« Nous ne sommes plus à l’époque où le FN n’était qu’un parti contestataire marginal »
BHL l’a dit : « L’union nationale, c’est le contraire de la France aux Français. » Après la manifestation du 11 janvier, l’unité nationale semble être de mise. Mais à quoi peut rimer une union nationale lorsque le Front national, premier parti de France aux dernières élections européennes, en est exclu ?
De même que tout unanimisme est suspect, parce qu’on ne peut jamais ramener à l’unité la diversité des opinions et des aspirations, de même le thème de « l’union nationale » est-il toujours mystificateur, et pour la même raison : il s’énonce dans l’ordre du général, mais c’est toujours au profit d’un particulier. Cela dit, votre question me paraît naïve. Car si l’on parle aujourd’hui d’« unité nationale », ce n’est pas malgré l’exclusion du FN, mais bien au contraire pour la justifier. Bernard-Henri Lévy l’a dit sans fard dès le 8 janvier : « L’union nationale, c’est le contraire de la France aux Français. » Ce n’est donc qu’une reformulation de la thématique du « front républicain » ou, si l’on préfère, la version élégante de la formule « UMPS », en même temps qu’un appel à resserrer les rangs face à la montée d’un parti dont François Hollande n’hésite pas à dire qu’il ne respecte pas les « valeurs républicaines » (comprendre : libérales, atlantistes et « droits-de-l’hommistes »), afin de mieux défendre les privilèges de la classe dominante – au risque, ce faisant, de confirmer que la frontière entre le PS et l’UMP ne correspond plus à rien.
Le chef de l’État l’a très bien compris, qui se réclame maintenant de « l’esprit de janvier ». Il sait que la marche des Charlie n’a rien été d’autre que la répétition de la grande manifestation anti-FN qui aura lieu au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle si Marine Le Pen se retrouve au second. Cependant, l’idée était dans l’air depuis quelque temps. Le 26 mai 2014, Bernard-Henri Lévy – encore lui – avait déjà appelé, dans Le Monde, à la mise en place d’un « gouvernement d’union nationale ». Bien des hommes politiques rêvent aujourd’hui de la renaissance d’un « grand centre » à la Giscard, qui associerait aussi bien Juppé et Raffarin que Valls ou Macron. C’est une idée dont on n’a pas fini d’entendre parler.
Et cela peut marcher ?
Le problème, c’est que nous ne sommes plus à l’époque où le FN n’était qu’un parti contestataire relativement marginal, automatiquement exclu du second tour lors des consultations électorales. Aujourd’hui, non seulement il accède presque toujours au second tour, mais il y accède souvent en tête. La compétition entre les deux partis de gouvernement se joue dès lors dès le premier tour, et non plus au second. Or, cette donnée nouvelle fait en même temps obligation à l’UMP ou au PS, lorsqu’un de ces deux partis est éliminé à l’issue du premier tour, de faire voter au second pour celui qu’il combattait la veille, ce qui déstabilise son électorat, renforce son incrédulité et le convainc plus encore que la formule « UMPS » correspond bien à la réalité. Situation particulièrement inconfortable pour l’UMP, dans la mesure où elle se prétend dans l’opposition. Comment rester crédible quand, après avoir fait campagne contre la « désastreuse politique » du gouvernement, on demande à ses électeurs de voter pour ce gouvernement plutôt que pour le Front ? Adopter la tactique du « ni-ni » (« faire barrage au FN » tout en laissant aux électeurs leur liberté de choix) est à peine plus convaincant. Et c’est ainsi que l’UMP, qui était autrefois accoutumée à siphonner les suffrages du FN, devient maintenant son réservoir de voix.
Tiraillée en tous sens, l’UMP n’a aujourd’hui plus aucune ligne directrice, et ses consignes deviennent de ce fait inaudibles. Nicolas Sarkozy s’est emparé du parti, mais il ne parvient pas à s’imposer. Son « grand retour » est d’autant plus compromis que les milieux d’affaires misent désormais sur Alain Juppé. Un tel parti est de toute évidence voué à éclater, ou à se désagréger, ce qui devrait faciliter, avant ou après 2017, la recomposition du paysage politique « centriste » autour d’un axe Juppé-Bayrou-Valls-Macron, d’orientation libérale-mondialiste et antipopuliste, dont les modalités restent à déterminer.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 10 février 2015)