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  • Plaidoyer pour l'armée française...

    Nous vous signalons la publication récente aux éditions dualpha de Plaidoyer pour l'armée française, une essai de Magnus Martel. L'auteur, officier en activité, a débuté sa carrière dans les années 80 et a constaté les effets désastreux de la professionnalisation associée à la réduction drastique des budgets de la défense... Nous reproduisons ci-dessous un court entretien avec Magnus Martel, cueilli sur le site de Voxnr.

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    Entretien avec Magnus Martel, auteur de Plaidoyer pour l'armée française

    Pourquoi si peu de militaires osent-ils dénoncer la situation actuelle de l’Armée ? À cause de leur devoir de réserve ? Parce que, pour certains, ils appartiennent à la « Grande muette » comme on appelait l’armée dans le passé ?

    Cela reste un mystère. Y compris pour votre serviteur. Pourtant, je peux vous assurer que chaque jour que Dieu fait, ça râle dans les popotes militaires. Le problème essentiel réside, à mon sens, dans le fait que si les militaires sont courageux physiquement, ils ont oublié qu’ils effectuaient un véritable sacerdoce au service d’une terre et d’un peuple et non d’un gouvernement faussement élu par le jeu biaisé du parlementarisme. Ceci étant, ce devoir de réserve est plus que jamais imposé par des politiciens qui redoutent les forces armées et l’on constate tristement d’ailleurs que la parole est beaucoup moins libre aujourd’hui qu’elle l’était dans les années 1930. La « Grande muette » conserve plus que jamais son appellation.

    Les opérations auxquelles notre armée participe activement (Afghanistan, Mali, etc.) ne prouvent-elles pas qu’elle est tout à fait opérationnelle ? En tout cas pour un certain type de missions ?

    Opérationnelle pour quoi ? Par rapport à quoi ? Cela dépend avant tout de la nature de l’adversaire. À quelle armée digne de ce nom l’armée française a-t-elle été confrontée depuis la chute de l’URSS ? Quant à l’engagement en Afghanistan, une terre sur laquelle la France n’avait pas à mettre les pieds, plus de dix ans après, l’opération est loin de constituer un succès. Lors de l’embuscade de la vallée d’Uzbeen à l’été 2008, c’était la première fois depuis très longtemps que notre armée perdait autant de soldats en si peu de temps ! Tout porte à croire d’ailleurs qu’une fois les forces de la coalition otanienne parties, le pays replongera dans le chaos. Et c’est bien là le plus malheureux : songer que des hommes sont tombés ou ont été définitivement meurtris pour rien. Alors, bien sûr, il arrive que notre armée, à force de système D, de volonté et de ténacité fasse de véritables miracles. Comme au cours de l’opération Serval au Mali. Mais sérieusement, quel ennemi avions-nous face à nous ? Un adversaire certes déterminé, mais très loin de disposer de capacités militaires équivalentes aux nôtres, dans un pays permettant difficilement de se mettre à l’abri des vues et des coups de la troisième dimension. Au final, il est même permis de penser que cette victoire éclair aura nui à notre armée en donnant à penser à l’opinion comme au politique que nos forces étaient suffisamment opérationnelles comme ça et qu’il était encore possible de gratter dans les effectifs.

    Votre livre est très alarmiste… Les progrès de l’armement ne peuvent-ils suppléer à la réduction des effectifs humains ?


    Il est alarmiste parce que la situation l’exige. Les progrès de l’armement sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas. L’Allemagne hitlérienne l’a appris à ses dépends. En outre, plus les armements sont sophistiqués, plus ils sont coûteux et moins nous pouvons nous en offrir. Songez qu’au train où vont les choses, notre pays ne disposera bientôt pratiquement plus de régiments de chars de combat dotés de Leclerc. Or, la conservation d’un spectre le plus large possible d’armements et de capacités militaires est une absolue nécessité pour un pays qui entend compter sur la scène internationale. Au final, et quelle que soit la qualité de notre armement, il sera toujours nécessaire de déployer du fantassin pour contrôler le terrain. Pour autant, il convient de ne pas tomber dans l’excès inverse en sacrifiant la technologie au nombre. Il est tout de même assez navrant de voir un général, ancien directeur de l’École de guerre, militer pour une sortie de notre pays de la dissuasion nucléaire, au motif que cela permettrait de réaliser des économies au bénéfice des forces conventionnelles.

    Qu’apporte de nouveau votre livre ? Apportez-vous des révélations gênantes pour nos dirigeants de ces vingt ou trente dernières années ? Y a-t-il un gouvernement qui a été plus « néfaste » qu’un autre ?

    L’incontestable nouveauté, c’est que je ne me contente pas de dénoncer, mais de proposer des solutions pour enrayer ce déclin. Aujourd’hui, comme d’autres dans la vie civile, je milite clairement pour un rétablissement de la conscription, seule à même de réaliser de substantielles économies tout en inculquant aux jeunes Français des valeurs en même temps qu’un véritable esprit de défense. Les dirigeants de ces trente dernières années se sont comportés de façon absolument lamentable envers notre pays. Il n’y a cependant pas eu un gouvernement plus néfaste qu’un autre. Tous l’ont été ! Tous ont apporté leur pierre à la lapidation de notre dernier véritable outil de souveraineté. Tous ont trahi et tous seront jugés et, je l’espère, définitivement condamnés par l’Histoire.

