Les éditions du Cerf viennent de publier Le Dictionnaire Heidegger - Vocabulaire polyphonique de sa pensée, un ouvrage sous la direction de Philippe Arjakovsky, François Fédier et Hadrien France-Lanord. Comportant plus de 600 entrées dont :
Amitié, Arendt, Atome, Balzac, Beckenbauer, Cézanne, Christianisme, Communisme, Consommation, Critique de la raison pure, Descartes, Économie, Enfant, Enseignement, Éthique, Europe, Féminité, Génétique, Geste, Habiter, Humour, Japon, Joie, Keats, Langue française, Mai 1968, Mathématique, Mort de Dieu, Ordinateur, Parménide, Parti nazi, Pensée juive, Poésie, Pudeur, Racisme, Rhin, Sécurité, Sexualité, Shoah, Socrate, Stravinsky, Technique, Théologie, Tolstoï, Traduction, Utilité, Zvétaieva...
Cet ouvrage est une introduction passionnante pour ceux qui veulent découvrir la pensée du philosophe le plus important du XXème siècle et commencer à cheminer dans ses livres.
" Il n’existe encore dans aucune langue de Dictionnaire de cette ampleur consacré à la pensée de Martin Heidegger.
L’originalité de ce livre peut être exposée selon trois axes principaux, mais il faut en souligner d’abord l’ambition philosophique. Comme le montre la grande variété des articles qui composent ce dictionnaire, philosophie ne veut pas dire difficulté insurmontable ou abstraction inabordable. La philosophie est ancrée dans l’existence de chacun. Quant au travail philosophique que ce Dictionnaire souhaite initier, il n’est pas synonyme d’érudition pour spécialistes. Ce travail, demande seulement de la patience dans la lecture, de la probité philologique, de l’endurance dans le questionnement, et avant tout : s’engager dans la pensée en ayant à cœur ce qui est à penser (c’est le sens même du mot philosophie). Pour tous ceux qui ont ce cœur, voici les trois axes principaux.
I. La pensée de Heidegger en elle-même.
Le but du livre est d’offrir un accès au chemin de pensée de Heidegger dans son entier, chose qu’il est désormais possible de faire de manière entièrement neuve, au vu des ouvrages parus dans le cadre de l’édition intégrale (une cinquantaine de volumes depuis 25 ans, dont une majorité inconnue du public français, car ils ne sont pas encore traduits). Le livre marque à cet égard une étape importante dans la réception de la pensée de Heidegger : ses 615 entrées permettent de voir sous tous ses aspects l’unité de ce chemin, à travers les nombreuses inflexions qu’il a suivies sans pour autant entamer son caractère foncièrement unitaire. Il est important ici de ne pas figer les choses à propos d’une pensée qui s’est chaque fois déployée selon un mouvement qui a justement trait à ce qu’il s’agit de penser.
Au sein de chaque article, il a été fait grand cas de cette mobilité propre à la pensée de Heidegger, à travers notamment l’écoute précise des mots et de leur sens.
À l’échelle du livre entier, cette mobilité se perçoit dans son aspect polyphonique, le seul qui sied à une véritable interprétation .
Les articles sont de taille et de difficulté diverses : à côté de nombreux articles introductifs figure également un certain nombre d’articles de fond. De manière générale tout le livre est animé par un double souci : offrir une clarification élémentaire, mais sans négliger la possibilité d’ouvrir la voie à l’approfondissement et à l’étude (grâce notamment au grand nombre de références données).
Ces articles correspondent à plusieurs rubriques de l’index thématique : « Art et poésie », environ 120 articles ; « Le divin », environ 50, « La science », environ 30, « Le chemin de Heidegger », plus de 200 articles.
II. La question politique. Il faut ici distinguer deux ordres de choses :
1. Ce qui relève des faits. Il y a d’une part des contre-vérités pures et simples qui continuent d’être mises en circulation, surtout auprès du grand public qui est la plupart du temps soumis à une “information” systématiquement unilatérale. Exemples : le prétendu antisémitisme, la prétendue interdiction faite à Husserl d’accéder à la bibliothèque de l’université de Fribourg en 1933, le prétendu « silence de Heidegger » après la Shoah (voir par exemple les articles Antisémitisme, Extermination, Husserl, Shoah, « Silence de Heidegger »). Il y a d’autre part des choses qui sont souvent évoquées de manière biaisée, faute de vérification relative à ce qui s’est vraiment passé, par exemple le sens et les limites de l’adhésion au parti national-socialiste, ou le déroulement de la procédure de dénazification (voir par exemple les articles Dénazification, Parti nazi). Sur tous ces points, il est désormais loisible, au moyen de faits, de documents et de témoignages de s’informer complètement. Le Dictionnaire Martin Heidegger donne à tout un chacun les moyens d’aller vérifier par soi-même ce qui s’est véritablement passé.
