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Entretiens - Page 58

  • «L'intersectionnalité est une revendication militante qui n'a aucune réalité scientifique»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean Szlamowicz à Figaro Vox pour évoquer les concepts qui ont été imposés dans le débat public par les militants de la gauche woke. Normalien, agrégé d'anglais et traducteur, Jean Szlamowicz vient de publier Les moutons de la pensée - Nouveaux conformismes idéologiques (éditons du Cerf, 2022).

     

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    Jean Szlamowicz : «L'intersectionnalité est une revendication militante qui n'a aucune réalité scientifique»

    LE FIGARO.- Votre livre s'en prend aux «concepts» que notre époque a fait émerger : intersectionnalité, patriarcat, blanchité, décolonialisme… Que dire sur ce sujet qui n'a pas encore été dit ?

    Jean SZLAMOWICZ.- En effet, des critiques fort aiguisées ont été formulées, par Pierre-André Taguieff, Nathalie Heinich, Shmuel Trigano, François Rastier… Il manquait une approche linguistique s'intéressant à la cohérence de ces discours et à l'imposture que ces concepts constituent. C'est capital pour pouvoir accéder aux débats car ce nouveau vocabulaire s'est imposé de manière frauduleuse, dans la recherche comme dans les médias. Beaucoup de gens se trouvent désorientés par ces mots obscurs, prétentieux, autoritaires : cette rhétorique crée une insécurité linguistique et intellectuelle agressive car elle prétend devoir être adoptée par chacun. Contre ce forçage idéologique, j'ai voulu proposer un guide des égarés permettant de s'orienter dans ce magma moralisateur…

    Loin de n'être que des concepts descriptifs, ces termes comportent tous une part de négativité, dites-vous. Que révèle l'utilisation massive du registre de la psychologie ? En quoi est-ce révélateur, selon vous, d'un problème de méthodologie ?

    Oui, en vérité, ces notions ne sont pas de vrais concepts relevant des sciences sociales : l'intersectionnalité ou le néo-féminisme ne sont pas des sciences, mais des revendications militantes. La démarche de ces discours ne consiste donc pas à produire des savoirs mais à légitimer leurs postures, souvent avec mauvaise foi et avec des biais de sélection. Quand on parle de «blanchité» ou de «décolonialisme», on utilise des termes qui paraissent savants mais qui ne font que diaboliser leur objet sur le plan moral. Cela n'a aucune valeur descriptive, ce sont des formules accusatoires. L'emploi de termes construits sur le suffixe –phobie est révélateur d'un procédé de pathologisation : «islamophobie», «glottophobie», «transphobie» permettent de discréditer radicalement celui que l'on accuse. La manipulation réside dans le fait de l'appliquer comme bouclier face à la moindre critique.

    Ce ne sont pas des concepts qui décrivent le social, mais des mots pseudo-savants qui servent d'injure idéologique afin de bloquer toute critique envers les théories du genre ou l'islam politique. Quant à la déconstruction des «imaginaires» et des «représentations», elle se situe dans le plus grand flou méthodologique : on ne sait pas comment cette critique aurait accès à des choses immatérielles, subjectives et qui ne sont, du reste, jamais définies précisément. D'ailleurs, «critique» ou «déconstruction» sont souvent revendiquées dans un sens noble, alors qu'il ne s'agit la plupart du temps que de pure péjoration, sans horizon véritablement solide intellectuellement.

    Deux grands principes illustrent ces nouveaux concepts: un scepticisme radical sur la possibilité même d'une connaissance objective (tout est construction sociale, y compris le savoir), et le principe selon lequel la société est structurée par des systèmes de pouvoir (le patriarcat, le privilège blanc, etc.). Peut-on parler de «complot sans comploteurs ?»

