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Entretiens - Page 60

  • Serra, Taddeï et Mussolini...

    Le 26 janvier 2022, dans son émission « Interdit d'interdire », sur RT France, Frédéric Taddeï recevait Maurizio Serra pour évoquer son dernier livre intitulé Le mystère Mussolini (Perrin, 2021).

    Écrivain et diplomate italien, membre de l'académie française, Maurizio Serra est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages comme Les Frères séparés. Drieu la Rochelle, Aragon, Malraux face à l’histoire (La Table ronde, 2011), Malaparte, vies et légendes (Grasset, 2011), Une génération perdue - Les poètes-guerriers dans l'Europe des années 1930 (Seuil, 2015) ou  D'Annunzio le Magnifique (Grasset, 2018).

     

                                         

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  • «L'Union européenne se révèle incapable de défendre ses frontières»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Max-Erwann Gastineau au Figaro Vox et consacré à la protection des frontières de l'Union européenne.  Diplômé en histoire et en science politique, Max-Erwann Gastineau est essayiste et a publié Le Nouveau procès de l'Est (Éditions du Cerf, 2019).

     

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    Construction du mur en Pologne: «L'Union européenne se révèle incapable de défendre ses frontières»

    FIGAROVOX. - Le Parlement polonais a donné vendredi son feu vert définitif au projet gouvernemental de construction d'un mur à la frontière avec la Biélorussie pour empêcher les migrants et les réfugiés de passer en Pologne. Est-ce la seule solution pour ce pays membre de l'Union européenne ?

    Max-Erwann GASTINEAU. - Le 7 octobre dernier, les ministres de l'Intérieur de douze pays membres, dont la Pologne, l'Autriche, le Danemark ou la Grèce, appelaient l'Union européenne à changer radicalement de philosophie en matière migratoire. Appel adressé, sous un double prisme sécuritaire (sécurité culturelle et frontalière), aux commissaires Margaritis Schinas, chargé de la Promotion de notre mode de vie européen, et Ylva Johansson, chargée des Affaires intérieures. En juin 2020, la Commissaire suédoise décrivait comme «crucial d'ouvrir autant de voies de migration légales que possible», et ce pour des raisons d'ordre non seulement humanitaire, afin de contrer le développement des réseaux de passeurs, mais également économique, en vue de répondre au vieillissement de la population européenne : «chaque année, affirmait-elle dans un entretien accordé au journal La Croix, plus de deux millions de migrants rejoignent l'UE légalement. Cela fonctionne très bien, et je voudrais voir cette part augmenter.»

    Prisme culturel et sécuritaire d'un côté ; prisme humanitaire et économique de l'autre… On ne saurait mieux résumer la nature idéologique du mur d'incompréhensions qui, depuis des années, divise l'Europe et soumet ses instances dirigeantes aux pesanteurs d'un «humanitarisme total», selon l'expression ici formulée par Donald Tusk, ancien président du Conseil européen de 2014 à 2019.

    La décision de Varsovie de construire un mur à sa frontière orientale, quelques mois après les débuts de la crise biélorusse, est une réponse à ce mur idéologique, témoin de notre impuissance collective. Elle révèle un terrible échec ; celui de l'Union européenne à réaliser la promesse induite par la création de l'espace Schengen en 1997 : substituer aux frontières intérieures de l'Europe l'institution et la défense de frontières extérieures «communes» aux États membres.

    Si l'Union européenne s'est montrée incapable de défendre ses frontières, et d'apporter une aide matérielle à la Pologne, qui depuis août nous alerte sur la situation migratoire à sa frontière orientale, ce n'est pas en raison d'un défaut de compétences ni même de moyens (le budget de Frontex est passé de 114 millions d'euros en 2015 à 460 millions en 2020 et 544 millions en 2021), bien que l'on puisse juger ces derniers encore insuffisants. Mais en raison d'un défaut de fins, d'accord et de clarté sur les finalités du projet européen.

