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  • Menaces mortelles sur l'entreprise française...

    Les éditions Nouveau monde viennent de publier un essai d'Olivier Hassid et Lucien Lagarde intitulé Menaces mortelles sur l'entreprise française - Déstabilisation, espionnage et faux procès. Lucien Lagarde est chercheur à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire, et Olivier Hassid docteur ès sciences économiques et directeur dans un grand cabinet d'audit et de conseil international.

     

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    " Affaires d'espionnage, amendes records, fusions… Le sort semble s’acharner sur les entreprises françaises. En apparence, rien ne relie les condamnations de BNP Paribas et Alstom, le piratage des données d’Areva, le rachat d’Alcatel et Lafarge. En coulisses, certains États peu scrupuleux ont déclaré la guerre aux fleurons tricolores.

    Leur objectif : déstabiliser, piller et racheter pour régner. Car nos pépites font un carton à l’international. Réacteurs nucléaires, produits de luxe et high-tech sont devenus la proie des investisseurs étrangers, adeptes des profits à court terme et des économies de R&D. Au côté des grands groupes, ETI et PME ne sont pas épargnées.

    Soutenu par des professionnels de la sécurité et de l’intelligence économique, cet ouvrage dresse un bilan accablant pour notre économie. Privées de débouchés, dépouillées des technologies qu’elles ont mis des années à développer, nos entreprises sont en plein décrochage. Or ce désastre n’est pas l’effet du libre jeu des marchés : il traduit une mondialisation à géométrie variable, régie par des dispositifs juridiques et sécuritaires étrangers visant à éliminer toute concurrence.

    Seul un traitement de choc pourra éviter la mort programmée de l’entreprise française : droit de regard de l’État dans les domaines stratégiques, mobilisation d’investisseurs nationaux, déploiement d’un arsenal juridique en matière de secret des affaires, renforcement et synergie des services de sécurité. Loin de prôner un retour au protectionnisme, ce livre réaffirme la nécessité d’un patriotisme économique au-delà des clivages, avant qu’il ne soit trop tard. "

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  • La grande leçon politique de Julien Freund...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Bernard Quesnay , cueilli sur le blog Éléments et consacré à la pensée politique de Julien Freund, qui avait été publié initialement en 2003 dans la revue Éléments.

     

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    La grande leçon politique de Julien Freund

    Philosophe, sociologue et politologue, Julien Freund nous a quittés il y a presque vingt-trois ans, le 10 septembre 1993, laissant une œuvre riche et variée portant tout à la fois sur le droit, la politique, l’économie, la religion, l’épistémologie des sciences sociales, la polémologie, la pédagogie ou l’esthétique. Mais il s’est surtout attaché à élucider ce que Paul Ricœur appelait les paradoxes de la politique. Marqué avant la guerre par une conception idéaliste de la politique, Freund a perdu ses illusions durant ses années de Résistance et pendant son engagement politique et syndical qui a suivi la Libération. Ce sont les déceptions causées par les réalités de la pratique politique qui l’ont amené à étudier ce qu’est réellement la politique, c’est-à-dire à découvrir ce qui se cache derrière le voile hypocrite de certaines conceptions moralisantes. C’est de cette volonté de rechercher et décrire la véritable nature du politique, au-delà des contingences historiques et idéologiques, qu’est né L’essence du politique, son opus magnum publié en 1965.

    À l’encontre des idées reçues de son époque, Julien Freund a osé affirmer et démontrer dans L’essence du politique1 qu’il existe une pesanteur insurmontable du politique et qu’il est illusoire d’espérer sa disparition. Il a résumé cette idée dans la formule : « il y a des révolutions politiques, il n’y a pas de révolution du politique »2. Cette affirmation, apparemment toute simple, a des conséquences philosophiques innombrables.

    La pensée politique de Freund repose sur l’idée qu’il existe une essence du politique. Cela signifie, d’une part, que l’homme est un être politique, d’autre part, que la société est une donnée naturelle et non une construction artificielle de l’homme3. De ce point de vue, l’auteur de L’essence du politique se place dans la lignée d’Aristote et en opposition aux différentes théories du contrat social héritières de Hobbes. Il en découle une certaine conception des rapports entre la société et les individus qui la composent.

    La société est comprise comme une condition existentielle de l’homme : comme tout milieu, elle lui impose une limitation et une finitude. C’est-à-dire qu’il incombe à l’homme, au moyen de l’activité politique, de l’organiser et de la réorganiser sans cesse en fonction des évolutions de l’humanité et du développement des diverses activités humaines. Pour Freund, la société est donc « donnée », en même temps que l’homme, qui, de son côté, est doué d’une « sociabilité naturelle ». L’idée d’un « état naturel », qui supposerait une humanité asociale, n’a donc pour lui aucune signification. Elle ne peut avoir de sens qu’en tant qu’hypothèse, comme une « utopie rationnelle » qui permettrait de mieux comprendre la société et de montrer ce qu’il y a en elle de conventionnel.