    Cette idéologie de la déconstruction, du genre ou du décolonialisme découvre la lune : les sociétés sont régies par des normes ! Mais il n'est pas de collectivité humaine qui ne partage des valeurs, des comportements, des croyances dont l'existence est structurante pour le groupe. C'est la définition même du social — et de ce point de vue, toutes les sociétés tendent à être conservatrices, ce qui ne les empêche pas d'évoluer. Mais au lieu de s'inscrire dans une critique progressiste, l'idéologie postmoderniste voit dans tout phénomène social la main invisible des «dominants». On invente ainsi une «masculinisation» de la langue, comme si la langue avait été «créée» ! On imagine alors des hommes, réunis dans un secret manipulateur pour inventer des formes grammaticales humiliantes pour les femmes, comme «il fait froid» ou le pronom impersonnel, similaire au pronom masculin, verrait le triomphe d'un virilisme linguistique. D'autres imaginent que «le patriarcat» est responsable d'avoir retardé l'émergence des roulettes sur les valises. Ou que les Grecs étaient des Noirs qu'on a effacés de l'histoire. Ou que les mathématiques sont un instrument du suprémacisme blanc. «Masculinisation», «invisibilisation», «racisme systémique»… C'est une lecture mythifiante de l'histoire, l'invention d'une martyrologie raciale et sexuelle. C'est pour cela que je parle de «mythéologie» pour décrire ces arguments et ces récits mythifiés qui ont pour vocation de promouvoir des idéologies.

    Comment une partie de la recherche universitaire a-t-elle, selon vous, basculé dans une sorte de délire paranoïaque ?

    Le troupeau des directeurs de conscience, persuadés que leurs petits diplômes les élèvent à une dignité morale supérieure à celle du peuple, s'est mis à théoriser le politique à partir de la fiction. En prenant les récits pour le réel, en se gargarisant de mots, la prétention universitaire a fait ce qu'elle a toujours su faire : donner des leçons de morale. L'effondrement du niveau général aboutit aujourd'hui à avoir des chercheurs et des enseignants à la formation lamentable. Quand on ne fait de la recherche que sur les séries télé, le porno et Pif le chien, on ne risque pas d'avoir un niveau théorique très élevé. On compense en jargonnant, en toute inconséquence, et on parle de «représentations», ce qui évite de recueillir de vraies données. C'est le triomphe des «studies : cultural studies, porn studies, gender studies, video game studies»… Ce ne sont pas des disciplines dotées de principes méthodologiques, mais du bavardage. C'est davantage accessible pour un public étudiant qui n'est plus en mesure de comprendre — encore moins de produire — de la vraie recherche exigeante.

    Comme l'intersectionnalité est désormais le courant dominant, pour faire carrière, il vaut mieux adopter ce discours et cette posture plutôt que de s'intéresser à des sujets trop complexes ou qui ne se plient pas à cette orthodoxie. Il y a une demande sociale pour ce militantisme de la bonne conscience : n'oubliez pas que l'idéologie, c'est aussi un marché. De fait, le développement d'une surveillance idéologique dans l'université est devenu très préoccupant — on trouve maintenant des «référents déontologues», autant dire des commissaires politiques !

    Selon vous, cette prétendue révolution culturelle ne vise rien de moins que l'éradication de la culture commune. N'est-ce pas exagéré ?

    Le révisionnisme de la «cancellisation généralisée» touche désormais tous les sujets patrimoniaux : littérature, histoire, musique… De la sexualité à l'urbanisme, tout doit être dégenré et décolonisé ! De Ronsard à Keats ou Eschyle, l'ensemble de la culture occidentale subit une lecture raciale ou sexuelle simpliste de pure réprobation. Fait notable, seul l'Occident serait sexiste et raciste. Ce manichéisme moral porte la trace de décennies de militantisme marxiste d'origine soviétique, relayé aujourd'hui par l'islamisme, nécessairement anti-occidental et antisémite. La partialité de cette militance oublie, bien sûr, de signaler que l'égalitarisme et l'antiracisme font partie de notre consensus national, ce qui n'est pas le cas ailleurs, par exemple dans les théocraties islamiques qui sont, curieusement, épargnées par ces discours. Pour d'autres raisons, cette idéologie est aussi véhiculée par l'UE dans une quête éperdue d'arasement culturel.

    La base sociale que constituent les élites est très à l'aise avec ces discours intersectionnels qui favorisent le clientélisme car cela converge avec une vision du social comme marché, constitué de niches qui sont autant de cibles. Les forces qui alimentent cette idéologie sont d'origines multiples mais elles aboutissent au développement d'un communautarisme égocentré, religieux, sexuel, ethnique… On ne parle plus qu'en termes de quotas et de représentation sociale pour obtenir des postes et des carrières. L'idéologie est un bain d'idées dans lequel les acteurs sociaux sont plongés. Il faut bien avoir conscience qu'on est en train de changer l'eau du bain — mais attention, la nouvelle eau risque bien d'être toxique !