    Quelles fins l'Union européenne poursuit-elle ? Se pense-t-elle comme une entité politique en devenir, capable d'agir en complément, voire en supplément des États, jusqu'à assumer le corollaire de cette prétention : l'emploi de la contrainte pour défendre ses frontières ? Ou est-elle condamnée à n'être que le dernier visage d'une utopie née après la chute du mur de Berlin, indifférente à l'histoire et à la géographie, purement procédurale, antipolitique, autorégulée par des dispositifs juridiques et techniques, tels que ceux appelés à accélérer l'uniformisation des règles nationales d'asile ou la mise en œuvre de mécanismes de répartition automatique des réfugiés ? Derrière la construction du mur polonais, c'est l'avenir et le sens de la construction européenne qui se jouent.

    Ce mur participera-t-il à régler la crise migratoire ? Est-ce viable ?

    Ce mur ne saurait, à lui seul, répondre au défi migratoire, qui concerne d'ailleurs bien plus le sud - des côtes méditerranéennes espagnoles aux portes maritimes des Balkans - que la frontière orientale polonaise. Il envoie cependant un message clair aux instances européennes et aux États de l'Ouest, en leur rappelant qu'ils ne sauraient plus longtemps réprouver les conséquences de leur apathie.

    En mettant l'UE au pied du mur, le mur polonais pourrait, en outre, ouvrir un espace propice à l'avancement de l'agenda «migratoire» européen. On le voit avec Emmanuel Macron qui, après avoir rencontré le chef de gouvernement hongrois et meilleur allié de la Pologne, Viktor Orban, a annoncé vouloir profiter de la présidence française de l'UE pour organiser «une politique cohérente de maîtrise de nos frontières extérieures».

    La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que l'Union ne financerait pas la construction de barrières aux frontières de l'UE. Comprenez-vous le statu quo de l'Union européenne sur ce sujet ?

    Dans l'Europe des droits de l'homme, la frontière n'est pas une norme mais une anomalie, une sorte de concession faite à la réalité honnie des nations. La fin de non-recevoir opposée par Ursula von der Leyen à la Pologne nous le rappelle avec force : l'UE a moins le souci de protéger ses frontières que de dépassionner la question, via la mise en place d'une meilleure répartition de la «charge» migratoire. Comme si la question était d'abord de parvenir à contenir la colère des peuples et non d'en ralentir la cause : l'intensité des flux migratoires et l'angoisse existentielle qu'elle nourrit, inspirée d'un constat qu'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy avaient su poser en 2010, à défaut d'en conjurer les effets : «l'échec du multiculturalisme».

    Le grand philosophe libéral américain, Michael Waltzer, nous prévenait : «abattre les murs de l'État (…) ce n'est pas créer un monde sans mur mais plutôt créer un millier de petites forteresses». La Pologne ne veut pas faire de l'Europe une forteresse ; elle veut éviter de les multiplier. Elle veut échapper au destin multiculturel de l'Ouest, rester une nation libre d'apprécier ce qui distingue l'ici de l'ailleurs. Comment lui reprocher, aujourd'hui, le fait de tirer toutes les conséquences de nos atermoiements passés ?

    Au lieu de promouvoir de nouveaux mécanismes de relocalisation, l'UE doit créer la possibilité de renvoyer les migrants illégaux vers leurs points de départ et d'y traiter leurs demandes d'asile. La différenciation entre les migrants qui ont réellement besoin de protection internationale et les migrants économiques sera cruciale, si l'on veut sauver le droit d'asile de son dévoiement et s'assurer que seuls ceux qui ont réellement besoin de protection entrent sur le territoire européen.

    Les Nations unies ont demandé une action urgente pour sauver des vies et éviter des souffrances à la frontière entre l'UE et la Biélorussie, après la mort de plusieurs demandeurs d'asile. Une intervention de l'UE aurait-elle permis d'éviter ces drames ?

