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  • Un autre regard sur la question sociale...

    Les éditions Synthèse nationale viennent de publier un essai de Georges Feltin-Tracol intitulé Pour la troisième voie solidariste Animateur du site de réflexion non-conformiste Europe Maxima et rédacteur en chef de la revue Réfléchir&Agir, Georges Feltin-Tracol est notamment l'auteur de Bardèche et l'Europe (Bouquins de Synthèse nationale, 2013), de En liberté surveillée - Réquisitoire contre un système liberticide (Bouquins de Synthèse nationale, 2014), de Thierry maulnier, un itinéraire singulier (Auda Isarn, 2014), de Éléments pour une pensée extrême (Éditions du Lore, 2016) ou de L'Europe, pas le monde - Un appel à la lucidité (Éditions du Lore, 2017).

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    " Au début du XXIesiècle, dans une France à la fois bloquée par des syndicats officiels minoritaires, défigurée par de hauts-fonctionnaires bureaucrates et soumise aux injonctions voraces des firmes transnationales, la question sociale reste d’une brûlante actualité et se découvre complémentaire avec l’enjeu écologique et l’impératif identitaire.

    Pendant qu’un étatisme collectivisant gaspille les ressources nationales et les offre aux oligarchies cosmopolites, les prescripteurs d’opinion valorisent toujours l’horreur libérale et célèbrent un étatisme néo-libéral largement intrusif dans la vie privée des habitants.

    Georges Feltin-Tracol récuse autant le mirage collectiviste que le remède étatiste et les illusions libérales. Il propose au contraire de renouer avec la vieille tradition française de la troisième voie. Celle-ci se présente sous différentes facettes (le gaullisme de gauche, les solidarismes, l’approche socio-économique du frontisme à certains moments de son histoire, etc.). 

    À la fois ouvrage d’histoire des idées politiques contemporaines et approche raisonnée de certaines solutions d’ordre coopératif, Pour une troisième voie solidariste remet à l’honneur des réflexions économiques et sociales plus que jamais anticonformistes. "

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  • Un populisme vertueux comme alternative au capitalisme destructeur ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Renaud Beauchard au Figaro Vox à l'occasion de la sortie de son essai intitulé Christopher Lasch - Un populisme vertueux (Michalon, 2018).

     

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    « Pour Christopher Lasch, l'alternative au capitalisme destructeur est un populisme vertueux »

    LE FIGARO.- Vous consacrez un essai à l'historien et sociologue Christopher Lasch, connu pour sa critique fondamentale du progressisme. Qu'est-ce que reproche Lasch à l'idée de Progrès?

    Renaud BEAUCHARD.- Lasch concevait le progrès comme le chas d'aiguille par lequel la rationalité abstraite du capitalisme est venue envahir tous les aspects de notre existence pour nous placer en état de banqueroute émotionnelle. Selon lui, l'idée de progrès se caractérise par deux composantes appartenant indissolublement à la même séquence historique engagée depuis le XVIIIe siècle. D'un côté, il implique la levée de la condamnation morale de l'insatiabilité des désirs humains en tant que garantie de l'émancipation des liens de dépendance étroits des communautés familiales, claniques, villageoises ou de quartier, qui corsetaient ces désirs. De l'autre, cette offensive contre toutes les formes d'autorité traditionnelle, qui encourageait, tout au moins au début, l'esprit critique et l'émancipation individuelle, s'est trouvée accompagnée de la création d'un marché universel de marchandises censé garantir le développement d'un progrès technique sans horizon temporel limité et l'accès de tous à un éventail de choix jadis réservé aux privilégiés. Mais, par une ruse de la raison, loin d'aboutir à un raffinement sans cesse croissant des goûts et des plaisirs, les effets de ce marché universel furent au contraire un rétrécissement de l'imaginaire émancipateur et une homogénéisation des modes de vie dans une société de plus en plus soumise au règne de l'abstraction capitaliste.

    En conclusion, le progrès a produit une catastrophe anthropologique en sécrétant un type de personnalité, le Narcisse, un type d'être à la mentalité servile et foncièrement dépendant du marché - nourricier- à la consommation. En somme, c'est sur la pente d'une nouvelle société hétéronome que nous a conduits le progrès.

    Quelles sont les caractéristiques de cette nouvelle personnalité issue des sociétés progressistes?

    La culture du narcissisme est une métaphore de la situation de l'individu contemporain aux prises avec un monde qu'il ne comprend plus et dont l'effondrement ne cesse de le préoccuper quotidiennement. Comme l'enfant en bas âge qui développe des défenses inconscientes contre les sentiments de dépendance impuissante de la petite enfance, au moment où celui-ci réalise qu'il est séparé de son environnement et que les êtres qui l'entourent sont dotés d'une existence séparée de la sienne et frustrent ses désirs autant qu'ils les satisfont, Narcisse est inconsciemment tenté de se réfugier dans un déni de la réalité du monde extérieur qui peut prendre deux formes: soit une tentative de retour à un sentiment primitif d'union avec le monde (symbiose régressive ou fusion avec la nature du gnosticisme New Age), soit une illusion solipsiste d'omnipotence qui procède d'un refus de reconnaître la moindre limite à sa toute-puissance et dégénère dans le solutionisme technologique pour paraphraser Evgueni Morozov. La culture du narcissisme fait donc référence à la culture sécrétée par la société, la façon dont les institutions (la famille, l'école, la psychothérapie, la justice, le journalisme etc.) se spécialisent dans la production de la personnalité narcissique en tout point nécessaire au capitalisme contemporain et qui le soutient en retour.