    Ne pensez-vous pas tomber dans l'écueil d'une hystérisation du débat et surévaluer l'ampleur réelle de la menace dite «woke» ?

    J'aimerais bien, mais l'action politique, notamment par le biais de l'Union européenne, finance ce courant idéologique de manière massive. Ce courant idéologique est largement institutionnalisé et l'entrisme s'est désormais constitué en pouvoir. Certes, la politique du «en même temps» est faite pour rassurer mais on ne peut pas à la fois faire une loi contre le séparatisme et dire qu'il n'y a pas de culture française ; prétendre à l'excellence internationale et faire reculer les savoirs fondamentaux ; parler de souveraineté et obéir aux cadres européens. Là où je suis très optimiste, c'est que la nullité intellectuelle du «wokisme» la condamne à s'auto-anéantir. On ne peut pas fonder des savoirs sur la mauvaise foi et le parti pris. On ne peut pas déconstruire sans jamais rien construire.

    Jean Szlamowicz, propos recueillis par Ronan Planchon (Figaro Vox, 31 mars 2021)

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  • Transmission de la mémoire européenne...

    Le 6 février 2022, Charles Gave recevait, sur la chaîne de l'Institut des libertés, Jean-Yves le Gallou pour évoquer ces jeunes, qui après avoir subi l'entreprise de nivellement par le bas imposée par l’Éducation nationale, commencent d'eux mêmes à venir chercher des ressources intellectuelles alternatives et se tournent vers des formations de terrain, en fonction de leurs sensibilités politiques.

    Cette maturité n'est évidemment pas du ressort de tous, mais, Jean-Yves Le Gallou constate quand même cette soif, cette volonté de se réapproprier le savoir et de choisir d'orienter soi-même son cheminement vers la connaissance.

     

                                             

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  • Les manœuvres de l'antiracisme d'Etat...

    " Connaissez-vous la Dilcrah, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (ouf) ? Non ? Alors, rappelez-vous du film magnifique "Le Corbeau" de 1943 de Georges Clouzot avec l’épatant Pierre Fresnay. Le film est inspiré d’un fait divers réel survenu en 1922, l’affaire de Tulle. Plus de cent lettres anonymes dénonçaient alors la "mauvaise conduite " de certains, l’adultère des uns, l’enfant naturel des autres. L’auteur, une vieille fille frustrée signait "L’œil du tigre" et ajoutait le dessin d’un corbeau. Le corbeau dénonce un tel qui couche avec une telle alors qu’il est marié, ou celui qui ne braie pas avec le troupeau, mais le corbeau exige aussi la punition par l’intercession du jugement moral de la communauté.

    Roland Hélie, Philippe Randa et Pierre de Laubier reçoivent, dans leur émission Synthèse, Claude Chollet, collaborateur de la revue Éléments qui vient de publier La Dilcrah, fossoyeur de nos libertés (La Nouvelle Librairie, 2020) ; il dénonce, au nom de la salubrité publique, sa nuisance souvent haineuse et toujours partisane. "

     

                                                

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  • McKinsey : le scandale d’un Etat dans les Etats...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 19 mars 2022 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Régis de Castelnau, pour évoquer le nouveau scandale d'état qui secoue la système Macron : l'affaire du cabinet de conseil McKinsey...

    Avocat, Régis de Castelnau, qui a enseigné à l’université Paris II, collabore à plusieurs médias de la sphère souverainiste et anime le site Vu du droit. Il a publié Une justice politique - Des années Chirac aux années Macron, histoire d'un dévoiement (Toucan, 2021).

     

                                           

    " Selon, le rapporteur communiste Eliane Assassi, la commission d’enquête sénatoriale a révélé un "phénomène tentaculaire" : l’explosion des recours aux cabinets de conseils au cœur des arcanes du pouvoir. En effet, depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, le recours aux cabinets privés a grimpé en flèche avec un cumul minimum estimé à 2,4 milliards d’euros facturés. Parmi les cabinets de conseils, McKinsey est le plus sollicité. Il est aussi celui qui n’a pas payé d’impôt sur les sociétés en France depuis plus de 10 ans. Le cabinet est intervenu sur la réflexion autour de la réforme des retraites auprès de la CNAV pour 920 000 euros. Il a également facturé 4 millions pour proposer la réforme des APL consistant à les baisser de 5 euros. Une note sur les enjeux des métiers de l’enseignement a quant à elle coûté un demi-million d'euros… Avec la crise sanitaire autour du Covid-19, les prestations du cabinet américain McKinsey ont littéralement explosé. En France, au moins 68 travaux auraient été commandés pour une somme de 41 millions d’euros. Stratégie vaccinale, logistique, McKinsey était sur tous les fronts, y compris dans de nombreux autres pays du monde… Pas étonnant que les gouvernements progressistes aient tout particulièrement affectionné les confinements et autres vexations des populations.

