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  • L'utopie déchue...

    Les éditions Fayard ont publié récemment un essai de Félix Tréguer intitulé L'utopie déchue - Une contre-histoire d'Internet. Chercheur associé au CNRS, Félix Tréguer est également membre fondateur de La Quadrature du Net, une association dédiée à la défense des libertés à l'ère numérique.

     

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    " Ce livre est écrit comme un droit d’inventaire.
    Alors qu’Internet a été à ses débuts perçu comme une technologie qui pourrait servir au développement de pratiques émancipatrices, il semble aujourd’hui être devenu un redoutable instrument des pouvoirs étatiques et économiques. Pour comprendre pourquoi le projet émancipateur longtemps associé à cette technologie a été tenu en échec, il faut replacer cette séquence dans une histoire longue : celle des conflits qui ont émergé chaque fois que de nouveaux moyens de communication ont été inventés.
    Depuis la naissance de l’imprimerie, les stratégies étatiques de censure, de surveillance, de propagande se sont sans cesse transformées et sont parvenues à domestiquer ce qui semblait les contester. Menacé par l’apparition d’Internet et ses appropriations subversives, l’État a su restaurer son emprise sous des formes inédites au gré d’alliances avec les seigneurs du capitalisme numérique tandis que les usages militants d’Internet faisaient l’objet d’une violente répression.
    Après dix années d’engagement en faveur des libertés sur Internet, Félix Tréguer analyse avec lucidité les fondements antidémocratiques de nos régimes politiques et la formidable capacité de l’État à façonner la technologie dans un but de contrôle social.
    Au-delà d’Internet, cet ouvrage peut se lire comme une méditation sur l’utopie, les raisons de nos échecs passés et les conditions de l’invention de pratiques subversives. Il interpelle ainsi l’ensemble des acteurs qui luttent pour la transformation sociale. "

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  • Michel Maffesoli : "Nos politiques sont élus par 10% de la population!"...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Michel Maffesoli à Boulevard Voltaire à l'occasion de la sortie de son essai, écrit avec Hélène Strohl, La faillite des élites (Lexio, 2019). Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018) et dernièrement La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019).

     

                                     

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  • Une histoire de l’Europe païenne...

    Les éditions Dervy viennent de publier un livre de Prudence Jones et Nigel Pennick intitulé Une histoire de l'Europe païenne - A la découverte de nos racines spirituelles. Spécialisée dans la philosophie médiévale, Prudence Jones a enseigné à Cambridge et à l'université d'Alberta. Nigel Pennick, pour sa part, se consacre depuis près de trente ans à l'étude du paganisme européen.

     

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    " Des déesses aux serpents de la Crète antique, des dieux du tonnerre au culte de la nature et à la résurgence des religions indigènes en Europe, cet ouvrage, best-seller en Angleterre, est la première étude du genre exhaustive et objective, qui propose une perspective nouvelle sur l’histoire de l’Europe, son inconscient collectif et l’histoire des mentalités et de la religion en général. Ce travail novateur, dense, richement illustré confirme le paganisme comme une force persistante dans l’histoire européenne qui a exercé et exerce encore une influence profonde sur la pensée moderne. Pas à pas, nous suivons l’évolution de ce courant de pensées, de vie et de spiritualité en parallèle des religions dominantes, voire en conjonction avec celles-ci. Le lecteur prend conscience d’à quel point le monde moderne doit au paganisme ancien son pluralisme tolérant, son amour des arts, un grand nombre de ses connaissances et de sa philosophie. Il découvre que le paganisme a laissé une puissante empreinte sur la société, les traditions, les lieux de culte, les rituels, les arts, les contes populaires, etc. "

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  • Climatotalitarisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Slobodan Despot, cueilli sur Antipresse et dans lequel il évoque l'utilisation de la question climatique par le système. Éditeur, directeur de la lettre hebdomadaire Antipresse, Slobodan Despot a publié deux romans, Le miel (Gallimard, 2014) et Le rayon bleu (Gallimard, 2017).

     

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    Climatotalitarisme

    J’aime me réfugier au fin fond du val d’Hérens, dans sa veinule la plus reculée. Au-delà d’Arolla, il n’y a que la roche, les glaces et le ciel. Sous nos pieds, le grondement imperceptible des eaux collectées par la Dixence, le plus majestueux barrage du monde et, au bout du bout, la masse divine du Mont Collon, le Kailash des Alpes. De temps à autre, des corniches gelées s’effondrent vers la vallée avec un fracas de tremblement de terre.