    Il faut bien se garder d'analyser le narcissisme comme une affirmation du moi, mais au contraire, comme un moi minimal, «un moi de plus en plus vidé de tout contenu, qui est venu à définir ses buts dans la vie dans les termes les plus restrictifs possible, en termes de survie pure et simple, de survie quotidienne.». Il s'agit d'une véritable aliénation au sens où l'entend Renaud Garcia, d'«une forme totale de dépossession de la subjectivité vivante, qui intervient lorsque les différents «savoirs de la vie» [aimer, dialoguer, habiter, manger, cuisiner, jouer, se soigner etc.] se trouvent transférés sur un plan abstrait, où seule compte la logique d'accumulation de la valeur en fonction de procédures techniques normées» (indicateurs de performance, bilan de santé etc.). Ainsi, tout comme le travailleur de l'industrie a été resocialisé pour que la belle ouvrage n'existe plus dans sa conscience, pour qu'il perde de vue le rapport entre la tâche qu'il accomplit dans le processus de production et le résultat final et n'ait plus à se soucier que du regard du contremaître ou des moyens d'enregistrement de plus en plus sophistiqués de sa performance, l'individu contemporain est exproprié de sa capacité à faire usage de ses sens pour trouver la moindre cohérence au monde qui l'entoure. Le narcissisme est donc l'appauvrissement de la vie intérieure qui survient après l'effondrement du monde commun.

    Quelle est la conséquence de cette «culture du narcissisme»?

    La conséquence la plus problématique de l'apparition de ce type de personnalité réside dans le déclin du surmoi entraîné par la dévalorisation des figures traditionnelles de l'autorité et son remplacement par une forme de surmoi archaïque et sévère qui n'est plus tempéré par des figures des parents, de la famille élargie ou du quartier auxquelles l'individu peut s'identifier. Narcisse intègre directement dans sa psyché la figure de l'État surpuissant en guise de représentation de l'autorité et celle du marché nourricier à la consommation en tant que représentation de l'amour. De façon encore plus dérangeante, la disparition du surmoi convoque une violence autrefois enfermée dans des rituels, comme l'ont très bien montré l'affaire Weinstein et les tueries de masse qui ponctuent l'actualité .

    Lasch a parlé de «révolte des élites». Pouvez-vous nous expliquer ce qu'il entendait par là?

    S'inspirant de La révolte des masses d'Ortega Y Gasset, Lasch estimait que les élites technocratiques contemporaines présentent les mêmes traits que ceux qu'Ortega avait identifiés chez l'homme de masse: optimisme béat dans l'avenir d'un monde promettant toujours plus d'abondance matérielle, culte de la forme physique, haine mortelle de tout ce qui n'est pas lui-même, incapacité d'émerveillement ou de respect, obsession de la santé mentale…

    Selon Lasch, l'apparition de ces nouvelles élites est l'aboutissement du choix funeste qu'a fait l'Amérique, dès la fin du XIXe siècle lorsque, se convertissant au salariat, elle a abandonné l'idéal d'une société sans classe, reposant sur la propriété individuelle des moyens de production et l'idéal d'individus aptes à l'autogouvernement, au profit de la mobilité sociale ascendante et la méritocratie, reposant sur la maîtrise du savoir. Lasch voyait en effet dans le salariat l'institution qui séparait le savoir, désormais devenu le monopole d'une «minorité civilisée», de la vie ordinaire et partant, consacrait le renoncement à un idéal de démocratisation de l'intelligence. En somme, il s'agissait de la répétition au Nouveau Monde des systèmes de dépendance européens que les colons avaient fui en choisissant l'émigration.

    Les élites placées du bon côté de ces cartes rebattues n'ont alors eu de cesse de refaçonner les institutions (administration publique, éducation et enseignement supérieur, services sociaux, journalisme, bureaucratie des grandes entreprises, définition du succès social etc.) dans le sens d'un séparatisme croissant entre elles et le reste de la population jusqu'à aboutir à deux mondes hermétiquement cloisonnés par des diplômes, des codes culturels abstraits et sans cesse changeants, et de plus en plus géographiquement ségrégués (les communautés de succès situées le long des côtes et l'Amérique au milieu avec des zones tampons en périphérie des grands centres urbains). Dénonçant «l'esprit de clocher» de cette élite mondialisée repliée sur elle-même, Lasch distingue ses premiers signes de sécession dès la conclusion de l'ère «progressiste» (1880-1920), lorsqu'elle a commencé à entretenir vis-à-vis des classes populaires une sorte de posture de ressentiment, allant du style de la satire sociale et anthropologique initié par H.L. Mencken dans les années 1920, dans lequel l'intellectuel «libéral» se pensait comme le représentant d'une «minorité civilisée», traitant la vox populi comme le «braiment d'un âne», jusqu'à Hillary Clinton et son «ramassis d'abrutis» (basket of deplorables). L'exemple le plus frappant de cette séparation est sans doute donné par Thurman Arnold, le grand juriste du New Deal, qui encourageait à penser l'État providence sur le modèle d'un asile d'aliénés devant traiter les gouvernés comme des «malades mentaux», et qui encourageait les administrateurs à prendre des décisions pour eux sans égard à «leurs effets sur le caractère des bénéficiaires».

    Vous définissez de «populisme vertueux» l'alternative, fondée sur un renouvellement de la tradition du républicanisme civique, proposée par Lasch, à la modernité libérale. En quoi «populisme» et «vertu» sont-ils dans l'esprit de Lasch, liés?

