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  • Marine Le Pen telle qu’elle aurait pu être…

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Vincent Coussedière au site de la revue Éléments.

    Agrégé de philosophie, professeur, candidat aux dernières législatives sous l’étiquette RN, Vincent Coussedière est l’auteur de plusieurs essais politiques dont Eloge du populisme (Elya, 2012),  Le retour du peuple - An I (Cerf, 2016) et, récemment, Marine Le Pen comme je l’imaginais (La Nouvelle Librairie, 2025).

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    Marine Le Pen telle qu’elle aurait pu être…

    ÉLÉMENTS. Spécialiste reconnu du populisme, en 2024 vous avez été candidat aux élections législatives pour le Rassemblement national (dans des conditions catastrophiques, précisez-vous). Qu’est-ce qui vous a décidé à « franchir le pas », à passer du rôle d’analyste et d’observateur à celui d’acteur politique ? Regrettez-vous ce choix et cette expérience ?

    VINCENT COUSSEDIERE. J’explique dans le livre ce qui m’a décidé à franchir le pas en 2024. Ce sont à la fois les circonstances, le fait que suite à plusieurs conférences ou formations que j’ai assurées pour le Rassemblement national, et après m’être déclaré éventuellement disponible, j’ai été contacté par Philippe Olivier pour être investi dans une circonscription qui n’était malheureusement pas celle dans laquelle je vis. C’est pourquoi je parle d’une investiture dans des « conditions calamiteuses », ceci dit, j’ai accepté, et ne cherche donc pas à me victimiser.  J’étais « parachuté » dans une circonscription que je ne connaissais pas bien, et dont la sociologie électorale me laissait très peu de chances au second tour. A ces circonstances s’ajoutait un certain désir – dont je ne cache pas, dans le livre, que le ressort restait fragile – de prendre mes responsabilités en politique. Citant Bernanos, j’explique que c’est surtout par désespoir que je me suis lancé dans l’aventure. Désespoir à l’égard du reste de l’offre politique, désespoir aussi à l’égard des intellectuels, qui, bien que proches sur certains thèmes du RN, ne cherchent pas à le rejoindre pour le faire progresser de l’intérieur. D’autres que moi, fort peu nombreux cependant, ont fait cette démarche avec davantage de réussite. On peut penser à Hervé Juvin, à Jérôme Sainte-Marie ou à Guillaume Bigot.

             Je ne regrette rien, même si la faiblesse du soutien militant local que j’ai pu recevoir – pour ne pas en dire davantage et être plus désobligeant  – a rendu les choses très difficiles. Le livre n’est toutefois pas un règlement de compte après une aventure malheureuse. Je dis d’ailleurs peu de choses sur la campagne électorale elle-même, sur laquelle il y aurait pourtant beaucoup à dire, mais ce n’est pas le sujet du livre. Je raconte qu’elle m’a fait toucher du doigt les limites de l’exercice du « métier de politique » tel qu’il est devenu dans nos démocraties représentatives. Participer à cette campagne m’a également fait voir à quel point le RN continue de subir une forme d’ostracisme dans les médias régionaux et chez les élus de tous bords, qui manipulent l’opinion et restent les prescripteurs de proximité de celle-ci. Tous ces notables : présidents de Comcom, maires, conseillers généraux se tiennent par la barbichette les uns et les autres et entendent bien conserver leurs places en se liguant contre le RN.

    ÉLÉMENTS. Pourquoi avoir choisi de consacrer un ouvrage à Marine Le Pen, que vous n’avez rencontré qu’une seule fois ?