    Magnus Martel, propos recueillis par Fabrice Dutilleul (Voxnr, 5 octobre 2013)

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  • Les démocrates contre le populisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Pierre Pélaez, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au populisme, objet de détestation des "élites"...

     

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    Les démocrates contre le populisme

    Inquiets de voir fondre leurs ouailles, plusieurs syndicats ont lancé récemment une grande action contre le populisme, avec promenades rituelles dans les rues. Peu de gens s’en doutaient en effet, mais il y aurait en France un peuple populiste, qui n’est pas le même que le peuple démocrate.

    Pourtant, considérons les deux étymologies : demos, en grec, veut dire le peuple ; populus, en latin, veut dire exactement la même chose. La démocratie, pourrait-on dire — avec une étymologie latine —, la populopotence, c’est le pouvoir du peuple. Elle est donc le populisme par excellence. Mais, pour ces lanceurs d’actions, il y aurait un peuple d’origine grecque demos, un autre d’origine latine populus. Allez comprendre quelque chose à cette subtile sémantique par laquelle les tyranno-potentats (terme latin et grec) du politiquement correct font deux peuples avec un seul !

    À moins qu’ils ne distinguent celui – démocrate – qui vote pour eux et les reconduit à l’infini, et l’autre – populiste – qui ne les supporte plus et n’a qu’une envie, c’est qu’ils dégagent !

    Ainsi le premier, le peuple démocrate, est un bon peuple, constitué par des citoyens responsables. Il vote tantôt pour la droite, tantôt pour la gauche, car il croit que la gauche molle sortira le pays des difficultés où l’a mis la droite-fric, puis que la droite blabla sortira ce même pays des difficultés où l’a mis la gauche bête. Différenciant les partis dits de gouvernement, le libéral/menteur et le social/tartuffe, il s’enflamme tous les cinq ans pour l’un ou pour l’autre et condamne le tous pourris. Il accepte avec fatalisme d’être taxé et tondu, il s’en réjouit même parfois, car l’impôt est l’apanage du citoyen. Il prend au sérieux des discours politiques vides de sens. Syndiqué ou non, il manifeste dans le calme sa légitime revendication, puis se disperse à l’appel des responsables des syndicats qui iront décider à sa place avec les ministres. Il appelle France Inter pour poser des questions convenues et filtrées et remercie les journalistes de ce moment de libre expression et de la qualité des émissions.

    Le second, le peuple populiste, est un mauvais peuple, dangereux, constitué d’irresponsables, quelquefois appelés gens en colère. Il s’abstient de voter, vote blanc, ou pour ce qu’on nomme les extrêmes, Front national, Front de gauche et autres. Il critique les hommes politiques, de droite comme de gauche, qu’il voit se succéder pour faire la même chose et qu’il ose traiter de guignols et de rigolos. Il considère que ni les uns ni les autres ne s’attaquent depuis trente ans aux vrais problèmes d’un pays qu’il voit s’enfoncer chaque jour davantage. Il est présenté par les journalistes démocrates du Monde Libéré comme vivant dans les cafés du commerce, et considéré comme primaire, simpliste, veule, raciste, xénophobe, franchouillard et pétainiste. Souvent pauvre, quelquefois aisé, le peuple populiste véhicule un discours nauséabond ; il vitupère contre les impôts, qu’il trouve trop lourds, et lorsque la coupe déborde, il descend dans la rue pour tout casser et refuse de se disperser. Il peut mettre un bonnet rouge et se livrer à des jacqueries d’un autre temps, il ose dire que les politiques sont tous des pourris et, horreur suprême, il penserait presque, comme en son temps le général de Gaulle, que « la droite financière et l’intelligentsia de gauche s’entendent comme larrons en foire sur le dos du populo » !

     
    Jean-Pierre Pélaez (Boulevard Voltaire, 9 décembre 2013)
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  • Une histoire du fascisme italien...

    Les éditions Ellipses viennent de publier un ouvrage de Michel Ostenc intitulé Mussolini - Une histoire du fascisme italien. Historien, spécialiste de l'Italie, Michel Ostenc est l'auteur notamment de Intellectuels italiens et fascisme (Payot, 1983) et de Ciano - Un conservateur face à Hitler et Mussolini (Editions du Rocher, 2007).