    Difficile de le dire, tant l'impuissance de l'UE est patente. Une chose est sûre : pour éviter de nouveaux drames, nous devrons changer de logiciel. En juin 2018, un accord sur l'immigration conclu par les chefs d'État et de gouvernement avait soutenu l'idée formulée par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) de créer des «plates-formes de débarquement» hors de l'UE. Une mesure qui rappelle le programme «Operation Sovereign Border» (Opération Frontières souveraines) lancé par l'Australie en 2013. Programme dont l'objectif visait à intercepter les bateaux de migrants voguant à leur péril, pour les conduire dans des centres de transit installés sur les îles voisines de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le tout en échange de contreparties financières, telles que celles aujourd'hui fournies par l'UE à la Turquie, et demain à d'autres pays de transit, tels que l'Iran ou le Pakistan ? La question mérite d'être posée.

    En joignant le geste à la parole, l'Australie a su préserver ses frontières et sauver des vies. L'UE le peut-elle ? Dans des arrêts de mai et de décembre 2020, la Cour de Justice de l'UE (CJUE) condamnait la Hongrie pour remise en cause de la directive «retour», interdisant le refoulement des migrants entrés en situation irrégulière (afin qu'ils puissent faire valoir leur droit à déposer une demande d'asile), et l'institution de zones de transit en Serbie, rendant de fait impossible la protection effective des frontières de l'UE.

    Le primat des droits de l'individu sur les impératifs de souveraineté et de sauvegarde du «droit à l'identité nationale», que le juge hongrois a dernièrement tenté d'opposer au juge européen, est le produit d'un processus historique étranger à la démocratie australienne… Mais pourrons-nous encore longtemps préférer les droits aux murs sans questionner les effets sclérosants de l'extension continue du carcan jurisprudentiel européen ?

    Faut-il renforcer la présence de l'OTAN dans cette partie de l'Europe ?

    Si l'Union européenne veut, demain, exister sur la scène internationale, elle devra se doter d'une pensée géopolitique propre. Pas d'indépendance politique sans autonomie de pensée. Mais y aspire-t-elle seulement ? N'oublions jamais que les États ont la politique de leur géographie et que la nature fondamentalement anarchique du système internationale les invite, en permanence, à maximiser les conditions de leur propre sécurité. Si la Pologne, à l'image d'autres nations de l'Est, comme les nations baltes, n'a aucune raison objective de se priver de la protection américaine que lui fournit l'OTAN, la question se pose différemment pour la France.

    La présence toujours plus forte de l'OTAN à l'est de l'Europe est-elle de nature à renforcer notre sécurité collective ou, au contraire, à force d'insécuriser notre incontournable voisin russe, prépare-t-elle l'avènement de futures crises - énergétiques, migratoires, voire militaires ?

    L'UE doit d'urgence repenser son rapport à l'OTAN et tirer toutes les conséquences que son absence d'autonomie fait peser sur sa sécurité et ses relations extérieures. Mais comme ce sursaut «réaliste» a, dans les faits, peu de chances de se produire, je dirais que seul le retour d'une France forte, capable de développer une diplomatie propre, débarrassée des œillères que lui impose l'atlantisme ordinaire des élites européennes, pourra poser les termes d'une autre voie pour l'Europe dans le rapport plus serein qu'elle doit désormais construire avec ses voisins orientaux.

    «Le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie», déclarait à la conférence des Ambassadeurs d'août 2019 le président Emmanuel Macron. Reste à passer des mots aux actes, comme sur l'immigration.

    Max-Erwann Gastineau, propos recueillis

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  • La pensée biopolitique des Grecs...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Guillaume Durocher à Ego Non et consacré à la pensée biopolitique des Grecs. Journaliste et historien d'expression anglaise et française, Guillaume Durocher écrit pour les sites et les revues de la dissidence américaine.

     

                                              

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  • Bien avant le passe sanitaire, il y avait le passe idéologique !...

    Le 19 janvier 2022, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Christian Combaz pour évoquer l'unanimisme obligatoire qui règne dans le milieu médiatico-intellectuel. 

    Romancier et journaliste, Christian Combaz est notamment l'auteur de Gens de Campagnol (Flammarion, 2012), de Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos (Le retour aux sources, 2018) et de La France de Campagnol (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

                                              

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  • L'industrie française doit-elle s'inspirer des modèles asiatiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par William Thay au Figaro Vox, et consacré à la politique industrielle. William Thay est président du Millénaire, centre de réflexion d'orientation gaulliste, spécialisé dans les politiques publiques.