    VINCENT COUSSEDIERE. Le livre est consacré à Marine Le Pen comme je l’imaginais et non à la Marine Le Pen réelle que je ne connais pas. Il part de cette rencontre à laquelle j’ai participé, organisée par Hervé Juvin, dans l’entre-deux tour de la présidentielle de 2027, et qui réunissait quelques intellectuels. Cette rencontre était très propice au fait que mon imagination opère une sorte de « cristallisation politique ». En effet, Marine Le Pen a dit très peu de choses, et a surtout beaucoup écouté et laissé parler ses interlocuteurs. Sa présence, son authenticité ont fait brèche dans la représentation essentiellement médiatique que je me faisais d’elle. Je lui ai offert, de manière complètement décalée par rapport à son ambition, le petit livre que je venais de faire paraître : Fin de partie, requiem pour l’élection présidentielle. C’était une curieuse manière de l’encourager pour le deuxième tour ! Tout ceci n’était pas très sérieux et pas très rationnel, comme base d’un engagement politique. D’ailleurs, je ne me suis pas engagé politiquement dans les années qui suivirent et n’ai accepté qu’à partir de 2022, de faire quelques interventions pour le RN. J’ai simplement continué de suivre Marine Le Pen à distance, mais de manière plus attentive et intéressée que je ne le faisais avant cette rencontre. J’ai trouvé qu’elle ne cessait de se bonifier dans l’adversité, malgré les échecs de 2017 et 2022. J’ai fini par penser qu’elle était peut-être la seule, dans la classe politique actuelle, à pouvoir réaliser ce dont nous avons besoin : débuter le redressement du pays, nous remettre la tête hors de l’eau.

             J’explique dans ce livre pourquoi j’ai fini par penser qu’elle pourrait occuper la place vide du grand homme qui nous manque. J’explique aussi qu’occuper la place, ce n’est pas tout à fait prendre la place. C’est au contraire assumer que la place reste vide, mais assumer qu’en attendant, il s’agit de faire ce que nous pouvons.  Je me moque en même temps un peu de moi-même : n’ai-je pas cédé à une forme d’illusion politique ? Mais n’avais-je pas en même temps des raisons d’y céder ?

    ÉLÉMENTS. Selon vous la stratégie de la « dédiabolisation » et la volonté de rupture avec l’héritage du Front national ont-elles été, en partie ou entièrement, des erreurs ?

    VINCENT COUSSEDIERE. La « dédiabolisation » est un slogan qui ne vient pas du RN, même s’il est repris parfois par celui-ci. Cette expression fait croire à une simple stratégie de communication par laquelle le RN aurait voulu se rendre acceptable par les médias. Or Marine Le Pen a fait une chose beaucoup plus importante. Elle a réorienté politiquement le parti en l’éloignant définitivement de ses tropismes antisémites et d’un nationalisme trop étriqué. Sur ce point, elle a fait œuvre très utile, qui s’est aussi accompagnée d’un travail de professionnalisation et de crédibilité. Il s’agissait ensuite, sur la base de ce travail, de ne plus se fermer la porte des médias, ou tout simplement de ne pas se heurter inutilement à  l’agressivité de ceux-ci. C’est aussi à l’égard des électeurs qu’il s’agissait de se « dédiaboliser » en évacuant les peurs liées au FN de Jean Marie Le Pen. 

             Je ne remets donc pas en cause que ce travail ait été utile dans le passé. Je critique qu’il se poursuive aujourd’hui dans un nouveau sens qui consiste à gommer la radicalité « nationaliste » du parti qu’il faudrait au contraire réaffirmer. Le retour à la nation est plus que jamais la priorité politique actuelle qu’il faut assumer. Encore faut-il être capable de préciser ce qu’on entend par nation dès lors qu’on a pris ses distances avec le nationalisme réactif de Jean-Marie Le Pen et qu’on prétend se distinguer d’un nationalisme identitaire du type de Zemmour ou d’un nationalisme souverainiste du type de celui de Phillipot. Encore faut-il expliquer aussi comment ce retour à la nation pourrait se faire dans un cadre européen, qu’on ne semble plus vouloir remettre véritablement en cause.  La dédiabolisation a pris la place de ce travail non effectué. Elle est devenue une fin et non plus un moyen, qui tend à occulter ainsi  que le véritable travail doctrinal sur le retour à la nation n’a pas été effectué.

    ÉLÉMENTS. La figure de Jordan Bardella représente-t-elle pour vous l’expression du renoncement au véritable « populisme » au profit d’une repositionnement classiquement « droitier » et libéral ?

