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  • Le rendez-vous de Londres

    Les éditions Xenia viennent de sortir Le rendez-vous de Londres un polar d'Alexandre Zviaguintsev, auteur russe particulièrement populaire dans son pays, dont les éditions des Syrtes ont récémment publié un roman, intitulé Sélection naturelle.

     

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    "L'oligarque Mouromski est retrouvé mort dans la piscine de sa propriété espagnole. Un accident stupide ? Nul ne le croit. Ce d'autant que son propre fils et héritier, Rafaël, disparaît peu après, au moment même où un bâtard improbable entre en scène, jetant son dévolu sur l'immense fortune du défunt... L'affaire sera un périlleux défi pour le juge d'instruction Valentin Lednikov, contraint de mener une investigation discrète hors de ses frontières. Et pas n'importe où : à Londres, où l'empoisonnement au polonium de l'agent double Litvinenko vient de susciter une paranoïa antirusse sans équivalent depuis la Guerre Froide... Et que certains services, peut-être, attisent délibérément. Prenant pour décor l'univers opulent et irréel des « nouveaux riches » russes contrastant violemment avec l'austérité d'un État qui lutte pour maintenir son statut de puissance, ce polar captive à plus d'un titre. On pourra y voir un SAS slave, avec ses belles plantes aux jambes interminables. Mais on y lira aussi une méditation sur la propagande et la manipulation digne des romans de Vladimir Volkoff. L'on y trouvera surtout un aperçu sociologique et humain d'un monde encore mal connu : la Russie post-soviétique. En cette année de la Russie, les éditions Xenia proposent la première traduction française d'un des auteurs les plus lus de ce pays. Faux crédits, contrats falsifiés, détournement de fonds budgétaires et blanchiment d'argent faisaient le quotidien de Mouromski, qui ne reculait devant rien pour s'enrichir. Et pourtant sa banque conservait une réputation irréprochable ! Il rapatriait régulièrement une partie de son argent à Madrid, où son épouse, complètement abasourdie par autant de richesses, oublia pour de bon les inclinaisons communistes de sa famille et se mit à acheter tout ce qui lui tombait sous la main..."

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  • Je me souviens du Général...

    Nous reproduisons ici un beau texte de Jérôme Leroy, mis en ligne sur Causeur, et consacré au général De Gaulle.

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    Je me souviens du Général

    Je me souviens d’un petit garçon au cours préparatoire. Il rentre chez lui tout seul. L’école n’est pas loin de son domicile et, dans ces années du monde d’avant, les enfants peuvent encore se promener seuls. C’est en novembre 1970. Deux hommes discutent gravement près d’une voiture (une Simca Aronde ? Des pneus bicolores, en tout cas…), garée sur le parking en face de chez lui
    – Alors, comme ça, Il est mort ?
    Le petit garçon ne comprend pas de qui il s’agit au juste mais il a l’impression bizarre d’entendre une majuscule mise au pronom personnel. Il me semble bien que le petit garçon, c’est moi.

    Je me souviens de la phrase mystérieuse de Malraux, parlant des gaullistes : « Entre les communistes et nous, il n’y a rien. » Que voulait-il dire ? Il y a trois possibilités.
    a)Entre les communistes et nous, il n’ y a rien de commun. Difficile à admettre, quand on pense à la Résistance et au CNR.
    b) Entre les communistes et nous, il n’y a aucune force politique digne de ce nom. C’est possible : la droite française qui n’était pas gaulliste, elle n’était pas franchement très nette. Se souvenir du temps, très long, mis par Giscard, Barre et Poniatowski, à réagir à l’attentat de la rue Copernic, par exemple. Et puis les socialistes, on sait ce que c’est. Vouloir vaseliner le capitalisme, ça n’a jamais donné un destin à un pays.
    c) Entre les communistes et nous, il n’y a rien qui nous oppose sur le fond. Quand je vois ce qu’est devenu le paysage politique aujourd’hui, je me dis que c’est sans doute cela que Malraux, l’ancien combattant des Brigades internationales, voulait dire. Il prévoyait sans doute l’époque où gaullistes et communistes seraient les derniers dinosaures républicains dans cette atmosphère ethnolibérale qui est, en France et en Europe, de plus en plus irrespirable aujourd’hui.