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    «L'industrie française devrait s'inspirer des modèles asiatiques»

    FIGAROVOX. - Vous publiez un rapport sur la politique industrielle française du XXIe siècle. L'objectif est-il de s'inspirer des modèles industriels asiatiques pour mieux rivaliser ?

    William THAY. - La crise sanitaire a accéléré des mutations déjà à l'œuvre sur le plan économique ou géopolitique. Sur le plan économique, la crise financière de 2008 a mis à mal le cycle néolibéral ouvert dans les années 80 par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Seulement, si nous avions un Keynes ou un Friedmann pour penser les ères keynésiennes et néolibérales, nous n'avons pas encore de penseurs économiques qui ont imaginé le monde d'après.

    Il nous a alors semblé opportun d'observer les remèdes des pays est-asiatiques pour plusieurs raisons. D'abord, il s'agit d'un modèle qui a rencontré un succès après s'être transformé pour s'adapter aux cycles économiques. Alors qu'en 1960, les pays est-asiatiques étaient encore peu industrialisés, la Chine (2e), le Japon (3e) et la Corée du Sud (10e) figurent actuellement parmi les 10 premières puissances économiques mondiales.

    Ensuite, il s'agit probablement du cœur géopolitique et économique (renforcé par l'accord de libre-échange «Partenariat économique global»). Cette zone se retrouve alors comme notre prochain partenaire mais également concurrent. Probablement la prochaine première puissance mondiale, la Chine entraîne dans son sillage le déplacement du centre de gravité du monde de l'Atlantique Nord vers l'Asie Pacifique. Alors, si les pays est-asiatiques se sont inspirés de nous pour nous rattraper, il apparaît judicieux d'en faire de même à leur égard.

    Enfin, il s'agit pour nous de bâtir un nouveau modèle économique d'après-crise pour renouer avec les jours heureux du modèle gaullien afin de bâtir une nation d'industriels et de savants, qui permet de répondre à ce que qualifie Marcel Gauchet de «Malheur français» et de mettre un terme à la spirale continue du déclin et du nivellement par le bas.

    Vous évoquez peu le rôle de l'Union européenne et insistez sur la souveraineté industrielle du pays. La France peut-elle se permettre de faire cavalier seul pour relancer son industrie ?

    Nous avons deux solutions vis-à-vis de l'Union européenne : soit plaider pour un changement de modèle tant attendu afin d'être moins naïf sur les évolutions mondiales, soit agir nous-même pour devenir une référence à suivre pour les autres États membres. Ainsi, l'Allemagne n'a pas attendu l'Europe pour sauver son modèle grâce aux réformes Hartz menées par le Chancelier Schröder au début des années 2000. De plus, pour obtenir des arbitrages favorables dans les instances de l'Union européenne, la France doit se renforcer pour être crédible. En ce sens, devenir la première puissance économique européenne doit être un objectif car cette qualité nous permettra d'avoir le statut nécessaire de changer l'Europe.

    Pour autant, la stratégie française doit prendre en compte les spécificités européennes aussi bien ses atouts que ses faiblesses. Sur nos quinze propositions seulement deux nécessitent une modification européenne. Il s'agit d'une réforme de la politique de concurrence afin de lever les seuils permettant de créer des champions européens à partir de nos champions nationaux. L'autre concerne, la protection de notre marché intérieur pour imposer une barrière douanière aux produits qui ne respectent pas nos normes. D'autres propositions auraient pu faciliter la mise en place de notre plan, mais elles nécessitaient l'accord des autres capitales européennes, ce qui est peu probable notamment sur la politique commerciale.

    Vous parlez de «certains choix économiques et industriels discutables» qui seraient «à l'origine du déclin industriel français». À quoi faites-vous référence ?

    La France a manqué deux tournants clés, il s'agit de l'entrée dans la mondialisation dans les années 80 et le début des années 2000 lorsque l'Allemagne commence à se redresser après avoir été qualifié d'«homme malade de l'Europe».