    Tout comme, paraphrasant Castoriadis, «le capitalisme n'a pu fonctionner que parce qu'il a hérité d'une série de types anthropologiques [et de valeurs] qu'il n'a pas créés et n'aurait pas pu créer lui-même», Lasch estime que la modernité libérale a vécu à crédit sur un capital emprunté à une vieille tradition de Républicanisme civique héritée d'Aristote, des cités italiennes du Moyen Âge et de la Renaissance et qui tenait le haut du pavé au moment de la fondation de la nation américaine. Elle postule que la liberté politique ne se résume pas à de bons arrangements institutionnels mais exige aussi des bonnes mœurs, c'est-à-dire des citoyens dénués d'une mentalité servile et aptes à former des communautés autogouvernées. Or, en fondant une société indifférente au «caractère» de l'individu démocratique, la logique libérale a invalidé tout autre contenu éthique que la tolérance et a fini par rendre impossible tout questionnement public sur les qualités intrinsèques de l'individu démocratique et ce qu'est un mode de vie démocratique. Il en résulte «une forme rudimentaire de vie commune incompatible avec les ambitions élevées des pères fondateurs d'hommes capables de se gouverner eux-mêmes», un «souci obsessionnel de l'estime de soi» et une «approche touristique de la morale» fondée sur un culte de la victime.

    Seule une tradition «populiste» comprenant les mouvements de petits producteurs de la seconde moitié du XIXe siècle en lutte contre le salariat, les premiers mouvements féministes et le mouvement des droits civiques ont tenté de perpétuer une conception exigeante de la démocratie faisant des valeurs de gratification différée, d'esprit de sacrifice, d'éthique protestante, d'ardeur au débat, etc., sur lesquelles étaient basées le respect de soi, les piliers de la démocratie américaine. Mais tout comme la destruction créatrice a fini par avoir raison du seul type anthropologique créé par le capitalisme, l'entrepreneur schumpetérien, l'éthique de la tolérance, en prônant un droit de tous sur tout, a entraîné la dégénérescence de la culture de l'individualisme compétitif dans la recherche effrénée de plaisir psychique pour nous ramener au point de départ que la modernité s'est employée à conjurer: la guerre de tous contre tous. Face à cette situation, Lasch en appelle à une revalorisation de la conception populiste de la démocratie fondée sur le respect, valeur ancrée dans l'héritage civique, «que nous éprouvons en présence de réussites admirables, de caractères admirablement formés, de dons naturels mis à bon usage» et qui implique «l'exercice d'un jugement discriminant et non d'une acceptation indiscriminée».

    Quelle place tient la culture protestante dans ce populisme vertueux? Est-il possible de renouer avec cet esprit dans une société fermée à toute forme de transcendance?

    Lasch n'a jamais fait mystère de sa dette envers l'héritage protestant et l'étude de la théologie protestante dans la formulation de sa philosophie de l'espérance. Ce que lui ont apporté des théologiens comme Jonathan Edwards ou Reinhold Niebuhr, et des penseurs comme Emerson ou William James peut être résumé dans l'idée que l'espérance est la prédisposition mentale de ceux qui persistent à vouloir croire, envers et contre tout, dans l'infinie bonté de la vie, même en présence des preuves du contraire, et «dans la justice, la conviction que l'homme mauvais souffrira, que les hommes mauvais retrouveront le droit chemin, que l'ordre qui sous-tend le cours des évènements n'a rien à voir avec l'impunité».

    Et il n'est pas anodin que, se sachant condamné, Lasch ait consacré les deux derniers chapitres de son dernier livre à la religion dans lesquels il rappelle que, face à l'hybris technologique et l'illusion de la maîtrise totale, seule une vision religieuse de l'existence nous rappelle à notre nature divisée d'être «dépendant de la nature et en même temps incapable de la transcender», d' «humanité oscill[ant] entre une fierté transcendante et un sentiment humiliant de faiblesse et de dépendance». À l'opposé de l'obsession de la certitude au détriment de la réalité du monde des démiurges de la Silicon Valley ou des gnostiques New Age, Lasch écrit que c'est «à la croyance douillette d'une coïncidence entre les fins du Tout-Puissant et nos fins purement humaines que la foi religieuse nous demande de renoncer». Seul ce sens des limites peut nous amener à réinvestir le monde par une «activité pratique qui lie l'homme à la nature en qualité de cultivateur soigneux». En d'autres termes, en fondant une éthique de l'attention au monde, comme nous y exhorte Matthew Crawford, sans doute le continuateur le plus juste de l'œuvre de Lasch.

    Lasch est mort en 1994. Y avait-il dans ses écrits quelque prescience de l'émergence d'un populisme trumpiste qui serait le retour de balancier du progressisme et de la sécession des élites?

    Lasch avait très bien analysé avant la lettre le phénomène Trump au travers de la nouvelle droite, ou conservatisme de mouvement, incarnés successivement par Barry Goldwater ou Reagan. Tout comme ces derniers, Trump est parvenu à formuler un récit bien plus cohérent qu'il n'y paraît à partir de questions comme la crise des opiacés, les délocalisations, l'immigration, la menace chinoise et à s'en servir pour «diriger le ressentiment “petit bourgeois” à l'endroit des riches vers une “nouvelle classe” parasitaire constituée par des spécialistes de la résolution des problèmes et des relativistes moraux», afin d'en appeler aux «producteurs de l'Amérique» à se mobiliser autour de leur «intérêt économique commun» pour «limiter le développement de cette nouvelle classe non productive, rapace».