     

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    " L'Histoire de l'Italie mussolinienne est longtemps demeurée un domaine qui vit triompher le préjugé et fleurir des collections d'idées reçues considérées comme des vérités incontournables. L'antifascisme des vainqueurs de la seconde guerre mondiale a imposé ses oukases aux historiens, particulièrement en France où l'étude de l'Italie contemporaine est une parente pauvre de l'Histoire universitaire. Le renouvellement complet de l'historiographie de la période qu'ont engendré, au delà des Alpes, les travaux d'un Renzo de Felice ou d'un Emilio Gentile a bousculé les interprétations conventionnelles qui ont longtemps prévalu et c'est une synthèse originale de toute cette nouvelle donne que nous propose l'ouvrage de Michel Ostenc. Se gardant des lectures de l'époque marquées du sceau de l'anachronisme et fondant ses analyses sur une connaissance approfondie du contexte italien, l'auteur nous offre une approche novatrice du Ventennio Nero. En lieu et place du manichéisme idéologique qui s'est trop souvent imposé, il ouvre des pistes nouvelles, en suivant au plus près le parcours de Mussolini, de l'extrême-gauche socialiste au nationalisme autoritaire et totalitaire, en posant au passage de nouvelles questions, relatives à la propagande du régime ou aux conceptions économiques et sociales qu'il tenta d'expérimenter, dans une Italie qui, pour une bonne part, réalisa à travers le fascisme sa nécessaire transition vers la modernité. "

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  • Cap vers le multiculturalisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michèle Tribalat, cueilli sur Atlantico et consacré au multiculturalisme rampant, désormais favorisé par les autorités françaises et européennes...

    Démographe, Michèle Tribalat a publié ces dernières années Les yeux grands fermés (Denoël, 2010) et Assimilation : la fin du modèle français (Editions du Toucan, 2013),  deux essais incisifs sur les choix politiques en matière de politique d'immigration.

     

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    Intégration : les 5 rapports qui poussent la France sur la voie du multiculturalisme choisi sans le dire trop haut

    Après le rapport Tuot, les rapports remis par cinq commissions (voir ici) chargées, sur des sujets spécifiques, de formuler les pistes de refondation de la politique d’intégration, permettent de se figurer enfin la déclinaison française du multiculturalisme pour lequel l’UE (et donc la France, discrètement) a opté lors du Conseil européen du 19 novembre 2004. Signalons, pour ne plus en reparler, le rapport sur l’habitat rendu illisible par le langage, la syntaxe et l’orthographe.

    Le terme multiculturalisme n’est employé qu’une fois sur les 276 pages des cinq rapports, et encore à titre historique et anecdotique. C’est pourtant bien de multiculturalisme dont il s’agit dans ces rapports. Ces rapports nous expliquent que le terme intégration a servi de camouflage à une politique d’assimilation et que le Haut Conseil à l’intégration a été le lieu de ce camouflage. Or, rien n’est plus faux. La tendance républicaine récente, dont on fait grief au HCI, a plutôt contrasté avec d’autres plus anciennes. À sa création, lorsqu’il s’est agi de définir l’intégration, le HCI a en effet opté pour une définition multiculturaliste. L’intégration y est désignée comme "le processus spécifique par lequel il s'agit de susciter la participation active à la société nationale d'éléments variés et différents tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l'ensemble s'enrichit de cette variété, de cette complexité". Cette définition, qui fait déjà de la diversité une valeur a priori, anticipait sur celle qui allait être adoptée dans toute l’UE, laquelle insiste elle aussi sur l’idée de processus à double sens. Pour avoir été membre du groupe statistique puis du HCI, je me souviens fort bien que la fermeté républicaine, jugée aujourd’hui synonyme d’intolérance, n’a pas toujours été de mise, comme on fait mine de le croire.

    Ce n’est donc pas l’assimilation que ces rapports s’emploient à réfuter, tant l’usage de ce terme comme ses points d’application se sont raréfiés, mais l’intégration. L’idée en a été disqualifiée, nous explique-t-on par son usage à l’égard des descendants d’immigrés et par l’absence d’action à destination de la société dans son ensemble. « Il n’y a pas de spécificité intrinsèque aux populations vues comme “issues de l’immigration” si ce n’est justement que certaines d’entre elles sont vues et traitées comme toujours étrangères ». C’est le regard racialisant, ethnicisant, discriminant etc. de la société d’accueil qui justifie une politique globale visant à transformer ce regard et donc à réformer la partie dite « majoritaire » de cette société. Une incidente est nécessaire sur l’usage récent du qualificatif « majoritaire » dans les écrits scientifiques, notamment ceux de l’Ined, pour nommer ceux qui ne sont, comme le dit l’Insee, « ni immigrés ni enfants d’immigrés ». Sa vertu est de n’attribuer aucune qualité particulière à l’ensemble qu’il désigne et surtout pas l’avantage de l’ancienneté. Insister sur le caractère majoritaire d’une population la renvoie à une position qui ne s’explique que par son nombre, situation qui n’implique aucun ascendant autre que numérique, lequel n’est pas forcément appelé à perdurer. Aucun héritage collectif ne vient teinter l’appellation de « population majoritaire ». Tous les résidents sont équidistants puisqu’il s’agit de reconnaître « toutes les personnes qui résident en France » dans leur diversité, non pas pour la contribution qu’ils pourraient apporter à la société mais « pour ce qu’ils sont et simplement pour leur présence sur le territoire ». Cela suppose « une reconnaissance des personnes dans leur singularité, […] dans le respect des cadres sociétaux minimums communs » et une reconnaissance de la « légitimité des personnes à être ici chez elles, et comme elles sont ou se sentent être, et en conséquence une légitimité des acteurs et des organisations à agir sur les problèmes qui empêchent la normalisation des statuts sociopolitiques et la réalisation d’une égalité effective des droits et de traitement ».