    VINCENT COUSSEDIERE. Sur le fond, il est un peu tôt pour juger d’un éventuel tournant doctrinal.  Jordan Bardella continue de s’appuyer sur le programme du RN de 2022 et, sans doute aussi un peu sur celui qui est en gestation pour 2027, et qui n’a pas encore été rendu public. Il donne cependant quelques signes d’une stratégie qui se réorienterait davantage vers l’ « union des droites » que vers le « ni droite ni gauche »  populiste. Il semble également être un peu plus libéral et atlantiste que Marine Le Pen. Mais tout ceci reste encore assez indéterminé et semble relever davantage d’une stratégie de communication, que d’une doctrine alternative au « marinisme », si tant est que cette doctrine ait jamais existé. Si on avait mauvais esprit, on pourrait parfois avoir l’impression que Marine Le Pen et Jordan Bardella, à eux deux, nous font un peu du « et en même temps »…

             Sur la forme et le style politique, il est par contre évident que Bardella est beaucoup plus proche des jeunes loups tels Attal ou ex-jeunes loups tels Macron que de Marine Le Pen. Il s’est construit de manière essentiellement médiatique, comme d’ailleurs de jeunes et moins jeunes que lui dans la droite nationale : Marion Maréchal, Eric Zemmour, aujourd’hui Sarah Knafo. Comme eux, il est essentiellement un produit médiatique. Il ne s’est pas construit dans l’adversité d’une longue carrière politique comme Marine Le Pen. La manière dont il essaie de surfer sur ses livres, les lancements de ceux-ci par des causeries presque télé-évangéliques, sa maîtrise de la démagogie spectaculaire et ses passages très huilés et répétitifs sur les plateaux de télévision, son art des selfies, tout ceci a de quoi enchanter les uns et désespérer les autres. Je me place plutôt du côté de ces derniers… J’explique dans le livre pourquoi la force de Marine Le Pen était au contraire d’avoir réussi à ne jamais se soumettre entièrement au pouvoir médiatique, à ce que Guy Debord appelait « le talon de fer du spectacle », et ce malgré la dédiabolisation.

    ÉLÉMENTS.  À l’autre bout de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon incarne-t-il, pour vous, l’autre grande figure de ce « populisme » que vous avec beaucoup étudié ?

    VINCENT COUSSEDIERE. Il n’incarne pas le populisme dans le sens positif que j’ai redéfini comme « populisme du peuple », puisqu’il n’a pas de peuple derrière lui et n’en veut pas, puisqu’il va même jusqu’à théoriser cette absence de peuple comme étant le vrai « peuple » ! Ce sont les multitudes dénationalisées et communautarisées, c’est l’« archipel français » que Mélenchon veut fédérer par un discours victimaire. Un discours aussi bien anti-Français (il n’y a plus de Français d’origine mais que des métissés) qu’anti-institutions (la police tue). Mélenchon est un « populiste » au sens négatif du terme, c’est-à-dire un démagogue qui n’a aucune conviction véritable et veut à tout prix prendre le pouvoir en soufflant sur les braises de la guerre civile. Il faut lire à ce sujet le très bon livre de Rodolf Cart : Mélenchon, le bruit et la fureur, paru également aux éditions de La Nouvelle Librairie.

    ÉLÉMENTS. Vous terminez votre ouvrage en actant votre « adieu à la politique » . Cela signifie-t-il que, selon vous, dans ce domaine, « tout est foutu » et qu’il n’y a plus rien à espérer du jeu électoral ?

    VINCENT COUSSEDIERE. Le livre développe ce qu’aurait pu être la stratégie de Marine Le Pen après l’inéligibilité pour éviter d’avoir recours au plan B. Bardella est un jeune homme talentueux, mais l’enthousiasme qui monte autour de sa candidature à grands coups de sondages, lui assurant même aujourd’hui d’écraser la concurrence au deuxième tour, relève largement d’une forme d’intoxication voire d’auto-intoxication. Rappelons-nous des sondages de Zemmour qui finira à 7 % après avoir cotoyé les 20 % ! Rappelons-nous aussi les illusions de « Bardella premier ministre ». Et quand bien-même Bardella parviendrait au pouvoir, je doute qu’il possède déjà l’épaisseur morale et intellectuelle, ni l’entourage, pour mener la France sur la voie du redressement. Je me demande si Marine Le Pen elle-même ne s’est pas auto-intoxiquée par l’hypothèse Bardella, et par l’idée qu’elle aurait d’ors et déjà réussi à assurer l’avenir du parti, par delà le nom Le Pen. L’intuition « populiste » de Marine Le Pen risque de ne pas déboucher pas sur la nouvelle synthèse nationale dont nous avons besoin. Je crains qu’elle ne se dissolve dans une variante de droite du progressisme.