    Je me souviens en ayant lu De quoi Sarkozy est-il le nom ? de Badiou et de ses analyses sur le « transcendantal pétainiste » qui couraient à travers l’histoire de France de Thiers à nos jours, et m’être dit que c’était trop facile. Qu’il y avait aussi un transcendantal gaulliste qui consistait à être capable d’ouvrir le feu, même en position défavorable, au nom d’une idée supérieure qu’on se fait de la nation et de ce qu’elle suppose comme modèle de civilisation.
    Exemples de transcendantal gaulliste, hors son incarnation archétypale du 18 juin 40 : Vercingétorix à Gergovie, Jeanne d’Arc sous les murs d’Orléans, les soldats de l’an II encadrés par une poignée d’officiers aristocrates à l’assaut du moulin de Valmy, le colonel Rossel restant fidèle jusqu’à la mort au gouvernement de la Commune, le discours de Villepin à l’ONU de 2003, le référendum de 2005 sur la Constitution Européenne, le mouvement social de 2010. Le transcendantal gaulliste, ou le refus de la fatalité et du diktat des experts autoproclamés. Ils lui auraient donné assez peu de chances de réussir, à la bergère lorraine ou au général rebelle condamné à mort, tous nos spécialistes, analystes et commentateurs si brillamment médiatiques.

    Je me souviens de mon père qui me disait : « Le de Gaulle de 40 tant que tu veux, celui de 58 jamais. » Il avait voté non au référendum de 58. C’était même la première fois qu’il votait. Cette vieille dent des communistes contre la Cinquième République et l’élection du président au suffrage universel. Je n’ai jamais osé dire que le suffrage universel, c’était peut-être nous qui en profiterions un de ces jours. Ça s’était vu au Chili en 1971. Bon, ça s’était mal terminé deux ans plus tard, mais qui a dit que l’Histoire n’était pas tragique ? Pas De Gaulle en tout cas.

    Je me souviens d’avoir trouvé que l’exécution de Bastien Thiry, ça manquait de fair-play. On aurait bien aimé que général ait pour le lieutenant-colonel la clémence d’Auguste pour Cinna.

    Je souviens que le SAC, avant de devenir une banale milice électorale au service de la droite des années 1970 et de faire les beaux jours des films d’Yves Boisset, avait d’abord été une police parallèle de barbouzes républicaines, tous anciens résistants, pour protéger le Général des soldats perdus de l’OAS. Une époque de géants, tout de même, où il y avait comme l’écrit La Rochefoucauld : « des héros en Bien comme en Mal. »

    Je me souviens de La Boisserie, du champagne Drappier, des DS noires alors que j’espère assez vite oublier le cap Nègre, les Rolex et Carla Bruni.

    Je me souviens que De Gaulle à l’Elysée payait ses timbres de sa poche quand il envoyait ses vœux à ses proches. Ça fait sourire, non ? À moins que ça ne fasse pleurer.

    Je me souviens qu’en 1967, la France avait quitté l’OTAN depuis un an, s’apprêtait à rejoindre les non-alignés et que le général Ailleret était l’inspirateur de la doctrine « tous azimuts » qui consistait à pointer les missiles de notre dissuasion nucléaire vers l’Est ET vers l’Ouest. Je me souviens que le général Ailleret est mort dans un mystérieux accident d’avion à Tahiti en mars 68. Et que quelques semaines plus tard sont arrivés en Mai des événements qui ont arrangé tout le monde : les Américains, la droite affairiste pompidolienne qui ne voulait pas de la participation, les gauchistes qui voulaient la peau du PCF, les socialistes qui espéraient ramasser la mise.

    Je me souviens d’avoir acheté un CD avec les principaux discours de De Gaulle. Mon préféré : le discours de Phnom-Penh en 1966. Penser à donner le texte sans signature à quelques personnes pour faire une « dégustation à l’aveugle ». Et demander si c’est de Chavez, de Guevara ou de De Gaulle. Bien rigoler en entendant les réponses. Je me souviens que Frédéric Fajardie, ex du service d’ordre des Comités Viêt-Nam de Base, me racontait comment ils avaient eu, eux les maos, l’étrange impression d’être doublés sur leur gauche par le vieux général.

    Je me souviens du meeting lillois de la campagne de Chevènement en 2002, quand en première partie se sont succédé le député communiste du Pas de Calais qui était arrivé bleu de travail à l’Assemblée nationale quand il avait été élu député en 1997 et Pierre Lefranc, l’aide de camp du général de Gaulle. Le vieux cyrard et le prolo, ensemble contre l’Europe libérale.

    Je me souviens que j’ai toujours un petit coup au cœur quand je parcours la rubrique nécrologique des journaux et que je vois qu’un Compagnon de la Libération a encore tiré sa révérence.

