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  • La part de l'ange...

    Les éditions Gallimard publient cette semaine un nouveau volume du journal de Jean Clair, intitulé La part de l'ange, qui recouvre les années 2012-2015. Conservateur des musées de France, Jean Clair est l'auteur d'essais sur l'art, comme Considérations sur l’État des Beaux-Arts (Folio, 2015) ou Hubris (Gallimard, 2012) mais est également un critique lucide et parfois féroce de notre société, comme dans son Journal atrabilaire (Folio, 2008) ou dans L'hiver de la culture (Flammarion, 2011).

     

     

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    " La part de l'ange est la part du fût occupée par l’«esprit» volatil d’une distillation. C’était aussi la part de l'oreiller laissée vide pour l’ange qui veille sur le sommeil de l’enfant. C’était, dans les sociétés anciennes, l’offrande aux dieux, les prémices d’une récolte, pour assurer les moissons futures.
    Une société moderne exclut le don à des puissances invisibles, génies ou divinités. Le prix y remplace la valeur, y compris pour ce qui est sans prix. Mais c’est se condamner à la stérilité et au désespoir.
    Historien de l’art, auteur d'expositions mémorables comme «Mélancolie», l’auteur de ce Journal a été l’observateur du changement : le Musée imaginaire est devenu une salle de ventes. Il s’en explique, parmi d’autres souvenirs, dans un entretien avec Malraux demeuré inédit.
    Comment un enfant grandi dans le silence du pays mayennais a-t-il pu finir ses jours sous la Coupole où l’on discute chaque semaine des mots du Dictionnaire? À l’origine de cette trajectoire, qui le laisse aujourd’hui désemparé, une double expérience : la psychanalyse, dont il est très jeune un patient, gardant le silence dont il connaît le prix, puis la découverte de la peinture qui, mieux que la littérature, garde elle aussi le silence.
    Pour la première fois, Jean Clair donne comme sous-titre à son texte Journal 2012-2015, comme s’il reconnaissait que ses écrits littéraires parus chez Gallimard, depuis le Court traité des sensations en 2002, jusqu’au Dialogue avec les morts en 2011 et aux Derniers jours en 2013, étaient les pans d’une même œuvre, fascinante à plus d’un titre, qui le met au niveau des grands diaristes, et dont La part de l’ange est le nouveau volume. "

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  • « Qui dit guerre dit effort de guerre » ...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la "guerre" menée par la France contre l’État islamique...

     

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    « Il ne sert à rien de supprimer Daech si l’on ne sait pas par quoi le remplacer ! »

    François Hollande a promis aux Invalides de « tout faire pour détruire les fanatiques de l’armée de Daech ». On en prend le chemin ?

    C’est de la gesticulation. Après s’être refusé à bombarder les positions de l’État islamique pendant plus d’un an pour se concentrer sur l’aide apportée aux opposants à Bachar el-Assad, le chef de l’État a seulement décidé d’intensifier nos frappes. Mais des attaques aériennes n’ont jamais permis de gagner une guerre, surtout réalisée par des chasseurs-bombardiers qui ont le plus grand mal à atteindre les cibles mobiles et des ennemis particulièrement aptes à la dispersion et à l’imbrication avec les populations (ne soyons pas naïfs au point de croire que nos frappes ne touchent que des djihadistes !). On compte à l’heure actuelle de vingt à trente frappes par jour sur un territoire grand comme la Grande-Bretagne, soit environ 8.300 frappes depuis le début des bombardements. Les frappes réalisées par nos avions de combat ne représentent que 4 % de ce total. Elles ont, au mieux, permis de détruire 1 % du total des effectifs armés de Daech. On est loin du compte.

