera de moderniser et de transformer de fond en comble l'appareil militaire du pays, écrit-il dans le quotidien Rossiyskaya Gazeta.

    L'ennemi principal est désigné : l'Ouest. La plus grande menace qui pèse sur la Russie, celle qui peut rendre obsolète son arsenal de missiles, est le bouclier antimissile américain, poursuit le premier ministre. Ce système de défense antimissile, auquel Washington a proposé à Moscou de participer, est censé protéger l'Europe. Vladimir Poutine ne l'entend pas ainsi. "Nous devons contrer les efforts des Etats-Unis et de l'OTAN en matière de défense antimissile", assure-t-il. Pas question d'accepter l'offre de collaboration des Etats-Unis : "On ne saurait être trop patriotique dans cette affaire", dit l'ancien président ; la réponse de la Russie sera "de tenir en échec le projet américain, y compris sa composante européenne".

    Dans les dix années à venir, M. Poutine prévoit de passer pour 772 milliards de dollars (583 milliards d'euros) de commandes militaires. La liste des courses est éclectique : 400 nouveaux missiles balistiques intercontinentaux ; 2 300 blindés de la dernière génération ; 600 avions de combat ; 8 sous-marins porteurs de missiles nucléaires et 50 bâtiments de surface - sans compter une palanquée de matériels plus légers.

    A l'arrivée, en 2022, le poste défense dans les finances publiques russes représentera de 5 % à 6 % du produit intérieur brut (PIB) du pays.

    La plupart des experts s'accordent sur trois points. L'état de l'armée russe actuelle n'est pas brillant et justifie une politique de modernisation. Mais le programme de M. Poutine n'en est pas moins marqué par quelque chose qui relève de la paranoïa. Enfin, il est à peu près sûr que l'industrie de défense russe est incapable de fournir ce que lui demande le candidat.

    Le deuxième effort militaire le plus notable sur la planète est celui de la Chine. D'ici à 2015, son budget militaire aura doublé, estiment cette semaine les spécialistes de la revue Jane's Defence. Il devrait alors atteindre 238 milliards de dollars (180 milliards d'euros). Cela fait plus de vingt ans que son taux de progression est à deux chiffres.

    Jane's Defence juge que le total des dépenses militaires chinoises se montera à 120 milliards de dollars en 2012, soit plus que le budget militaire combiné des huit premiers membres de l'OTAN, à l'exception des Etats-Unis. Méfiants et très concernés, les Japonais assurent que les Chinois ne donnent pas les vrais chiffres de leurs dépenses militaires. Jane's Defence considère qu'elles ne sont pas disproportionnées : elles représenteraient 2 % du PIB de la deuxième économie mondiale.

    Qui est l'ennemi ? Cette fois encore, les Etats-Unis. Mais les analystes de la politique de défense chinoise disent que Pékin n'a aucunement l'intention d'égaler la puissance militaire américaine. Le premier objectif stratégique des Chinois est de protéger leur environnement maritime, ces 1 800 kilomètres de côtes qui s'étirent de la mer Jaune au nord à la mer de Chine méridionale. Voies d'eau essentielles qui acheminent une énorme partie de l'approvisionnement énergétique et alimentaire du pays.

    La Chine considère que cette zone maritime relève de sa tutelle. C'est là, et pas ailleurs, qu'elle entend afficher sa prépondérance. Les armes qu'elle développe - missiles anti-porte-avions, porte-avions, bombardiers furtifs - n'ont qu'un objectif : chasser les Etats-Unis du Pacifique occidental.

    Les Américains ne vont pas se laisser faire. Au contraire. Ils veulent rester une puissance militaire écrasante - plus de 40 % de l'effort militaire mondial à eux seuls. Avec plus de 700 milliards de dollars, leur budget de défense 2011 est à peine inférieur à ce que M. Poutine veut dépenser d'ici à 2022.

    L'Amérique sort de dix ans de guerre, en Irak et en Afghanistan, avec des résultats mitigés. Lancés par George W. Bush, qui a simultanément diminué les impôts, ces deux conflits ont fait exploser la dette américaine.

    Pour des raisons financières et stratégiques, Barack Obama veut dégager les Etats-Unis de ces engagements prolongés à l'étranger. Il a commencé à réduire le budget de la défense, un peu. L'objectif affiché est de passer en dix ans d'un volume de quelque 700 milliards de dollars annuels à un peu moins de 500. Ce qui devrait assurer aux Etats-Unis une domination militaire incontestée jusqu'au beau milieu du siècle...

    Mais M. Obama réoriente aussi les priorités stratégiques du pays. Il veut contrer le projet chinois : l'Amérique restera, dit-il, une puissance militaire du Pacifique. Elle y renforce ses alliances et en noue de nouvelles. Aucune coupe dans le budget de la défense ne concernera cette région. Le réalignement américain se fait aux dépens de l'Europe.

    Il n'y restera bientôt plus que 30 000 soldats américains, contre 100 000 encore à la fin de la guerre froide.

    L'Europe choisit ce moment précis pour désarmer. Massivement. Elle ne s'estime pas concernée par la course aux armements alentour. Ni par le retrait américain du Vieux Continent ou par les années de turbulences qui s'annoncent au Proche-Orient.

    A l'exception de la France et de la Grande-Bretagne, tous les pays européens taillent dans leur défense. Ils avancent qu'ils modernisent et rationalisent leurs armées. Mais l'argument cache mal la réalité : les Européens désarment. Renonceraient-ils à être l'un des acteurs du siècle ?

    Alain Frachon (Le Monde, 23 février 2012)

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