    Je souviens d’avoir été tout de même un petit peu énervé quand j’ai vu et entendu les cris de cabris et les sauts d’orfraie, à moins que ce ne soit le contraire, de certains professeurs de lettres quand ils ont appris que Les Mémoires de Guerre étaient au programme des épreuves du bac de français. Ne pas voir qu’un incipit comme : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France » n’a rien à envier à Longtemps je me suis couché de bonne heure ou : « Aujourd’hui, maman est morte. », c’est à ces choses-là qu’on mesure les dégâts de décennies de pavlovisme pédagogiste.

    Je me souviens que les gens qui n’aiment pas De Gaulle (sauf ceux qui ont de bonnes raisons comme les Pieds Noirs et les Harkis) ont deux arguments : il a fait croire que toute la France était résistante. Quand bien même ce serait une fiction (mais il faudra l’expliquer aux derniers Français libres vivants), c’est une fiction qui a changé le réel et nous a évité de passer sous administration américaine. C’est donc une fiction qui a réussi. Ce qui est une bonne définition de la politique. Et aussi, qu’il aurait entretenu la France dans l’idée qu’elle était encore un grand pays alors que ce n’était plus qu’une puissance moyenne.
    Qu’ils se rassurent, ceux-là, qui aiment l’automutilation décliniste tant qu’elle ne gêne pas leur hédonisme libéral libertaire, ils finissent par avoir raison ces temps-ci. Plus le gaullisme disparaît comme force politique opérante, plus la France ressemble à une petite Autriche hargneuse et névrosée, à un pays de vieux et à une remorque atlantiste des USA, qui va bricoler ses nouvelles bombes avec le Royaume Uni, ce porte-avion de Washington.

    Je me souviens que Dominique de Roux écrivait dans L’écriture de Charles de Gaulle, en 67 : « La mission actuelle de la France, l’accomplissement final du destin gaulliste, c’est de faire que la troisième guerre mondiale se porte, non pas sur le plan de la dévastation, mais sur le plan du salut, non pas sur le plan d’un embrasement universel, mais sur celui de la pacification. »

    Je me souviens que si je n’avais pas été communiste, j’aurais été gaulliste.

    Jérôme Leroy (Causeur, 11 novembre 2010)

     

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  • Homo americanus...

    Les éditions Akribéia viennent de publier Homo americanus, un essai de Tomislav Sunic, intellectuel croate, ancien professeur de sciences politiques au Juniata college de Pennsylvannie et ancien diplomate, déjà auteur de nombreux ouvrages en langue anglaise et en langue croate. L'auteur, qui a pu comparer les turpitudes des systèmes communiste et capitaliste, est un observateur particulièrement lucide et averti du politiquement correct.

     

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    « Ayant vécu sous le communisme et possédant une connaissance directe du fonctionnement de la terreur d’État, Tomislav Sunic se trouve dans une position unique pour décrire le glissement actuel de l’Amérique vers ce qu’il qualifie à juste titre de “totalitarisme mou”. Ce régime se maintient moins par la force brutale que par une campagne incessante, extrêmement sophistiquée et prodigieusement efficace qui vise à contenir l’activité politique et culturelle dans des limites très étroites. Les dissidents ne sont pas jetés en prison ou frappés à l’aide de matraques, mais sont tranquillement ignorés et marginalisés » (extrait de l’avant-propos de K. MacDonald).
    Au sommaire : Américanisme et antiaméricanisme. — Homo sovieticus et Homo americanus. — Les origines du « «politiquement correct » et le rôle de l’Amérique dans son perfectionnement. — Les origines bibliques du fondamentalisme américain. — Nous croyons en Yahvé : une politique étrangère divine. — La post-Amérique et la postmodernité. — L’exit des Euro-Américains. — L’étrangeté de la démocratie américaine.

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  • La voie stratégique n°2

    Le deuxième numéro de la revue La Voie Stratégique est en kiosque. On y trouvera notamment un article sur la situation géopolitique de la Turquie, un dossier sur le service médical au combat et un entretien avec Jean-Dominique Merchet, "pacha" du blog Secret défense, à propos des forces spéciales ainsi que de nombreuses autres rubriques ! 

     

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  • Obama s'en va-t-en guerre !...

    Les éditions La Fabrique viennent de publier un essai polémique de Tariq Ali, intitulé Obama s'en va-t-en guerre. L'auteur, historien et publiciste de gauche, britannique d'origine pakistanaise, est un observateur critique de l'impérialisme américain.