    La question que se posait déjà le HCI lorsqu’il avait lancé sa définition de l’intégration, à savoir comment faire tenir ensemble ce conglomérat d’individus et de groupes, les auteurs des rapports se la posent aussi. Le HCI voyait bien se profiler la contestation « du système de valeurs traditionnellement dominant dans notre pays ». Le HCI proposait ce qu’il appelait « le pari de l’intégration » selon lequel la contestation « du cadre global de référence français » serait surmontée par « l’adhésion à un minimum de valeurs communes », tolérance et respect des droits de l’homme. C’est aussi ce que proposent les rapports rendus récemment. Ils invitent les pouvoirs publics à « rompre avec une logique extensive de normalisation », en s’en tenant à un triptyque de valeurs (droits de l’homme, droits de l’enfant, laïcité « inclusive »), lequel peut être transposable à peu près dans toutes les démocraties du monde.

    Puisqu’il n’y a ni héritage, ni culture, ni modes de vie à préserver côté « majoritaire », toute l’action politique doit être canalisée vers la lutte pour l’égalité et contre les discriminations de toutes sortes, y compris celles qui figurent dans nos textes de loi actuellement, comme la loi sur le voile à l’école ou l’exclusion des étrangers de la fonction publique. Le mal est si grand et si répandu que cette politique doit être « globale et systémique ». Les majoritaires baignent dans une société imbibée de pensées et attitudes racialisantes qui nécessitent des actions de formation qui leur feront voir la « diversité » sous son vrai jour. L’école est bien évidemment l’institution qui devrait se prêter le mieux à cette rénovation des mentalités, mais pas seulement. Nous sommes tous potentiellement visés : « ensemble des acteurs associatifs, culturels, collectifs, citoyens, acteurs institutionnels et élus ». Il faut ainsi « remettre à plat l’histoire de France » afin d’inscrire « chacun dans une histoire commune ». Pourquoi ne pas constituer un « nouveau “panthéon” pour une histoire plurielle », l’histoire enseignée se référant « à des figures incarnées qui demeurent très largement des “grands hommes” mâles, blancs et hétérosexuels » ? L’idée serait de mettre en place « un groupe de travail national composé notamment d’historiens, d’enseignants, d’élèves et de parents » chargé de « proposer une pluralité concrète de figures historiques […] et de faire des propositions en direction par exemple des éditeurs de manuels, de revues, etc. ». Les activités dites « culturelles » se prêteraient aussi fort bien à cette entreprise de reformatage idéologique. Il faudrait alors valoriser « dans tous les médias des “bonnes pratiques” où les forces vives d’un territoire s’allient pour créer avec les artistes et les habitants des récits locaux qui construisent de nouveaux imaginaires collectifs » déconstruisant ainsi « les clichés, les représentations et peurs de l’autre, inconnu ou étranger ».

    Ces rapports empruntent à Bhikhu Parekh qui est tout sauf un multiculturaliste modéré, même au Royaume-Uni, puisqu’il avait proposé de remplacer le mot nation par communauté de communautés, de revisiter l’histoire du Royaume-Uni et, lui aussi, d’en finir avec le mot intégration. Ils s’inspirent aussi beaucoup des multiculturalistes québécois qui, pour se distinguer du multiculturalisme canadien, ont proposé l’interculturalisme québécois. Il faut promouvoir l’interculturel en faisant dialoguer les différentes cultures françaises, en développant les langues de France, le français n’étant que la langue dominante d’un pays plurilingue. « Il faut à la fois banaliser la pluralité des langues et encourager leur réappropriation potentielle par tous les élèves, en tant que véhicules donnant accès à des univers et rapports cognitifs constitutifs d’une pluralité de civilisations, qui font notre richesse, notre histoire et notre culture commune ». On notera la contradiction qu’il y a à demander à des enfants (compris dans « tous les élèves ») de se réapproprier des langues qu’ils n’ont jamais apprises. Ces rapports font également leur les fameux accommodements raisonnables dont les Québécois ne veulent plus guère, sans évidemment prononcer le mot qui fâche. On doit donc s’attendre, s’ils étaient entendus par le gouvernement, à une modification du cadre légal en profondeur pour contraindre aux « compromis normatifs ». C’est probablement sur les mêmes droits que ceux mobilisés au Québec que s’appuierait le nouveau cadre légal – « droit de l’égalité et celui de la liberté de pensée (opinion, religion…) » considérés comme « le socle minimum commun ».