    Vincent Coussedière, propos recueillis par Xavier Eman (Site de la revue Éléments, 2 décembre 2025)

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  • Feu sur la désinformation... (540) : La France de Macron entre propagande, guerre et mensonge !

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou et Floriane Jeannin.

     

                                            

    Au sommaire cette semaine :

    L’image de la semaine : Macron et le CEMA passent en mode propagande de guerre
    Entre les interventions du chef d'état-major des armées dans les médias, la tournée des généraux sur les plateaux, les déclarations anxiogènes d'Emmanuel Macron et le service national volontaire, il y a une véritable militarisation du discours politique.
    Le dossier du jour : L'audiovisuel public, menacé ou menaçant ?
    Sur les médias du service public, c’est un festival d’attaques et d'invectives envers tout ce qui est plus alternatif que l’extrême centre. Mais depuis cette semaine, les voilà face à une commission d’enquête parlementaire chargée d’interroger leur “neutralité”. Les plus de 50 auditions prévues (dont celles de Patrick Cohen, Delphine Ernotte, Thomas Legrand…) s'annoncent savoureuses !.

    Les pastilles de l’info :

    • Sondage Bardella : analyse des dernières intentions de vote
    • Macron Label Presse : le président instrumentalise-t-il les médias ?
    • Soros VS Le Figaro : le milliardaire attaque le quotidien français
    • Débat Glucksmann-Zemmour : l'aveu de défaite de Raphaël Glucksmann ?
    • La mère d’Elias traitée de "populiste en croisade" par des magistrats
    • Boualem Sansal : une parole contrainte dans des médias sous contrat

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    Portrait piquant (en partenariat avec l’OJIM) : Mohamed Bouhafsi, le très mainstream journaliste de C à Vous...

     

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  • Feu sur la désinformation : une brochette de coupables ?... (443)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, et Floriane Jeannin.

     

                                            

    Sommaire :

    La météo de l’info : “il n’y a pas de guerre sans crimes de guerre”

    L’image de la semaine : le premier rang de la marche contre l’antisémitisme

    "L'Éducation nationale au bord du naufrage" : Zone interdite découvre la pagaille

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    Les pastilles de l’info :

    Napoléon sur l’arc de triomphe

    Booba, Napoléon et… Zemmour

    Pascal Pro et la Palestine (2018)

    France 2, L'Événement sur l’immigration

    Affaire Nahel, le policier mis en cause remis en liberté

    Conclusion

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    Portrait piquant : Natacha Polony

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  • Feu sur la désinformation... (425)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, et Floriane Jeannin.

     

                                               

     

    Sommaire :

    La météo de l’info : parfum de censure !

    L’image de la semaine : Une agression trop ordinaire à Bordeaux

    Le dossier : VA dans la tourmente

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    Les pastilles de l’info :

    Antifas contre Zemmour, une dédicace qui fracasse !

    Le cul sec de Macron

    Musk mouche Anne-Sophie Lapix !

    Quotidien dans la cité !

    Pour la fête des pères maman c'est papa pour le Parisien

    Et tant pis pour les menhirs !

    Décryptage - LCI et ce cher Darius frappent encore !

    Le coup de Chapô - Une superbe épée de l’âge de Bronze !

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    Portrait piquant : Yann Barthès le ricaneur

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  • Feu sur la désinformation... (371)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, et Jules Blaiseau.

    Au sommaire :

    • 1 - L'image de la semaine
      Joe Biden a eu des propos durs et explosifs à l'égard de son homologue russe Vladimir Poutine. Les médias ne questionnent toujours pas sa santé mentale.
    • 2 - "Macron assassin" : la polémique
      "Macron assassin" a t-on pu entendre scander la foule du Trocadéro pendant près de 10 secondes. La polémique lancée par BFM TV n'a fait qu'enfler depuis. Challenges parle même du plus grand déferlement de haine depuis les années 30 !
    • 3 - Revue de presse
      Anne-Sophie Lapix clash Zemmour, des émeutes sont tues à Aulnay, Villeurbanne, Rillieux, Vénissieux et Sevran, Arte fait sa propagande contre le nucléaire ...
    • 4 - Macron et son patrimoine
      Un reportage d'Off Investigation accuse Macron de sous-évaluer grandement son patrimoine (550 000 euros) dans ses déclarations de candidat. Est-ce le scandale de trop qui fera tomber la macronie ?