    J’ai observé depuis une dizaine d’années le reflux constant du glacier qui permet au promeneur ordinaire que je suis de s’avancer toujours plus loin sans crampons ni piolets. Mais je découvre aussi que la fonte met à jour de curieux vestiges: tronc d’arbre à 2500 mètres, objets fabriqués de main d’homme et même, paraît-il, des restes de charrues. Preuve que là où nous ne voyons que des surfaces blanches immaculées passaient jadis des chemins, à sec. À une certaine époque, vers la fin du Moyen Âge, les vallées latérales de la haute vallée du Rhône communiquaient entre elles par la source et non par l’embouchure, par ces plaines lunaires où passe aujourd’hui la Patrouille des Glaciers. Le grand été du XIIIe siècle était beaucoup plus chaud que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Il aurait, selon certains, contribué à la formidable expansion de la civilisation européenne.

    Une urgence vieille comme le monde

    Les variations climatiques sont la respiration même de cet être vivant qu’est la Terre. Les hommes d’avant l’ère industrielle n’en avaient même pas conscience. Ils n’avaient ni les moyens ni l’idée de s’y intéresser. Les cataclysmes naturels se cristallisaient dans les temps mythiques de la tradition. Le souvenir du Grand Déluge, par exemple, est commun pratiquement à toute l’humanité.

    Notre expérience du réchauffement climatique est essentiellement médiatisée. Nous n’y accédons que par des moyens verbaux, non par expérience directe (comme ce serait le cas, par exemple, lors d’un tsunami ou d’une inondation). Les bizarreries du temps, les canicules ou les tornades, sont des calamités vieilles comme le monde. Il n’y a plus de saisons et les nouvelles générations ne savent plus se tenir: on vous le dit et le répète depuis la nuit des temps. Des esprits malveillants ont repéré au moins trois grandes campagnes de mise en garde contre le désastre climatique imminent au cours du XXe siècle.

    Qu’on ne s’y trompe pas: ceci n’est pas un manifeste climatosceptique. Rien qu’en nous fondant sur notre mémoire personnelle d’adultes, nous remarquons que quelque chose cloche dans le climat. Quelle est la part du facteur humain dans ce changement? Personne à ce jour n’a pu la chiffrer, mais la bataille la plus enragée se livre, évidemment, entre les insouciants défenseurs du 0% et les prédicateurs fanatiques de la culpabilité totale. Ceux-ci taxant d’irresponsabilité quiconque se permet de relativiser leur dramaturgie.

    En attendant «Mad Max»

    Dans mon for intérieur, l’esprit et l’âme s’achoppent sur ce dilemme. Rationnellement, je pense que l’activité humaine est un pet d’écureuil au regard des facteurs cosmiques tels que l’activité solaire ou les cycles de Milanković. Ayant participé jadis à la traduction du résumé technique du GIEC — en ayant reçu quelques notions de logique et de rhétorique — j’ai cru m’apercevoir que ce texte de référence était affecté dans ses raisonnements d’un biais pessimiste peut-être délibéré: pratiquement à chaque embranchement de probabilités, il semblait pencher pour l’option du pire, même lorsqu’elle était statistiquement minoritaire. Le GIEC anxiogène des années 2000 aurait-il vu tout juste, renoncerions-nous d’un seul coup aux carburants fossiles, que cela ne dévierait pas de beaucoup le cap du Titanic. Nous sommes des milliards d’animaux frêles sans fourrure ni carapace, notre simple survie avec les accessoires qu’elle implique est un fardeau pour l’écoumène, dussions-nous retourner dans les cavernes.

    Or cette régression, loin de nous sauver, serait sans doute pire. La conscience environnementale, et les améliorations concrètes à notre empreinte écologique qu’elle peut induire, sont le propre des sociétés industrielles avancées — dans la mesure où il n’existe plus rien d’autre que des sociétés industrielles, différenciées uniquement par leurs stades de développement. Même Theodore Kaczynski, dit Unabomber, le premier écolo-terroriste et ennemi juré de la société industrielle, admet que le retour de l’homme moderne à la vie primitive est une dangereuse illusion. L’humanité corsetée de principes de service et d’abnégation des siècles passés n’a jamais réussi à entreprendre quoi que ce soit de concerté, on voit mal comment la masse ivre d’ego et de jouissance du XXIe siècle pourrait s’accorder ne fût-ce que sur le ramassage des cartons autrement que par une contrainte féroce. Et encore.

    La raison me pousse donc à promener ma Saab cabrio vintage en attendant avec philosophie ce moment de bascule (l’instant «Mad Max») où les «bonnes intentions» s’effaceront devant la nécessité et la loi du plus fort et où, selon Pierre-Henri Castel (1), l’humanité acculée sortira de son coma de Belle au Bois dormant et sera contrainte d’agir concrètement, pour le mal ou pour le bien.