    Ce redressement idéologique devrait évidemment toucher le langage puisque « désigner dit-on c’est assigner, c’est stigmatiser ». Seule l’auto-désignation identitaire serait désormais acceptable. Il faut donc reconnaître la différence et en tenir compte plus que jamais sans jamais la nommer. Cela va être difficile. On espère que les formations recommandées pour réformer la société fourniront le glossaire et les exercices appropriés. L’un des rapports recommande de « revisiter tous les registres lexicaux utilisées au sein et par les institutions d’action publique tout comme par les médias et les partis politiques ». On se demande ce qu’il en sera de la recherche. Il prévoit la multiplication de chartes diverses, de recommandations en direction des médias et donc des journalistes et même le « recours à la sanction pour contraindre à la non désignation ». Désigner pourrait être assimilé à un harcèlement racial. On aura intérêt à se tenir à carreau si la rénovation politique annoncée voit le jour.

    La connaissance elle-même est un enjeu important. Telle que ces rapports l’envisagent, elle serait à même de faciliter la reconnaissance. Il y faudrait pour cela une « vision actualisée » de l’immigration produite par des « connaissances actualisées ». Par actualisé, il faut entendre une mise au goût du jour. Une manière envisagée pour actualiser la connaissance serait par exemple de consacrer une journée à la commémoration des « apports de toutes les migrations à la société française ». Une autre serait de donner une prime aux documentaires et fictions « favorisant la diversité ». On envisage aussi des « ateliers-débats de philosophie » de la maternelle à la classe de seconde traitant du genre, de la religion, de l’identité, de l’altérité…

    Cette nouvelle politique « qui nous pend au nez » si le Premier ministre prend au sérieux les cinq rapports qu’il a lui-même commandés – et pourquoi n’en serait-il pas ainsi puisqu’il a, avec ces rapports, « récidivé » alors qu’il était déjà en possession du rapport Tuot ? – pourrait s’appeler « inclusive » selon les recommandations de ce dernier. « L’inclusion est l’action d’inclure quelque chose dans un tout ainsi que le résultat de cette action. » Et c’est tout. Une politique inclusive vise donc uniquement à favoriser « l’accès du citoyen aux infrastructures et aux services sociaux, culturels et économiques, de même qu’au pouvoir ». Je suppose qu’il faut entendre, par citoyen, « citoyen potentiel » s’agissant des étrangers, même si, on l’a bien compris, plus rien ne devrait logiquement séparer l’étranger du Français en termes de droits. En plus d’une loi-cadre, chaque rapport a sa petite idée sur le nom des instances à placer auprès du Premier ministre, dont certaines seraient déclinées à l’échelon régional afin de mettre en place cette politique inclusive globale : Conseil de la cohésion sociale, Cour des comptes de l’égalité, Institut national pour le développement social, économique ou culturel des milieux populaires chargé de « mettre fin à l’assignation sociale par héritage ».

    Cette politique serait distincte de la gestion des flux migratoires – qui, par souci de cohérence, devra rester bienveillante et respectueuse de la diversité - par le ministère de l’Intérieur, dont la réorganisation (décret du 12 juillet 2013) a déjà supprimé le terme d’intégration. Le SGII (Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration) a été remplacé par la Direction des étrangers en France.

    Pour conclure, il est cocasse de constater que les cinq missions mandatées par le Premier ministre qui n’ont que le pluralisme en bout de plume dans leurs écrits ne brillent guère par le pluralisme de leur composition et de leurs conclusions. Comme l’écrivait Kenan Malik dans la revue Prospect de mars 2006, « une des ironies qu’il y a à vivre dans une société plus diverse est que la préservation de cette diversité exige que nous laissions de moins en moins de place à la diversité des opinions. » Jean-Marc Ayrault semble avoir parfaitement intégré ce paradoxe.

    Michèle Tribalat (Atlantico, 9 décembre 2013)

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  • Heidegger en dictionnaire...

    Les éditions du Cerf viennent de publier Le Dictionnaire Heidegger - Vocabulaire polyphonique de sa pensée, un ouvrage sous la direction de Philippe Arjakovsky, François Fédier et Hadrien France-Lanord. Comportant plus de  600 entrées dont :

    Amitié, Arendt, Atome, Balzac, Beckenbauer, Cézanne, Christianisme, Communisme, Consommation, Critique de la raison pure, Descartes, Économie, Enfant, Enseignement, Éthique, Europe, Féminité, Génétique, Geste, Habiter, Humour, Japon, Joie, Keats, Langue française, Mai 1968, Mathématique, Mort de Dieu, Ordinateur, Parménide, Parti nazi, Pensée juive, Poésie, Pudeur, Racisme, Rhin, Sécurité, Sexualité, Shoah, Socrate, Stravinsky, Technique, Théologie, Tolstoï, Traduction, Utilité, Zvétaieva...

    Cet ouvrage est une introduction passionnante pour ceux qui veulent découvrir la pensée du philosophe le plus important du XXème siècle et commencer à cheminer dans ses livres.