    En 1981, la France a raté son entrée dans la mondialisation. Alors que tous les pays occidentaux adaptaient leur économie à l'ère néolibérale, les réformes socialistes ont plongé la France dans un état d'esprit où notre État-providence et notre bureaucratie interdisent davantage qu'ils ne protègent nos acteurs économiques. Les élites socialistes conduites par François Mitterrand ont négligé les mutations mondiales préférant s'accrocher aux vieilles lunes socialistes qui n'étaient plus valables avec une ère keynésienne mise à mal par les deux chocs pétroliers et l'ouverture à la concurrence induite par la mondialisation. Ainsi, il a été privilégié des politiques de soutien à la consommation par la revalorisation du SMIC et la réduction du temps de travail plutôt que de favoriser l'innovation et l'investissement dans les secteurs d'avenir. Ces manquements sont à l'origine du déclin français qui marque une rupture avec l'épopée industrielle gaulliste.

    À cela s'ajoute le manque de réforme structurelle au début des années 2000 marquées par le tandem Jacques Chirac et Lionel Jospin. Ces années sont cruciales pour comprendre le retard accumulé par la France. Alors que le PIB par habitant de la France et de l'Allemagne se situent à un niveau proche dans les années 2000, un écart se creuse à partir des années 2005-2006. En effet, la France n'a pas mené de réformes structurelles et a poursuivi une politique de baisse du temps de travail inadapté aux mutations industrielles mondiales. Tandis que les réformes structurelles conduites par le chancelier Schröder ont donné un avantage comparatif aux acteurs économiques allemand pour qu'ils puissent s'imposer dans la concurrence mondiale. Ce décrochage économique français s'est révélé par deux fois : lors de la crise de 2008 et lors de la crise sanitaire de 2020-2021.

    Vous expliquez que le bas coût de la main-d’œuvre en Asie lui est profitable. Considérez-vous que le SMIC – qui, en comparaison avec les salaires asiatiques, est élevé en France - est un frein à la compétitivité industrielle de la France ?

    Les pays est-asiatiques dont nous avons choisi de nous inspirer ont bénéficié d'une abondance du facteur travail, comme la France de la fin des années 1950. Dans un premier temps, l'absence d'un modèle social protecteur leur a permis de s'insérer dans les échanges intra-branches, principalement en qualité de fournisseurs de composants destinés à l'exportation, avant de produire des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée, permettant un rattrapage des salaires.

    La Commission européenne a longtemps jugé le salaire minimum français «trop élevé». En 2020, selon l'OCDE, la France dispose du troisième plus haut niveau de salaire minimum horaire réel en PPA des pays développés avec un salaire de 12,2 $ par heure. Il s'agit d'un niveau légèrement plus élevé que l'Allemagne (12 $), et bien plus élevé que la Corée du Sud (8,9 $) ou encore que le Japon (8,2 $). D'autant plus que la France est un des pays qui travaille le moins puisque la durée de travail tout au long de la vie est la plus faible des pays de l'OCDE. Il s'agit en effet d'un frein à la compétitivité industrielle de la France. Pour autant, la problématique du SMIC en France est davantage liée au coût qu'il représente pour l'entreprise. Il convient donc de revoir le financement de notre modèle social qui pèse beaucoup trop sur le travail et qui mine notre compétitivité. Pour faire de la France le paradis du travail, il faut rompre avec notre politique économique basée sur la consommation et la dépense publique.

    Le schéma démographique, social et surtout politique de la France est assez éloigné des modèles asiatiques, est-il ainsi possible d'adopter leur modèle économique et industriel ? Les choix économiques ne vont-ils pas de pair avec le contexte politique et sociétal ?

    L'idée est de s'inspirer dudit modèle, pas de nier des dérives inhérentes et les répercussions évidentes du dirigisme autoritaire en Chine ou auparavant en Corée du Sud sur les libertés individuelles. Nous souhaitons nous inspirer de la méthode de fonctionnement en l'adaptant à notre trajectoire historique, nos problématiques sectorielles ainsi qu'à nos traditions et notre culture politique.

