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Entretiens - Page 140

  • Macron, le contre-populiste...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la notion de post-vérité... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « L’impopularité de Macron ne peut que croître, et le réservoir protestataire devenir explosif »

    Il est évidemment un peu tôt pour juger l’action d’Emmanuel Macron. Il semble pourtant déployer un peu plus d’habileté politique que ses deux prédécesseurs. Mais est-ce vraiment un exploit ?

    J’avais inventé, il y a quelques années, l’expression de « pensée unique », qui est aujourd’hui reprise partout. Ayant écrit, dès 1977, qu’il fallait penser simultanément ce qu’on avait pensé jusque-là contradictoirement, ce n’est pas moi qui pourrais être choqué par le « en même temps » cher à Macron. Mais encore faut-il savoir ce que recouvre cette expression.

    Au lendemain de primaires qui se sont révélées désastreuses à droite comme à gauche, mais qui ont très bien fonctionné comme révélateur de la crise des partis, Macron a été le seul à faire primer la logique électorale sur la logique « identitaire » parce qu’il était le seul à n’être sûr ni de perdre (comme Hamon) ni de gagner (comme Fillon). C’est ce qui lui a permis de l’emporter avec, au premier tour, moins d’un quart des suffrages exprimés. Dans une démocratie devenue liquide, sinon gazeuse, il a su instrumentaliser à son profit l’épuisement du clivage droite-gauche et l’aspiration au « dégagisme » d’un électorat qui ne supportait plus la vieille classe politique. Il a également compris que l’alternance des deux grands partis ne mettait plus en scène que des différences cosmétiques, et que l’heure était venue de les réunir en un seul.

    Macron est avant tout un contre-populiste. Il reprend à son compte le nouveau clivage « conservateurs » contre « progressistes », mais c’est pour choisir la seconde branche de l’alternative : réunir les partisans de l’« ouverture » (en clair : les bourgeoisies libérales de tous bords) contre les tenants de la « fermeture » (en clair : ceux qui s’opposent, instinctivement ou intellectuellement, à l’idéologie dominante).

    Contrairement à l’hyper-Président Sarkozy et à l’hypo-Président François Hollande, Macron est un homme difficile à cerner. Il a un ego hypertrophié et un tempérament autoritaire, un mental d’adolescent cynique qui rêverait d’un bonapartisme moderniste et libéral. Mais il n’est pas Napoléon, et l’on ignore comment il se comporterait en situation d’urgence. Pour l’instant, il communique plus qu’il ne règne. Il fait des déclarations contradictoires (certaines ne sont pas mauvaises) dans l’espoir de séduire chacun, mais en prenant le risque de décevoir tout le monde. Il ne supporte pas qu’on lui résiste, il n’aime pas les corps intermédiaires, il est insensible aux aspirations populaires, il n’a rien à dire à la France qui va mal. Tout cela n’est pas de bon augure.

    Pour quelles raisons, exactement ?

    Parce que nous assistons à une autre révolution, sociologique celle-là : c’est la disparition progressive de ces classes moyennes qui n’avaient cessé de grossir à l’époque du compromis fordiste, quand la richesse accumulée en haut de la pyramide sociale finissait par redescendre vers le bas. Aujourd’hui, la pyramide a été remplacée par un sablier : les riches sont toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres, et les classes moyennes sont en voie de déclassement et de paupérisation. C’est ce qu’observe depuis longtemps Christophe Guilluy : « Le grand sujet caché depuis trente ans, c’est la disparition de la classe moyenne au sens large […] Ce qui explose, c’est la classe moyenne occidentale qui n’est plus intégrée au modèle économique mondialisé […] La loi Travail n’est que la suite d’une longue succession de mesures qui ne visent qu’à dépouiller une classe moyenne qui ne sert plus à rien. »

     

    La nouvelle structuration de l’électorat est le reflet de cette dynamique économique et sociale. Le vote Macron en est l’illustration parfaite : il a obtenu ses meilleurs résultats dans les grandes villes mondialisées, à commencer par Paris, où il a aussi bien gagné les suffrages des bobos et des libéraux de gauche que de la bourgeoisie de droite (y compris celle de la Manif pour tous). De même, les électeurs parisiens de Mélenchon se sont en quasi-totalité rabattus sur Macron au second tour, alors qu’ailleurs beaucoup ont préféré s’abstenir (39 %) ou, plus rarement, voter pour Marine Le Pen (14 %). Les retraités, eux aussi, ont massivement voté pour lui – avant de découvrir qu’ils étaient les grands perdants de sa nouvelle politique fiscale…

    Après les ouvriers, les employés et les commerçants, les professions intermédiaires et bientôt les retraités : les classes moyennes sont appelées à rejoindre les classes populaires face à un « monde d’en haut » qui se trouve de plus en plus dans une position de domination de classe, car il a définitivement renoncé à prendre en charge « ceux d’en bas ». C’est aussi pourquoi l’impopularité de Macron ne peut que croître, et le réservoir protestataire devenir explosif. D’autant qu’en période d’insécurité et d’attentats, tout le monde se radicalise.

    L’avenir de La France insoumise ?

    Avec 19,6 % des voix au premier tour, Jean-Luc Mélenchon a réalisé le meilleur score d’un candidat « de gauche » à la présidentielle depuis Georges Marchais en 1981. Par rapport au FN, La France insoumise est beaucoup plus interclassiste et moins populaire. Elle touche bien moins d’ouvriers et d’employés que le Front national (25 et 24 % des voix contre 39 et 30 %), mais beaucoup plus de diplômés des couches moyennes et supérieures (26 % contre 17 %). Elle est aujourd’hui passée en tête chez les jeunes, et réalise des scores deux fois supérieurs à sa moyenne nationale dans la population d’origine immigrée.

    La France insoumise a certainement de l’avenir. Pour l’heure, elle tire un grand bénéfice d’être une force nouvelle. Elle a vampirisé le PS et traite par le mépris les derniers restes du PC. Elle profite de la crise du FN pour se poser comme la seule force d’opposition au macronisme. La grande question, à moyen terme, est de savoir si elle pourra à elle seule occuper l’espace ouvert à gauche par la formation du bloc macronien. Difficile d’en dire plus pour l’instant.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 6 octobre 2017)

     

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  • Catalogne, Front National, Corée... L'actualité vue par Alain de Benoist !