    Une vision fondamentalement conflictuelle de la société
    À cause de l’utilisation du terme d’« essence », on a souvent parlé, au sujet de la philosophie de Julien Freund, « d’essentialisme », entendant par là qu’il enfermerait la politique dans un immobilisme qui serait étranger à sa nature. Il faut ne pas avoir lu Freund pour penser cela. Toute son ambition théorique était de réhabiliter la distinction des genres, qui repose sur l’idée d’une autonomie des différentes activités humaines, chacune de ces activités ayant sa propre finalité et ses propres moyens. La finalité de la science ou celle de l’art n’est pas la même que celle de la politique ou de la religion. Sa théorie était notamment une manière de réagir contre les idéologies ou les doctrines systématiques qui tentaient d’expliquer toutes les activités humaines par une activité première, qu’il s’agisse de l’économie (comme dans le marxisme), de la politique ou de la religion. C’est pourquoi, lorsque Freund affirme que le politique est une essence, cela signifie qu’il n’est qu’une essence, c’est-à-dire une activité humaine parmi d’autres comme la religion, la morale ou l’économie. Le sociologue qu’il était n’envisageait aucunement l’existence humaine uniquement sous l’angle politique, en faisant abstraction de ces autres activités. S’éloignant des travers du machiavélisme doctrinal, il ne concevait pas non plus la politique comme une fin en soi, mais comme une activité au service des autres aspirations de l’homme (esthétiques, religieuses, métaphysiques, etc.), renouant ainsi avec la philosophie aristotélicienne.

    Sa théorie politique est fondée sur une vision fondamentalement conflictuelle de la société, selon laquelle celle-ci est traversée par des tensions et des antagonismes entre les différentes activités humaines qu’aucune rationalisation, aucune utopie ne pourra vaincre définitivement. Comme Vilfredo Pareto4, il pense que l’ordre social est fondé sur un équilibre plus ou moins sensible entre ces forces antagonistes. Certaines forces tendent à stabiliser l’ordre social, d’autres à le déstabiliser et le désorganiser pour instaurer un ordre meilleur. L’équilibre sur lequel repose cet ordre ne peut jamais trouver de solution définitive, mais seulement un compromis ; et c’est précisément au politique qu’il appartient de le maintenir, notamment au moyen de la contrainte. C’est pourquoi l’ordre politique est déterminé pour une large part par le jeu dialectique du commandement et de l’obéissance.

    Un obstacle insurmontable à un État universel
    Il faut préciser que, comme toute activité, la politique possède des présupposés, c’est-à-dire des conditions constitutives qui font que cette activité est ce qu’elle est, et pas autre chose. Pour Freund, ces présupposés sont au nombre de trois : la relation du commandement et de l’obéissance, la distinction du privé et du public, et la distinction ami-ennemi5. Tous les trois témoignent de la dynamique conflictuelle qui est à l’œuvre dans la société.

    La relation du commandement et de l’obéissance constitue le présupposé de base du politique, c’est elle qui caractérise véritablement le politique, car elle introduit la relation hiérarchique entre gouvernants et gouvernés. Héritier de Weber, Freund voit dans le commandement un phénomène de puissance. C’est cette puissance qui façonne la volonté du groupe et assure l’existence du domaine public. On comprend alors pourquoi la théorie politique de Freund redonne à la souveraineté toute sa dimension politique en la présentant comme un phénomène de puissance et de force, et non comme un concept essentiellement juridique. Pour autant, Freund ne fait pas de la puissance le but du politique. Chez lui, comme chez Hobbes, puissance et protection vont de pair : la puissance est au service de la protection de la collectivité, car il ne faut pas oublier que la finalité de la politique, c’est la sécurité face à l’extérieur et la concorde à l’intérieur.

    La distinction du privé et du public est le présupposé qui permet de délimiter ce qui est du domaine de compétence du politique, c’est-à-dire ce qui concerne l’ordre public, et ce qui appartient à la sphère privée et qui concerne l’individu et les rapports interindividuels. Dans la réalité historique, les choses ne sont pas si nettes. De plus, cette frontière n’est jamais définitive, puisqu’elle dépend de la volonté politique, qui détermine en dernier ressort la part de chaque sphère. Mais ce qui est certain, c’est que la dialectique entre le privé et le public existe dans toute société politique. L’histoire de l’« Occident » se caractérise par un effort politique pour étendre la sphère privée et garantir un certain nombre de libertés fondamentales, tandis qu’à l’inverse, le totalitarisme a été un effort gigantesque pour effacer la distinction entre l’individuel et le public. Or le privé est aussi indispensable que le public, dans la mesure où il est le lieu des innovations, des transformations et des contestations. On retrouve ici la dynamique conflictuelle qui traverse l’œuvre de Julien Freund. C’est la dialectique entre l’ordre public et le bouillonnement de la sphère privée qui permet qu’une société soit vivante et qu’elle évolue sans cesse.