    Sauver l’humain avant le climat

    Ça, c’est ce que me dit ma tête. Mais mon âme, elle, chante une autre chanson. Au fond de moi-même, je préfère considérer que la menace climatique existe, qu’elle est fatidique et que je peux agir pour la combattre. Je préfère cette position parce qu’elle fait de moi un être plus affûté, plus sobre et peut-être meilleur. J’en reviens à Unabomber. Dans son fameux manifeste, il ne pose pas l’industrialisation comme une menace pour l’environnement, mais d’abord comme une menace pour l’humain. Il n’est pas le premier à le clamer. Son œuvre, si bizarre qu’elle soit, peut être lue comme une synthèse simplifiée des vues des grands précurseurs de l’écologie comme Ellul, Illitch ou Anders (2). La société industrielle, dit-il (disent-ils) est nocive en premier lieu pour la structure psychique de ses membres. Hypersocialisée, hypernormée, hypernivelée, elle ne satisfait pas le moi, mais creuse un trou noir dans le noyau même de l’être, là où se logent ses raisons de vivre et d’agir. L’individu réduit à sa fonction décrit dans les Hauteurs béantes de Zinoviev, ce n’est pas seulement l’homo sovieticus, c’est l’homme moderne tout court. Ce vide béant en lui-même, l’homme sécularisé, privé de recours à la transcendance, s’efforce de le remplir par la bâfrerie, l’agitation et les mille faux appétits élaborés par la stimulation publicitaire où il baigne chaque jour de sa vie.

    Ainsi donc, mon fatalisme rationnel est contrebalancé par mon volontarisme spirituel. Nous n’arriverons peut-être pas à sauver la planète, mais poursuivre dans cette grande bouffe de la consommation globalisée, avec l’abrutissement effarant et la solitude qu’elle induit, c’est de toute façon laid, stupide et suicidaire. Il n’est de toute façon pas humain de vivre ainsi. Notre système nous conduit plus vite à la destruction de l’humain qu’à celle de son environnement. Et l’apparition récente d’antisystèmes violents, comme l’islam régressif, n’est peut-être qu’un symptôme de rejet collectif, inconscient, de cette aliénation. Il est d’autant plus urgent de sortir de la société industrielle par le haut et non par le bas.

    Dans ce but, l’angoisse écologique apparaît non comme une «cause» ou un «engagement», mais comme une mise en garde psychique, un «memento mori». Elle est la tête de mort posée sur un coin du bureau, le rappel dramatique de la finitude de notre condition. Les ressources de ce monde sont limitées, il faut les vénérer plutôt que de les dilapider, car nous n’avons pas de planète de rechange. Cette prise de conscience invite, comme toute doctrine aristocratique, à la retenue et au sacrifice. Elle n’est efficace qu’à l’échelle du nombre, mais s’adresse à chaque individu en particulier.

    La nouvelle machine à dominer

    Vais-je donc adhérer au parti écolo — ou à l’un de ses nombreux clones brusquement repeints en vert par démagogie électoraliste? Certainement pas. Comme les vertus chrétiennes, la conscience cosmique se transforme en massue sitôt qu’elle devient idéologie. Du jour au lendemain — c’est particulièrement frappant lors des actuelles élections fédérales en Suisse — on a vu les promoteurs du développement illimité se transformer en bigotes du «bio» sans même prendre la peine de lisser leurs contradictions. La rapidité et le cynisme de cette volte-face ont quelque chose d’effrayant. Ils montrent à quel point ces gens étaient creux et dénués de toute conviction propre. A quel point leur mentalité de girouettes est éloignée de toute œuvre silencieuse et durable, prérequis de toute interaction avec la nature. Ce sont eux, ces tourne-veste, qui signeront demain les ordres d’internement des climatosceptiques et non les écologistes de conviction, qu’ils auront dévorés au passage.

    Dans une analyse inspirée des élections fédérales, Jacques Pilet dépeint ce «brouillard vert», son fonctionnement et sa raison d’être en énumérant tous les sujets concrets et urgents que l’hystérie climatique permet d’escamoter: Europe, libre circulation des personnes, retraites, santé, transparence, impôts. «Le bla-bla vert a enfumé les discours», résume-t-il. C’était bien le but!