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Breizh info et consacré à un tour d'horizon de l'actualité du moment, à commencer par le référendum sur l'indépendance de la Catalogne... Philosophe et essayiste, éditorialiste du magazine Éléments, Alain de Benoist dirige les revues Nouvelle Ecole et Krisis et anime l'émission Les idées à l'endroit sur TV Libertés. Il a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017) ainsi qu'un recueil d'articles intitulé Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et une étude sur L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

     

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    Catalogne. Alain de Benoist : « Et si l’on laissait les Catalans décider par eux-mêmes ? »

    Breizh-info.com : Quel est votre point de vue sur le référendum en Catalogne ? Le pouvoir espagnol n’a-t-il pas fait une énorme erreur en refusant l’organisation d’une consultation qui aurait pu tourner en sa faveur s’il n’y avait pas eu ces violences et cette répression ?

    Alain de Benoist : Concernant ce qui se passe actuellement en Catalogne, je vois mes amis attachés à une unité « indivisible » des grandes nations historiques s’opposer à mes amis favorables à l’Europe des régions, les uns et les autres réagissant de façon passionnée. « Jacobinisme » contre « balkanisation » ! Du même coup resurgissent les arguments classiques et les questions habituelles : Les Catalans ont-ils le droit d’être indépendants ? Est-il même de leur intérêt de le devenir ? En ont-ils les moyens ? Pourquoi ne se contentent-ils pas d’une autonomie dont ils ont joui au moins jusqu’en 2010 (et dont les peuples minoritaires de France peuvent seulement rêver) ? Les « sécessionnistes » sont-ils des « patriotes », les « terroristes » des « résistants » ? La crise va-t-elle dégénérer en guerre civile ? Chacun a ses raisons, et ce sont en général de bonnes raisons. Le problème, c’est que ces raisons sont inconciliables.

    Je crois, pour commencer, qu’il faudrait sortir un peu de la véhémence et s’obliger à la réflexion.

    La réflexion pourrait porter sur l’évolution actuelle de l’État-nation, dont on sait bien qu’il est en crise au moins depuis les années 1930. Quelles sont les raisons de cette crise ? Elle pourrait aussi concerner des cas qu’on met souvent en parallèle, alors que le parallèle ne va pas toujours très loin : le « Québec libre » et l’indépendance du Kosovo, le référendum catalan et le référendum pour la création d’un État kurde, le cas de la Padanie, le sort des Bretons, des Corses, des Flamands, des Basques, des Écossais et des Gallois, des Kabyles et des habitants des îles Feroë, des Tibétains et des Inuits, pour ne rien dire des minorités d’Europe centrale et orientale.

    On pourrait encore évoquer la guerre de Sécession, la dislocation de la Yougoslavie, le vote qui a permis à la Crimée de réintégrer la Russie, et aussi les conditions dans lesquelles les départements français d’Algérie ont cessé de l’être. Tous ces cas ont quelque chose de commun, mais on voit bien aussi qu’ils sont tous différents.

    On pourrait enfin s’interroger sur le sens que peut encore avoir le mot d’« indépendance » à l’époque de la globalisation. Un « grand » pays comme la France a déjà perdu son indépendance dans bien des domaines. Comment un « petit » État pourrait-il s’en sortir mieux ?

    Personnellement, je suis par ailleurs assez gêné par la dimension économique sous-jacente à certaines formes d’indépendantisme : les régions riches veulent souvent faire sécession parce qu’elles se refusent à continuer d’« assister » les régions pauvres (de la Sicile à l’Andalousie). N’oublions pas que la Catalogne représente à elle seule 20 % du PIB espagnol. Il y a là un réflexe égoïste que je condamne totalement, car il est foncièrement impolitique.

    Cela étant dit, il est clair qu’il existe une identité catalane spécifique et qu’un nombre très important de Catalans, sans doute une majorité, aspirent aujourd’hui à l’indépendance. Il est tout aussi évident que l’indépendantisme catalan sort pour l’instant renforcé de l’épreuve de force, tandis qu’en en faisant trop ou trop peu le triste Mariano Rajoy, à qui Emmanuel Macron a cru bon d’apporter son soutien, sort discrédité d’une crise dans laquelle il n’a fait la preuve que de sa maladresse, de son indécision et de sa médiocrité. Le 1er octobre, le quotidien El País disait ironiquement que Rajoy mériterait de recevoir la Croix de Saint Jordi (la plus haute décoration catalane), car nul n’a plus fait que lui pour convertir les Catalans à l’indépendantisme…

    Rejeter les résultats du référendum au motif qu’il était « illégal » est une grave erreur. Dans ce genre d’affaires, ce n’est pas la légalité qui compte, mais la légitimité (celle-ci pouvant évidemment s’apprécier de divers points de vue). Les Sudistes s’étaient fort peu soucié de légalité quand ils décidèrent de faire sécession de l’Union, et les héros irlandais de Pâques 1916 n’ont pas eu besoin non plus d’autorisation légale pour prendre les armes. Mais on pourrait dire la même chose de l’immense majorité des grands événements qui dans le passé ont décidé du sort des peuples. Dans le cas de la « situation d’exception », au sens schmittien du terme, la légalité n’indique strictement rien.

    La légitimité est liée à la souveraineté populaire qui, lorsqu’elle s’en distingue, prime à mon avis sur la souveraineté nationale. C’est le peuple, en tant que force constituante, qui est la source de la légitimité. Or, il y a un peuple catalan, tout comme il y a un peuple écossais, un peuple québécois, un peuple corse, un peuple breton, etc. Pendant des siècles, ce peuple s’est trouvé associé à l’histoire de la nation espagnole, soit qu’il y ait consenti, soit qu’on l’y ait forcé. Aujourd’hui, apparemment, il veut mettre un terme à cette association. Qu’on s’en félicite ou qu’on s’en indigne, cela ne change rien à l’affaire. Il faut en prendre acte. Les orientations actuelles du gouvernement catalan, qui sont à mon avis détestables à bien des égards, n’y changent rien non plus.

    Le peuple, à la fois en tant qu’ethnos et en tant que démos, en tant que peuple « en soi » et que peuple « pour soi », en tant que peuple hérité ou que peuple à construire (mais comme les individus, un peuple ne se construit jamais à partir de rien), doit en démocratie être considéré comme souverain. Il doit être libre de décider le plus possible par lui-même et pour lui-même. Dire qu’un peuple n’a pas le droit de décider de sa patrie est une contradiction dans les termes : c’est même la première chose sur laquelle il doit pouvoir décider. On ne maintient pas de force au sein d’un pays dans lequel, à tort ou à raison, il ne se reconnaît plus, un peuple qui veut s’instaurer en État.

    Pour répondre à votre question, je ne suis ni hostile ni favorable à l’indépendance de la Catalogne. Je pense que c’est aux Catalans d’en décider.

