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  • "Pour sortir de la guerre, il faut une Ukraine indépendante et neutre"...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune de Jacques Sapir, cueillie sur le site de Marianne et consacrée à la guerre russo-ukrainienne. Économiste hétérodoxe, directeur d’études à l’EHESS, expert de l’économie russe, Jacques Sapir a publié de nombreux essais comme La fin de l'euro-libéralisme (Seuil, 2006), La démondialisation (Seuil, 2011) ou Souveraineté - Démocratie - Laïcité (Michalon, 2016).

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    Jacques Sapir : "Pour sortir de la guerre, il faut une Ukraine indépendante et neutre"

    L’attaque militaire, injustifiée et inadmissible, de la Russie contre l’Ukraine, qui a commencé aux premières heures du jeudi 24 février, a créé une situation de guerre entre les deux pays. La question de son issue, et donc celle de la sortie de la guerre, se pose de manière urgente. Il ne fait guère de doute, vu le déséquilibre des forces, que la Russie impose sa volonté à l’Ukraine. Mais, la stabilité de l’Europe à moyen et long terme dépend aussi de ce que l’issue de ce conflit ne soit pas par trop déséquilibrée.

    Que veut le gouvernement russe ? Trois hypothèses peuvent être faites quant à l’issue du conflit. Soit la Russie occupe militairement l’Ukraine et l’annexe, dans un scénario de reconstitution de l’URSS. C’est clairement extrêmement peu probable. Soit la Russie entend mettre au pouvoir à Kiev un gouvernement complaisant. Mais ce gouvernement serait, par la force des choses et encore plus depuis l’intervention commencée le 24, fort minoritaire et dépourvu de légitimité. La Russie s’engagerait alors dans des opérations de maintien de l’ordre sans fin et terriblement coûteuses. Un tel scénario n’est même pas équivalent de la situation biélorusse où le président Loukachenko peut, lui, compter sur la division de ses opposants et sur l’appui de certains segments de la société. Soit, enfin, la Russie se retire et la possibilité d’une Ukraine indépendante et neutre apparaît.

    Cette issue est la seule acceptable. C’est elle qui doit être visée. Les pays européens doivent très clairement dire que les deux autres entraîneraient un isolement de long terme de la Russie et rendraient caduque l’idée de toute négociation sur la sécurité européenne pour de longues années. Ils doivent donc exiger que la Russie reconnaisse le président Zelensky et tout gouvernement formé sur la base de l’actuelle Rada, le Parlement ukrainien, comme seul interlocuteur légitime. Ceci constitue l’un des préalables à des négociations. Tout atermoiement du gouvernement russe sur ce point serait alors un indicateur qu’il penche pour les autres solutions, dont on a dit qu’elles étaient inacceptables.

    « L’objectif de ces négociations devrait être la définition d’une Ukraine libre et neutre, mais aussi la prise en compte des préoccupations légitimes de sécurité de la Russie, du pur point de vue des intérêts géostratégiques et quoique celle-ci soit assurément responsable de la guerre. »

    Quelles pourraient être la forme et le contenu des négociations qui s’ouvriraient dans la troisième solution ? Très clairement, il y aurait une succession de niveaux divers de négociations. Le premier concernerait la fin des hostilités et un retrait, au moins partiel, voire total, des troupes russes d’Ukraine à l’exception du territoire des deux républiques de Donetsk et Lougansk. Ces négociations mettraient en face-à-face la partie russe et la partie ukrainienne, avec la présence d’observateurs, qui pourraient être l’Allemagne et la France. Le format rappellerait, sans être similaire, celui des accords de Minsk. Un engagement net et précis sur un retrait des troupes russes devrait clore cette phase des négociations. En échange, le gouvernement de Kiev prendrait l’engagement de ne pas tenter d’opérations militaires contre ces deux républiques et d’entrer en négociations avec elles pour régler les nombreux problèmes humanitaires qui se posent : circulation des personnes, payement des retraites et pensions, etc.