    La lutte environnementale récupérée par le système est avant tout une opération de prise de pouvoir sociale et politique, se traduisant en premier lieu, bien entendu, par la levée de nouvelles taxes, la création de postes et de sinécures, l’intimidation des masses et le renouvellement de la suprasociété dirigeante, dont le vert sainte-nitouche est devenu la couleur de ralliement. L’idéologie climatotalitaire pose, comme le communisme marxiste, des buts évidemment irréalisables. Ses accomplissements sont aussi invérifiables que ses principes sont irréfutables. Ses engagements, entièrement abstraits. C’est une machine de domination parfaite. De quoi culpabiliser, tondre et rééduquer les pollueurs incurables que nous sommes pendant des décennies.

    Slobodan Despot (Antipresse n°204, 27 octobre 2019)

    NOTES
    1. Auteur de ce petit essai insupportable et revigorant de lucidité, Le Mal qui vient (voir «Le parfum revigorant de l’apocalypse», Antipresse n° 159).

    2. Et encore plus tôt, Ramuz dans Besoin de grandeur — mais Ted K. n’a sans doute jamais eu accès à cet écrivain génial.

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  • F.A.U.S.T , métapolitique de la science-fiction !...

    « C'est le réveil d'une vraie science-fiction française, lucide ordonnée et non-conformiste, dont Serge Lehman paraît être l'un des espoirs les plus prometteurs. Manifestement, l'auteur a réfléchi aux dérives soft-dictatoriales de la société marchande : certains passages métapolitiques ne dépayseront pas les lecteurs d’Éléments. Pour être engagée, sa chronique du futur n'en est pas moins passionnante à découvrir, avec la création d'un monde foisonnant et cohérent, appelé à marquer durablement les esprits. » Grégory Pons (Éléments, avril 1997)

     

    Les éditions Au Diable Vauvert viennent de rééditer l'excellente série de science-fiction de Serge Lehman intitulée F.A.U.S.T. Cette réédition regroupe les trois volumes de la série ainsi qu'un roman et une nouvelle s'y rattachant directement*. Auteur de science-fiction, spécialiste du roman d'anticipation européen de la première moitié du XXe siècle, Serge Lehman s'est tournée avec brio vers le scénario de bande-dessinée et on lui doit, en particulier, La Brigade chimérique, une fascinante « plongée archéologique au cœur de l’imaginaire mutilé de l’Europe » ainsi que Métropolis et Masqué.

    * Les lecteurs fidèles de Serge Lehman savent que toute son œuvre se relie à une même trame, traversée par la mystérieuse figure du Picte... On notera que le quatrième tome de la série L'âge de chrome, longtemps annoncé, et jamais écrit, ne figure pas dans cette édition intégrale.

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    " Premier janvier 2095. Les Puissances – ces grands empires industriels qui règnent sur l’économie mondiale – rassemblent leurs forces. Demain, à New York, le Sénat des Nations Unies ouvre ses portes… Une conspiration est en marche – si vaste qu’elle pourrait bien faire basculer le destin de l’humanité. De l’autre côté de l’Atlantique, un groupe de scientifiques, d’intellectuels, de diplomates et d’espions prépare la riposte. Ils n’ont pas de nom, pas d’argent, pas de statut… Mais leur détermination est digne des utopistes de la Renaissance. "

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  • Chesterton et la marchandisation du monde...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Camille Dalmas à L'Inactuelle à propos de l'écrivain G. K. Chesterton et de son opposition à la marchandisation du monde. Journaliste, co-fondateur de la revue Limite, Camille Dalmas vient de publier Le paradoxe G.K. Chesterton (L'Escargot, 2019). On notera que les éditions L'Homme nouveau viennent de publier un recueil de textes de Chesterton intitulé Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste.

     

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    Camille Dalmas “Chesterton et la marchandisation du monde”

    Thibault Isabel : Dans votre ouvrage remarquable, qui brille à la fois par sa clarté, sa qualité littéraire et une finesse devenue rare, vous montrez de quelle façon l’âme poétique de Chesterton chercha une troisième voie pour échapper aux ravages de la société marchande autant qu’à ceux du nationalisme et du collectivisme. D’où provenait le distributisme cher à Chesterton ? Fut-il à proprement parler l’inventeur de cette doctrine, si tant est d’ailleurs que le terme de « doctrine » puisse s’appliquer ici ?

    Camille Dalmas : Je ne parlerais pas tant de doctrine – le courant n’a en effet pas été assez structuré pour cela –, mais plutôt de courant de pensée, ou, mieux encore, de « bannière » distributiste. Sous celle-ci se sont placés quelques grands hommes notables, mais c’est bien Chesterton qui en a vaillamment tenu la hampe pendant une trentaine d’années. Reste que le distributisme n’est pas Chesterton seul, et que ce n’est du moins pas lui qui en est le premier défenseur.