    Breizh-info.com : Parlons un peu de la situation française. Qu’avez-vous pensé du discours « tout neuf » de Marine Le Pen à Poitiers dans lequel elle cite notamment Homère et Charlemagne ? Ce changement de cap n’est-il pas surprenant ?

    Alain de Benoist : Prenons d’abord un peu de recul. Nous avons assisté cette année à un séisme qui a entraîné une décomposition totale du paysage politique. Le fait essentiel, à mon avis, est que pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, les finalistes du second tour de la présidentielle ne se reconnaissaient ni l’un ni l’autre dans le clivage gauche-droite. Les deux partis qui étaient les vecteurs majeurs de ce clivage, ont pris une raclée historique : le PS est à l’agonie, les Républicains sont en ruines (vous aurez aussi remarqué qu’il y a un mot qui ne sort plus de la bouche de Jean-Luc Mélenchon : c’est le mot « gauche »). On assiste ainsi à l’accélération du processus que j’avais anticipé dans mon livre intitulé Le moment populiste. Droite/gauche, c’est fini ! (Pierre-Guillaume de Roux, 2017). Un système politique s’est effacé, un autre système est à naître. La recomposition va prendre plusieurs années.

    Le FN n’échappera pas à cette recomposition. En se séparant de Florian Philippot, qui cristallisait sur son nom toutes sortes de critiques (portant sur son caractère peut-être plus encore que sur ses idées), Marine Le Pen a perdu à la fois son bras droit et son paratonnerre. J’étais pour ma part totalement hostile au jacobinisme, au laïcisme et à l’hostilité de principe à l’Europe de Philippot. J’approuvais en revanche son positionnement politique, et si j’avais eu un reproche à lui faire dans le domaine économique et social, ç’aurait plutôt été de le trouver beaucoup trop timide en matière de lutte contre le capitalisme !

    On ne change pas de cap en citant des noms de célébrités et, malgré leurs immenses mérites, ni Homère ni Charlemagne ne vont nous dire quel système social et politique il faut instaurer ! Pour le dire autrement, je ne crois guère à une modification en profondeur de la « ligne » du Front national.

    On assistera surtout à des inflexions cosmétiques (on parlera moins de l’euro et plus de l’immigration). Cela dit, le vrai problème du Front national ne tient sans doute pas à une question de personnes ni à une question de programme. Il tient plutôt au fait qu’il apparaît déjà lui aussi comme un « parti d’avant », un parti d’avant la grande transformation en cours. C’est pourquoi je ne suis guère optimiste sur son avenir.

    On a tort de raisonner en termes d’appareils politiques à un moment où tout montre que les appareils politiques ne séduisent plus personne. On aurait plutôt besoin d’une clarification doctrinale, mais personne ne semble avoir le désir ni surtout les capacités de l’engager. Ceux qui à droite critiquent Macron, par exemple, ne se cachent pas d’approuver son abominable loi Travail : c’est celle qu’ils auraient aimé voir mise en œuvre par François Fillon. Les médias disent en ce moment que la preuve que la politique fiscale de Macron est de droite, c’est qu’elle « favorise les plus riches ». Si la droite voulait exister, c’est cette équivalence qu’il faudrait commencer par briser. Tant que la droite, ce sera la soupe servie aux riches et aux puissants, ce sera sans moi !

    Breizh-info.com : Que vous inspirent les échanges de plus en plus fermes entre la Corée du Nord et les États-Unis ? Quelles sont selon vous les réelles raisons de cette escalade ?

    Alain de Benoist : L’escalade en question s’est surtout traduite, jusqu’à présent, par des déclarations incandescentes, des mouvements de troupes, des gesticulations, des rodomontades et des insultes. On oublie du même coup qu’en cherchant à se doter d’un armement nucléaire, la Corée du Nord – pays pour lequel je n’ai bien entendu aucune sympathie particulière – ne fait jamais rien d’autre que ce que les États-Unis, la Russie, la France, Israël et bien d’autres pays ont fait avant elle. Pourquoi seuls certains pays en auraient-ils le droit ?

    Ceux qui parlent des « menaces nord-coréennes » (mais jamais des menaces étatsuniennes) oublient aussi que l’arme atomique est avant tout une arme de dissuasion. Pour Kim Jong-un, une telle arme n’est rien d’autre qu’une façon de se prémunir contre une intervention extérieure dirigée contre lui. On comprend que cela gêne ceux qui aimeraient l’éliminer, comme ils ont éliminé Saddam Hussein ou Kadhafi. Un pays doté d’un armement nucléaire n’attaquera jamais un pays qui en possède lui-même, car il sait que son offensive serait immédiatement suivie d’une riposte qui le vitrifierait à son tour. Dans chaque région du monde, ce n’est en fait pas tant la prolifération nucléaire qui est dangereuse, mais le monopole. C’est pourquoi la meilleure manière de rendre inoffensive l’arme nucléaire nord-coréenne serait sans doute d’aider la Corée du Sud et le Japon à l’acquérir aussi !

    Trump et Kim Jong-un sont peut-être cinglés, mais ils ne sont pas fous (du moins on l’espère). Pour rester dans le style bouffon, on pourrait leur suggérer de faire s’affronter leurs coiffeurs respectifs !

    Breizh-info.com : En ce mois d’octobre, quels sont les livres qui, depuis la rentrée littéraire et politique de septembre, vous ont tapé dans l’œil ?

    Alain de Benoist : D’une façon générale, je n’aime pas trop le tape-à-l’œil ! Je conseille la réédition, chez Pierre-Guillaume de Roux, du Romantisme fasciste de Paul Sérant, enrichie d’une excellente préface d’Olivier Dard, et du Terre et Mer de Carl Schmitt, que j’ai préfacé moi-même.

    Sur le plan littéraire, Le cénotaphe de Newton, de Dominique Pagnier (Gallimard), et L’homme surnuméraire, de Patrice Jean (Rue Fromentin), sont deux romans superbes. Pour le reste, à part les polars, je ne lis en ce moment que des traités de théologie sur le péché originel, pour un travail en cours.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh info, 7 octobre 2017)

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  • Vers un ethnocide des paysans ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Yves Dupont au site de la revue Limite à propos de l'essai qu'il a écrit avec Pierre Bitoun, Le sacrifice des paysans (L'échappée, 2016).