    Qui dit guerre dit effort de guerre. Or, depuis des années, les budgets militaires sont les parents pauvres de la dépense publique. Passés désormais au-dessous du seuil de suffisance, ils ne permettent plus d’assurer nos missions régaliennes dans un monde qui devient pourtant toujours plus dangereux. Parallèlement, des milliers de militaires qui pourraient être mieux employés ailleurs ont été transformés en vigiles de rue (les opérations Vigipirate et Sentinelle mobilisent l’équivalent de deux brigades, alors que nous n’en avons que douze). Comme l’a dit le colonel Michel Goya, « il est toujours délicat de jouer les gros bras quand on n’a plus de bras ».

    Que faudrait-il faire ?

    Chacun sait bien qu’on ne pourra pas faire éternellement l’économie d’un envoi de troupes au sol. Mais personne ne s’y résout pour l’instant. Citons encore le colonel Goya : « Il n’y a combat dit asymétrique et résistance souvent victorieuse du “petit” sur le “fort” que tant que ce dernier craint de venir combattre sur le terrain du premier […] Quand on ne veut pas de pertes, on ne lance pas d’opérations militaires. »

    S’assurer de l’étanchéité de la frontière avec la Turquie, aujourd’hui inexistante, serait l’un des premiers objectifs à atteindre. La Turquie joue, en effet, un jeu irresponsable. Tout ce qui l’intéresse est de nuire à Bachar el-Assad et d’empêcher la naissance d’un État kurde indépendant. Elle aide directement ou indirectement Daech, et elle le finance en lui achetant son pétrole. Elle n’a pas hésité à abattre un avion russe parce que celui-ci bombardait des convois pétroliers, et les États-Unis lui ont apporté leur soutien dans cette agression d’une gravité inouïe au seul motif que les Turcs sont membres de l’OTAN.

    Cela pose la question de nos rapports avec l’OTAN, dont le général Vincent Desportes n’hésite pas à dire qu’elle est devenue une « menace sur la sécurité des Européens » et un « outil de déresponsabilisation stratégique » qui « nous prive des moyens de gagner des guerres et constitue le meilleur obstacle à l’édification d’une défense commune européenne indépendante ». À l’inverse, cela devrait nous amener à collaborer sans arrière-pensées avec tous les ennemis de nos ennemis, à commencer par la Russie, la Syrie et l’Iran. Mais soyons sans illusions : tous les spécialistes savent que cette guerre ne peut être qu’une entreprise de longue haleine, qui va durer au moins dix ou vingt ans.

    À supposer que les Occidentaux – ce terme est employé à dessein – aient la capacité technologique de gagner la guerre contre le terrorisme, comment ensuite gagner une paix durable ?

    Parler de « guerre contre le terrorisme » (ou « contre le fanatisme »), comme le font les Américains, n’est qu’une façon détournée de ne pas nommer l’ennemi. Notre ennemi n’est pas le terrorisme. Notre ennemi, ce sont ceux qui utilisent le terrorisme contre nous – et qui nous ont à ce jour plus terrorisé que nous ne les avons terrorisés nous-mêmes. On a tendance, aujourd’hui, à présenter les interventions militaires comme des « opérations de police ». C’est oublier qu’il y a une différence essentielle entre les unes et les autres, car la guerre aspire à la paix par la victoire, tandis que la police poursuit une mission sans fin (on ne fait pas la paix avec les délinquants). Refuser le statut d’ennemis à ceux que l’on combat, c’est s’engager dans des hostilités qui n’en finiront jamais.

    Lutter contre l’État islamique implique de s’attaquer aux causes premières de sa force, lesquelles ne sont pas militaires, ni même religieuses, mais fondamentalement politiques. Il ne sert à rien de supprimer l’État islamique si l’on ne sait pas par quoi le remplacer. S’imaginer que les choses reprendront leur cours normal une fois qu’on aura fait disparaître les « fanatiques » et les « psychopathes », c’est rêver debout. Cela exige une intense activité diplomatique, à la fois nationale et surtout régionale. Au bout du compte, une grande conférence internationale sera nécessaire, qui devra sans doute envisager un remodelage des frontières. Mais dans l’immédiat, il faudrait déjà en savoir plus sur l’État islamique, et se demander – la question a été posée récemment par Xavier Raufer – comment il se fait que ses principaux dirigeants ne sont justement pas des islamistes, mais le plus souvent des anciens cadres de l’armée de Saddam Hussein.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 28 décembre 2015)

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  • La Russie de Poutine...