    Trois facteurs principaux expliquent l’invention du distributisme. D’abord, la coagulation de nombreux courants intellectuels anglais à la fin du XIXe siècle. Ensuite, la grande crise post-victorienne qui bouleversa toute la société anglaise et permit de voir foisonner les alternatives, dont le distributisme est la version la plus réussie à mon avis. Enfin, c’est bien entendu l’histoire de la rencontre d’intellectuels de premier plan dont le dénommé Gilbert Keith Chesterton est le plus illustre.

    Le XIXe siècle est un grand siècle de réflexion en Angleterre. A gauche d’abord, avec l’apparition d’une myriade de propositions marxistes ou socialistes. Mais on a tendance à oublier que lui préexiste une critique de la société victorienne émanant d’un milieu radical parfois bien plus conservateur, mais opposé aux Whigs, dans lequel on pourrait mettre l’écrivain William Cobbett ou le très patriote Charles Dickens. D’où l’orientation souvent déroutante de la réflexion politique alternative en Angleterre : le socialisme médiéval de Morris ou le socialisme esthétique chrétien de Ruskin jurent avec la doxa marxiste et vont permettre la naissance du distributisme. Ces mouvements posent déjà les questions auxquelles la bannière distributive va se charger de répondre : Que faire de la propriété ? Quelle place donner à l’Etat ? Quelles structures pour les personnes dans un modèle de société plus juste ? etc. A cela s’ajoute l’importance pour l’Angleterre de la question « religion-société », avec notamment les réflexions du cardinal Manning.

    Thibault Isabel : Le distributisme se trouvait en fait confronté à une situation très tendue socialement, à l’époque où les ravages de la société industrielle creusaient drastiquement les inégalités. La pensée politique de Chesterton et de ses amis est-elle en somme une réaction aux injustices de la société victorienne et post-victorienne ?

    Camille Dalmas : Cette réflexion va en effet devoir s’accélérer à l’aube du XXe siècle, avec l’intensification des problèmes propres à la société industrielle qu’est l’Angleterre. A une crise sociale s’ajoute une crise géopolitique, correspondant à l’apogée de l’aventure coloniale (et donc au début de sa remise en question), couplée à une crise spirituelle-sociale consécutive à la désagrégation de l’Eglise populaire, la « Low Church », qui coupe chaque jour la société en deux. Enfin, un scientisme de plus en plus radical guide le politique. Le distributisme est d’abord une tentative de contrer cette désagrégation générale.

    Et c’est dans ce contexte qu’un certain Chesterton va inventer le mot, et donc le courant à proprement parler. Il ne s’agit pas en fait de Gilbert Keith, mais de son petit frère Cecil, beaucoup moins connu. Avec un père dominicain nommé Vincent McNabb, ils profitent de l’atmosphère tapageuse d’un cercle intellectuel socialiste, les « Fabians », pour développer une alternative au capitalisme triomphant des conservateurs et de leurs alliés modérés, mais aussi aux propositions liberticides ou totalitaires de la gauche. Chesterton prendra plus tard le relais de son frère à la mort de ce dernier, pendant la Première guerre mondiale. Il profitera pour cela de l’appui d’un certain nombre de prêtres anglais et irlandais, et surtout de son ami Hilaire Belloc, penseur de l’Etat servile, son grand essai dont on attend encore la traduction en français.

    Thibault Isabel : Chesterton fut à la fois un fervent démocrate et un adversaire du capitalisme. Or, depuis Marx, nous tendons à considérer que le capitalisme ne peut être vaincu que par l’Etat – fût-il « transitoire » dans sa dictature. Chesterton ne l’entendait pas de cette oreille ; il écrivait : « Le problème du communisme est qu’il tente de s’opposer au pickpocket en interdisant les poches. » Autrement dit, notre auteur ne dénigrait pas la propriété privée, mais entendait au contraire s’en servir comme d’un socle pour rétablir une société plus locale, plus solidaire, fondée sur l’association, la coopération, etc. Cela place Chesterton dans une lignée qui me paraît très proche du mutuellisme de Pierre-Joseph Proudhon ou du convivialisme d’Ivan Illich, d’autant que l’Anglais ne prisait pas plus qu’eux le compromis social-démocrate, qui consiste le plus souvent à conjuguer les tares du capitalisme (la compétition à outrance) avec les tares du communisme (l’étatisme et la bureaucratie). Seriez-vous d’accord pour dire que Chesterton fut d’abord un amoureux des petits espaces et des libertés concrètes contre le gigantisme prométhéen et technocratique du monde moderne ?