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    "La page semblait tournée. Le monde presque entier pensait que l’élection de Barack Obama allait marquer la fin de l’arrogance et de la brutalité, que la parenthèse honteuse de l’ère Bush allait se refermer. Qu’on allait enfin retrouver une Amérique ambitieuse mais pacifique, ferme mais généreuse. Deux ans plus tard, les geôles de Guantanamo sont encore pleines, l’Irak est toujours occupé et la « lutte contre le terrorisme », qui continue de ravager l’Afghanistan, s’étend peu à peu au Pakistan voisin. Les faucons israéliens progressent chaque jour dans leur politique coloniale avec le soutien américain. Bref, comme le montre Tariq Ali, c’est la politique de Bush qui continue, et les seuls changements sont dans le vocabulaire utilisé : le cynisme s’est mué en hypocrisie.
    À l’intérieur, la fameuse réforme du système de santé n’a été adoptée que vidée de son contenu, et s’est transformée en cadeau aux compagnies d’assurances.
    Derrière son masque noir, Obama dévoile progressivement sa vraie nature, celle d’un politicien habile et opportuniste, qui prolonge la ligne impériale américaine."

     

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  • Cet infracassable noyau de nuit...

    Dans notre rubrique Achives, nous reproduisons ici  un éditorial de la revue Eléments sous la plume de Robert de Herte (alias Alain de Benoist), qui introduisait un dossier consacré à la sexualité.

     

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    Cet infracassable noyau de nuit….

    De l’érotisme, qualité proprement humaine qui fait emprunter au désir sexuel le canal de l’inventivité mutuelle, il n’existe pas de définition véritablement satisfaisante. L’érotisme n’est pas le contraire de la pudeur, qui n’a de sens que pour autant qu’elle rend désirable. Il n’est pas non plus le contraire de la pornographie, qui ne redevient elle-même suggestive (c’est son grand avantage) que lorsque, montrant absolument tout, elle révèle du même coup qu’il n’y a rien à voir. Du reste, D.H. Lawrence avait déjà tout dit quand il dénonçait l’hypocrisie d’une société qui condamne la pornographie tout en restant aveugle sur sa propre obscénité. N’importe quel discours publicitaire, n’important quel discours relevant de la logique du marché, aujourd’hui, est assurément plus obscène qu’un vagin ouvert photographié en gros plan.

    Pendant des siècles, l’érotisme a été dénoncé comme contraire aux « bonnes mœurs » parce qu’en excitant les passions sensuelles, il contredisait une morale fondée sur la dévalorisation de la chair. Contrairement à d’autres religions, le christianisme a toujours été incapable de produire une théorie de l’érotisme, non qu’il ait jamais ignoré le sexe, mais au contraire parce qu’il en a fait une obsession négative. Passé le temps des martyrs, l’abstinence devint la marque de la vie dévote et la sexualité le domaine d’élection du péché. L’activité sexuelle, regardée comme un pis-aller, n’était plus admise que dans le cadre conjugal. L’Eglise condamnait une sexualité déconnectée de la seule visée procréative, tout en cultivant l’idéal virginal d’une procréation sans sexualité. Raison pour laquelle, sans doute, le discours sur le sexe est si longtemps resté purement littéraire, médical ou simplement vulgaire – bien qu’il soit révélateur que, de tout temps, le nu ait servi de base à l’enseignement des beaux-arts, comme étant le plus approprié à former à la catégorie du beau.

    La modernité naissante a ensuite entrepris un vaste travail de désymbolisation, dont l’érotisme a été la victime. Se fondant sur une idée de l’être humain comme individu autosuffisant, elle s’interdisait déjà par là de penser une différence sexuelle qui, par définition, implique l’incomplétude et la complémentarité. La péjoration des passions et des émotions, supposées génératrices de « préjugés », a d’autre part accompagné la montée en puissance de l’individu au profit du rationalisme scientiste. L’intelligence sensible – celle du corps – s’est alors trouvée dévaluée, soit comme porteuse de pulsions « archaïques », soit comme émanant d’une « nature » dont l’homme, pour devenir proprement humain, était appelé à s’émanciper. La modernité, enfin, a systématiquement reconverti l’intérêt en besoin, et le besoin en désir. Sans voir que le désir ne se ramène précisément pas à l’intérêt.

    Auteur d’une belle Anthologie historique des lectures érotiques, Jean-Jacques Pauvert estime qu’« en l’an 2000, malgré les apparences, il n’y a plus guère – ou plus du tout – d’érotisme. Cette parole d’expert peut surprendre. Elle ne fait en réalité que constater que l’érotisme, hier bridé par une censure qui le vouait à la clandestinité et à l’interdit, est aujourd’hui très exactement menacé par son contraire.