    Ainsi, concluait Lasch, le grand génie de la nouvelle droite était d'avoir retourné à son profit «les classifications sociales imprégnées de la tradition populiste - producteurs et parasitaires- et à les mettre au service de programmes sociaux et politiques directement opposés à tout ce que le Populisme avait toujours signifié». La différence est que Reagan est arrivé à la Maison Blanche au début de la contre-révolution monétariste, qui inaugurait la spécialisation de l'économie US dans le recyclage des surplus de la planète, alors que Trump arrive à un moment ou cette politique ininterrompue depuis la fin des années 1970 ne laisse qu'un champ de ruines, ce qui explique leurs divergences sur la question du commerce international. L'élection de Reagan était concomitante de l'entrée des États-Unis dans la période d'exubérance financière que connaissent tous les centres de l'économie-monde lorsqu'ils entament une phase de financiarisation, alors que celle de Trump est intervenue près de 10 ans après le début de la crise terminale de ce que Giovanni Arrighi appelait le long vingtième siècle ou siècle américain. Mais sur le fond, Trump n'est qu'un avatar actualisé de Reagan, allant d'ailleurs jusqu'à reprendre exactement le même slogan que ce dernier dans sa campagne victorieuse de 1980.

    Comment est-reçu Lasch aujourd'hui aux États-Unis? Le mouvement «sanderiste» qui prône le retour à une forme de socialisme démocratique, l'invoque-t-il?

    Récupéré sélectivement par des idéologues aux marges du parti républicain, comme Steve Bannon, qui a fait de La révolte des élites un de ses livres de chevet, Lasch est pour l'essentiel absent du paysage intellectuel engagé à gauche, à l'exception de The Baffler dans lequel officient des auteurs comme George Scialabba ou Thomas Frank. Il est tout aussi ignoré par les mouvements regroupés autour de Sanders, en raison de sa critique du progrès, qui le rend inaudible à leurs oreilles, et de leur tropisme en faveur d'une social-démocratie scandinave. C'est regrettable, car Lasch incarne un vrai socialisme à l'américaine, une sorte de proudhonisme américain, qui exhorte la gauche à chercher à s'allier, non pas avec les «médias de masse et les autres entreprises d'homogénéisation culturelle, ni avec la vision d'une société sans pères, et sans passé […] mais avec les forces qui, dans la vie moderne, résistent à l'assimilation, au déracinement et à la “modernisation forcée”». Mais, paraphrasant Simon Leys à propos d'Orwell, la gauche américaine, en persistant dans sa béatitude progressiste et sa perception simpliste et commode du capitalisme comme un système patriarcal, vertical et autoritaire, ne fait au fond que reproduire avec Lasch les mêmes erreurs qui l'ont poussée régulièrement à se laisser scandaleusement confisquer ses plus puissants penseurs.

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  • L'âme désarmée...

    Les éditions Les Belles Lettres viennent de rééditer dans une version complète un essai d'Allan Bloom intitulé L'âme désarmée - Essai sur le déclin de la culture générale, initialement publié en 1987. Philosophe, élève de Leo Strauss, et grand défenseur de la culture classique, Allan Bloom, mort en 1992, a enseigné dans plusieurs universités prestigieuses aux Etats-Unis.

     

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    " L’université : est-il possible en un mot de faire lever plus de prestiges ? Il s’agit bien du centre de l’Occident, parce que l’Université est le cœur des démocraties. Allan Bloom balaie ces prestiges, ces mirages : narcissisme, nihilisme, relativisme paralysant, « créativité » stérile. Fait-il le procès de l’Amérique ? Il l’aime, mais craint pour son avenir, et pour le nôtre. Fait-il le procès de la jeunesse ?
    Il l’aime avec une générosité et un discernement peu communs, mais son anxiété croît : ces dernières décennies ont vu se répandre, en Europe non moins qu’aux États-Unis, un style d’éducation et un mode de vie qui tendent à rendre les jeunes gens et les jeunes filles de plus en plus incapables de faire face noblement, intelligemment ou même raisonnablement aux grands faits de la vie humaine : l’amour, la famille, la citoyenneté, la recherche de la vérité.
    Allan Bloom nous redonne accès à ce très proche trésor que les universités soucieuses d’« utilité » et de « scientificité », que les Églises ivres de popularité et d’« ouverture » ont mis sous le boisseau : notre âme. Elle est le seul sujet de ce livre profond.
    Publié en anglais en 1987 (The Closing of the American Mind), l’ouvrage a été traduit en français dès sa parution, dans une édition amputée de l’essentiel de sa troisième partie. Le voici proposé dans une traduction intégrale. "

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  • On ne débat plus, on exécute !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de la démographe Michèle Tribalat, cueilli sur son site personnel et consacré aux procès en légitimité faits par l'intelligentsia progressiste à deux auteurs qui dérangent, Stephen Smith, auteur de La ruée vers l'Europe (Grasset, 2018) et Christophe Guilluy, qui vient de publier No society (Flammarion, 2018).

    Ancienne directrice de recherche à l’INED (Institut national des études démographiques), Michèle Tribalat a été membre du Haut Conseil à l’Intégration et a publié plusieurs livres remarqués dont Les Yeux grands fermés (Denoël, 2009) et Assimilation : la fin du modèle français (Toucan, 2013).