    Camille Dalmas : Vous avez en tout point raison. Chesterton, s’il avait lu Proudhon, aurait sans nul doute été très étonné de trouver là bien des pans de sa réflexion déjà mûris. Et la pensée d’Illich est aussi par bien des aspects voisine de celle de Chesterton. La diversité des dénominations – convivialisme, distributisme, mutualisme – me semble être d’abord l’expression de sensibilités différentes, plus que d’importantes oppositions d’idées. Chesterton envisageait lui-même cette diversité au sein du distributisme comme une richesse qu’il fallait encourager : « De même que, dans la société médiévale, il y avait des paysans, des monastères, des terres communales, des terres privées, des guildes et des corporations, de même dans mon Etat moderne y aurait-il certains biens nationalisés, certaines guildes, aux profits communs ainsi que de nombreux propriétaires individuels là où il y est le plus souhaitable d’en avoir ».

    L’essentiel pour lui était de s’opposer le plus librement possible au diptyque Etat-multinationales qui gouverne nos sociétés aujourd’hui. Voilà le véritable Léviathan qu’il faut terrasser.

    De Proudhon à Illich, en passant par Chesterton ou Orwell, on retrouve une classe d’intellectuels qui ont toujours regardé avec la plus grande prudence tous les projets strictement utopistes, et avec beaucoup d’affection les petites recettes simples qui conviennent aux situations locales qu’ils connaissaient, que ce soient les ouvriers de Wigan pour Orwell ou les petits commerçants de Londres pour Chesterton. Cela exclut nécessairement toute solution politique strictement universaliste.

    C’est pourquoi faire de Chesterton un « amoureux des petits espaces » est on ne peut plus pertinent. Chesterton aimait en poésie comme en politique les « petites choses formidables » ; et donc les petites propriétés, les petits commerces, les petites guildes, les petits syndicats…

    Thibault Isabel : Jusqu’à quel point cet aspect de la pensée chestertonienne fut-il influencé par la doctrine sociale de l’Eglise ?

    Camille Dalmas : La paroisse, le quartier, le village, le « pays », à partir du moment où ils sont pensés comme plus petit dénominateur commun, sont toujours l’échelle adaptée pour envisager en premier lieu une action commune. C’est bien entendu le fondement du principe de subsidiarité catholique, cœur de la doctrine sociale de l’Eglise, et Chesterton est allé abondamment s’inspirer du texte de Léon XIII.

    Il faut noter que c’est un texte qui avait une résonance toute particulière en Angleterre, puisque le principal instigateur du texte au Vatican était le cardinal Manning, le cardinal des dockers de Londres. Mais ce n’est pas la seule source d’inspiration de Chesterton, qui a abondamment puisé dans l’histoire pour trouver des solutions adaptées. Que ce soit dans la Rome républicaine avec ses amis Fabiens, ou, bien entendu, dans la « merry England » (Joyeuse Angleterre) du XIVe siècle anglais.

    Thibault Isabel : En définitive, Chesterton aura-t-il été un homme de gauche ou de droite ? Un progressiste ou un traditionaliste ? Est-il seulement possible de l’étiqueter ?

    Camille Dalmas : Il est aujourd’hui considéré comme de droite par l’idéologue de gauche, et comme de gauche par l’intransigeant libéral. Mais cette dichotomie gauche-droite ne lui rend vraiment pas honneur. Ces jugements sont même signe d’une absence totale de connaissance de l’homme et de son œuvre.

    Chesterton n’est pas progressiste : il honnit le principe même de progrès. Mais il n’est pas pour autant un pur traditionaliste, car il considère qu’une tradition peut évoluer quand bien même il est indispensable de la comprendre en profondeur pour envisager de la dépasser ; il n’est pas non plus un pur conservateur, car pour lui c’est là le masque d’un progressisme timoré qui ne veut pas corriger les erreurs du progressiste exalté ; et, enfin, il n’est pas un pur réactionnaire, car les âges d’or qu’il admire sont seulement une source d’inspiration, pas un horizon utopique.

    Thibault Isabel : Au XIXe siècle, de nombreux socialistes, en dépit de leur anticapitalisme et de leur opposition au système marchand industriel, se référaient abondamment aux principes de la philosophie politique libérale : c’était le cas de Proudhon, que nous avons déjà cité, mais aussi en Grande-Bretagne de John Stuart Mill, dont on ne sait d’ailleurs jamais s’il faut le considérer comme un libéral ou un socialiste. Chesterton affichait lui aussi une certaine ambiguïté lorsqu’il évoquait le libéralisme… Mais quel sens donner au mot « libéral » dans la bouche de cet auteur ? Comment conciliait-il son libéralisme avec l’idéal distributiste ?