    Les éditions Bernard Giovanangeli viennent de publier un essai d'Ivan Blot intitulé La Russie de Poutine. Ancien député européen, président de l'association "Démocratie directe", Ivan Blot a récemment publié L'oligarchie au pouvoir (Economica, 2011), La démocratie directe (Economica, 2012),  Les faux prophètes (Apopsix, 2013), Nous les descendant d'Athéna (Apopsix, 2014) ou encore L'Homme défiguré (Apopsix, 2014).

     

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    " Les Russes sont un peuple de résistants. Après l'éclatement de l'URSS et les catastrophiques années qui ont suivi, la Russie s'est relevée et est redevenue aujourd'hui une puissance qui compte.

    Ce redressement est incarné par Vladimir Poutine. À rebours des Européens, le président russe a restauré la fonction de souveraineté et la fonction militaire, au détriment des oligarques de la finance. Il a renoué avec la tradition et n'a pas sacrifié l'identité et la civilisation de son pays.

    C'est des Russes eux-mêmes et des ressources de leur État qu'est venu le salut. Ce livre, qui mêle des considérations politiques et philosophiques, présente différents aspects de cette Russie nouvelle et analyse son rôle géopolitique dans un monde marqué par l'affaiblissement de l'hégémonie des États-Unis et la vassalisation de L'Europe.

    Celle-ci, pour sauver son indépendance et son identité, sera-t-elle capable d'un rapprochement avec la Russie ? "

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  • Le latin, discipline de l’esprit...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Antoine Desjardins, cueilli sur Causeur et consacré au projet d'éradication de l'enseignement du latin porté par les pédagogistes du ministère de l’Éducation Nationale. Professeur de Lettres modernes, Antoine Desjardins est membre de l'association Sauver Les Lettres.

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    Le latin, discipline de l’esprit

    « Le grammairien qui une fois la première ouvrit la grammaire latine sur la déclinaison de “Rosa, Rosae” n’a jamais su sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme de l’enfant. »

    Péguy, L’Argent, 1913

    Dès lors qu’on s’en prend au latin, à l’allemand (langues à déclinaisons), qu’on affaiblit ou qu’on dilue ces enseignements, on s’en prend à la grammaire mais aussi aux fonctions cognitives : à l’analyse et à la synthèse, à la logique, à la mémoire pourtant si nécessaire, à l’attention. On s’en prend à la computation sémantique et symbolique, au calcul (exactement comme on parle de calcul des variantes aux échecs), à la concentration. On s’en prend donc indirectement à la vigilance intellectuelle et à l’esprit critique.

    « L’âme intellective » qu’Aristote plaçait au dessus de « l’âme animale », elle-même supérieure à « l’âme végétative » : voilà désormais l’ennemi.

    Mais le pédagogisme a déclaré la guerre à cette âme. Il est un obscurantisme qui travaille à humilier l’intelligence cartésienne, présumée élitiste : il est un mépris de la mathématique et de la vérité, il sape le pari fondateur de l’instruction de tous, il nie les talents et la diversité, fabrique de l’homogène ou de l’homogénéisable. Il mixe et il broie, il ne veut rien voir qui dépasse. Il est d’essence sectaire et totalitaire. Il est un ethnocentrisme du présent  comme le souligne Alain Finkielkraut : « Ce qu’on appelle glorieusement l’ouverture sur la vie n’est rien d’autre que la fermeture du présent sur lui même. »  Il utilise à ses fins la violence d’une scolastique absconse,  jargon faussement technique destiné à exercer un contrôle gestionnaire. Le novmonde scolaire exige en effet sa novlangue. Activement promue par nos managers, elle est loin d’être anodine : elle montre l’idée que ces gens se font de ce qu’est la fonction première du langage : une machine à embobiner et à prévenir le crime par la pensée claire.