     

                                             

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  • Alain de Benoist : « Le grand continent eurasiatique est à nouveau coupé en deux » ...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh-Info, dans lequel celui-ci donne son sentiment sur l'actualité récente, et notamment sur la question corse, la campagne présidentielle et la guerre russo-ukrainienne.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

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    Alain de Benoist : « L’électorat Zemmour est un électorat anti-immigration, celui de Marine Le Pen est un électorat anti-Système »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, que vous inspirent le déplacement de Gérald Darmanin en Corse et l’évocation d’une autonomie possible pour la Corse ?

    Alain de Benoist : On pourrait parler de « divine surprise » s’il n’y avait pas quelques motifs d’être dubitatif. D’abord, c’est une drôle de façon de procéder que de se dire prêt « à aller jusqu’à l’autonomie » avant même que les négociations aient commencé. En général, on ne met pas sur la table le résultat de la discussion avant d’avoir commencé à discuter. Cela ressemble à un aveu de faiblesse, à moins qu’il ne faille y voir un geste démagogique ou une simple manœuvre électorale. Le problème se pose d’autant plus que la position adoptée par Darmanin représente une totale volte-face de la part d’un gouvernement qui, depuis cinq ans, s’est refusé à donner la moindre suite à toutes les demandes politiques formulées par les Corses. Rappelez-vous qu’en février 2018, lorsqu’il s’était rendu lui-même en Corse, Emmanuel Macron avait même opposé une fin de non-recevoir à ceux qui lui demandaient seulement de reconnaître le « caractère politique de la question corse ». Ce simple rappel justifie le scepticisme.

    Ensuite il faudrait savoir ce que Darmanin entend par « autonomie ». Le mot peut recouvrir des choses bien différentes. Attendons donc de savoir ce que les amis d’Emmanuel Macron mettent sous ce terme. Quelle autonomie ? Dans quels domaines ? Par quels moyens ? La question-clé est celle-ci : le gouvernement est-il prêt à reconnaître l’existence d’un « peuple corse », demande fondamentale pour tous les autonomistes ? On sait que la Constitution s’y oppose, puisqu’elle ne veut connaître qu’une nation « une et indivisible » dans la pure tradition jacobine. Et si par extraordinaire on reconnaissait l’existence d’un peuple corse, comment s’opposer à la reconnaissance par exemple du peuple breton ? Comment nier plus longtemps qu’il existe à la fois un peuple français et des peuples de France qui, s’ils le souhaitent, devraient également, à mon avis tout au moins, pouvoir eux aussi accéder à l’« autonomie ». Mais je vois mal le gouvernement s’engager sur cette pente glissante. Ce serait trop beau !

    Breizh-info.com : Des plans banlieues à l’autonomie de la Corse en passant par l’abandon de Notre-Dame des Landes (aéroport), les autorités ne montrent-elles pas que, finalement, seule la violence permet d’établir un rapport de force et d’obtenir des avancées avec ces mêmes autorités ?

    Alain de Benoist : Question naïve. Il n’y a que la bourgeoisie libérale pour s’imaginer que tous les problèmes politiques peuvent se résoudre de manière irénique sans que la violence ne surgisse à un moment ou à un autre. La politique est avant tout un rapport de forces. Lorsque les circonstances s’y prêtent, on assiste à une montée aux extrêmes qui ne peut pas se résoudre par les vertus de la « discussion », de la « négociation » ou du « compromis ». De surcroît peut aussi arriver un moment où les autorités détentrices du pouvoir légal en arrivent à perdre leur légitimité. La dissociation de la légalité et de la légitimité a pour effet que c’est la contestation violente qui peut alors devenir légitime.