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    Yves Dupont : L’ethnocide des paysans

    Yves Dupont est professeur émérite de socioanthropologie à l’université de Caen et co-auteur du sacrifice des paysans, une catastrophe sociale et anthropologique (éditions l’Echappée) avec Pierre Bitoun, chercheur à l’Inra-Paris. Il réinscrit ce qu’il nomme un ethnocide dans la cadre d’une modernité conçue comme une « synthèse inaboutie entre les idéaux universalistes des Lumières et la dynamique expansionniste du capitalisme qui a fini par considérer comme archaïques toutes les aspirations à l’enracinement et à la sédentarité » caractéristiques des sociétés paysannes. Il en déduit l’absolue nécessité de bâtir un monde post-productiviste et décroissant.

    Limite : Pourquoi avoir construit votre livre comme vous l’avez fait, en le scindant en deux grandes parties, le sacrifice des paysans en tant que tel n’étant abordé que dans un second temps ?

    Yves Dupont – Parce qu’il nous fallait d’abord, pour rendre compréhensibles les raisons pour lesquelles le sacrifice des paysans a longtemps été retardé et occulté en France, revenir sur la tentative, à partir de 1945, de trouver une troisième voie entre capitalisme et communisme par la construction d’un Etat-Providence. Si cette tentative a, durant les « Trente Glorieuses », engendré une forte croissance économique, une augmentation générale des niveaux de vie et une protection sociale à la majorité des français, elle a néanmoins abouti à ce que nous avons appelé les Quarante Honteuses avec le retour de politiques néolibérales à partir du début des années 1980. Dans les faits cependant, c’est dès le début des années 1960 qu’ont véritablement été engagées les politiques de « modernisation » de l’agriculture et, sur le fond, de son industrialisation. Le sacrifice des paysans qui n’utilisait le marché que comme un « détour de reproduction » était dès lors scellé.

    Pourquoi la modernité telle que vous la définissez ne veut plus des paysans, qu’elle a transformé en agriculteurs productivistes ? Que se joue-t-il dans le passage du paysan à l’agriculteur, également sur le plan symbolique et des mentalités ?

    Héritiers de la pensée de Cornélius Castoriadis, nous appréhendons la modernité dans une perspective anthropologique, comme incarnation d’une conception particulière de l’humanité de l’homme. Les sociétés s’instituent en effet à partir de confrontations entre des imaginaires rivaux, et les formes sociales et historiques qu’elles finissent par revêtir portent toujours les traces de ces affrontements. Toute société conserve ainsi en son sein ses cohortes de vaincus, d’humiliés, d’aigris, mais aussi d’aspirants à un autre ordre du monde prenant appui sur un passé qui n’a pas été honoré. Ainsi, malgré les compromis auxquels ils semblent être parvenus, les régimes démocratiques sont-ils loin d’avoir rompu avec les logiques et les pratiques de domination. La modernité, c’est d’abord la passion des artifices, de l’artificialisation de la nature et des hommes progressivement réduits à des ressources. C’est également un processus qui a conduit à interposer entre les hommes et la nature, mais également entre les hommes, un gigantesque appareil d’organisation, de gestion et de contrôle de la totalité de ce qui est. La modernité peut ainsi être appréhendée comme une tentative de synthèse inaboutie entre les idéaux universalistes des Lumières et la dynamique expansionniste du capitalisme qui a fini par considérer comme archaïques toutes les aspirations à l’enracinement et à la sédentarité qui caractérisaient les sociétés paysannes. Selon nous, leur valorisation d’un universalisme articulé à des appartenances particularistes ne les assimilait en rien à des sociétés closes, voire obscurantistes. Il suffit d’ailleurs, pour s’en convaincre, de se rappeler le patriotisme qui habitait les paysans lorsqu’ils se précipitèrent au front lors de la mobilisation de 1914 puis en 1939. Le nombre terrifiant de leurs morts en témoigne d’ailleurs à l’évidence. Mais cette conception parfaitement acceptable du monde a été balayée par l’universalisme abstrait et l’individualisme « hors sol » qui accompagnent les aspirations à l’illimitation du capitalisme finissant dont l’agriculteur productiviste ou l’agro-business man constituent aujourd’hui la pathétique incarnation.

    Contrairement à ce qu’affirmait Michel Onfray dans l’entretien que votre revue a récemment réalisé avec lui, le capitalisme ne se réduit pas à l’activation d’une pulsion d’échange incoercible entre deux individus convoitant le même bien en situation de rareté. Il suffit de relire Marx ou Karl Polanyi pour s’en convaincre. Et ce qui est sur le point de rendre le capitalisme obsolète ou périssable, ce sont le mur écologique et le chômage de masse qui se dressent désormais devant l’humanité tout entière et nous obligent à nous interroger à nouveaux frais sur la démesure et la profonde irrationalité qui ont emporté la modernité vers ces abîmes. 

    Vous employez les mots d’« ethnocide » et de « catastrophe » sociale et anthropologique. Pourquoi le choix de termes aussi forts ?

    Comme l’a montré le philosophe Alain Brossat, Tocqueville a, le premier, mis en évidence la coextensivité de la démocratisation du monde et des premiers génocides et ethnocides de la modernité. C’est toutefois l’ethnologue Robert Jaulin qui a inventé le terme d’ethnocide pour qualifier les violences et les massacres commis par les colonisateurs à l’encontre des autochtones en Amérique du Nord et du Sud. Pour Pierre Clastres, ethnologue lui aussi, si le génocide renvoie à l’idée d’extermination d’une « race », l’ethnocide caractérise la destruction de la culture propre à certains agrégats humains : l’ethnocide écrivait-il, « est donc la destruction systématique des modes de vie et de pensée de gens différents de ceux qui mènent cette entreprise de destruction. En somme, le génocide assassine les peuples dans leur corps, l’ethnocide les tue dans leur esprit ». Comme nous l’avons montré dans notre essai, c’est par et au prix d’une profonde dévalorisation de leur culture que les paysans sont devenus agriculteurs. Parce qu’ils ont été considérés comme porteurs de « mauvaises différences » beaucoup d’entre eux se sont résignés ou tus, quand ils n’ont pas mis fin à leurs jours dans une indifférence quasi généralisée. Quant au mot catastrophe, il vise simplement à caractériser la transformation radicale et probablement irréversible du monde qu’avaient pendant presque mille ans imaginé et construit les sociétés paysannes. Sociétés, il faut une fois encore le souligner, largement ouvertes, productrices d’architectures, de paysages, de techniques, de savoirs, de produits et de cuisines dont nous découvrons tardivement aussi bien la beauté que l’extraordinaire adéquation avec les écosystèmes au sein desquels elles s’étaient déployées. Sociétés aux multiples langues, dialectes et patois, irriguées par de multiples foires et marchés, solidaires aussi et ayant opposé de farouches résistances à leur destruction. Sociétés qui, comme l’a montré Tocqueville dans L’Ancien régime et la révolution, étaient profondément irriguées par des usages démocratiques et dont les membres n’avaient rien à voir avec les « péquenots » ou les « bouseux » que l’idéologie dominante en a stupidement construits. 