    Camille Dalmas : Le paradoxe politique le plus amusant en ce qui concerne Chesterton est qu’il se décrivait lui-même comme un « libéral radical ». Ce qui aujourd’hui pourrait, pour de nombreuses oreilles, signifier l’exact inverse de ce qu’il entendait.

    Récemment, Emmanuel Macron a ainsi cru bon de citer un extrait d’Orthodoxie devant un parterre de banquiers de la City : « Le monde s’est divisé entre conservateurs et progressistes. L’affaire des progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L’affaire des conservateurs est d’éviter que les erreurs ne soient corrigées. » L’actuel président avait conclu quelque chose comme : « Vous savez quel camp je compte choisir. » Un contresens magnifique !

    Chesterton refuse bien sûr de penser le monde sous ce simple prisme. Il est libéral parce qu’il s’oppose à la collusion Etat-Capital au nom de la liberté de la personne à former des petits groupes pour vivre heureux. Et il est radical parce qu’il sait que, pour cela, il ne suffit pas de laisser faire ou de libéraliser, mais bien plutôt d’aller chercher à la racine des maux.

    Thibault Isabel : Les idées politiques de Chesterton s’appuyaient d’abord sur une morale, au sens d’un investissement structuré du monde et d’une sagesse de vie. Là où nous tendons trop souvent aujourd’hui à ramener la littérature et la culture dans le champ de la politique, ne peut-on pas dire en cela que Chesterton ramena la politique dans le champ de la poésie ?

    Camille Dalmas : Comme souvent, Chesterton prend les choses à rebours. Comme je l’explique dans mon livre, c’est bien en tant que poète qu’il se trouve politiquement engagé. C’est pour la poésie qu’il combat. La poésie, et plus largement la littérature, est ce qui pour G.K. Chesterton nous donne « une demeure et un nom ». La poésie est le langage premier, essentiel, instinctif de l’être humain, ce qui le distingue et l’élève. Elle est ce qui dit le plus profondément et le plus authentiquement la réalité de notre monde.

    Dès lors, toute action de l’homme se doit pour lui de défendre cette origine poétique, au nom d’une quête supérieure, d’un Graal qui n’est autre que la raison de notre existence sur cette terre. On est embarqué, pour reprendre le mot de Camus, non pas dans la contingence des combats politiques, mais dans cette merveille qu’est le monde et qu’il nous faut défendre. Tout combat politique pour Chesterton doit prendre en compte cette question de notre essence.

    Thibault Isabel : Avant de se convertir au christianisme, Chesterton s’intéressa à une foule de spiritualités exotiques ou anciennes, à l’ésotérisme, etc. J’ai le sentiment que sa pensée a toujours conservé cette empreinte comme un signe indélébile, et que son christianisme n’a fait que se surajouter à son goût de jeunesse pour les vielles cultures païennes – un peu comme dans l’œuvre de J.R.R. Tolkien, d’ailleurs. Son sens du paradoxe est typiquement païen, tout comme son refus du scientisme – car l’hyper-rationalité reste aveugle à la complexité organique du monde, que seule la sensibilité perçoit avec nuance. Il y a aussi chez Chesterton, en filigrane, une véritable apologie aristotélicienne du juste milieu, qui implique de saisir le monde dans son intégralité au lieu de le réduire à des interprétations sommaires et trop simples, unilatérales. Le fait que Chesterton ait consacré des monographies à saint François d’Assise et à saint Thomas d’Aquin, qui sont peut-être les deux théologiens chrétiens les plus redevables aux sagesses antiques, en atteste sans doute en partie. Chesterton était-il donc, a posteriori, le chaînon manquant entre le paganisme et le christianisme, ce qui expliquerait qu’un païen tel que moi puisse l’aimer autant qu’un chrétien de stricte obédience ?

    Camille Dalmas : Cela ne m’étonne guère ! Néanmoins, quand Chesterton fait référence à ses années d’ésotérisme dans son Autobiographie, c’est d’abord pour décrire des années d’errance. Il regarde d’ailleurs avec effroi certaines de ces expériences. Faire de Chesterton un crypto-païen sur ces bases – ce que ne vous faites pas – est bien entendu un contresens.

    En revanche, je dirai que, bien plus que sa jeunesse, c’est son enfance, dont il ne parle que très peu, qui est probablement ce monde magique, cette féerie qui l’unit tant à Tolkien et qui donne cette teinte si « originelle » à son œuvre.