    S’engagerait, ensuite, le second niveau de négociation portant sur l’architecture de sécurité européenne et le statut de l’Ukraine. Ces négociations devraient impliquer toutes les parties concernées, et donc l’Otan et l’Union européenne (UE). L’objectif de ces négociations devrait être la définition d’une Ukraine libre et neutre, mais aussi la prise en compte des préoccupations légitimes de sécurité de la Russie, du pur point de vue des intérêts géostratégiques et quoique celle-ci soit assurément responsable de la guerre. Très clairement, les pays européens et les États-Unis devraient dire publiquement que l’ouverture de cette seconde phase devrait être liée à la réussite de la première.

    Ni Otan, ni UE

    Que pourrait signifier un statut garantissant à l’Ukraine sa liberté dans le cadre d’une neutralité ? L’exemple de la Finlande post-1945 ou de l’Autriche après 1955 permet d’éclairer des voies possibles de solution. En échange d’une garantie collective de ses frontières, l’Ukraine s’engagerait évidemment à supprimer de sa Constitution les articles mentionnant l’Otan et l’UE et à n’adhérer ni à l'un ni à l'autre, ni d’ailleurs à quelque autre organisation régionale, sauf au niveau commercial.

    L’Ukraine ne serait cependant pas exclue des accords de coopération économique avec d’autres pays, si ces accords s’avéraient profitables au développement économique du pays. Cette neutralisation de l’Ukraine pourrait s’accompagner de limites quant aux armements de l’armée ukrainienne, tel le renoncement à des armes offensives à moyenne portée (on pense ici aux drones de combat, à l’artillerie lourde et aux missiles) et la limitation d’autres armements (avions de combat, chars…). Ces accords garantiraient à la Russie que l’Ukraine ne pourrait devenir une plate-forme pour des armes offensives dirigées vers la Russie.

    En contrepartie, les pays cosignataires de cet accord, la Russie comme les États-Unis ou les pays de l’UE, devraient s’engager à renoncer à toute intervention dans le processus politique ukrainien. L’expérience des événements de 2013 et 2014 montre qu’il faudra inclure aussi les formes indirectes d’intervention et certaines ONG.

    « Les Ukrainiens ont le droit à une vie paisible et démocratique. Ils sont les seuls à être habilités à choisir le cadre politique et la liberté de ce cadre, autrement dit leur souveraineté, doit être respectée. »

    Enfin, une conférence générale sur la sécurité en Europe devrait se tenir, possiblement en parallèle avec la deuxième phase des négociations, afin de rétablir un cadre de confiance réciproque. Ces négociations seront compliquées, longues, et emplies d’embûches. Mais il n’y a pas d’alternative à la diplomatie sauf la guerre. Les Ukrainiens ont le droit à une vie paisible et démocratique. Ils sont les seuls à être habilités à choisir le cadre politique et la liberté de ce cadre, autrement dit leur souveraineté, doit être respectée. L’exemple de la Finlande et de l’Autriche montre que des limitations du point de vue des alliances et des forces armées n’est nullement attentatoire à cette liberté et à cette souveraineté. Ces deux pays ont connu des élections libres et démocratiques.

    La Russie a elle aussi le droit d’obtenir des garanties de sécurité, bien qu'elle soit responsable d'avoir ouvert le feu. C’est un point important, un point souvent négligé par les pays de l’Otan. Certaines de ces garanties pourraient concerner la nature des armements déployés dans divers pays de l’Otan. Mais la Russie doit impérativement admettre que la contrepartie de ces garanties tient au respect de la souveraineté et du choix démocratique de ses voisins. À ces conditions, il est encore possible de sortir pour le mieux de cet état de guerre.

    Jacques Sapir (Marianne, 28 février 2022)

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  • Les moutons de la pensée...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un essai de Jean Szlamowicz intitulé Les moutons de la pensée - Nouveaux conformismes idéologiques. Normalien, professeur des universités, linguiste et traducteur, Jean Szlamowicz, qui est également critique et producteur de jazz, est l’auteur, du livre Le sexe et la langue, une "petite grammaire du genre en français, où l’on étudie écriture inclusive, féminisation et autres stratégies militantes de la bien-pensance".