    L’URSS, à qui ont peut faire bien des reproches, eut au moins cette idée géniale, à un moment, de faire faire des échecs à tout le monde ! Quel plaisir pour beaucoup d’enfants, quelle passion dévorante qui vit éclore tellement de talents. De très grands joueurs vinrent des profondeurs du petit peuple russe : c’est cela aussi ce que Vilar appelait l’élitisme pour tous, utopie pour laquelle je militerai sans trêve ! Si j’avais la tâche d’apprendre les échecs à mes élèves, je ne leur ferais pas tourner des pièces en buis avec une fraise à bois dans le cadre d’un EPI (enseignement pratique interdisciplinaire) ! Je leur apprendrais, pour leur plus grand bonheur, le déplacement des pièces, les éléments de stratégie et de tactique ! je les ferais JOUER : Je ne pars pas du principe désolant, pour filer mon analogie, que ce noble jeu est réservé à une élite, aux happy few, tout simplement parce que c’est faux ! Je ne pars pas du principe également faux que ce jeu est ennuyeux !

    Le plaisir de décortiquer une phrase latine est unique : c’est un plaisir de l’intelligence et de la volonté, une algèbre sémantique avec ses règles, comme les échecs. On perce à jour une phrase de latin comme Œdipe résout l’énigme du Sphinx. Tout le monde devrait pouvoir y parvenir. Construire une maquette de Rome avec le professeur d’histoire ou un habit de gladiateur avec celui d’arts plastiques… ne relève pas du même plaisir ! Je pense que ce qui ressortit au périscolaire, même astucieux, ne doit plus empiéter sur le scolaire.

    Mais la logique, aujourd’hui, est attaquée et l’Instruction avec elle. Des dispositifs « interdisciplinaires » nébuleux proposant des « activités » bas de gamme et souvent franchement ridicules, viennent jeter le discrédit sur les disciplines et dévorer leurs heures. Comme si des élèves qui ne possèdent pas les fondamentaux allaient magiquement se les approprier en « autonomie » en faisant n’importe quoi. Pauvre Edgar Morin ! La complexité devient… le chaos et la transmission, le Do it yourself. Portés par une logorrhée toxique produite en circuit industriel fermé, des « concepts » tristement inspirés du management portent la fumée et même la nuit dans les consciences. La « langue » des instructions officielles donnerait un haut-le-cœur à tous les amoureux du français : on nage dans des « milieux aquatiques standardisés », on finalise des « séquences didactiques », on travaille sur des « objectifs » (de production), on valide des « compétences » (Traité de Lisbonne), on doit « socler » son cours, donner dans le « spiralaire » et le « curriculaire », prévoir des « cartographies mentales ». Voilà à quoi devrait s’épuiser l’intelligence du professeur. Voilà où son désir d’enseigner devrait trouver à s’abreuver. Cela ne fait désormais plus rire personne… En compliquant la tâche du professeur, on complique aussi celle de l’élève. On plaque une complexité didactique artificieuse et vaine sur la seule complexité qui vaille : celle de l’objet littéraire, linguistique, scientifique, qui seul devrait mobiliser les ressources de l’intelligence.

    Dans les années 2000, déjà, le grand professeur Henri Mitterand, spécialiste de Zola,  appelait le quarteron d’experts médiocres qui s’appliquaient et s’appliquent encore  à la destruction de l’école républicaine, les « obsédés de l’objectif » ! Depuis, ils sont passés aux « compétences » et noyautent toujours l’Institution : rien ne les arrête dans leur folie scientologico-technocratico-égalitaro-thanatophile. Finalement ces idéologues fiévreux ne travaillent pas pour l’égalité (vœu pieu) mais pour Nike, Google, Microsoft, Coca-Cola, Amazon, Bouygues, etc. Toutes les multinationales de l’entairtainment, de la bouffe, des fringues, de la musique de masse, disent en effet merci à la fin de l’école qui instruit : ce sont autant de cerveaux vierges et disponibles pour inscrire leurs injonctions publicitaires. Bon, il est vrai que nos experts travaillent aussi pour Bercy : l’offre publique d’éducation est à la baisse, il faut bien trouver des « pédagogies », si possible anti-élitistes et ultra démocratiques, pour justifier ou occulter ce désinvestissement de l’État et faire des économies.