    Julien Freund a intégré le critère schmittien de la distinction ami-ennemi dans sa théorie politique, en en faisant, non pas le critère du politique, mais seulement un de ses trois présupposés. Cette distinction ne revêt pas tout à fait la même importance existentielle ou métaphysique qu’elle a pu avoir chez l’auteur de La notion de politique, mais l’ennemi reste pour Freund le facteur essentiel de la politique : n’en déplaise aux idéalistes, pour lui « il ne saurait y avoir de politique sans un ennemi réel ou virtuel »6. La distinction ami-ennemi présente l’avantage de n’être pas seulement symbolique, mais d’être surtout concrète et existentielle, c’est-à-dire éminemment politique. Elle signifie que « la guerre est toujours latente, non pas parce qu’elle serait une fin en elle-même ou le but de la politique, mais le recours ultime dans une situation sans issue »7.

    Pour Freund, la nature conflictuelle de la nature humaine constitue un obstacle insurmontable à la constitution d’un État universel. C’est pourquoi on retrouve chez lui une approche réaliste et sociologique des relations internationales qui doit beaucoup à ses maîtres, Carl Schmitt et Raymond Aron. S’il admet que les relations entre les États reposent aussi sur des échanges amicaux, Freund observe qu’elles sont à base de crainte et de volonté de puissance, bien plus qu’elles ne reposent sur des fondements juridiques. C’est pourquoi il estime qu’en cette matière, le droit reste subordonné aux intérêts de la politique. Il se méfiait de l’attitude moraliste qui consiste à croire que l’on pourra mettre fin aux guerres par la voie juridique, tout en supprimant toute contrainte et toute violence. À cet égard, il reprochait à certains juristes de nier, au nom d’un positivisme trop étroit, l’existence de la souveraineté ou de la considérer comme un concept métaphysique ou philosophique.

    En définitive, si l’on relit Freund aujourd’hui, on remarque que, pour l’essentiel, son analyse « classique » des relations internationales n’a pas tellement vieilli, malgré la forte mutation qui a suivi la disparition de l’URSS en 1991. Comme l’observe Pierre de Sénarclens, « malgré le développement des institutions intergouvernementales, des réseaux de solidarité transnationaux, des processus d’intégration régionale et des régimes de coopération sectorielle, la politique internationale garde ses caractéristiques propres. Elle continue de s’inscrire dans un milieu relativement anarchique, marqué par des États d’importance très disparate, dont les sociétés demeurent culturellement et politiquement hétérogènes »8. Elle se caractérise donc toujours par des rapports d’hégémonie des grandes puissances et par « la récurrence de crises et conflits violents que les instances des Nations-Unies ou les organisations internationales ne sont pas en mesure de limiter ou d’arbitrer »9. La « paix par la loi » annoncée par l’abbé de Saint-Pierre, Kant ou Habermas demeure une utopie.

    On ne peut parler de la politique de Freund sans aborder la question du droit, tant ces deux notions sont consubstantielles. Freund défend une conception « sociologique » du droit. En effet, contrairement aux positivistes, qui ne le considèrent que pour lui-même, dans sa pure positivité, Freund pense que le droit ne peut se comprendre que dans sa relation avec les autres activités humaines et notamment avec la politique et la morale. Cette approche sociologique l’a amené à mettre en cause sévèrement le normativisme kelsenien, qui considère que « le droit est un ordre de contrainte », c’est-à-dire qu’en tant que droit, il porte en lui la contrainte. Il est vrai qu’une telle thèse est incompatible avec la notion d’essence du politique. Si, comme le pense Kelsen10, le droit est un ensemble de normes comportant la contrainte en elle-même, la politique est subordonnée au juridique et c’est l’État qui est dérivé du droit et non le contraire. Pour l’auteur de L’essence du politique, le droit est certes normatif et prescriptif, mais « il ne possède pas en lui-même la force d’imposer ou de faire respecter ce qu’il prescrit »11. Le droit présuppose une autorité (politique ou hiérocratique) qui dispose de la contrainte et exécute les sentences. Il est inconcevable sans une contrainte extérieure, sans une autre volonté que celle du juriste.

    La volonté politique précède le droit
    Pour Freund, le droit n’est donc pas une essence, une activité originaire et autonome de l’homme. Il est principalement une dialectique (dans le sens d’une médiation) entre la politique et la morale, c’est-à-dire qu’il présuppose ces deux essences : la morale et la politique doivent avoir été préalablement données pour que la relation juridique puisse naître. Pour le dire autrement, la politique et la morale sont les conditions de possibilité de la relation juridique. D’une manière générale, le droit suppose une volonté politique préexistante, c’est-à-dire une unité politique déjà formée (de ce point de vue, il est incohérent, par exemple, de parler de Constitution européenne alors que l’unité politique européenne n’est pas clairement définie). Mais le droit n’est pas qu’un pur effet de la volonté politique. Il comporte aussi un aspect moral, car il suppose que la société reconnaisse au préalable « un certain ethos ou des valeurs, des fins ou des aspirations qui déterminent sa particularité »12. Ces valeurs et ces fins, c’est le droit qui les inscrit dans l’ordre qu’il régularise.

    Ni le politique, ni la morale ne peuvent donc faire l’économie du droit, qui se situe par sa nature dans l’intervalle qui permet à la politique d’agir sur les mœurs et aux mœurs d’agir sur le politique. En retour, le droit agit aussi sur la morale et sur la volonté politique ; il leur apporte la discipline, la légitimité des institutions et il confère la durée et l’unité politique par son organisation. Sans le droit, il ne pourrait y avoir d’organisation politique durable et la politique ne serait qu’une suite de décisions arbitraires.