    En ce sens, l'action du général de Gaulle est une illustration des possibilités d'adopter un modèle économique qui peut faire notre singularité. Son plan d'action autour de réformes économiques et un pilotage à travers le commissariat au plan ont constitué une singularité française. Nous subissons depuis les années 80, ce que le philosophe Marcel Gauchet appelle «le malheur français», puisque nous sommes dans un modèle d'entre deux : entre la volonté de conserver notre singularité et la nécessaire adaptation à la mondialisation. Les pouvoirs publics ont souhaité adapter la France à la mondialisation depuis le fameux tournant de la rigueur en 1983, sans pour autant l'assumer. Ils ont ainsi fait porter cette adaptation par les institutions européennes tout en compensant les effets pervers de la mondialisation par une politique sociale dispendieuse. Cette même politique sociale qui mine notre compétitivité et qui empêche nos acteurs économiques de pouvoir conquérir les marchés européens et mondiaux.

    Le nouveau cycle économique qui s'ouvre après les ères keynésiennes et néolibérales est plus propice à la culture française puisqu'il s'agit de cumuler la prospérité économique avec une aspiration de puissance. En prenant en compte cette évolution, nous proposons de bâtir une nation d'industriels et de savants pour construire la France d'après-crise et rompre avec le Malheur français ainsi que la spirale infernale du nivellement par bas. Pour cela, notre plan d'action regroupe 15 propositions autour de trois axes : des réformes structurelles pour créer un environnement propice aux acteurs économiques, renforcer notre tissu économique autour de champions nationaux et un réseau de PME et d'ETI.

    Cette note de politique industrielle paraît dans un contexte d'élection présidentielle. Quel candidat est, selon vous, le plus à même de relancer l'industrie et de partager ces recommandations ?

    Au vu de leur position économique, trois candidats sont susceptibles d'appliquer ce programme, avec chacun des forces et des défauts : Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Éric Zemmour.

    Le Président prochainement candidat a pour lui sa volonté d'axer sa politique économique sur l'amélioration de l'attractivité française et l'investissement. À ce titre, sa politique de baisse des impôts notamment sur le capital (transformation de l'ISF et mise en place de la flat tax), et sa politique d'investissement à travers le plan France 2030 vont dans le bon sens. Cependant, nous pouvons avoir des doutes sur sa volonté réformatrice. Tout d'abord, l'abandon du plan Action publique 2022 et son absence de réforme structurelle durant son quinquennat sont un manque. Ensuite, Emmanuel Macron se heurte à une certaine résistance comme le soulignent les manifestations récentes après ses propos sur les «non-vaccinés». Est-ce qu'une tentative de réformes structurelles en cas de réélection ne se heurtera pas à un blocage de la société comme lors des Gilets jaunes et des manifestations contre sa tentative avortée de réforme des retraites ?

    Valérie Pécresse présente de nombreux avantages en s'inspirant du programme de François Fillon. Ses réformes économiques sont les plus précises et les plus volontaristes. Cependant, comme l'ancien Premier ministre, son programme apparaît comme punitif parce qu'il ne propose pas une perspective aux Français, à savoir un cap. Si, elle arrive à projeter une vision comme celle que nous proposons à savoir bâtir une nation d'industriels et de savants, elle apparaîtra comme la mieux armée parmi les trois parce qu'elle arrivera à justifier les efforts nécessaires pour construire la France d'après-crise.

    Éric Zemmour a des positions plus libérales que Marine Le Pen, dont le programme économique et social comprend la retraite à 60 ans. En revanche, il n'a pas projeté ses réformes pour bâtir la France de 2050 et son programme, trop interventionniste, ne comporte pas de réelles réformes structurelles. En ce sens, il cumule les défauts d'Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse : un manque de volonté de réforme structurelle, une possibilité non négligeable de manifestations, et une absence de vision économique.

    William Thay (Figaro Vox, 18 janvier 2022)

     
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  • Anatomie d'une France divisée...

    Vous pouvez découvrir un entretien donné le 16 janvier 2021 par Jérôme Fourquet à Livre Noir pour disséquer la France qui va se déchirer pour la campagne présidentielle.

    Analyste politique, expert en géographie électorale, directeur du département Opinion à l'IFOP, Jérôme Fourquet a récemment publié L'archipel français (Seuil, 2019).

     

                                                 

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