     

     

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    On ne débat plus, on exécute

    Une constante des liquidations professionnelles en sciences sociales est le mélange d’attaques personnelles – on s’en prend à l’auteur, on se livre à une analyse psychologique et idéologique de l’auteur, de son passé, de penchants politiques dont il n’est pas forcement conscient lui-même – et de critiques qui, pour être percutantes, nécessitent de faire des raccourcis ou une lecture partielle, parfois des démonstrations frauduleuses. Au mieux, on le taxe d’imprudence, au pire on l’accuse de faire le jeu du camp du mal et des heures les plus sombres qui ne sont pas toutes derrière nous.

    Deux affaires récentes racontent le règlement de compte de deux gêneurs, Stephen Smith et Christophe Guilluy. Le premier a écrit un livre traitant de l’avenir des migrations subsahariennes qui a rencontré un gros succès - La ruée vers l’Europe : La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent. Le second vient de publier No Society, la fin de la classe moyenne occidentale, dont certains commentaires laissent à penser qu’il n’a pas été vraiment lu. C’est le cas lorsqu’on lui attribue l’expression « ancienne classe moyenne blanche » qui n’apparaît jamais dans son livre (Libération, 15 octobre 2018).

    Dans ces deux affaires, un procès en légitimité est fait aux auteurs qui, contrairement à ceux qui les ont pris en grippe, n’auraient pas les compétences nécessaires pour traiter les sujets qu’ils abordent.

    Deux solutions pour liquider professionnellement un gêneur : ou on y va seul, mais soutenu par des titres qui rendent la contestation quasiment impossible aux yeux du grand public ou des journalistes, ou, n’écoutant que son courage, on chasse en groupe et on se met à plusieurs pour revendiquer les compétences dont manquerait le fauteur de trouble.

    Le cas de Stephen Smith relève du premier cas. Le démolisseur, François Héran, est présenté, à tour de rôle ou en même temps, comme philosophe, anthropologue,  sociologue ou démographe, sans oublier ses titres académiques : directeur de l’Ined pendant 10 ans, fraîchement nommé professeur au Collège de France et directeur du tout récent Institut Convergences sur les migrations. Avec tout ça, il ne peut que parler d’or. C’est le syndrome Mister Chance. Si l’on y ajoute le fait que la première salve a été tirée dans une revue de réputation scientifique – Population & Sociétés, le quatre pages de l’Ined – l’effet médiatique est assuré. En effet, le plan de bataille a consisté à frapper fort sur le terrain scientifique, puis à finir le travail dans la presse ou sur internet. Le timing est impeccable. Et si l’accusé se rebelle, l’accusateur est à peu près sûr d’avoir le dernier mot ; un journal ne se risquerait pas à refuser ses pages à un aussi grand savant. Sans compter la reprise en boucle sur internet. Aucun décodeur donc pour voir si la réfutation, dénommée scientifique avec une certaine emphase par son auteur et ceux qui le répètent sans en connaître, tient la route. Pas même les décodeurs du Monde qui titra le 12 septembre 2018 sur la réponse des démographes, comme si un homme aussi prestigieux – « sociologue, anthropologue et démographe, meilleur spécialiste du sujet »- ne pouvait qu’entraîner l’ensemble de la profession derrière lui. Il faut dire, à la décharge du Monde, que la publication dans la supposée très sérieuse revue Population & sociétés de l’Ined peut le laisser croire.

    Le succès provient d’abord de la satisfaction idéologique procurée par la dénégation d’un risque de migrations massives en provenance de l’Afrique. Ouf ! On croit tenir là un argument scientifique à opposer aux prophètes de malheur. Une lecture attentive et critique est alors impossible, y compris par les chercheurs en sciences sociales qui en auraient les moyens et dont c’est la mission. C’est ainsi que la sociologue Dominique Méda répondit ceci à Guillaume Erner, l’animateur des Matins de France Culture, qui l’interrogeait lundi 15 octobre sur la nécessité d’un débat avec ceux qui pensent mal (il était question de Christophe Guilluy): « Je pense qu’il faut absolument débattre. Je pense à une autre controverse sur l’immigration, le fait qu’on va être submergés par l’Afrique subsaharienne [là, Guillaume Erner intervient pour préciser qu’il s’agit de Stephen Smith et de François Héran qui ont été tous deux reçus, séparément, dans l’émission]… C’est très bien, évidemment il faut donner autant… Les médias ont un rôle absolument central… dans cette question. Il faut donner autant de place à l’un qu’à l’autre… Et montrer… François Héran a fait une démonstration magistrale pour montrer la fausseté des thèses du premier. Donc il faut absolument débattre. »

    Cette déclaration de Dominique Méda est intéressante car elle dénote une conception du débat  particulière - débattre, oui, à condition d’être sûr d’écraser son adversaire – et un aveuglement sur les qualités scientifiques de la démonstration de François Héran, qu’elle qualifie de magistrale. Elle a donc privilégié sa satisfaction idéologique à l’interrogation scientifique qui aurait pu l’alerter sur le caractère frauduleux de la démonstration magistrale en question.

    J’ai la chance de porter un intérêt aux questions méthodologiques et d’avoir déjà exercé cet intérêt sur les écrits antérieurs de François Héran. Mais, comme on va le voir, la critique était à la portée d’un lecteur ordinaire. François Héran fait l’hypothèse, dans sa démonstration magistrale, qu’il existe un rapport fixe dans le temps entre la population résidant en Afrique subsaharienne et celle d’immigrés de cette origine résidant en Europe, et donc en France. Si la population subsaharienne double d’ici 2050, celle vivant en France doublerait aussi.