     

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    " Intersectionnalité, patriarcat, blanchité, décolonialisme, genre, queerisation, micro-agression, appropriation culturelle, transphobie, invisibilisation, inclusivisme... Halte à la contagion lexicale !
    Les militants de la nouvelle idéologie woke procèdent par la magie rhétorique de slogans aussi creux que catégoriques, qu'ils parent d'une profondeur factice. Comme si harceler l'opinion de formules verbales sans fondement scientifique permettait d'avoir raison !
    Il fallait un linguiste tel que Jean Szlamowicz pour démasquer la faiblesse intellectuelle, la mécanique artificielle et la manipulation conceptuelle qui animent ce courant multiforme mais voué au seul culte de la dénonciation.
    Car, par-delà le clivage traditionnel entre progressisme et conservatisme, cette prétendue révolution culturelle ne vise rien moins que l'éradication de la culture commune. Et, à travers le défigurement de la langue, entend détruire notre socle universaliste, laïc, égalitariste et démocratique. "
    Un livre-antidote.

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  • Quand la France connaît une tragédie démocratique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Maxime Tandonnet au site Droite de demain et consacré à la crise démocratique que connaît notre pays.

    Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014). Il est également l'auteur de biographies d'André Tardieu et de Georges Bidault.

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    La France connaît une tragédie démocratique

    Européennes, municipales, régionales et départementales…les Français ont boudé les urnes. À deux mois des élections présidentielles ne doit-on pas craindre la même désaffection et comment résoudre la crise de la démocratie française ?

    En effet, après un scrutin de 2017 qui a été dénaturé par le scandale autour de François Fillon, les élections de 2022 s’annoncent absolument neutralisées par la succession des crises, épidémies de covid 19, Ukraine. La posture présidentielle de « fausse non-candidature », le problème des parrainages, le matraquage sondagier, les difficultés de Valérie Pécresse candidate officielle du principal parti d’opposition, la valse des trahisons, ont pour effet d’annihiler le débat démocratique sur le bilan du quinquennat et sur la préparation de l’avenir. Pour la première fois, le climat est au désintéressement général face à une présidentielle présentée comme jouée d’avance. La France connaît une tragédie démocratique. 

    La crise liée à la pandémie de la Covid-19 a consacré la résurrection de l’État sous toutes ses formes, État-providence, État-pompier, État régalien… et jeté une lumière glaçante, sur les lourdeurs et absurdités de la bureaucratie. Selon vous quel État va sortir de cette crise inédite et comment sortir de l’impuissance publique ?

    Rien dans le déroulement de cette non-campagne ou dans le programme des candidats ne permet de concevoir une rénovation de l’Etat. A voir comment les choses se déroulent, la volonté démocratique de changer les choses est écrasée, inexistante. On peut même craindre aujourd’hui que ces phénomènes soient voués à s’aggraver : la hausse vertigineuse des dépenses publiques et de la dette vont se poursuivre, comme une drogue destinée à anesthésier les tensions dans le pays, son appauvrissement et sa désindustrialisation, l’impuissance des institutions. Cet effondrement se traduit par l’exubérance de la communication : le grand spectacle sert à recouvrir le désastre. On ne voit pas à ce stade de qui permettra d’inverser la logique, en tout cas à moyen terme. La pente est raide…  Un jour, le pays se trouvera au pied du mur et la prise de conscience devra se produire, mais nous n’en sommes pas là. 

    Pendant cette pandémie les esprits libres se sont fait rares. La politique a ses propres exigences. Comment rester un “esprit libre” face au pouvoir de l’opinion et en admettant une obligation d’action ? 