     

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    " Il n’existe encore dans aucune langue de Dictionnaire de cette ampleur consacré à la pensée de Martin Heidegger.
    L’originalité de ce livre peut être exposée selon trois axes principaux, mais il faut en souligner d’abord l’ambition philosophique. Comme le montre la grande variété des articles qui composent ce dictionnaire, philosophie ne veut pas dire difficulté insurmontable ou abstraction inabordable. La philosophie est ancrée dans l’existence de chacun. Quant au travail philosophique que ce Dictionnaire souhaite initier, il n’est pas synonyme d’érudition pour spécialistes. Ce travail, demande seulement de la patience dans la lecture, de la probité philologique, de l’endurance dans le questionnement, et avant tout : s’engager dans la pensée en ayant à cœur ce qui est à penser (c’est le sens même du mot philosophie). Pour tous ceux qui ont ce cœur, voici les trois axes principaux.

    I. La pensée de Heidegger en elle-même.

    Le but du livre est d’offrir un accès au chemin de pensée de Heidegger dans son entier, chose qu’il est désormais possible de faire de manière entièrement neuve, au vu des ouvrages parus dans le cadre de l’édition intégrale (une cinquantaine de volumes depuis 25 ans, dont une majorité inconnue du public français, car ils ne sont pas encore traduits). Le livre marque à cet égard une étape importante dans la réception de la pensée de Heidegger : ses 615 entrées permettent de voir sous tous ses aspects l’unité de ce chemin, à travers les nombreuses inflexions qu’il a suivies sans pour autant entamer son caractère foncièrement unitaire. Il est important ici de ne pas figer les choses à propos d’une pensée qui s’est chaque fois déployée selon un mouvement qui a justement trait à ce qu’il s’agit de penser.
    Au sein de chaque article, il a été fait grand cas de cette mobilité propre à la pensée de Heidegger, à travers notamment l’écoute précise des mots et de leur sens.
    À l’échelle du livre entier, cette mobilité se perçoit dans son aspect polyphonique, le seul qui sied à une véritable interprétation .
    Les articles sont de taille et de difficulté diverses : à côté de nombreux articles introductifs figure également un certain nombre d’articles de fond. De manière générale tout le livre est animé par un double souci : offrir une clarification élémentaire, mais sans négliger la possibilité d’ouvrir la voie à l’approfondissement et à l’étude (grâce notamment au grand nombre de références données).
    Ces articles correspondent à plusieurs rubriques de l’index thématique : « Art et poésie », environ 120 articles ; « Le divin », environ 50, « La science », environ 30, « Le chemin de Heidegger », plus de 200 articles.

    II. La question politique. Il faut ici distinguer deux ordres de choses :

    1. Ce qui relève des faits. Il y a d’une part des contre-vérités pures et simples qui continuent d’être mises en circulation, surtout auprès du grand public qui est la plupart du temps soumis à une “information” systématiquement unilatérale. Exemples : le prétendu antisémitisme, la prétendue interdiction faite à Husserl d’accéder à la bibliothèque de l’université de Fribourg en 1933, le prétendu « silence de Heidegger » après la Shoah (voir par exemple les articles Antisémitisme, Extermination, Husserl, Shoah, « Silence de Heidegger »). Il y a d’autre part des choses qui sont souvent évoquées de manière biaisée, faute de vérification relative à ce qui s’est vraiment passé, par exemple le sens et les limites de l’adhésion au parti national-socialiste, ou le déroulement de la procédure de dénazification (voir par exemple les articles Dénazification, Parti nazi). Sur tous ces points, il est désormais loisible, au moyen de faits, de documents et de témoignages de s’informer complètement. Le Dictionnaire Martin Heidegger donne à tout un chacun les moyens d’aller vérifier par soi-même ce qui s’est véritablement passé.

    2. Mais il y a d’autres questions, qui sont en général traitées de manière parfois spectaculaire et sensationnelle, alors que ce sont des questions philosophiques qui ne peuvent pas être réglées de manière expéditive en faisant l’impasse sur une connaissance approfondie de la pensée de Heidegger, c’est-à-dire, sans un travail de longue haleine. Le Dictionnaire ne prétend ni dispenser de ce travail ni y mettre un terme en se contentant de réponses toutes faites, mais vise tout au contraire à en ménager la possibilité. Il s’agit ici de quitter enfin une bonne fois le plan de « l’affaire Heidegger » afin d’ouvrir la voie à un travail qui atteigne la rigueur philosophique que réclame la pensée de Heidegger. En sortant de l’agitation de « l’affaire Heidegger », il s’agit de commencer par situer avec la précision philosophique qui leur revient des questions souvent réglées jusqu’ici dans une atmosphère de rumeur. Il s’agit donc de sortir de la vaine alternative entre accusation et défense pour s’inscrire dans l’exigence de la lecture attentive de textes souvent difficiles et mettre un véritable travail en chantier, à savoir selon deux axes majeurs :
    A) Cerner le sens de l’erreur de Heidegger au moment où, entre 1933 et 1934 il s’engage, dans le cadre de l’université, en faveur d’Hitler, sans jamais cautionner le biologisme antisémite et raciste propre à l’idéologie nazie (voir par exemple les articles Allemand, Kolbenheyer, Hitler, Nazisme, Peuple, Rapport Jaensch, Rectorat). Erreur qui ne va pas, à partir de sa reconnaissance en 1934, sans une honte que Heidegger n’a jamais cachée.
    B) Dégager la manière dont, après l’erreur, la pensée que Heidegger développe au sujet du nihilisme et du règne de l’efficience technique totale, livre une interprétation historiale du nazisme, mais aussi du communisme, et du libéralisme planétaire (voir par exemple les articles Bâtir, Brutalité, Extermination, Führer, Génétique, Gigantesque, Nihilisme, Organisation, Racisme, Sécurité, Shoah, SS, Totalitarisme, Utilité, Violence). Au vu de la manière dont « l’affaire Heidegger » occupe le devant de la scène en faisant le plus souvent écran aux véritables questions, il est intéressant de se demander pour quelle raison on ne veut pas prêter l’oreille à la manière dont un grand penseur de son temps a bel et bien pensé les catastrophes humaines sans précédent qui ont marqué son époque (en plus des articles précédents, voir aussi Atome, Communisme, Lénine). Il apparaît également que cette pensée du nihilisme et de la technique n’a rien perdu de son actualité et même qu’elle est de grande utilité pour appréhender notre monde actuel, ses dérives – mais aussi ses possibilités inouïes.
    La rubrique thématique intitulée « Politique, technique et Temps nouveaux » comprend environ 80 articles.