    Quelles sont les conséquences du sacrifice des paysans pour nous tous ? Diriez-vous qu’il n’y a pas de pays vivable sans paysans, le second mot signifiant d’ailleurs étymologiquement « gens du pays » ?

    Ces conséquences sont évidemment multiples et encore en devenir si l’on pense que le « travail » de dépaysannisation est toujours en cours, qu’il s’accélère, qu’il devient de plus en plus brutal, et qu’il va se cumuler avec les vagues d’exode écologique liées au changement climatique, aux conflits armés et à l’exploitation minière et industrielle des territoires.

    On peut en effet estimer qu’il reste aujourd’hui environ trois milliards de paysans sur la Terre qui, comme cela s’est passé en Chine depuis une cinquantaine d’années, ne cessent de quitter les campagnes sous l’empire de la nécessité en croyant que ce déracinement leur permettra d’améliorer leur condition. Beaucoup de ceux qui trouvent un travail participent, pour des salaires de misère, à édifier des villes où la population asphyxie, à construire tous les appareils imaginés par les ingénieurs de la Silicon Valley pour faire advenir un monde entièrement numérisé, ou à bâtir des porcheries industrielles où s’entassent des centaines de milliers de cochons. Dans ces conditions, en effet, il va de soi qu’il n’y a pas de pays vivable sans paysans mais, plus généralement, sans l’existence de travailleurs indépendants, d’artisans et de commerçants. Mais, plus fondamentalement, ce qui a tendu à disparaître avec le sacrifice des paysans et des sociétés paysannes, ce sont toutes les discontinuités non monétaires qui participaient de l’équilibre général des échanges : coopérations diverses, échanges de biens, de savoirs et de services, dons et contre-dons créateurs de liens sociaux et de solidarités qui limitaient le désir d’emprise et de réussite individuelle. Il est donc loin d’être établi, surtout aujourd’hui, que cela n’allait pas mieux avant !

    Vous écrivez qu’il est nécessaire d’en finir de façon radicale avec le capitalisme pour bâtir une société postproductiviste, « prudente, solidaire et pluraliste », et sauver nos paysans. Comment rendre une telle ambition possible et y-a-t-il des mouvements actuels sur lesquels il est possible et souhaitable d’après vous de s’appuyer (Confédération paysanne, Via Campesina) ?

    Votre formulation pourrait paraître brutale, voire excessive, car nous sommes avant tout des chercheurs et bien loin d’en appeler « de façon radicale » à la liquidation du capitalisme, nous nous sommes efforcés de montrer l’absolue nécessité dans laquelle l’humanité se trouve aujourd’hui d’inventer un monde post-productiviste et par conséquent décroissant. Ou, pour reprendre une expression du sociologue allemand Ulrich Beck, de rompre avec toutes les formes « d’intoxication volontaire » qui empoisonnent à petit feu l’humanité contemporaine.

    Bien qu’appartenant à une école de pensée à coup sûr minoritaire, nous ne nous considérons en rien comme catastrophistes en affirmant, preuves à l’appui, que dans l’état actuel des choses et pour longtemps encore, ce qui contribue à nous entraîner vers la catastrophe croît beaucoup plus rapidement que ce qui pourrait nous sauver. L’accélération de la fonte de la banquise liée au réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité et la poursuite de l’extinction des espèces, l’augmentation des « cancers environnementaux, la pollution des mégapoles, notre incapacité à démanteler les centrales nucléaires, l’exode écologique de millions d’individus pour ne prendre que quelques exemples incontestables de notre impuissance, montrent qu’aucun développement durable ou soutenable ne parviendra à enrayer les dégâts du capitalisme car il est dans la nature même de ce dernier de fonctionner à la dépense incontinente et à l’autophagie. Ayant accompagné pendant plus de trente ans de multiples mouvements sociaux paysans et écologistes et aussi beaucoup travaillé aux côtés de la Confédération paysanne, nous savons que leur manière d’habiter la Terre est aussi parfaitement ouverte que rationnelle et raisonnable. Mais l’agriculture (paysanne ou biologique) qu’ils pratiquent est souvent extensive et peu compatible avec la poursuite de l’urbanisation galopante et de la multiplication des zones commerciales, des infrastructures routières et ferroviaires, mais aussi de l’apparition de véritables déserts ruraux interdisant le développement de circuits courts. A quoi il faut ajouter l’inégale répartition des aides aux producteurs et la captation des terres par les grandes exploitations industrielles.  Ainsi, comme je l’ai déjà indiqué, il est pour le moment incontestable qui ce qui menace l’humanité dans son ensemble se développe aujourd’hui beaucoup plus rapidement que ce qui pourrait la sauver.

    Yves Dupont, propos recueillis par Laurent Ottavi (Limite, 7 septembre 2017)

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  • En état de guerre civile...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Damien Le Guay au Figaro Vox à la suite de l'attentat du 1er octobre 2017 à Marseille, au cours duquel un terroriste islamiste a tué au couteau deux jeunes femmes. Philosophe et essayiste, Damien Le Guay a publié récemment La guerre civile qui vient est déjà là (Cerf, 2017).

     

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    Damien Le Guay: «Que nous le voulions ou non, nous sommes en état de “ guerre civile”»

    FIGAROVOX.- Une attaque au couteau a eu lieu hier, dimanche, à la gare Saint-Charles à Marseille. Deux femmes ont été tuées. L'assaillant, qui a crié «Allah Akbar» a été abattu. Votre dernier livre s'intitule, La guerre civile qui vient est déjà là. Est-ce à dire que nous sommes dans cette guerre civile - du moins sur certains territoires?

    Lorsque deux jeunes femmes innocentes (de 17 et 21 ans) sont égorgées au couteau, par-derrière, gare Saint-Charles et qu'un cri de guerre islamiste est répété par l'assassin, n'est-on pas en droit de constater qu'un climat de terreur est entretenu de mois en mois, attaques après attaques! Quand on constate que des attentats de ce type se répètent régulièrement sur notre territoire et qu'ils sont perpétrés par des nationaux, ne sommes-nous en droit de nous reconnaître dans une sorte de guerre civile qui ne dit pas son nom! Quand les victimes sont trucidées au hasard et que tous les meurtriers agissent au nom de l'Islam, ne sommes-nous pas en situation de guerre sur notre territoire! Ajoutons que le ministre de l'intérieur nous dit que des dizaines d'attentats ont été déjoués depuis le début de l'année et que 17.400 «fichés S» sont répertoriés, sans parler de tous ceux qui reviennent de Syrie et qu'il va falloir surveiller.