    La première question à se poser est : Est-ce que cette relation repose sur une observation antérieure ? Les instituts de statistiques, lorsqu’ils élaborent des projections, apportent un soin tout particulier à quantifier ce qui s’est passé avant le démarrage de la projection. Il serait, à cet égard, utile d’avoir l’avis de l’Insee qui réalise les projections de population pour la France sur la méthode de projection de François Héran.

    Que disent donc les observations rétrospectives de ce rapport supposé fixe par François Héran ? De 1982 à 2015, la population immigrée d’Afrique hors Maghreb a été multipliée par 5,1 en France, alors qu’elle ne l’a été (heureusement !) que par 2,4 en Afrique hors Maghreb. L’hypothèse à la base de la démonstration magistrale est donc fausse et conditionne entièrement la conclusion qu’en tire François Héran. Ce raisonnement était à la portée de tous, a fortiori des 7 membres du comité de rédaction de Population & Sociétés, dont le rédacteur en chef, Gilles Pison. Là aussi, la satisfaction idéologique et le fait que tous partagent la même idéologie ont prévalu sur l’esprit critique attendu d’un comité de rédaction. C’est même la partie de l’histoire qui m’attriste le plus : les relecteurs de la revue de vulgaristation de l’Ined, institut public de recherche scientifique, n’y ont vu que du feu. Je passe ici sur la morgue et le mépris affichés à l’égard de Stephen Smith dans d’autres publications. Cette exécution s’est faite au prix d’une simplification outrancière de son livre qui, rappelons-le, présente, en conclusion, cinq scénarios qui ne se réduisent pas à celui critiqué par François Héran dans lequel Stephen Smith se demande ce qui se passerait si l’Afrique subsaharienne rejoignait en trente ans un niveau de développement équivalent à celui du Mexique.

    Dans le cas de Christophe Guilluy, traité par le géographe Jacques Lévy invité le 9 octobre des Matins de Guillaume Erner sur France Culture, d’ « idéologue géographe du Rassemblement National », ce sont vingt-et-un géographes, historiens, sociologues, politistes…, membres de la rédaction de la revue Métropolitiques, qui se sont chargés de l’exécution pour la partie scientifique, quand Thibaut Sardier, journaliste à Libération se chargeait du reste consistant, pour l’essentiel, à trouver une cohérence à des potins glanés auprès de personnes ayant côtoyé Christophe Guilluy ou ayant un avis sur lui (Libération, 15 octobre 2018, p. 24-25).

    La tribune des vingt-et-un s’intitule « Inégalités territoriales : parlons-en ! » On est tenté d’ajouter : « oui, mais entre nous ! ». On se demande si les signataires ont lu le livre qu’ils attaquent, tant la critique sur le fond est générale et superficielle. Ils lui reprochent d’abord le succès de sa « France périphérique » qui a trouvé trop d’échos, à leur goût, dans la presse, mais aussi auprès des politiques, de gauche comme de droite. Pour le collectif de Métropolitiques, Christophe Guilluy est un démagogue et un prophète de malheur qui, lorsqu’il publie des cartes et des statistiques, use « d’oripeaux scientifiques » pour asséner des « arguments tronqués ou erronés », « fausses vérités » qui ont des « effets performatifs ». Christophe Guilluy aurait donc fait naître ce qu’il décrit, alimentant ainsi « des visions anxiogènes de la France ». Ce collectif se plaint de l’écho donné par la presse aux livres de Christophe Guilluy qui soutient des « théories nocives », alors que ses membres si vertueux, si modestes, si rigoureux et si honnêtes intellectuellement sont si peu entendus et que « le temps presse ». Le même collectif aurait, d’après Thibaut Sardier, déclaré que l’heure n’était plus aux attaques ad hominem ! On croit rêver.

    Thibaut Sardier, pour la rubrique « Potins », présente Christophe Guilluy comme un « consultant et essayiste […], géographe de formation [qui] a la réputation de refuser les débats avec des universitaires ou les interviews dans certains journaux, comme Libé ». L’expression « géographe de formation »  revient dans le texte pour indiquer au lecteur qu’il aurait tort de considérer Christophe Guilluy comme un professionnel de la géographie au même titre que ceux qui figurent dans le collectif, qualifiés de chercheurs, ou que Jacques Lévy. Je cite : « le texte de Métropolitiques fait écho aux relations houleuses entre l’essayiste, géographe de formation, et les chercheurs ». Si l’on en croit Thibaut Sardier, Christophe Guilluy aurait le temps d’avoir des relations avec LES chercheurs en général. Le même Thibaut Sardier donne à Jacques Lévy, le vrai géographe, l’occasion de préciser sa pensée : « Je ne veux pas dire qu’il serait mandaté par le RN. Mais sa vision de la France et de la société correspond à celle de l’électorat du parti ». Le journaliste a tendance à lui donner raison, la preuve : « la place qu’il accorde à la question identitaire et aux travaux de Michèle Tribalat, cités à droite pour défendre l’idée d’un “grand remplacement” plaide en ce sens ». Thibaut Sardier se fiche pas mal de ce que j’ai pu effectivement écrire – il n’a probablement jamais lu aucun de mes articles ou de mes livres – tout en incitant incidemment le lecteur à l’imiter, compte tenu du danger qu’il encourrait s’il le faisait. Ce qui compte, c’est que je sois lue et citée par les mauvaises personnes. Ne pas croire non plus à l’affiliation à gauche de Christophe Guilluy. Le vrai géographe en témoigne : « on ne peut être progressiste si on ne reconnaît pas le fait urbain et la disparition des sociétés rurales. » Voilà donc des propos contestant l’identité politique que Christophe Guilluy pourrait se donner pour lui en attribuer une autre, de leur choix, et qui justifie son excommunication, à une époque où il est devenu pourtant problématique d’appeler Monsieur une personne portant une moustache et ayant l’air d’être un homme (émission Arrêt sur images du 29 juin 2018) !