    III. Les indications biographiques (gens, lectures, lieux), parfois agrémentées d’anecdotes ou de souvenirs (plusieurs auteurs ont connu et côtoyé Heidegger), ne sont pas traitées de manière purement factuelle, mais à la lumière de la pensée de Heidegger, et dans le but de l’éclairer.
    L’ensemble du livre est émaillé d’articles souvent très simples, parfois très courts, qui contribuent à rendre vivante la figure d’un penseur au sein de son époque et parmi ses contemporains. Ces articles concernent : des lieux en rapport avec sa pensée et sa vie, des auteurs ou des lectures particulières qui ont nourri sa pensée et les personnes, parmi ses contemporains qui ont trouvé chez Heidegger une résonance ou une inspiration dans sa pensée.

    De manière générale, il faut souligner que la présentation faite de Heidegger pour le grand public à partir de son seul engagement a tendance à réduire l’ensemble de sa pensée aux questions politiques (qui sont de surcroît souvent mal posées), en occultant la multiplicité des directions dans lesquelles cette pensée s’est orientée et a trouvé des échos – multiplicité parfois pleine de surprise, que les 615 entrées du Dictionnaire entreprennent de refléter.

    En Annexes du livre figurent : une chronologie de Martin Heidegger, et, pour la première fois en France : la liste complète de ses cours et séminaires ainsi que le plan de l’édition intégrale répartie en 102 volumes.

    24 Auteurs, presque tous professeurs de philosophie, ont eu à cœur de travailler à ce livre : Massimo Amato, Philippe Arjakovsky, Ingrid Auriol, Guillaume Badoual, Stéphane Barsacq, Maurizio Borghi, Jean Bourgault, Pascal David, Cécile Delobel, Guillaume Fagniez, François Fédier, Hadrien France-Lanord, Adéline Froidecourt, Jürgen Gedinat, Jean-Claude Gens, Gérard Guest, Pierre Jacerme, Fabrice Midal, Florence Nicolas, Dominique Saatdjian, Alexandre Schild, Peter Trawny, François Vezin, Stéphane Zagdanski. "

     

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  • Le FN doit devenir le parti du peuple !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au Front national de Marine Le Pen...

    Alain de Benoist vient de publier un essai important, Les démons du Bien, aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, dans lequel il se livre à une brillante analyse de l'enfer postmoderne.

     

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    Pour s'imposer, le FN doit liquider l'UMP !

    Les médias continuent de classer le Front national à droite ou à l’extrême droite de l’échiquier politique. Est-ce toujours pertinent ? D’ailleurs, cela l’a-t-il jamais été ?

    Le Front national est à l’origine un mouvement d’extrême droite qui s’est mué progressivement en mouvement national-populiste. Le populisme est un phénomène complexe, que les notions de droite et de gauche ne permettent pas d’analyser sérieusement. Non seulement le FN est aujourd’hui une force montante, qui touche les hommes aussi bien que les femmes et marque des points dans toutes les catégories d’âge ou professionnelles, mais il arrive maintenant en tête des intentions de vote aux élections européennes, loin devant le PS ou l’UMP, ce qui revient à dire qu’il est en passe de s’imposer comme le premier parti de France. Par ailleurs, Marine Le Pen est aux yeux de 46 % des Français la personnalité politique qui incarne le mieux l’opposition (sondage CSA/BFMTV). Comme l’a reconnu Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, « il n’y a plus désormais de sympathisants types du Front national ». Dès lors, son assignation à l’extrême droite relève d’une simple paresse intellectuelle ou d’une propagande qui ne vise qu’à le délégitimer (les deux n’étant pas incompatibles). Mais cette catégorisation n’est plus crédible aujourd’hui. Elle repose sur des arguments qui ont fait long feu.