    De toute évidence quand des assassinats se répètent, régulièrement, avec toujours les mêmes revendications, quand la menace est désormais partout et que nous sommes tous des victimes en puissance, quand les mesures de sécurité augmentent dans tous les lieux publics, quand les spécialistes vous disent que nous en avons pour plus de vingt ans, est-il encore possible de considérer qu'il s'agit là de simples «faits divers» à répétition qu'il faut, à chaque fois, minimiser? Non. Et pourtant, à chaque fois (comme hier pour Marseille) nos autorités «déplorent» ces attentats, montrent leur «compassion» à l'égard des victimes, indiquent leur «indignation»

    et dénoncent (comme hier le ministre de l'intérieur) «une attaque odieuse». À chaque fois nos autorités éludent la situation, relativisent l'acte et considèrent l'assassin comme un «fou». Ainsi, hier, le premier ministre, dans un communiqué, s'est-il empressé, de dénoncer le «criminel» et de s'en prendre à «sa folie meurtrière». Non, Monsieur le premier ministre, il n'y a pas de «folie» dans un terrorisme politique qui vise, au nom d'une idéologie islamiste, à lutter contre l'Occident, contre les «infidèles», contre les «impurs», les kouffars que nous sommes tous. Non, Monsieur le premier ministre, à chaque fois on découvre que ces terroristes suivent, d'une manière ou d'une autre, les mots d'ordre de l'Etat islamique avec, souvent, des «cellules-souches» animées par un imam salafiste qui prêche la haine et finit par convaincre certains de ses fidèles qu'il faut tuer «des mécréants». Et comme on pouvait s'en douter, dimanche soir, l'Etat islamique a revendiqué l'attentat. Tout cela renforce l'évidence: certains, ici, nous détestent et feront tout pour détruire ce tissu national qui tient ensemble tout le monde et défend une certaine manière de vivre «à la française».

    Or, il nous faut considérer que des attentats répétés depuis au moins 2015, tous commis en invoquant le nom d'Allah, revendiqués par l'État islamique, ne relèvent pas de la folie d'individus isolés mais d'une action d'envergure et convergente, visant à lutter contre la France et ses valeurs pour imposer un climat de terreur et de défiance tous azimuts. De toute évidence, ces attentats sont liés les uns aux autres. Ils sont politiques avant d'être psychiatriques. Ils instaurent une «guerre civile larvée», selon l'expression de Gilles Kepel. Ne pas reconnaître cette «guerre civile» contre nous, entre nous, plutôt que d'améliorer la situation, l'aggrave. L'euphémisme tue, lui aussi. Nos politiques, par naïveté, manque de courage ou défaut de lucidité, refusent l'évidence. Dès lors, pour ne pas prendre la mesure de la situation, ils tergiversent. Plutôt que de soigner notre tissu national, ils laissent les problèmes s'envenimer. Prenons deux éléments. Le rejet de l'Islam ne cesse d'augmenter en Europe. En France l'enquête de Fondapol indiquait, il y a peu, que ce rejet est pratiqué par 60 % de nos concitoyens qui, dans les mêmes proportions, considèrent que l'Islam est une menace contre la République. D'autre part, les indices de radicalisation des Français musulmans augmentent. Un tiers d'entre eux, selon le rapport Montaigne d'il y a un an, font prévaloir les lois de l'Islam sur celles de la République. Et une enquête du CNRS indiquait, en mars dernier, que 15 % des lycéens musulmans de France pensent acceptable de lutter «les armes à la main pour sa religion».

    Si les indices sont graves et convergents pour laisser penser que nous sommes, que nous le voulions ou non, en «guerre civile», pourquoi nos politiques ne le reconnaissent pas?

    Une triple peur existe et paralyse nos politiques. D'une part, celle de «faire le jeu du Front national» en reconnaissant qu'est intervenu dans les années 2000 un raidissement de la communauté musulmane, sous l'influence de prêcheurs venus d'ailleurs, au point de promouvoir, ici ou là, une indifférente de rejet culturel ou une animosité à l'égard de nos manières de vivre et l'apparition de terroristes musulmans nationaux. L'immigration ne serait pas, contrairement au leitmotiv proclamé par tout le monde, seulement «une chance pour la France» et générerait une «insécurité culturelle», mise en évidence par Laurent Bouvet, grandement ressentie par la «France périphérique». D'autre part, la peur d'être suspecté «d'islamophobie» - concept extensif, protéiforme, manié sans discernement et rendant impossible toute discussion relative à l'Islam ou aux musulmans. Cette arme de destruction massive, sorte de «racisme imaginaire» dénoncé par Pascal Bruckner, étouffe tous les débats intellectuels et range assez vite ceux qui, comme Alain Finkielkraut, osent discuter franchement de la situation, dans la «fachosphère». Ainsi, entre Marine Le Pen et le CCIF (le Collectif contre l'Islamophobie en France), la ligne de crête est étroite, la parole contrôlée, la lucidité faible. Donner raison à l'extrême droite est une faute politique - au point de dissimuler certaines évidences. Quand au CCIF, il traîne devant les tribunaux ceux qui remettent en cause certaines dérives de la communauté musulmane - comme ce fut le cas pour Georges Bensoussan ou Pascal Bruckner. À cela s'ajoute une troisième peur: celle de s'en prendre «à la religion des pauvres» (ce qu'est l'Islam nous dit Emmanuel Todd), aux «damnés de la terre», aux victimes de la colonisation. Un gauchisme culturel, avec des kyrielles d'associations et des relais médiatiques et universitaires puissants, finit par considérer les victimes d'aujourd'hui comme des coupables historiques et les coupables d'aujourd'hui comme des victimes de ségrégations anciennes. L'histoire réglerait ses comptes sur le dos des innocents d'aujourd'hui avec des excuses raciales d'un côté et des culpabilités de blancheur de l'autre.