    Et l’on reproche à Christophe Guilluy de ne pas vouloir débattre avec ceux qui l’écrasent de leur mépris, dans un article titré, c’est un comble, « Peut-on débattre avec Christophe Guilluy ? » Mais débattre suppose que l’on considère celui auquel on va parler comme son égal et non comme une sorte d’indigent intellectuel que l’on est obligé de prendre en compte, de mauvais gré, simplement parce que ses idées ont du succès et qu’il faut bien combattre les théories nocives qu’il développe.

    Michèle Tribalat (Site personnel, octobre 2018)

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  • Racination...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux viennent de publier un recueil de méditations sur l'enracinement de Rémi Soulié, intitulé Racination. Critique littéraire, Rémi Soulié est l'auteur, notamment, d'un ouvrage intitulé Les châteaux de glace de Dominique de Roux (Les Provinciales, 2002), et d'un essai intitulé Nietzsche ou la sagesse dionysiaque (Seuil, 2014).

     

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    " « Je suis un insulaire qui a le goût sage de l'autarcie et, à la lettre, de l'autonomie, comme le peuple de la nation du Rouergue, pour reprendre la formule inscrite sur la pierre tombale d'un Rouergat venu mourir en Languedoc : Ci-gît maître Antoine Pressec, maçon de la nation du Rouergue, qui décéda le 29 août 1520. »

    « Enracinement » dit le poète, là où le politicien parle simplement d'« identité ». Or, c'est tout un pays que l'on perd en troquant l'enracinement contre l'identité. C'est une réalité vivante, quasi charnelle, qui s'efface alors au profit de la coquille vide du concept glacé tant martelé, dont le contenu est, par essence, soumis aux aléas de la volonté. Loin de la tentation universaliste qui marque notre époque, il est donc temps de retourner au cœur de ces racines secrètes mais si fécondes, d'en retrouver le pouvoir symbolique et régénérateur en explorant leur cheminement tantôt obscur, tantôt éclatant. L'auteur inaugure cette salutaire mission de reconnaissance sur le sol de son propre « pays ». En embuscade, nous assistons au surgissement du « mystère » quasi sacré des figures venues du grand fonds ancestral qui parfois reviennent lors des changements de règne retentissants, comme pour mieux conjurer l'ère de la tabula rasa qu'appellent de leurs vœux les mondialistes actuels. Rémi Soulié, en compagnie de Hölderlin, de Heidegger, de Novalis, de Shelley, de Boutang et des poètes occitans éclaire avec grâce l'inspiration unique que nous laisse la racination, cette « poussée» initiatique sans laquelle nous ne pourrions être au monde. Un voyage vers l'intérieur en forme de splendides méditations métaphysiques qui débouchent à la fois sur l'enquête, l'Histoire et le mythe. "

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  • Donald Trump, sauveur de l’Europe… malgré lui ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Bachelot, cueilli sur Polémia et consacré à l'effet paradoxal que pourrait avoir la politique étrangère de Donald Trump sur l'Europe... Journaliste; Denis Bachelot est l'auteur d'un essai intitulé L'islam, le sexe et nous (Buchet-Chastel, 2009).

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    Donald Trump, sauveur de l’Europe… malgré lui ?

    Il faut bien comprendre, en effet, que l’enjeu international est l’élément le plus déterminant du conflit politique en cours au sein des univers du pouvoir outre-atlantique. Il renvoie aux choix les plus clivants de Donald Trump. Sur le plan extérieur, celui-ci, au même titre que ses prédécesseurs, veut maintenir et affirmer le leadership mondial des Etats-Unis, mais en rompant avec la logique mondialiste d’un multilatéralisme post nationale. Pour lui, la puissance américaine, qui doit rester économiquement et militairement archi-dominante, n’a pas vocation à être la garante d’un ordre mondial qui dépasse et soumet les nations, mais doit assurer sa suprématie dans une approche de nation à nation qui rejette les grandes organisations multinationales ; d’où son aversion  pour l’ONU et l’Europe de Bruxelles et sa vigoureuse remise en question de l’OTAN. C’est dans cette logique que Trump souhaite redéfinir les rapports entre les Etats-Unis et la Russie. Il prend acte du fait national russe, de son retour sur le devant de la scène internationale, et souhaite l’appréhender comme un rapport de force objectif à négocier, et non comme une croisade messianique du bien (progressisme libéral)  contre le mal (national identitaire).

    Cette remise en question de la vision mondialiste qui conduit les politiques occidentales depuis trois décennies, est une mutation idéologique au sein du capitalisme américain qui bouscule la puissance d’un capitalisme financier globalisé qui s’impose aux nations  et à leurs agents économiques. Elle s’accompagne d’une volonté de réhabilitation des frontières et de maîtrise des flux migratoires.  Elle impacte directement l’avenir de l’Europe.

    Une chance pour l’Europe ?