    Après trente ans de dégâts, il serait temps de remercier les croque-morts industrieux de la technostructure de l’E.N. qui travaillent nuit et jours à faire sortir l’école du paradigme instructionniste à coup de « réformes » macabres. Des experts pleins de ressentiment, capables de dégoûter pour toujours de la littérature (bourgeoise !) et de la science (discriminante !) des générations d’élèves ! Des raboteurs de talents qui, et c’est inédit, attaquent à présent, en son essence même, l’exercice souverain de l’intelligence : les gammes de l’esprit ! Ils n’ont toujours pas compris que l’élève joue à travailler et que l’art souriant du maître consiste à exalter ce jeu.Plus que jamais aujourd’hui, nos élèves ont besoin, avec l’appui des nouvelles technologies s’il le faut, mais pas toujours, de disciplines de l’esprit qui fassent appel à toutes les facultés mentales. Ils doivent décliner, conjuguer, mémoriser, raisonner, s’abstraire. Ils doivent apprendre la rigueur, la concentration et l’effort : toutes choses qu’un cours transformé en  goûter McDo interdisciplinaire ne permet guère. Ils ont besoin d’horaires disciplinaires substantiels à effectifs réduits, de professeurs  passionnés et bien formés et non d’animateurs polyvalents : la réforme du collège prend exactement le chemin inverse.

    Quant à moi, dans l’œil de tous mes élèves, je la vois, oui, l’étincelle du joueur d’échecs potentiel, du latiniste en herbe qui s’ignore, du musicien ou du grammairien, du germaniste, de l’helléniste en herbe qui veut aussi faire ses gammes pour pouvoir s’évader dans la maîtrise. Déposer dans la mémoire d’un élève de ZEP, pour toujours, le poème fascinant et exotique de l’alphabet grec. Peu me chaut qu’on ne devienne pas Mozart ou Bobby Fischer ou Champollion, c’est cette étincelle ou cette lueur qu’il me plaît de voir grandir. L’innovation en passera désormais par une ré-institution de l’école et une réaffirmation de ses valeurs. Il faut participer à la reconstruction d’une véritable culture scolaire, où l’élève apprenne à conquérir sa propre humanité. Au lieu de moraliser, il faut instruire ! Au lieu d’abandonner l’élève il faut le guider.

    Par la pratique assidue des langues, la lecture des grands textes, il faut maintenir les intelligences en état d’alerte maximum au lieu de baisser pavillon et de glisser plus avant dans l’entonnoir de la médiocrité en prêchant un catéchisme citoyen bas de gamme à usage commun. Il ne s’agissait pas pour Condorcet et les autres de fabriquer du citoyen pacifié, docile, lénifié, mais bien de porter partout la connaissance, l’esprit de doute méthodique, l’esprit scientifique, la fin des préjugés ! Dans le même mouvement, qu’on en finisse avec cette espèce de maximalisme égalitaire qu’on dirait inspiré de doux idéologues cambodgiens génocidaires. Comme l’a montré Ricœur en son livre sur l’histoire (La mémoire, l’histoire, l’oubli) une société dépense une grande violence pour ramener à chaque instant une position d’équilibre (égalité/normalité) quand il y a un déséquilibre (inégalité/anormalité). A grande échelle, cette violence peut s’avérer meurtrière et criminelle. Relisons notamment Hannah Arendt sur les questions d’éducation et sur l’analyse du totalitarisme. L’égalité ne saurait être l’égalisation, elle doit être l’égalité des chances : chacun a le droit de réussir autant qu’il le peut et autant qu’il le mérite.

