Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré au populisme, en tant qu'injure et que concept . Spécialiste de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).
Populisme, injure et concept
Populiste devient l’injure politique par excellence, et pas seulement contre Jean-Luc Mélenchon. Un synonyme d’extrémistes ou de fascistes, de brutes exclues du cercle de la raison ou de danger pour la démocratie.
Suivant les cas, on leur reproche la violence de leur discours, leur haine des élites, la prétention d’incarner un peuple authentique sans respecter ses représentants légaux, leur mépris des normes, du droit ou de l’humanité quand elles contrarient la volonté politique du peuple... Ou encore leur naïveté : exiger la réalisation immédiate de leurs revendications égoïstes, sans tenir compte des réalités, notamment économiques. Condamné pour son style, ses hostilités, ses fantasmes et son irréalisme, le populisme est le repoussoir idéal et à tous les étages.
Il y aurait à dire sur un terme dont le sens a tant évolué au cours du temps (songez au populisme russe narodnik, aux populistes américains, au roman ou au cinéma « populistes »). Mais si l’accusation de populisme est lancée si spontanément, souvent par une classe politique en plein désarroi idéologique, c’est certes parce que cette dernière veut être jugée sur ses ennemis. Mais aussi parce qu’elle ne comprend pas ce qui la menace autrement que comme une absurdité tombée du ciel. Le refus politique du Système, de la bien-pensance et du politiquement correct se traduit à chaque élection. Et chaque fois, les commentateurs se réfèrent à un manque d’éducation des masses, aux ratés de la pédagogie, à une insuffisance ralentissant le mouvement qui doit amener chacun à conquérir son autonomie. Donc un problème de pédagogie...
Certes, une hostilité nouvelle se développe envers les élites politiques, économiques et médiatiques, vues comme consanguines, liées par les mêmes intérêts, ne cherchant qu'à perpétuer leur pouvoir. Dans cette optique, la classe cosmopolite et oligarchique est autant contestée pour son pouvoir financier que pour son hégémonie morale. Aux yeux de ses adversaires, sa volonté de nier la gravité de la situation est inséparable de son mépris du peuple : il vote mal et est agité par des "fantasmes". Il a mauvaise haleine et mauvaises pensées. Du coup, la prophétie devient autoréalisatrice, et le concept fourre-tout de populisme finit par alimenter l’hostilité de ceux d’en bas donc par produire ce qu’il combat.
La lutte anti élite renvoie à une lutte des classe inédite. Elle n'oppose plus cette fois les possesseurs de moyens de production à ceux qui n'ont que leur force de travail. Beaucoup d’auteurs l’ont décrite : c’est une lutte des périphériques contre centraux (en termes de sociologie électorale : France rurale et de petites villes contre bobos de centre ville), des enracinés contre les mobiles, de ceux qui profitent de moins en moins de l'ascenseur social (notamment par l'école) contre ceux qui sautent d'université étrangère en nouveau job, de ceux qui éprouvent chaque matin les conditions de vie du citoyen lambda contre les belles âmes et les esprits supérieurs qui se réclament de l’Universel.
Mais le grand reproche populiste, c’est "il disent tous la même chose", donc la dénonciation du pouvoir idéologique. Ses détenteurs ne cessent d'exalter le dialogue, mais en même temps ils interdisent d'évoquer certaines réalités ou d'employer certains mots; leur fonction est de conformiser et de calmer. de ringardiser/criminaliser certains courants, d'éviter des sujets et de protéger la bulle idéologique contre le réel. Les notions de complotisme ou de désinformation auraient pour fonction d’empêcher discuter toute hypothèse alternatives.
Ce qu’on nomme populiste est, au fond, un sentiment de dépossession : on m'a privé, moi citoyen, l'État républicain qui me protégeait et me donnait la liberté de participer. On m'empêche de voter sur ce qui me concerne (ou parfois on décide le contraire de mon vote), on m'a remplacé par des sondages ou on parle en mon nom.
C’est le discours typique de ceux qui savent que leurs enfants vivront plus mal qu’eux, et qu’ils subiront la loi de fer de l'économie qui s'affranchit toujours davantage des frontières et des lois. Elle délie toutes les solidarités et détruit toutes les protections : individualisme et économisme sont les deux faces de la même médaille. Le marché qui devait assurer la prospérité, nous n'avons plus la sécurité matérielle la plus élémentaire.
Perpétuellement soupçonné d'être raciste ou "phobe", prié de se repentir, infantilisé, ringardisé, mis en garde contre les archaïsmes, prié de prendre cent précautions et de respecter toutes sensibilités, morigéné par les experts, appelé à surmonter ses peurs et ses fantasmes, sommé de choisir entre les solutions qui échouent et celles qui sont pires,... le présumé populiste subit la double peine de l’insécurité matérielle et de la stigmatisation morale.
Au total le spectre qui hante l’Europe n’est maintenant plus celui des classes qui projetteraient de s’emparer de l’État et de la richesse, c’est celui des déclassés obsédés par la perte de leur sécurité et de leur dignité. Les culpabiliser n’est certainement pas les apaiser. Et les psychiatriser n’est pas les convaincre.
François-Bernard Huygue (Huyghe.fr, 20 octobre 2018)