2. Mais il y a d’autres questions, qui sont en général traitées de manière parfois spectaculaire et sensationnelle, alors que ce sont des questions philosophiques qui ne peuvent pas être réglées de manière expéditive en faisant l’impasse sur une connaissance approfondie de la pensée de Heidegger, c’est-à-dire, sans un travail de longue haleine. Le Dictionnaire ne prétend ni dispenser de ce travail ni y mettre un terme en se contentant de réponses toutes faites, mais vise tout au contraire à en ménager la possibilité. Il s’agit ici de quitter enfin une bonne fois le plan de « l’affaire Heidegger » afin d’ouvrir la voie à un travail qui atteigne la rigueur philosophique que réclame la pensée de Heidegger. En sortant de l’agitation de « l’affaire Heidegger », il s’agit de commencer par situer avec la précision philosophique qui leur revient des questions souvent réglées jusqu’ici dans une atmosphère de rumeur. Il s’agit donc de sortir de la vaine alternative entre accusation et défense pour s’inscrire dans l’exigence de la lecture attentive de textes souvent difficiles et mettre un véritable travail en chantier, à savoir selon deux axes majeurs :
A) Cerner le sens de l’erreur de Heidegger au moment où, entre 1933 et 1934 il s’engage, dans le cadre de l’université, en faveur d’Hitler, sans jamais cautionner le biologisme antisémite et raciste propre à l’idéologie nazie (voir par exemple les articles Allemand, Kolbenheyer, Hitler, Nazisme, Peuple, Rapport Jaensch, Rectorat). Erreur qui ne va pas, à partir de sa reconnaissance en 1934, sans une honte que Heidegger n’a jamais cachée.
B) Dégager la manière dont, après l’erreur, la pensée que Heidegger développe au sujet du nihilisme et du règne de l’efficience technique totale, livre une interprétation historiale du nazisme, mais aussi du communisme, et du libéralisme planétaire (voir par exemple les articles Bâtir, Brutalité, Extermination, Führer, Génétique, Gigantesque, Nihilisme, Organisation, Racisme, Sécurité, Shoah, SS, Totalitarisme, Utilité, Violence). Au vu de la manière dont « l’affaire Heidegger » occupe le devant de la scène en faisant le plus souvent écran aux véritables questions, il est intéressant de se demander pour quelle raison on ne veut pas prêter l’oreille à la manière dont un grand penseur de son temps a bel et bien pensé les catastrophes humaines sans précédent qui ont marqué son époque (en plus des articles précédents, voir aussi Atome, Communisme, Lénine). Il apparaît également que cette pensée du nihilisme et de la technique n’a rien perdu de son actualité et même qu’elle est de grande utilité pour appréhender notre monde actuel, ses dérives – mais aussi ses possibilités inouïes.
La rubrique thématique intitulée « Politique, technique et Temps nouveaux » comprend environ 80 articles.
III. Les indications biographiques (gens, lectures, lieux), parfois agrémentées d’anecdotes ou de souvenirs (plusieurs auteurs ont connu et côtoyé Heidegger), ne sont pas traitées de manière purement factuelle, mais à la lumière de la pensée de Heidegger, et dans le but de l’éclairer.
L’ensemble du livre est émaillé d’articles souvent très simples, parfois très courts, qui contribuent à rendre vivante la figure d’un penseur au sein de son époque et parmi ses contemporains. Ces articles concernent : des lieux en rapport avec sa pensée et sa vie, des auteurs ou des lectures particulières qui ont nourri sa pensée et les personnes, parmi ses contemporains qui ont trouvé chez Heidegger une résonance ou une inspiration dans sa pensée.
De manière générale, il faut souligner que la présentation faite de Heidegger pour le grand public à partir de son seul engagement a tendance à réduire l’ensemble de sa pensée aux questions politiques (qui sont de surcroît souvent mal posées), en occultant la multiplicité des directions dans lesquelles cette pensée s’est orientée et a trouvé des échos – multiplicité parfois pleine de surprise, que les 615 entrées du Dictionnaire entreprennent de refléter.
En Annexes du livre figurent : une chronologie de Martin Heidegger, et, pour la première fois en France : la liste complète de ses cours et séminaires ainsi que le plan de l’édition intégrale répartie en 102 volumes.
24 Auteurs, presque tous professeurs de philosophie, ont eu à cœur de travailler à ce livre : Massimo Amato, Philippe Arjakovsky, Ingrid Auriol, Guillaume Badoual, Stéphane Barsacq, Maurizio Borghi, Jean Bourgault, Pascal David, Cécile Delobel, Guillaume Fagniez, François Fédier, Hadrien France-Lanord, Adéline Froidecourt, Jürgen Gedinat, Jean-Claude Gens, Gérard Guest, Pierre Jacerme, Fabrice Midal, Florence Nicolas, Dominique Saatdjian, Alexandre Schild, Peter Trawny, François Vezin, Stéphane Zagdanski. "