    A mes yeux, le passe vaccinal est emblématique du pire de ce que la société politique peut produire. Cette mesure emblématique est rigoureusement inefficace et ne prétend même pas à l’efficacité (le vaccin n’empêche pas la transmission du virus). Sous le voile du progressisme, elle procède de méthodes de communication les plus douteuses : désigner implicitement une partie de la population – non vaccinée – comme bouc émissaire de maux qui tiennent en grande partie aux dirigeants politiques (réduction des moyens hospitaliers).  Son objectif déclaré – forcer les non vaccinés à se faire vacciner – n’a même pas été atteint. Et pourtant, le pouvoir persiste et signe, l’opposition soutient dans l’ensemble ces méthodes de même qu’une vaste majorité de l’opinion selon les sondages. Cela montre l’état de déliquescence morale et intellectuelle d’une société. Les quelques esprits libres et lucides qui gardent le cap dans la tempête doivent aujourd’hui s’unir par-delà les clivages du passé. 

    Lors de cette campagne présidentielle, le régalien sera inexorablement mis en avant, notamment dans une période chaotique marquée par la poursuite de l’augmentation de la violence. Pourtant la préoccupation des Français sur des questions fondamentales comme l’avenir de la démocratie française, les libertés sont très peu repris, pour quelles raisons ? La gouvernance doit-elle être un thème électoral pour 2022 ?

    Parce que nous sommes avant tout dans le médiatique, l’émotionnel et l’immédiateté. S’intéresser à la préparation de l’avenir, notamment au fonctionnement de la démocratie française suppose un retour à la raison, à la prospective, à la capacité de se projeter dans l’avenir. Or, l’effondrement du niveau scolaire, depuis des décennies, annihile la capacité d’une société à réfléchir sur son destin. Ce nivellement et cet aveuglement touchent aussi bien la majorité des commentateurs que l’opinion en général.  Des images médiatiques montrant une agression vont provoquer une (légitime) émotion collective. Cependant, les spectateurs de ce drame ne vont pas pour autant s’interroger sur une faillite de long terme d’un système politique qui a abouti à l’impuissance de l’Etat et au chaos d’une société sur plusieurs décennies. L’affaiblissement de la culture politique et de l’esprit critique est au cœur de la tragédie démocratique. 

    Que voulez-vous dire sur la faillite des institutions ?

    Le système politique français (pas seulement les institutions, mais leur pratique et la culture politique) a abîmé la démocratie. Il a engendré une sorte de gourou élyséen qui absorbe toute la substance du politique. La vie publique se limite pour l’essentiel à sa logorrhée quotidienne et ses gesticulations médiatiques tournées ver sa réélection, comme dans un vulgaire régime autocratique. De fait, le gouvernement n’existe plus, le parlement est annihilé, les collectivités territoriales affaiblies, la presse neutralisée. Nul ne décide plus grand chose dans le champ du concret. La politique se réduit pour l’essentiel à n’être qu’un spectacle éthéré destiné à occuper les esprits. La faiblesse se déguise en autorité. Les courroies de transmission entre le pouvoir central et la Nation sont rompues. Tout est à repenser, à reconstruire. La démocratie est à réinventer, par le référendum, le renouveau des libertés locales, la refondation de la représentation populaire… Tout le reste en dépend dès lors que la gouvernance conditionne l’efficacité des politiques. Mais qui cela intéresse-t-il ? 

    Jamais la liberté n’a autant été abîmée. Cet état dont le gouvernement nous a privé et où l’opposition a eu bien du mal à la défendre. Comment la droite doit elle retrouver ces fondamentaux ?

    Nous en saurons plus dans quelques mois, en fonction du résultat des présidentielles et législatives. Mais a priori, elles ne se présentent pas dans les meilleures conditions pour les idées auxquelles nous croyons.  Lors de la crise sanitaire, une poignée d’hommes et de femmes, généralement étiquetés à droite, mais pas seulement, parlementaires et intellectuels, ont montré leur attachement à la liberté face à l’Absurdistan bureaucratique et à la terrifiante dérive du passe vaccinal ainsi que leur lucidité et leur force de caractère en résistant au vent de folie collective. Il leur faut s’unir, même en partant d’un tout petit nombre, et tenter de reconstruire quelque chose en livrant la bataille des idées. 

    Maxime Tandonnet (Droite de demain, 27 février 2022)

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