    La morale et la politique ne visent pas le même but
    La philosophie de Julien Freund permet de trancher le débat sans cesse renaissant entre la morale et la politique. Il ne s’agit pas pour lui de soustraire la politique au jugement moral ni d’isoler ces deux activités l’une de l’autre, mais seulement de reconnaître qu’elles ne sont pas identiques. La morale et la politique ne visent pas du tout le même but : « La première répond à une exigence intérieure et concerne la rectitude des actes personnels selon les normes du devoir, chacun assumant pleinement la responsabilité de sa propre conduite. La politique, au contraire, répond à une nécessité de la vie sociale et celui qui s’engage dans cette voie entend participer à la prise en charge du destin d’une collectivité »13. Aristote annonçait déjà cela en distinguant la vertu morale de l’homme de bien, qui vise la perfection individuelle, de la vertu civique du citoyen, qui est relative à l’aptitude de commander et d’obéir et vise le salut de la communauté14. Même s’il est souhaitable que l’homme politique soit un homme de bien, il peut aussi ne pas l’être, car il a en charge la communauté politique indépendamment de sa qualité morale.

    Selon Freund, l’identification de la morale et de la politique est même l’une des sources du despotisme et des dictatures15. Elle est un signe de « l’impérialisme du politique », au sens où le politique peut envahir tous les secteurs de la vie humaine, ce qui caractérise les totalitarismes. Comme l’observe Myriam Revault d’Allonnes, le « tout est politique », c’est-à-dire l’abolition de la distinction entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas, entre le privé et le public, entre le politique et le social, signifie aussi bien que rien n’est politique16. La pluralité humaine, condition du vivre-ensemble, s’y est évanouie.

    Sur ce sujet, Julien Freund a su tirer ce qu’il y a de meilleur de Machiavel. Il se définit d’ailleurs comme un penseur machiavélien, apportant toutefois une distinction entre les termes de machiavélien et machiavélique. Le premier terme correspondrait à l’analyse théorique, le second à la pratique de la politique : « Être machiavélien, c’est adopter un style théorique de pensée, sans concessions aux comédies moralisatrices d’un quelconque pouvoir. Ce n’est pas être immoral, mais précisément essayer de déterminer avec la plus grande perspicacité possible la nature des relations entre la morale et la politique […] ; être machiavélique, au contraire, c’est adopter une conduite pratique dans le jeu politique concret, qui consiste en “scélératesses généreuses”, en tromperies plus ou moins diaboliques et en manœuvres perverses »17. Depuis quatre siècles, le penseur florentin a fait l’objet d’interprétations diverses et contradictoires, reflétant finalement l’ambiguïté de sa pensée, qui tient en fait à l’ambiguïté propre à la chose politique elle-même. Est-il, comme le suggère Leo Strauss, un ennemi du genre humain qui a partie liée avec Satan, ou bien est-il, comme le pense Rousseau, un bon et honnête citoyen qui feint de donner des leçons aux rois pour en donner aux peuples ?

    Sans vouloir édulcorer la doctrine de Machiavel, mais en écartant les interprétations les plus machiavéliques, on peut comprendre sa pensée politique dans le sens d’un appel à la vigilance et à la lucidité : une lucidité qui sait qu’elle ne pourra pas faire disparaître la mort, la violence, la méchanceté de l’homme, la division sociale et la corruption des choses ; une vigilance qui appelle à construire des remparts solides, un régime et des lois qui évitent les débordements. C’est là que se situe la morale politique de Machiavel : maintenir l’État, soutenir la force de la loi, prévenir le désordre et la violence, préserver la paix sans laquelle la vie commune est impossible.

    Pour autant, l’auteur du Prince ne nie pas les valeurs morales, il refuse seulement d’y voir le seul critère par lequel juger un homme d’État. La morale du prince est d’accomplir au mieux sa charge politique. Il serait infidèle à une telle morale si, pour préserver sa propre intégrité morale, il laissait sa cité sombrer dans le désordre et son peuple dans la détresse. Julien Freund résume cette position en disant que, pour Machiavel, « il n’y a pas de politique morale, mais il y a une morale de la politique »18. C’est à cette interprétation que correspond la pensée de Freund. Il pense en effet, lui aussi, que « la politique n’a pas pour objet d’accomplir une fin morale, mais la fin du politique, à savoir la paix intérieure et la sécurité intérieure, quitte s’il le faut, à faire des entorses à la morale personnelle »19.

    L’idéologie comme substitut de la théologie
    La grande leçon de Machiavel, c’est aussi cette recherche de la verità effettuale, cette « vérité effective de la chose », qui se refuse à faire de la politique à partir de républiques imaginaires, conçues en rêve et que personne n’a jamais connues. Cette méfiance à l’égard des utopies, cet attachement à la « vérité effective » reflète aussi une volonté de marquer la distance entre l’être et le devoir être, entre l’idéal et ce qui est réalisable, car la recherche à tout prix de l’idéal conduit politiquement à l’échec et souvent à la violence. Freund se réfère aussi souvent au « paradoxe des conséquences » de Max Weber, qui explique qu’en politique il ne suffit pas d’avoir des intentions de départ moralement bonnes, mais qu’il faut éviter de faire des choix aux conséquences fâcheuses. Car « c’est dans l’action que l’homme politique prouve qu’il est moralement à la hauteur de la tâche qu’on lui a confiée »20.