    Ces trois peurs se conjuguent pour éviter des remises en cause idéologique, pour promouvoir de la confusion intellectuelle, pour restreindre l'analyse. Quand les ennemis ne sont pas des ennemis, quand il ne faut rien dire de mal contre l'Islam et que toute l'insécurité culturelle ressentie par les électeurs du Front national est forcément exagérée, pour ne pas dire inventer, nos politiques sont presque aphones. Ils ne savent pas quoi dire. «Toute élite qui n'est pas prête à livrer bataille pour défendre ses positions est en pleine décadence» nous dit Pareto. Alors, faute de mieux, reste, avec emphase, une immense compassion pour les victimes et la dénonciation creuse de la «folie meurtrière» des assassins. Hier, le président de la République évoquait un «acte barbare». Reste la réponse sécuritaire qui prolongera indéfiniment «l'état d'urgence» que nous connaissons. Reste des bouquets de fleurs et des nounours déposés sur les lieux des attaques. Reste des mots d'ordre automatiques: «pas d'amalgame», «non à l'islamophobie». Chantal Delsol s'était étonnée, à juste titre, que lors des manifestations de Barcelone, la foule ne refusait pas «l'occidentalophobie» mais «l'islamophobie» comme si les terroristes s'en étaient pris à l'Islam alors même qu'ils s'en réclamaient. Ce paradoxe serait généreux s'il n'était pas tragique!

    Quel serait alors l'avantage, selon vous, après l'attentat de Marseille, de nous reconnaître en guerre?

    Les musulmans français ne sont pas des ennemis, c'est une évidence mais certains d'entre eux pratiquent une guerre contre cette Nation qu'ils haïssent et que nous n'aimons pas assez. N'oublions pas que François Hollande reconnaissait qu'une «partition du territoire» était en train de se produire quand son ministre de la ville constatait qu'existaient «cent Molenbeek» en France. Si nous voulons lutter contre ces dérives et ces spasmes terroristes

    qui agitent régulièrement la France (comme ce fut le cas hier à Marseille) encore faut-il lutter contre les terreaux idéologiques qui arment les consciences des terroristes. Pour désarmer les terroristes encore faut-il désarmer les consciences. La guerre civile est d'abord dans les têtes. Comment agir? En désamorçant les trois peurs évoquées plus haut. En réformant «l'islam de France» - contre l'islam consulaire et ceux des imams qui, sans contrôle, prêchent la haine - à la suite du rapport des sénatrices Féret et Goulet de juillet 2016. Or, ces réformes n'avancent pas alors que le temps est compté. En demandant aux Français musulmans, comme le fait Ghaled Bencheikh, de choisir entre les solidarités musulmanes et l'amour de la France. Or, des rapports parlementaires montrent que «la lutte contre la radicalisation», nouvel euphémisme inventé par nos politiques, est un échec. Elle coûte cher, s'appuie sur des analyses tronquées et des associations peu fiables. Ce sursaut n'est possible qu'à la condition de se hisser à hauteur de l'événement - et de l'attentat de Marseille, pour ne parler que de lui. Encore faut-il condamner l'angélisme multiculturel de certains et œuvrer (comme mon livre le propose) à une «déradicalisation de l'antiracisme». Que nous le voulions ou non, nous sommes en état de «guerre civile». Considérons-la pour mieux l'éviter. Une guerre, dit Lévinas, revient à «se saisir de la substance de l'autre» et à rechercher son «talon d'Achille». Les terroristes français, soldats de l'Etat islamique et de l'islamisme culturel, cultivent nos peurs et réussissent à se saisir de notre «substance». Ils nous poussant vers toujours plus de multiculturalisme, toujours plus de mutisme, toujours plus de détestation de nous-mêmes.

    Depuis 2015, on ne compte plus ce type d'attentats. Assiste-t-on à une forme de banalisation et de résignation?

    On est en mesure de le craindre. Que va-t-il se passer après Marseille? On aimerait penser à un sursaut. Mais, l'étouffement sous les ours en peluche et les larmes de crocodile est plus probable. Nous allons attendre une nouvelle manifestation de «folie meurtrière» sans tout mettre sur la table et s'en prendre aux complicités idéologiques musulmanes. Il ne faudrait pas nous exposer à passer pour un islomophobe primaire! Ainsi, sans le vouloir mais sans rien pouvoir faire pour l'éviter, nous irons de petites défaites en grands renoncements, d'attentats terroristes en habitudes résignées, de lassitudes angoissées en soumissions volontaires. Nous nous en prendrons alors, dans une sorte de passivité complice, à la défaillance de nos politiques, à cette grande défaite de l'intelligence et à notre manque de courage. Ce constat douloureux devrait suffir à provoquer un sursaut d'orgueil. Mais même l'orgueil est interdit à cette Europe qui a tant à expier, tant à se faire pardonner!

    Damien Le Guay, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 2 octobre 2017)

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  • Un philosophe au service de la liberté d'expression...

    Le 21 septembre 2017, Martial Bild recevait, sur TV libertés, André Perrin, professeur de philosophie et auteur d'un essai intitulé Scènes de la vie intellectuelle en France (Toucan, 2017). Il y dénonce, exemples à l'appui, la police de la pensée qui sévit dans le monde universitaire et intellectuel français et qui interdit toute possibilité de débat.

     

                                  

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  • Une France d'en haut structurée autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy à Atlantico, dans lequel il évoque les premiers mois de la présidence Macron à la lumière de ses analyses... Géographe, Christophe Guilluy est déjà l'auteur de trois essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

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    Christophe Guilluy : "La France d'en haut s'est structurée autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas, lui, est complètement dispersé"

    Atlantico : À la rentrée 2016, vous publiiez "le crépuscule de la France d'en haut". Selon un sondage Viavoice publié par Libération en début de semaine, 53% des français jugent que la politique du gouvernement bénéficiera en premier lieu aux plus aisés, quand 60% d'entre eux craignent une précarisation. Un an après, quel constat portez-vous sur cette "France d'en haut" ? 

    Christophe Guilluy : Nous sommes dans la continuité d'une société qui se structure autour de la mondialisation depuis 20 ou 30 ans. Ce qui est validé ici, c'est une logique de temps long. Avec un monde d'en haut que j'ai décrit dans "la France périphérique" mais aussi dans la "Crépuscule de la France d'en haut". C'est un monde qui vit en vase clos, je parle de "citadellisation" des élites, des classes supérieures, et tout cela ne cesse de se creuse

    Il faut revenir au 2e tour de l'élection présidentielle. Ce que nous avons vu, c'est une structuration de l'électorat qui suit la dynamique économique et sociale de ces 30 dernières années. Le grand sujet caché depuis 30 ans, c'est la disparition de la classe moyenne au sens large, c’est-à-dire telle qu'elle l'était hier, celle qui regroupait la majorité des catégories sociales ; de l'ouvrier à l'employé en passant par le cadre. Les gens étaient intégrés économiquement, donc socialement, politiquement, et culturellement.