    McKinsey-Macron : une histoire d’amour et de fraîche

    On l’appelle La Firme ! McKinsey affiche selon le magazine Forbes un chiffre d’affaires de près de 8,5 milliards de dollars en 2019. Fondé en 1920, McKinsey a élu domicile à Wilmington, dans le Delaware, un paradis fiscal. En février 2021, la Firme acceptait de verser 574 millions de dollars pour éviter les poursuites aux Etats-Unis dans le scandale des opiacés, qui aurait fait, selon les autorités américaines, quelque 400 000 morts. Le cabinet de conseils avait collaboré avec la société pharmaceutique Purdue Pharma pour inciter des médecins à prescrire des opiacés en laissant croire qu’il n’y avait ni accoutumance, ni risque de toxicomanie. Un accord semblable de 100 millions d’euros avait déjà été scellé en Afrique du Sud pour des interventions complexes avec la filière énergétique. En Australie, alors que McKinsey conseille une firme pharmaceutique sur le développement de vaccins à ARN Messager, le cabinet conseille aussi le gouvernement sur sa stratégie vaccinale contre le Covid-19. Une belle démonstration des conflits d’intérêts qui n’arrête pas McKinsey. En France, McKinsey était présent en 2007 avec plusieurs individus siégeant dans la Commission Attali, censée libérer la croissance. On y retrouvait déjà un certain Emmanuel Macron. En 2012, le cabinet intervenait également dans la fusion acquisition entre Pfizer et Nestlé organisée par Emmanuel Macron lorsqu’il était banquier d’affaires chez Rothschild. C’est cette transaction qui permettra à l’actuel président d’être au moins millionnaire, même si sa déclaration de patrimoine ne fait plus état que d’un demi-million d’euros. C’est aussi McKinsey qui sera sollicité en 2017 pour rédiger une bonne partie du programme politique du candidat Macron. Face à ces manquements patents d’éthique et souvent du respect des lois, la justice semble occupée ailleurs. A deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle, "Le Samedi Politique" est l’émission que tous les Français devraient regarder attentivement pour comprendre comment leurs impôts sont employés et éclairer leur vote ! "

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  • Alain de Benoist : « Le grand continent eurasiatique est à nouveau coupé en deux » ...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh-Info, dans lequel celui-ci donne son sentiment sur l'actualité récente, et notamment sur la question corse, la campagne présidentielle et la guerre russo-ukrainienne.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

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    Alain de Benoist : « L’électorat Zemmour est un électorat anti-immigration, celui de Marine Le Pen est un électorat anti-Système »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, que vous inspirent le déplacement de Gérald Darmanin en Corse et l’évocation d’une autonomie possible pour la Corse ?

    Alain de Benoist : On pourrait parler de « divine surprise » s’il n’y avait pas quelques motifs d’être dubitatif. D’abord, c’est une drôle de façon de procéder que de se dire prêt « à aller jusqu’à l’autonomie » avant même que les négociations aient commencé. En général, on ne met pas sur la table le résultat de la discussion avant d’avoir commencé à discuter. Cela ressemble à un aveu de faiblesse, à moins qu’il ne faille y voir un geste démagogique ou une simple manœuvre électorale. Le problème se pose d’autant plus que la position adoptée par Darmanin représente une totale volte-face de la part d’un gouvernement qui, depuis cinq ans, s’est refusé à donner la moindre suite à toutes les demandes politiques formulées par les Corses. Rappelez-vous qu’en février 2018, lorsqu’il s’était rendu lui-même en Corse, Emmanuel Macron avait même opposé une fin de non-recevoir à ceux qui lui demandaient seulement de reconnaître le « caractère politique de la question corse ». Ce simple rappel justifie le scepticisme.