    Pour un pouvoir politique, quel qu’il soit, c’est prendre un grand risque d’émanciper le peuple, de le rendre autonome. L’école des « compétence » et de « l’employabilité » qu’une poignée de réformateurs nous impose est une école du brouillage et de l’enfumage des esprits, de l’asservissement du prof-exécutant et des élèves « apprenants ». En attaquant le latin, elle s’en prend de façon larvée non pas à un ornement scolaire, mais à sa substance même : la gymnastique de l’esprit.

    Si, comme le pensait Valéry, la politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde, on comprend mieux que l’école programme désormais l’impuissance intellectuelle et l’art d’apprendre à ignorer.

    Antoine Desjardins (Causeur, 6 janvier 2016)

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  • Le déluge...

    Les éditions Les Belles Lettres viennent de publier un essai d'Adam Tooze intitulé Le déluge 1916-1931 - Un nouvel ordre mondial. Docteur en histoire de l'économie, Adam Tooze, après avoir été professeur à Cambridge, enseigne l'histoire moderne allemande à l'université de Yale. Son livre précédent Le salaire de la destruction - Formation et ruine de l'économie nazie , qui était particulièrement passionnant et iconoclaste, a été publié chez le même éditeur.

     

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    "1916. Prises dans le maelström de la Grande Guerre, avec des millions de morts et aucune résolution du conflit en perspective, les sociétés chancellent sur toute la surface du globe. Le coeur du système financier se voit transféré de Londres à New York. Les besoins en hommes et en matériel ne cessent d’augmenter et gangrènent les nations bien au-delà du front. L’effort de guerre sape toute entreprise économique et politique, induisant des changements sans précédent dans l’ordre social et industriel.
    Un siècle après le début des hostilités, Adam Tooze revisite ce cataclysme historique et interroge un impressionnant ensemble de sources sur la guerre, la paix et les conséquences du conflit. De l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 à la Grande Dépression, Tooze brosse le portrait d’un nouvel ordre mondial façonné par le pouvoir économique et militaire américain. L’analyse de la réaction des nations – y compris le tournant fasciste – face à l’omnipotence américaine fait du Déluge un ouvrage saisissant, d’une grande originalité, qui changera profondément notre vision de l’héritage de la Première Guerre mondiale. "

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  • Déchéance, confusion politique, clarification idéologique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré au débat sur la déchéance de la nationalité et à ses conséquences idéologiques... Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais et a publié dernièrement Think tanks : Qand les idées changent vraiment le monde (Vuibert, 2013).

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    Déchéance, confusion politique, clarification idéologique

    L'interminable affaire de la déchéance de nationalité provoque une confusion politique qui dissimule une paradoxale clarification idéologique.

    La confusion politique s'est développée à partir d'une manœuvre présidentielle, habile au départ. Pour un Hollande commémorant et incarnant à tout va, tout ce qui évoque fermeté et unité nationale est bon à prendre. Et s'il peut d'un même mouvement se présenter comme au-dessus des partis, envoyer un signal fort à l'électorat de droite dans la perspective de 2017 et susciter la confusion chez les Républicains, obligés de voter une mesure qu'ils ont réclamée, pourquoi s'en priver ? Une occasion de rassurer neuf Français sur dix ne se refuse pas.
    Puis l'affaire est partie dans tous les sens dès que la gauche morale se soit opposée à la gauche pragmatique autour du syndrome de la stigmatisation (le fameux risque de faire "deux catégories de Français").
    Du coup, au lieu d'un consensus pour exclure de la Nation ceux qui combattent la République les armes à la main, la classe politique se divise en :
    - partisans de ne rien changer
    - partisans d'une indignité qui priverait les terroristes de leurs droits civiques (au cas où l'un d'entre eux désirerait se présenter à la présidence de la République ou s'engager dans l'armée une fois purgée sa peine) mais ce qui ne permettrait pas de les expulser
    - partisans d'une déchéance applicable un binationaux nés Français, dont on peut penser qu'à la sortie de prison ils seraient renvoyés dans leur autre pays. Encore faudrait-il que celui-ci n'ait pas eu la bonne idée de les déchoir de l'autre nationalité entretemps, ou qu'il ne leur réserve pas des châtiments tellement effroyables que nous serons obligés de les garder...
    - partisans d'un déchéance applicable à tous les Français à titre de peine emblématique, quitte à faire des apatrides et à jouer des trous du droit international (nous n'avons pas exactement ratifié la convention de l'ONU, etc.). Là encore, l'affaire reste hypothétique et on imagine mal ce que l'on ferait d'un apatride, ex Français, ayant purgé une longue peine. Le remettre à l'UNHCR ? Mais au moins la valeur d'anathème de la mesure serait manifeste.
    - partisans de toute exigence supplémentaire conditionnant l'acception du projet gouvernemental et qui donnerait un prétexte pour ne pas le voter sans perdre la face (stratégie Sarkozy si nous avons bien compris)
    - partisans de n'importe quelle autre option qui permettrait de compliquer encore le pataquès qui précède.