    Tolkien écrivait pour ses enfants, il ne faut jamais l’oublier. C’était pour lui comme s’il pouvait leur parler dans une langue qu’eux seuls étaient capables de comprendre. Toute personne qui a encore cette étincelle d’enfance en lui comprend de quoi nous parlons. Chesterton, grand défenseur de l’enfance, évoquait quant à lui cet âge comme une période « lumineuse » de son existence.

    Le paradoxe – spécialité chrétienne au moins autant que païenne – est que c’est en tant que pieux chrétien que Chesterton est paradoxalement un véritable païen. Comme il l’explique très bien lui-même dans Hérétiques : « La Révolution française est d’origine chrétienne. Le journal est d’origine chrétienne. Les anarchistes sont d’origine chrétienne. La science physique est d’origine chrétienne. Les attaques contre le Christianisme sont d’origine chrétienne. Il y a une seule chose, une seule existant de nos jours, dont on puisse dire en toute vérité qu’elle est d’origine païenne, et c’est le christianisme, parce que son fondateur procède de l’éternité du Père, et qu’il est né dans le temps d’une Femme. »

    Thibault Isabel : Il est évident que l’histoire spirituelle de l’Europe s’est faite à travers une évolution progressive plus que par ruptures : l’Antiquité tardive autant que le Moyen Age illustrent à quel point les passerelles furent nombreuses entre paganisme et christianisme, malgré des divergences théologiques tout aussi indéniables. En quoi le christianisme était-il d’origine païenne, pour Chesterton ?

    Camille Dalmas : Chesterton affirme que la force du christianisme, sa grande supériorité sur les autres religions, est qu’elle n’a pas fermé la porte de l’époque païenne pour bâtir une cathédrale nouvelle. Elle est partie des solides ruines des temples anciens, elle a respecté les sagesses antiques d’Aristote avec Thomas et de Platon et Plotin avec Augustin en les intégrant directement à son édifice. Elle a repris des institutions pleines de sagesses telle que la chasteté de certains clercs ou tout simplement les rites du mariage.

    Evidemment, la condition de cette appropriation totale était la non-contradiction de ces traditions avec les dogmes élémentaires transmis par Dieu. Un tri a bien entendu été fait, toute la sagesse antique n’est pas du proto-christianisme. Ont été expurgés et combattus notamment toutes les sagesses qui renvoyaient à la pratique du bouc émissaire, comme l’a expliqué René Girard, parce que le sacrifice du Christ rend tout nouveau sacrifice inutile. C’est le sens profond de l’eucharistie. Il ne faut donc pas comprendre la chose à l’envers. Chesterton n’aurait pas donné une seconde du crédit aux théories farfelues qui font de Jésus un nouveau Dionysos. Mais il aimait que le Seigneur soit célébré au milieu des esprits amicaux de la forêt, comme Saint François frayant avec son ami loup et parlant aux arbres dans les collines d’Assise.

    L’Eglise a toujours eu conscience de ce lien, et a parfois été tentée de l’occulter. Souvent parce qu’elle avait encore à combattre contre des nations païennes, et que son origine paradoxale peut être mal comprise. Cependant, et Chesterton le rappelle, il arrive que les « vertus chrétiennes » deviennent « folles », au point de nier les vérités les plus élémentaires, celles que les païens tenaient pour acquis.

    Cependant, Chesterton rappelle que l’Eglise n’a jamais rompu ce lien avec son origine païenne. Un exemple d’actualité brûlante me semble très bien exprimer cette complexité structurelle de l’Eglise. En ce moment se tient le Synode sur l’Amazonie à Rome, qui a pour but de faciliter l’évangélisation dans cette partie du monde à l’époque où les missionnaires ne sont plus assez nombreux. Que fait dès lors l’Eglise ? Elle propose de s’appuyer sur les « viri probati », les hommes probes, des personnalités locales reconnues pour leur supériorité spirituelle par les populations locales. Certains sont un peu sorciers, un peu chamans, mais tous veulent surtout être chrétiens, et c’est dans ce sens que le Vatican se propose de les ordonner prêtres. Les réflexions actuelles de l’Église sur l’écologie vont aussi dans ce sens : retrouver l’équilibre entre les dogmes et les sagesses locales qui font grandir harmonieusement les nations. C’est le tout du christianisme de Chesterton, et cela me semble être le tout du christianisme tout simplement.

    Camille Dalmas, propos recueillis par Thibault Isabel (L'Inactuelle, 26 octobre 2019)

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