    Ensuite il faudrait savoir ce que Darmanin entend par « autonomie ». Le mot peut recouvrir des choses bien différentes. Attendons donc de savoir ce que les amis d’Emmanuel Macron mettent sous ce terme. Quelle autonomie ? Dans quels domaines ? Par quels moyens ? La question-clé est celle-ci : le gouvernement est-il prêt à reconnaître l’existence d’un « peuple corse », demande fondamentale pour tous les autonomistes ? On sait que la Constitution s’y oppose, puisqu’elle ne veut connaître qu’une nation « une et indivisible » dans la pure tradition jacobine. Et si par extraordinaire on reconnaissait l’existence d’un peuple corse, comment s’opposer à la reconnaissance par exemple du peuple breton ? Comment nier plus longtemps qu’il existe à la fois un peuple français et des peuples de France qui, s’ils le souhaitent, devraient également, à mon avis tout au moins, pouvoir eux aussi accéder à l’« autonomie ». Mais je vois mal le gouvernement s’engager sur cette pente glissante. Ce serait trop beau !

    Breizh-info.com : Des plans banlieues à l’autonomie de la Corse en passant par l’abandon de Notre-Dame des Landes (aéroport), les autorités ne montrent-elles pas que, finalement, seule la violence permet d’établir un rapport de force et d’obtenir des avancées avec ces mêmes autorités ?

    Alain de Benoist : Question naïve. Il n’y a que la bourgeoisie libérale pour s’imaginer que tous les problèmes politiques peuvent se résoudre de manière irénique sans que la violence ne surgisse à un moment ou à un autre. La politique est avant tout un rapport de forces. Lorsque les circonstances s’y prêtent, on assiste à une montée aux extrêmes qui ne peut pas se résoudre par les vertus de la « discussion », de la « négociation » ou du « compromis ». De surcroît peut aussi arriver un moment où les autorités détentrices du pouvoir légal en arrivent à perdre leur légitimité. La dissociation de la légalité et de la légitimité a pour effet que c’est la contestation violente qui peut alors devenir légitime.

    Les Gilets jaunes, comme les chauffeurs-routiers plus récemment, n’ont commencé à être entendus que lorsqu’ils sont descendus dans la rue pour manifester de façon un peu musclée. Il en va de même des autonomistes corses. La décolonisation a été acquise par la violence. Sans le recours au terrorisme par le FLN l’Algérie n’aurait peut-être pas été indépendante (ou ne l’aurait été que beaucoup plus tard). On peut le regretter, mais c’est ainsi. Georges Sorel opposait la violence sociale, légitime à ses yeux, à la simple légalité de la force publique. Il n’avait pas tort. Évitons la violence quand on peut l’éviter, mais cessons de croire qu’on peut durablement l’évacuer de la vie politique. Les guerres aussi sont des choses très désagréables – mais il y en aura toujours !

    Breizh-info.com : Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle, assez inédite finalement puisque les électeurs sont privés de débats entre des candidats qui mènent chacun campagne essentiellement dans leurs sphères respectives ? Là encore, est-ce le signe d’une démocratie malade ?

    Alain de Benoist : Il existe à mon sens des signes beaucoup plus forts de la crise généralisée des démocraties libérales que cette absence de débats entre les candidats à la présidentielle ! D’ailleurs, vous exagérez un peu : il y a quand même eu quelques débats, mais force est de constater qu’ils n’ont pas intéressé grand monde. Ils se résument en général à un échange d’invectives et de procès d’intention qui ne font pas avancer les choses.

    La grande caractéristique de la prochaine élection présidentielle est que, si l’on en croit les sondages, les jeux sont faits d’avance : Emmanuel Macron sera réélu. C’est ce que pense une majorité de Français, alors même qu’en majorité aussi ils semblent souhaiter qu’il n’en aille pas ainsi. Intéressant paradoxe. Il en résulte un désintérêt qui laisse prévoir, sauf événement de dernière minute, une très forte abstention qui pénalisera certains candidats plus que d’autres.