    Trump n’est certainement pas un ami de l’Europe dont il méprise visiblement la pusillanimité et la dépendance intéressée à l’égard de la puissance américaine. Toutefois, ses attaques répétées contre Bruxelles, ses initiatives agressives au plan des relations commerciales et son désir de faire payer les européens pour assurer leur protection, pourraient constituer une chance historique pour les peuples du vieux continent de reprendre leur destin en main, et d’échapper enfin à la dilution mondialiste de l’idéologie bruxelloise. La guerre juridique que les Etats-Unis mènent depuis des années contre les intérêts économiques européens à coup de milliards de dollars d’amendes  prononcées par leurs tribunaux, a fini par lever le voile sur le cynisme de leurs méthodes de domination économique. Le droit américain, imposé au reste du monde, couplé à l’arme fatale du dollar, forment ensemble un outil de suprématie impériale qu’il n’est plus possible de feindre d’ignorer.

    La soumission européenne semble toucher ses limites et les incessantes menaces concernant les liens commerciaux avec l’Iran suscitent désormais des velléités de résistance  alors que les pays de l’Union tentent de mettre sur pied des mécanismes d’échange permettant de contourner les sanctions imposées par Washington. Le très lisse Bruno Le Maire, n’hésite plus à déclarer que l’Europe doit se doter d’outils financiers totalement indépendants de l’emprise américaine. L’enjeu est de taille ; il en va de l’avenir du dollar et de sa suprématie mondiale, alors que d’importants pays comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et, désormais la Turquie, se tournent vers  une « dédollarisation » de leurs échanges commerciaux. Après l’ère de la domination par la communication souriante et élégante d’un Obama, la brutalité primaire d’un Trump a quelque chose de bénéfique. Elle pourrait susciter un choc salutaire pour une Europe sans repère qui n’a d’autre issue, pour survivre dans un monde hostile et dangereux,  que de revenir à ses fondamentaux civilisationnels à partir de ses peuples qui se reconnaissent encore dans leurs nations pluriséculaires.

     

    Puissance et souveraineté

    Les européistes les plus convaincus sont pris à contre-pied face au retournement en cours de la politique américaine, alors que leur capacité de domination provenait largement de leur alignement docile sur la puissance des Etats-Unis; cette dernière, désormais, n’est plus leur meilleure alliée. Sur quelle force peuvent-ils  s’appuyer pour pérenniser leur système de pouvoir alors que les peuples  de l’Union se détournent inexorablement de l’attraction bruxelloise ? Le désir de réhabiliter les souverainetés et les  identités des nations au sein d’une Europe unie face à des dangers communs, tend à s’imposer comme l’horizon naturel des peuples européens. Une évolution qui s’inscrirait dans le cadre d’une Europe réconciliée avec elle-même et prête à assumer les défis de la puissance souveraine. Avoir un président des Etats-Unis qui ouvertement appelle à lutter contre l’immigration clandestine et non désirée est un élément capital qui devrait changer l’enjeu migratoire en Europe. Le fantasme mondialiste d’abolition des frontières a perdu son soutien le plus puissant.

    La recomposition du monde autour de quelques grands pôles géographiques structurés autour de nations puissantes représente le défi historique de la veille Europe. La technostructure de l’Union européenne, fondée sur la primauté formaliste du droit, de la libre concurrence et d’un humanisme  à prétention universaliste, est incapable de répondre aux défis du siècle qui se construit sous nos yeux. Elle a tout simplement oublié l’enjeu de la puissance comme le rappelle inlassablement l’économiste Christian Saint-Etienne. En 2003, déjà,  ce dernier écrivait  un ouvrage, préfacé par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine,  dont le titre La Puissance ou la mort : L’Europe face à l’empire américain (Seuil),  lançait un  cri d’alarme prémonitoire : « Si l’Europe, avertissait Christian Saint Etienne, ne fait pas le choix de la puissance, dans les quinze ans qui viennent elle ne sera plus qu’une proie pour les puissances nationalistes ». Nous y voilà ; et nous sommes bien aujourd’hui placés au pied du mur : «  La puissance ou  la mort » !

    L’Europe actuelle est un ventre mou où, sous le voile de l’union, usé jusqu’à la trame, s’affrontent les égoïsmes les plus sordides et irresponsables. Elle doit se reconstruire sur des bases nouvelles, revitalisées par la volonté des peuples. Le nouvel isolationnisme américain, si la ligne politique de Trump finissait par triompher (ce qui n’est pas encore acquis, en dépit de l’importante victoire symbolique de la nomination du juge  Kavanaugh  à la Cour suprême), doit représenter une chance pour l’Europe !

    Un enjeu de souveraineté que l’institution européenne n’a jamais été capable d’assumer et que son suzerain d’outre atlantique finirait par lui imposer ! Une ruse supplémentaire de l’histoire qui ne doit plus nous étonner. En 1973, déjà, le grand Raymond Aron s’interrogeait sur la dépendance de l’Europe face aux Etats-Unis : « Il m’arrive, écrivait-il alors, de penser que les diplomates américains en suivant les conseils néo-isolationnistes  rendraient le même service à l’Europe politique qu’ils ont rendu à l’Europe économique, il  y a un quart de siècle ».  Les européens, poursuivait-il, s’ils étaient confrontés à la perspective du départ du dernier GI, « trouveraient-ils en eux-mêmes, avec la conscience du danger, le courage et l’initiative nécessaires pour surmonter leur condition d’Etats protégés ? » (1). Nous étions à cette époque en pleine guerre froide. Près de cinquante plus tard, la politique nationaliste de Trump, basée sur le principe « America first »,  nous contraint à affronter la même question existentielle : « Etre ou ne plus être »…

    Denis Bachelot
    25/10/2018

    (1) Raymond Aron, République impériale, les Etats-Unis dans le monde 1947-1972, Calman-Levy

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