    Ce qui explose avec le modèle mondialisé, c'est la classe moyenne occidentale. On va retrouver ces gens dans les territoires qui ne comptent peu ou pas ; France périphérique, Amérique périphérique, Grande Bretagne Périphérique etc…Inversement, des gens qui vont être de plus en plus concentrés dans les endroits ou "ça" se passe ; les grandes métropoles mondialisées. C'est ce qu'on a vu avec la carte électorale, qui était assez claire : les bastions d'Emmanuel Macron sont ces grandes métropoles mondialisées qui reposent sur une sociologie d'un front DES bourgeoisies.

    Ce qui est frappant, c'est en regardant Paris. La bourgeoisie de droite n'a qu'un vernis identitaire, car même les bastions de la "manif pour tous" ont voté pour Emmanuel Macron qui est pourtant pour les réformes sociétales à laquelle elle s'oppose. Dans le même temps, les électeurs parisiens de Jean Luc Mélenchon, au 1er tour, ont aussi voté Macron au second tour. Ils n'ont pas voté blanc. Cela veut dire que le monde d'en haut est de plus en plus dans une position de domination de classe qui est en rupture avec la France d'en bas. C'est la grande nouveauté. Parce qu'un société ne marche que si le haut parle au bas. C'était le parti communiste; constitué d'une frange d'intellectuels qui parlaient aux classes ouvrières. Aujourd'hui le monde d'en haut ne prend plus du tout en charge le monde d'en bas, qui est pourtant potentiellement majoritaire. C'est un processus long, qui est celui de la sortie de la classe moyenne de toutes les catégories sociales. Cela a commencé avec les ouvriers, cela s'est poursuivi avec les employés, et cela commence à toucher les professions intermédiaires. Demain ce sera les retraités, il suffit de regarder ce qu'il se passe en Allemagne. La mondialisation produit les mêmes effets partout et les spécificités nationales s'effacent. Sur le fond, même si l'Allemagne s'en sort un peu mieux en vendant des machines-outils à la Chine, la précarisation touche largement l'Allemagne avec des retraités qui sont obligés d'empiler les petits boulots pour s'en sortir.

    Ce qui est derrière tout cela, c'est cette fin de la classe moyenne occidentale qui n'est plus intégrée au modèle économique mondialisé. À partir du moment où l'on fait travailler l'ouvrier chinois ou indien, il est bien évident que l'emploi de ces catégories-là allait en souffrir. Nous sommes à un moment ou les inégalités continuent à se creuser. Je le répète, le monde d'en haut ne prend plus en charge les aspirations du monde d'en bas, c'est une rupture historique. On parle beaucoup du divorce entre la gauche et les classes populaires, c'est très vrai, mais ce n'est pas mieux à droite.

    Selon un sondage IFOP de ce 20 septembre, 67% des Français jugent que les inégalités ont plutôt augmenté en France depuis 10 ans, un sentiment largement partagé en fonction des différentes catégories testées, à l'exception d'écarts notables pour les électeurs d'Emmanuel Macron (54% soit -13 points). Votre livre décrit une nouvelle bourgeoisie cachée par un masque de vertu. Alors que le Président a été critiqué pour ses déclarations relatives aux "fainéants et aux cyniques", n'assiste-t-on pas à une révélation ? 

    Aujourd'hui nous avons un monde d'en haut qui se serre les coudes, des bourgeoisies qui font front ensemble, qui élisent un Emmanuel Macron qui va être l'homme qui va poursuivre les grandes réformes économiques et sociétales de ces 30 dernières années. La seule différence entre Macron et Hollande ou Sarkozy, c'est que lui, il n'avance pas masqué. Il assume complètement. Il a compris qu'il ne s'agit plus d'une opposition gauche-droite, mais d'une opposition entre les tenants du modèle et ceux qui vont le contester. Les gens l'ont compris, et c'est de plus en plus marqué, électoralement et culturellement. Ce qui complique les choses, c'est qu'il n'y a plus de liens. Le monde politique et intellectuel n'est plus du tout en lien avec les classes populaires, et ils ne les prendront plus en charge. Les gens savent que les réformes vont les desservir et l'impopularité d'Emmanuel Macron va croître. Le crépuscule de la France d'en haut découle de cette absence de lien, parce qu'une société n'est pas socialement durable si les aspirations des plus modestes ne sont pas prises en compte.

    Mais la bourgeoisie d'aujourd'hui est plus intelligente que celle d''hier car elle a compris qu'il fallait rester dans le brouillage de classes, et officiellement le concept de classes n'existe pas. La nouvelle bourgeoisie n'assume pas sa position de classe. Elle est excellente dans la promotion de la société ou de la ville ouverte, alors que ce sont les gens qui sont le plus dans les stratégies d'évitement, de renforcement de position de classe, mais avec un discours d'ouverture. Et quand le peuple conteste ce modèle, on l'ostracise. C'est pour cela que je dis que l'antifascisme est devenu une arme de classe, car cette arme n'est utilisée que par la bourgeoisie. Ce n'est pas un hasard si les antifascistes dans les manifestations sont des enfants de la bourgeoisie. Et tout cela dit un mépris de classe. Parce que personne ne va être pour le racisme et pour le fascisme. En réalité, derrière tout cela, il s'agit d'ostraciser le peuple lui-même, les classes populaires. C'est aussi une façon de délégitimer leur diagnostic, parce qu'en réalité, le "populisme", c'est le diagnostic des gens d'en bas, et la bourgeoisie s'en démarque en se voyant en défenseur de la démocratie. Et si Jean Luc Mélenchon monte trop haut, on utilisera ces méthodes-là.

    Vous êtes géographe. Quel verdict dressez-vous des différentes mesures prises par le gouvernement, et comment s'articulent-t-elles autour de votre constat d'une France périphérique ?

    On a un processus de plus en plus fort, avec la dynamique économique, foncière, territoriale. Le gouvernement ne fait que suivre les orientations précédentes, les mêmes depuis 30 ans. On considère que la classe moyenne n'a plus sa place, qu'elle est trop payée quand elle travaille et qu'elle est trop protégée par un État providence qui coûte trop cher si on veut être "compétitif"'. La loi travail n'est que la suite d'une longue succession de mesures qui ne visent qu'à dépouiller une classe moyenne qui ne sert plus à rien.

    Il y a aussi un jeu pervers avec l'immigration puisqu'on va concentrer les budgets sur les plus démunis qui vont souvent être les immigrés, ce qui va permettre d’entraîner un ressentiment très fort dans les milieux populaires qui se dira qu'il ne sert qu'aux immigrés, ce qui aboutira à dire "supprimons l'État providence". Il y a une logique implacable là-dedans. Parce qu'aussi bien ce monde d'en haut a pu se structurer autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas est complètement dispersé.

    Christophe Guilluy (Atlantico, 23 septembre 2017)

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