    Ce débat ne touche que la classe politique, les médias et les élites en général, le bon peuple étant, lui, partisan de la déchéance sans chichis et méprisant les états d'âme des prescripteurs d'opinion en cette affaire comme en beaucoup d'autres.

    Sur le plan idéologique, en revanche, la chose se simplifie. Elle reflète deux conceptions de la Nation et de la souveraineté.
    On connaît les arguments des opposants : le soutien objectif apporté aux thèses d'extrême droite et le scandale de distinguer "deux catégories de Français" (comme si la séparation entre mono et bi nationaux ne constituait pas déjà cette différence).
    Le premier reproche s'est un peu usé par répétition. Mais ici Hollande commet le péché dont fut si souvent accusé son prédécesseur : libérer la parole, prononcer les mots interdits, stimuler les mauvaises peurs....
    Mais c'est surtout le second reproche qui peut faire des ravages. La proposition du gouvernement viole en effet plusieurs tabous : le droit du sol présenté comme consubstantiellement républicain (ce qui historiquement douteux), le principe d'égalité poussé à l'extrême et l'obsession de ne rien faire qui soit discriminant (ici, la peur d'envoyer un "mauvais signal" à nos compatriotes musulmans).

    Pour le dire autrement, il y a trois totems menacés :
    - les "valeurs" dont l'évocation rituelle est sensée servir de pierre de touche (ce qu'elles font d'autant plus facilement que personne ne se prononce ouvertement contre la liberté, l'égalité ou la fraternité) ;
    - le refus des appartenances héritées : tout ce qui peut faire un lien entre nationalité et transmission est réputé réactionnaire par une pensée qui ne connaît que des individualités ;
    - le culte de l'Autre, qui semble réduire le malheur du monde par un facteur unique : le repli sur soi, le déni de la différence.
    Tout cela se résume en une peur d'offenser (offense au droit naturel, offense passée faite à l'étranger ex colonisé, offense future infligée au citoyen "de seconde zone" binational et qui nourrirait son ressentiment). Comme si le dernier marqueur d'une gauche fantasmique était de présenter perpétuellement des excuses et de "respecter" toujours mieux les sensibilités de communautés. Ou comme si le combat pour l'égalité sociale se transformait en compétition de bienveillance. On peut penser ce que l'on veut de cette attitude - et le lecteur a compris que nous sommes plutôt d'une école pour qui la Nation accueille, protège et sanctionne, a des frontières, ennemis et des amis, etc. -, mais là n'est pas la question. Il y a quelque chose de pathétique dans la transformation d'une exigence historique de justice, sensée être de gauche, en une exhibition de supériorité morale, totalement coupée des préoccupations populaires. Et sans doute quelque chose d'inquiétant pour le fonctionnement de notre système politique.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 8 janvier 2017)

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