    La distinction opérée par Freund entre la politique et la morale explique sa méfiance à l’égard des idéologies et des utopies. Sa démarche machiavélienne le conduit à considérer l’idéologie de manière paradoxale. D’un côté, il reconnaît son importance dans la politique, non seulement dans la consolidation du pouvoir, mais aussi en tant que promesse et espoir, c’est-à-dire en tant que moteur de la politique. À défaut d’une foi théologique, seule l’idéologie peut permettre d’affirmer une opinion au milieu d’opinions multiples et donc d’établir un ordre politique. L’idéologie jouerait donc un rôle de substitut de la théologie. C’est pourquoi Freund la décrit comme une « rationalisation intellectuelle de la volonté politique »21.

    D’un autre côté, son analyse « réaliste » et « scientifique », l’importance qu’il attache au sens de la responsabilité en politique, encouragent sa méfiance. La politique idéologique lui apparaît alors comme une politique « intellectualisée », qui accorde la priorité à des idées abstraites prétendument généreuses et humanistes, mais qui s’éloigne des réalités concrètes de la politique. Une telle politique est dangereuse en ce qu’elle permet de justifier philosophiquement certaines violences au nom de fins eschatologiques, de promesses de paix ou de justice… C’est ce que Camus appelait la « violence confortable ». L’idéologie prétend atteindre des fins dernières sans se préoccuper des moyens qui sont disponibles. Mieux, elle utilise l’exaltation de ces fins ultimes pour masquer le cynisme qui préside à l’utilisation des moyens. C’est en ce sens que Freund parle d’« eschatologie sécularisée », signifiant par là que l’idéologie fait croire que les fins eschatologiques que la théologie projette dans l’au-delà seraient réalisables ici-bas22.

    Quant aux utopies, c’est leur esprit même qui s’oppose à la notion d’essence du politique. Les premières utopies n’étaient pas des négations de la politique, puisque tout en portant l’espoir d’une société nouvelle, elles reconnaissaient la nécessité d’une organisation de la société. Mais les utopies modernes, notamment sous l’influence du marxisme, ont pris une dimension anti-politique, en se détournant de l’expérience humaine au nom de spéculations imaginaires et fictives sur l’avenir et en pensant pouvoir transformer radicalement l’homme par les institutions. Une telle croyance implique la négation de la nature humaine, et donc son sacrifice. Pure idée abstraite détachée de la réalité, l’utopie est alors exposée aux divagations de la démesure, au despotisme et à la tyrannie. Elle imagine que l’on pourra instaurer une société parfaite et supprimer tout conflit en éliminant ce qu’elle considère comme le négatif ou le mal. Anti-politique, elle se fonde donc sur une négation de l’essence et des présupposés du politique, sur une ignorance ou un refus de la « pesanteur de la nature humaine ».

    Un libéral conservateur insatisfait
    À cette conception progressiste et rationaliste, et, il faut bien le dire, quelque peu naïve de la société, Julien Freund oppose sa théorie des essences, qui repose sur la reconnaissance de la nature fondamentalement conflictuelle des sociétés historiques. Il encouragera d’ailleurs la polémologie, l’étude des conflits, pensant que la sociologie ne doit pas envisager la vie uniquement sous l’angle du désir, c’est-à-dire en fonction d’une société imaginaire, mais qu’il faut aussi tenir compte d’autres notions comme la violence ou l’agressivité23. À la suite de Simmel24, il considère le conflit comme un phénomène social « normal », au sens où il est un phénomène consubstantiel à toute société. Bien entendu, cette prise en compte du conflit détermine une façon de comprendre la société. Elle suppose d’admettre l’idée (sur laquelle repose, rappelons-le, la théorie politique de Freund) selon laquelle l’homme vit naturellement en société. Car le conflit ne devient sociologiquement intelligible que si on conçoit la société comme une donnée de l’existence humaine et comme un ensemble de relations en transformation permanente, le conflit étant un des facteurs de ces modifications.

    Pour conclure, on peut se demander à quel courant politique rattacher Freund. Si on peut le situer, sur le plan méthodologique, dans la lignée des auteurs « machiavéliens »25, on peut s’accorder avec Pierre-André Taguieff pour le classer politiquement (avec toutes les précautions que mérite ce genre de classement) comme « un libéral conservateur insatisfait »26, tant il est vrai que « Freund cumulait en sa personne deux figures paradoxales : celle d’un libéral doté du sens de l’ennemi et celle d’un conservateur refusant le conservatisme borné des “conservateurs” patentés »27.