    En octobre dernier, dans un entretien précédent, je vous avais dit qu’«on aurait tort d’enterrer Marine Le Pen ». C’était à un moment où tout le monde pariait sur son effondrement au profit d’Eric Zemmour. Je soulignais également que ce qui séparait essentiellement Marine Le Pen et Eric Zemmour, ce n’était pas tant leur personnalité ou leurs idées que leurs électorats (classes populaires ou moyenne bourgeoisie radicalisée) et leurs stratégies (« bloc populaire » ou « union des droites »). C’est ce qui s’est confirmé. Zemmour a jusqu’à présent échoué dans son ambition. Son électorat est instable, et il reste à peu près au niveau de Pécresse, qui est en baisse, et de Mélenchon, qui est en hausse. Ceux qui ont parié sur son succès ont cru que Marine Le Pen allait échouer parce que son parti se porte mal (ce qui est exact) sans voir que ses électeurs s’intéressent très peu au parti en question : ils votent Marine, pas Rassemblement national ! Quant aux ralliements à Zemmour, à commencer par celui de Marion Maréchal, ils n’ont, comme je l’avais prévu, strictement rien changé aux intentions de vote. Reste la donnée fondamentale : l’électorat Zemmour est un électorat anti-immigration, celui de Marine Le Pen est un électorat anti-Système. Il faudra s’en souvenir quand sonnera l’heure de la recomposition.

    Breizh-info.com : La situation internationale, après deux années de crise dite du Covid 19, commence déjà à avoir de lourdes répercussions économiques. Pour le moment, l’Etat sort le chéquier pour tenter de colmater les brèches. Est-ce selon vous tenable à long terme ? Qui paiera ?

    Alain de Benoist : A votre avis ? Vous et moi, bien sûr – pas les Ukrainiens ! Les répercussions économiques sont déjà là et les choses ne peuvent que s’aggraver. Les lamentables sanctions, d’une ampleur sans aucun précédent, qui ont été décrétées contre la Russie pour satisfaire aux exigences américaines, vont aggraver les choses. Nous en paierons le prix tout autant que les Russes, sinon plus. L’inflation (matières premières, carburants, gaz, électricité) va aggraver la chute du pouvoir d’achat, qui est désormais la première préoccupation des Français. Un déséquilibre plus général est à redouter dans un contexte de crise financière mondiale rampante (et de refonte éventuelle du système monétaire). Pendant ce temps, l’endettement public continue de croître jusqu’à atteindre des hauteurs himalayesques. Est-ce tenable à long terme ? Non sans doute. Mais quand commence le long terme ?

    Breizh-info.com : Le rêve d’une Europe unie de Brest à Vladivostock est-il mort avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie ?

    Alain de Benoist : Il est d’autant plus mort qu’il n’a jamais connu le moindre début de réalisation. Il en va de même de l’axe Paris-Berlin-Moscou dont nous sommes quelques uns à avoir également rêvé. La conséquence première de la guerre qui se déroule en ce moment est la recréation du rideau de fer, à cette différence près que c’est un rideau de fer dressé aux frontières de la Russie par les Occidentaux, dans l’espoir de museler un compétiteur jugé dangereux, et non un rideau de fer dressé par les Soviétiques pour empêcher les gens d’aller voir ailleurs. Le déluge de propagande russophobe auquel nous assistons en ce moment est de ce point de vue significatif. Le grand continent eurasiatique est à nouveau coupé en deux – ce qui n’a que le mérite de clarifier les choses.

    Ce qu’il faut bien voir, en attendant de pouvoir en faire une analyse plus complète, c’est que la guerre entre l’Ukraine et la Russie n’est pas seulement, ni même principalement, une guerre entre deux pays. Ce n’est pas non plus un affrontement entre le nationalisme ukrainien et le nationalisme russe, comme beaucoup cherchent à le faire croire. C’est d’abord une guerre entre la logique de l’Empire et celle de l’Etat-nation. C’est ensuite, plus globalement, une guerre entre l’Ouest et l’Est, entre le monde libéral et celui des « espaces civilisationnels », entre la Terre et la Mer. C’est-à-dire une guerre pour la puissance mondiale.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-Info, 22 mars 2022)

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  • Ni parti, ni vote, ni Etat : la révolution antipolitique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 19 mars 2022 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Laurent Obertone, pour évoquer son dernier essai, Game over - La révolution antipolitique (Magnus, 2022)...

    Journaliste, Laurent Obertone est l'auteur de trois enquêtes essentielles, La France Orange mécanique (Ring, 2013), La France Big Brother (Ring, 2015) et La France interdite (Ring, 2018), qui ont contribué à ébranler l'édifice du politiquement correct, ainsi que du récit Utøya (Ring, 2013) et des roman de politique-fiction Guérilla - Le jour où tout s'embrasa (Ring, 2016) et Guérilla - Le temps des barbares (Ring, 2019).

     

     

                                          

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