    De même que la surabondance d’images empêche de voir, et que la grande ville est en fait un désert, le sexe assourdissant devient inaudible. L’omniprésence des représentations sexuelles enlève à la sexualité toute sa charge. Contrairement à ce que s’imaginent les réactionnaires pornophobes, héritiers du nouvel ordre mondial reagano-papiste, elle tue l’érotisme par excès, au lieu de le menacer par défaut. C’est là encore un effet de la modernité. Le procès moderne d’individualisation a en effet abouti, d’abord à la constitution de l’intimité, puis au renversement dialectique de l’intimité dans l’exhibition de soi au nom d’un idéal de transparence. Ce passage de l’intimité à l’exhibitionnisme (pris comme « témoignage », et donc critère de vérité) est parfaitement illustré par l’émission de « télé-réalité » Loft Story, image fidèle, concentré spéculaire (et crépusculaire) de la société actuelle, qui ne force le trait que pour mieux en faire apparaître les lignes de force : voyeurisme pauvre et niaiserie consensuelle, huis clos programmé par la loi de l’argent, exclusion interactive sur fond d’insignifiance absolue. Que les foules soient fascinées par ce miroir qu’on leur tend n’a rien pour surprendre : elles y voient en petit ce qu’elles vivent tous les jours en grand.

    Le sexe est aujourd’hui convié à se mettre au diapason de l’esprit du temps : humanitaire, hygiéniste et technicien. La normalisation sexuelle trouve des formes nouvelles, qui ne cherchent plus à réprimer le sexe mais à en faire une marchandise comme les autres. La séduction, trop compliquée, devient une perte de temps. La consommation sexuelle doit être pratique, performante et immédiate. Objet machinal, corps-machine, mécanique sexuelle : la sexualité n’est plus qu’un affaire de recettes « techniques » au service d’une pulsion scopique de la quantité. Dans le monde de la communication, le sexe doit cesser d’être ce qu’il a toujours été : semblance de communication d’autant plus délectable qu’elle s’inscrit sur fond d’incommunicabilité. Dans un monde allergique aux différences, qui à bien des égards a reconstruit socialement et culturellement le rapport des sexes sous l’horizon d’un dimorphisme sexuel atténué, et qui s’entête à voir dans les femmes des « hommes comme les autres », alors qu’elles sont en réalité l’autre de l’homme, il faut qu’il n’« aliène » plus, alors qu’il est un jeu d’aliénations volontaires. Le désir politiquement correct de supprimer le rapport de forces qui s’établit tantôt au bénéfice de l’un des sexes et tantôt de l’autre, dans une conversion mutuelle, tue ainsi l’érotisme, car il n’y a pas de rapport amoureux qui se déploie dans une plate égalité, mais seulement dans une joute, une instable inégalité qui permet le retournement de toutes les situations. Le sexe n’est que discrimination et passion, attirance ou rejet également excessifs, également arbitraires, également injustes. En ce sens, il n’est pas exagéré de dire que le véritable érotisme – sauvage ou raffiné, barbare ou ludique – reste plus que jamais un tabou.

    La volonté de supprimer la transgression tue pareillement l’érotisme. Car il y a bien des normes en matière sexuelle, comme il y en a en toutes choses. L’erreur est de croire que ce sont des normes morales, l’autre erreur étant de s’imaginer que n’importe quelle conduite peut être érigée en norme, ou que l’existence d’une norme délégitime du même coup ce qui est hors-normes. L’érotisme implique la transgression, pour autant que cette transgression reste possible sans cesser d’être transgression, c’est-à-dire sans être posée comme norme.

    Entre les « jeunes des cités » pour qui les femmes ne sont que des trous avec de la viande autour, les suceuses professionnelles aux formes siliconées et les magazines féminins transformés en manuels de sexologie pubo-coccygienne, l’érotisme apparaît ainsi verrouillé de toutes parts. Les jeunes, en particulier, doivent faire face à une société qui est à la fois beaucoup plus permissive et beaucoup moins tolérante que par le passé. De même que la domination débouche en général sur la dépossession, la prétendue libération sexuelle n’a finalement abouti qu’à de nouvelles formes d’aliénation. Mais le sexe, parce qu’il est avant tout le domaine de l’incertitude et du trouble, se dérobe toujours à la transparence. L’exhibitionnisme le rend plus opaque encore que la censure, car à ce désir de transparence il répond toujours par la métaphore. A la mise en lumière sous les projecteur, le monde du sexe oppose, heureusement, ce qu’André Breton appelait son « infracassable noyau de nuit ».

     

    Robert de Herte (Eléments 102, septembre 2001)

     

     

     

     

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