    Bernard Quesnay  (Éléments n°111, décembre 2003)

     

    Notes :

    1. Julien Freund. L’essence du politique, Sirey, 1965, rééd. : Dalloz ; 2003, postface de Pierre-André Taguieff. Bien qu’elle insiste à notre avis un peu trop sur la relation entre Schmitt et Freund et sur la notion d’ennemi – au détriment d’autres notions essentielles et d’autres penseurs importants pour Freund –, l’importante postface de Taguieff donne une présentation approfondie et honnête de la pensée de l’auteur, tout en redonnant à ce dernier l’importance qu’il mérite en le situant parmi les grands « éducateurs » et les « éclaireurs » du XXe siècle, comme Alain, Ricoeur, Sorel, Valéry, Camus, Cioran, Péguy, Ellul ou Aron…

    2. Julien Freund, op. cit., p. IX.

    3. Ibid., p. 24.

    4. Auteur, notamment, d’un Traité de sociologie générale (Droz, Genève, 1968), Pareto tient une place fondamentale dans la pensée de Freund, qui lui a d’ailleurs consacré un livre (Pareto. La théorie de l’équilibre, Seghers, coll. Philosophie, 1974). Outre sa conception de l’équilibre social, Freund a hérité du sociologue italien l’idée générale selon laquelle, par-delà la forme (la politique), le fond (le politique) demeure constant ; ainsi qu’une certaine méfiance envers les mythes et les utopies, qu’éclaire la distinction paretienne entre les résidus et les dérivations. Sur Pareto, cf. aussi G. Busino, Introduction à une histoire de la sociologie de Pareto ; Cahiers V. Pareto, Droz, 1967 ; G.-H. Bousquet, Pareto, le savant et l’homme, Genève, Payot, 1960 ; Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1967).

    5. Julien Freund, op. cit., p. 94.

    6. Ibid., p. 478.

    7. Ibid., p. 446.

    8. P. de Senarclens, Mondialisation, souveraineté et théorie des relations internationales, Armand Colin, 1998, p. 202.

    9. Ibid., p. 202.

    10. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, 1999, p. 64. Kelsen (1881-1973), auteur notamment d’une Théorie pure du droit (op. cit.) et de la Théorie générale des normes (PUF, 1996), est à l’origine de l’un des principaux courants du positivisme juridique : le normativisme, selon lequel le droit est un ensemble de normes découlant chacune d’une norme supérieure, jusqu’à remonter à une mystérieuse « norme fondamentale ». Selon cette théorie pure du droit, il est impossible de définir une norme juridique par son contenu, mais seulement par son appartenance à un système de normes. Freund, à la suite de Schmitt, s’est souvent opposé à cette théorie qui débouche sur une identification totale du droit et de l’État.

    11. Julien Freund, Le droit aujourd’hui, PUF, 1972, p. 9.

    12. Julien Freund, op. cit., p. 88.

    13. Julien Freund, Qu’est-ce que la politique ?, préface, Seuil, 1968, rééd. 1978 et 1983, p. 6.

    14. Aristote, La politique, livre III, chap. 4, 1276-b.

    15. Julien Freund, Qu’est-ce que la politique ?, op. cit., préface, p. 6.

    16. Myriam Revault d’Allonnes, Le dépérissement de la politique. Généalogie d’un lieu commun, Aubier-Flammarion, 1999, p. 239.

    17. L’essence du politique, op. cit., p. 818.

    18. Julien Freund, Politique et impolitique, Sirey, 1987, p. 243.

    19. Ibid., p. 243.

    20. Ibid., p. 244.

    21. Julien Freund, « L’idéologie chez Max Weber » in Revue européenne des sciences sociales, 1973, 30, p. 16.

    22. Julien Freund, Politique et impolitique, op. cit., p. 17. Dans le même sens, Aron parlait quant à lui de « religions séculières » et Schmitt de « concepts théologiques sécularisés ». Sur ce sujet, cf. Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation de Hegel à Blumenberg, Vrin, 2002, et Karl Löwith, Histoire et Salut, Gallimard, 2002 (commentés dans Éléments n° 108).

    23. Rappelons qu’il a fondé à Strasbourg la Faculté des sciences sociales et a créé avec Gaston Bouthoul l’Institut de polémologie et le Laboratoire de sociologie régionale.

    24. Georg Simmel (1858-1918) est un des fondateurs de la sociologie moderne. Il est surtout celui qui a mis en évidence l’apport des conflits dans la vie sociale. Freund a notamment retenu de sa sociologie que, pour structurer une société, il ne faut pas nécessairement éliminer tous les conflits, car ils contribuent aussi à l’équilibre social. Son œuvre connaît un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années : cf. notamment Le conflit (Circé Poche, 1995, préface de Julien Freund), Sociologies, Études sur les formes de socialisation (PUF, 1999), La tragédie de la culture et autres essais (Rivages Poche, 1993) ; sur Simmel, cf. aussi François Léger, La pensée de Georg Simmel. Contribution à l’histoire des idées au début du XXe siècle (Kimé, 1989, préface de Julien Freund).

    25. Le terme de « machiavélien » est utilisé, depuis le célèbre ouvrage de James Burnham, Les machiavéliens. Défenseurs de la liberté (Calmann-Lévy, 1949), pour désigner des auteurs aussi divers que Machiavel, Pareto, Weber, Schmitt, Mosca, Michels ou même Aron, qui se livrent à une analyse « réaliste » ou « scientifique » de la politique et se méfient des idéalismes de toute sorte.