    Un boulevard s’ouvre aujourd’hui devant le Front national, car il n’est pas de jour que les événements ne creusent encore un peu plus le fossé béant qui sépare désormais la Nouvelle classe et le peuple. Dans une telle situation, il n’est plus de « cordon sanitaire » ou de « front républicain » qui tienne. Pas plus qu’on ne fera croire aux Français qu’ils sont devenus « racistes » parce qu’un hebdomadaire a fait une comparaison déplorable qui diffamait stupidement nos amis les singes et les guenons.

    On dit que Marine Le Pen a « dédiabolisé » le Front. Il faudrait plutôt dire qu’elle s’est affirmée comme une véritable femme politique – j’entends par là quelqu’un qui a compris ce qu’est la politique : un moyen d’accéder au pouvoir, pas une façon de « témoigner » ou de rassembler une « famille ». C’est ce qui la distingue de son père, et plus encore du brave Bruno Gollnisch. Personnellement, je porte à son crédit d’être restée sourde aux piaillements des excités de tout poil, des anciens combattants des guerres perdues, des revenants de ceci ou de cela, des nostalgiques des régimes d’avant-hier et des époques révolues. C’est dans cette voie qu’elle doit persévérer si elle veut doter son mouvement de cadres dignes de ce nom.

    Marine Le Pen semble avoir opéré un virage « à gauche ». Certes, dans les années 80, son père se présentait comme le « Reagan français ». Mais, dès 1972, année de sa création, le Front national publiait un programme économique éminemment « social », voire « socialiste ». Gérard Longuet en fut l’un des principaux signataires. Alors, « virage » ou « retour aux sources » ?

    Quelle importance ? L’important est que ce tournant « à gauche » ait été pris. C’est dire que je ne suis pas de ceux qui, devant le programme économique et social du Front, parlent de « démagogie gauchiste ». Que le FN semble avoir compris que la priorité est de lutter contre l’emprise du système capitaliste libéral, contre la logique du marché, contre la globalisation libre-échangiste, contre la colonisation des imaginaires par les seules valeurs commerciales et marchandes, est d’une importance que je n’hésiterai pas à qualifier d’historique, après quarante ans d’« orléanisation » des milieux « nationaux ». C’est ce qui lui permet de toucher les classes populaires, les ouvriers, les artisans, les anciens communistes que scandalise le ralliement au système dominant des anciens révolutionnaires « repentis ».

    Pour s’imposer définitivement, le FN doit en priorité liquider l’UMP. C’est la condition première pour que Marine Le Pen soit présente au deuxième tour en 2017. Notons que, de son côté, François Hollande a lui aussi tout intérêt à affronter Marine Le Pen à la prochaine présidentielle plutôt qu’un Sarkozy, un Fillon ou même un Copé. C’est donc là que les choses se joueront.

    Certains, souvent dans les milieux identitaires, reprochent à Marine Le Pen sa fibre jacobine. Est-ce aussi simple ? Est-ce aujourd’hui une priorité que d’aller chercher un clivage entre régionalistes et colbertistes ?

    Européen et régionaliste, antijacobin dans l’âme, je suis moi-même en désaccord avec Marine Le Pen sur ce point. Mais je suis également conscient que l’Europe politiquement unifiée, l’Europe puissance autonome et creuset de civilisation que je souhaite n’est pas pour demain. L’Union européenne n’est aujourd’hui qu’une caricature d’Europe. À bien des égards, c’est même le contraire de l’Europe. Cela dit, je crois que le souverainisme jacobin demeure une impasse. Voyez la révolte des « Bonnets rouges » en Bretagne : on ne peut rien comprendre à ce mouvement si l’on ne prend pas aussi en compte sa dimension identitaire et régionaliste.

    En 1995, Samuel Maréchal, patron du Front national de la jeunesse, publiait un ouvrage intitulé Ni droite ni gauche, Français ! La présidente du Front national semble avoir fait évoluer ce concept en ce que l’on pourrait résumer par un autre slogan : « À la fois de droite et de gauche, mais Français ! »… Progrès ou régression ?

    Outre qu’il a déjà une histoire, le slogan « ni droite ni gauche » ne veut pas dire grand-chose. « Et droite et gauche » est bien meilleur. À un moment où de telles notions ne sont plus opérationnelles pour analyser les nouveaux clivages qui se mettent en place, il s’agit de rassembler des idées justes d’où qu’elles viennent. Au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, j’avais écrit ceci : « L’avenir du FN dépendra de sa capacité à comprendre que son “électorat naturel” n’est pas le peuple de droite, mais le peuple d’en bas. L’alternative à laquelle il se trouve confronté de manière aiguë est simple : vouloir incarner la “droite de la droite” ou se radicaliser dans la défense des couches populaires pour représenter le peuple de France. » J’ajoutai « qu’il reste au FN à apprendre comment devenir une force de transformation sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au statut social et professionnel précaire et au capital culturel inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus ». Cette alternative est toujours présente. Le FN n’a de chances de l’emporter que s’il devient le parti du peuple. C’est même le nom que j’aimerais lui voir porter.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 décembre 2013)

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