    26. Cette notion de libéralisme conservateur, qui reste floue, mais dont l’idée centrale est d’ériger un État politique fort, autonome, qui préserve les libertés des individus dans une société civile libérale, permet d’inscrire Freund dans la lignée de Weber, Schmitt, Pareto et Hayek (cf. notamment Renato Cristi, Le libéralisme conservateur, Trois essais sur Schmitt, Hayek et Hegel, Kimé, 1993).

    27. Pierre-André Taguieff, postface à la réédition de L’essence du Politique, op. cit. .

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  • Heidegger et l'Herne...

    Les éditions de l'Herne viennent de rééditer en grand format le Cahier de l'Herne dédié à Heidegger et publié initialement en 1983, sous la direction du philosophe Michel Haar.

     

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    " Lire Heidegger, c’est relire autrement tout ce que nous lisons. Ce Cahier invite à mieux comprendre la pensée heideggérienne autours des thèmes principaux qu’il aborde.

    Des essais, témoignages et lettres retracent l’impact de sa pensée dans la culture moderne.

    Textes de : Walter Biemel, Hans-Georg Gadamer, Ernst Jünger, Roger Munier, Carl Friedrich von Weizsäcker, Herbert Marcuse, Jean-Luc Marion, John Sallis, David Farrel Krell, Jean-François Courtine, Jean Beauffret, Dominique Janicaud, Otto Pöggeler, Jean-Louis Chrétien, Jean-Pierre Charcosset, F. Wybrands, Jacques Taminiaux, Hubert L. Dreyfus, Marc Froment-Meurice, Jean-Michel Palmier, Reiner Schürmann, Jean-Marie Vaysse, Henri Birault, Jacques Derrida, Gérard Granel, Daniel Charles, Gabriel Liiceanu, Jean Greisch, René Gonner. "

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  • Nuit debout, une palabre immature à tendance dépressive...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à Nuit debout...

    Directeur de la revue Krisis, Alain de Benoist vient de rééditer, chez Pierre-Guillaume de Roux, dans une nouvelle version largement augmentée son essai intitulé Au de là des droits de l'homme.

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    Alain de Benoist : Nuit debout : quand on est jeune, se rebeller me paraît plutôt sain

    Entre certains médias ayant tendance à idéaliser Nuit debout et sa « démocratie participative » et ceux qui n’y voient qu’un ramassis de gauchistes hirsutes et décervelés, peut-on au moins voir dans ce mouvement un regain d’intérêt des jeunes pour la politique ?

    Une précision pour commencer. Vous savez que je ne suis pas de ces petits-bourgeois réactionnaires qui crient à la « chienlit gauchiste », et bien sûr « soissantuitarde » (sic), chaque fois qu’ils voient des étudiants ou des lycéens envahir les rues. Que l’on proteste contre l’infâme loi El Khomri, dont la version initiale fut rédigée sous la dictée du MEDEF, que des jeunes s’inquiètent d’un avenir qui ne leur offre que chômage et précarité, intérims successifs et petits boulots me paraît plutôt sain. Si l’on ne se rebelle pas quand on a dix-huit ans, qu’en sera-t-il quand on en aura soixante ? Je note d’ailleurs que, d’après un sondage OpinionWay publié un mois après le début du mouvement, 70 % des électeurs de Marine Le Pen déclarent comprendre le mouvement, et 67 % le soutenir.

    D’une façon plus générale, je n’ai pas le moindre respect pour l’ordre en place, qui n’est le plus souvent qu’un désordre institué. Rétrospectivement, sous l’Ancien Régime, ma sympathie va aux révoltes populaires et aux jacqueries paysannes. Sous la Révolution, elle va aux Chouans, comme un siècle plus tard elle va aux Communards. Aujourd’hui, mon adversaire principal n’est pas telle ou telle équipe gouvernementale, de droite ou de gauche, mais une société libérale (libéralisme économique ou libéralisme sociétal) fondée sur l’individualisme méthodologique, les droits de l’homme, la croyance au progrès, le primat des valeurs marchandes et l’adoration du marché.

    C’est dire que je n’avais pas d’a priori contre le mouvement Nuit debout, né de l’excellent film de François Ruffin Merci patron !, que Frédéric Lordon a pu qualifier de « film d’action directe ». Au départ, comme l’a dit Jacques Sapir, il était légitime d’y voir l’expression d’une immense frustration politique à la hauteur des trahisons du PS, en même temps qu’un désir de « faire de la politique autrement ». Quelques soirées passées place de la République m’ont rapidement fait déchanter.

    Tout n’est pas antipathique dans ce qui s’y dit, loin de là, et il est un peu trop facile d’ironiser sur les buvettes-merguez, les « ateliers transphobie » et les espaces interdits aux « non-racisé.e.s ». Mais on voit bien que la tonalité générale est celle du « pour-toussisme » et du sans-frontiérisme, sans oublier la-lutte-contre-toutes-les-discriminations qui est comme la marque de fabrique d’un libéralisme sociétal inapte à se situer dans une perspective de véritable contestation du Système. Je ne confonds pas tout – écolos, anars, zadistes, intermittents, trotskistes, casseurs, racailles –, mais je vois bien que l’incapacité à structurer le mouvement a déjà dérivé en intolérance sectaire (la minable éviction d’Alain Finkielkraut) et en simple volonté d’affrontements violents. Slogans à courte portée, foire aux paroles et propos circulaires, objectifs vagues et mots creux, indifférence narcissique au réel. Loin de voir dans Nuit debout un « creuset de délibération citoyenne » ou un mouvement révolutionnaire (si seulement !), j’y vois surtout de bons petits libéraux-libertaires qui veulent que l’on fasse droit à leurs « désirs », assez peu différents, au fond, de ceux qui croient « lutter contre le terrorisme » en allumant des bougies, représentants typiques de cet Homo festivus qu’avait si bien décrit Philippe Muray.

    En la matière, la référence à Mai 68 paraît inévitable. Ces événements sont-ils de même nature et pourraient-ils déboucher sur un mouvement politique constitué ?

    Je n’y crois pas un instant. Nuit debout n’a aucun moyen de déboucher sur un mouvement politique organisé pour la simple raison qu’il s’est fermé d’entrée à toute perspective d’extension sociale. Mai 68 fut marqué par une grève générale que l’on n’est pas près de revoir – ce que je regrette. Ce fut aussi, en dépit de toutes ses ambiguïtés, un mouvement joyeux. Je ne vois aucune joie dans Nuit debout, mais seulement une palabre immature qui ne parvient pas à cacher une tendance de fond profondément dépressive.

    Le parallèle a également été fait avec les Espagnols de Podemos ou les Américains d’Occupy Wall Street. De tels mouvements participent-ils de la même dynamique ?

    Un mouvement comme Podemos se situe dans une perspective contre-hégémonique qui n’est nullement celle de Nuit debout. La grande caractéristique de Nuit debout, c’est au contraire son incapacité à faire converger des luttes dispersées pour impulser de véritables « états généraux ». Je n’ai rien contre les noctambules, mais il est bien évident que ceux qui travaillent n’ont pas les moyens de veiller jusqu’au petit matin. Le peuple doit se lever tôt, il n’est donc pas étonnant qu’il soit absent de la place de la République, où l’on chercherait en vain des ouvriers en grève ou des paysans révoltés. Ne s’y tiennent, dans le langage des sourds-muets, que des « assemblées populaires » sans peuple et des « assemblées générales » sans aucun rapport avec celles des grands mouvements sociaux. Jacques Sapir disait aussi que « la capacité de ce mouvement à faire la jonction tant avec les couches populaires des grandes métropoles qu’avec les exclus de la France des petites villes est l’une des conditions de sa survie ». On constate, maintenant, que cette capacité est nulle. Les badauds viennent place de la République comme on va voir au zoo les derniers représentants d’une espèce en voie de disparition. Le Système ne s’en porte pas plus mal. « Rien n’aura eu lieu que le lieu », écrivait déjà Mallarmé. C’est plutôt affligeant.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 8 mai 2016)

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  • Entre barbus et bobos...

    Les tragiques attentats de l'année 2015 semblent finalement avoir dessillé quelques paupières... C'est tout de même un signe des temps que Géraldine Smith, ex-rédactrice en chef d'Epok, l'ancien hebdomadaire culturel gratuit (et bien-pensant !) de la FNAC, publie Rue Jean-Pierre Timbaud - Une vie de famille entre barbus et bobos, une enquête sans concession sur l'islamisation de son ancien quartier, dans laquelle elle reconnait que « la tolérance peut être une forme masquée de démission »...

     

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    " Géraldine Smith et sa famille s’installent en 1995 dans coin populaire de Paris dont la diversité sociale, ethnique et religieuse leur plaît. Les enfants fréquentent une école catholique, mitoyenne de la mosquée Omar, haut lieu de l’islam radical. Elle sympathise avec les parents de leurs copains, dont un compositeur de variétés, une agente réunionnaise des douanes, un chauffeur de taxi camerounais…
    On se croise, on se parle. On croit vivre ensemble. Pourtant, la France « plurielle » manque chacun de ses rendez-vous. En haut de la rue, les barbus se taillent une enclave : des librairies intégristes évincent le petit commerce ; une organisation prosélyte recrute chez les jeunes ; les femmes n’osent plus sortir bras nus. Plus bas, la mixité n’est que de façade. Les bobos ont leurs bars, leurs boutiques, leurs dérogations à la carte scolaire.
    En 2016, rue Jean-Pierre Timbaud, la convivialité a cédé la place à une cohabitation faite d’indifférence, de rancoeur et d’hostilité. Que s’est-il passé ?
    Ce récit à la première personne donne à « l’échec du modèle français d’intégration » des noms et des visages, une adresse à Paris. "

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  • Juvin en liberté !... (2)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la compilation de l'émission Juvin en liberté, sur TV libertés, pour la semaine du 2 au 6 mai. 

    Économiste de formation, Hervé Juvin a publié plusieurs essais particulièrement marquants ces dernières années comme Le renversement du monde (Gallimard, 2010), La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013) ou Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).

     

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