    Les Gilets jaunes, comme les chauffeurs-routiers plus récemment, n’ont commencé à être entendus que lorsqu’ils sont descendus dans la rue pour manifester de façon un peu musclée. Il en va de même des autonomistes corses. La décolonisation a été acquise par la violence. Sans le recours au terrorisme par le FLN l’Algérie n’aurait peut-être pas été indépendante (ou ne l’aurait été que beaucoup plus tard). On peut le regretter, mais c’est ainsi. Georges Sorel opposait la violence sociale, légitime à ses yeux, à la simple légalité de la force publique. Il n’avait pas tort. Évitons la violence quand on peut l’éviter, mais cessons de croire qu’on peut durablement l’évacuer de la vie politique. Les guerres aussi sont des choses très désagréables – mais il y en aura toujours !

    Breizh-info.com : Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle, assez inédite finalement puisque les électeurs sont privés de débats entre des candidats qui mènent chacun campagne essentiellement dans leurs sphères respectives ? Là encore, est-ce le signe d’une démocratie malade ?

    Alain de Benoist : Il existe à mon sens des signes beaucoup plus forts de la crise généralisée des démocraties libérales que cette absence de débats entre les candidats à la présidentielle ! D’ailleurs, vous exagérez un peu : il y a quand même eu quelques débats, mais force est de constater qu’ils n’ont pas intéressé grand monde. Ils se résument en général à un échange d’invectives et de procès d’intention qui ne font pas avancer les choses.

    La grande caractéristique de la prochaine élection présidentielle est que, si l’on en croit les sondages, les jeux sont faits d’avance : Emmanuel Macron sera réélu. C’est ce que pense une majorité de Français, alors même qu’en majorité aussi ils semblent souhaiter qu’il n’en aille pas ainsi. Intéressant paradoxe. Il en résulte un désintérêt qui laisse prévoir, sauf événement de dernière minute, une très forte abstention qui pénalisera certains candidats plus que d’autres.

    En octobre dernier, dans un entretien précédent, je vous avais dit qu’«on aurait tort d’enterrer Marine Le Pen ». C’était à un moment où tout le monde pariait sur son effondrement au profit d’Eric Zemmour. Je soulignais également que ce qui séparait essentiellement Marine Le Pen et Eric Zemmour, ce n’était pas tant leur personnalité ou leurs idées que leurs électorats (classes populaires ou moyenne bourgeoisie radicalisée) et leurs stratégies (« bloc populaire » ou « union des droites »). C’est ce qui s’est confirmé. Zemmour a jusqu’à présent échoué dans son ambition. Son électorat est instable, et il reste à peu près au niveau de Pécresse, qui est en baisse, et de Mélenchon, qui est en hausse. Ceux qui ont parié sur son succès ont cru que Marine Le Pen allait échouer parce que son parti se porte mal (ce qui est exact) sans voir que ses électeurs s’intéressent très peu au parti en question : ils votent Marine, pas Rassemblement national ! Quant aux ralliements à Zemmour, à commencer par celui de Marion Maréchal, ils n’ont, comme je l’avais prévu, strictement rien changé aux intentions de vote. Reste la donnée fondamentale : l’électorat Zemmour est un électorat anti-immigration, celui de Marine Le Pen est un électorat anti-Système. Il faudra s’en souvenir quand sonnera l’heure de la recomposition.

    Breizh-info.com : La situation internationale, après deux années de crise dite du Covid 19, commence déjà à avoir de lourdes répercussions économiques. Pour le moment, l’Etat sort le chéquier pour tenter de colmater les brèches. Est-ce selon vous tenable à long terme ? Qui paiera ?

    Alain de Benoist : A votre avis ? Vous et moi, bien sûr – pas les Ukrainiens ! Les répercussions économiques sont déjà là et les choses ne peuvent que s’aggraver. Les lamentables sanctions, d’une ampleur sans aucun précédent, qui ont été décrétées contre la Russie pour satisfaire aux exigences américaines, vont aggraver les choses. Nous en paierons le prix tout autant que les Russes, sinon plus. L’inflation (matières premières, carburants, gaz, électricité) va aggraver la chute du pouvoir d’achat, qui est désormais la première préoccupation des Français. Un déséquilibre plus général est à redouter dans un contexte de crise financière mondiale rampante (et de refonte éventuelle du système monétaire). Pendant ce temps, l’endettement public continue de croître jusqu’à atteindre des hauteurs himalayesques. Est-ce tenable à long terme ? Non sans doute. Mais quand commence le long terme ?

    Breizh-info.com : Le rêve d’une Europe unie de Brest à Vladivostock est-il mort avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie ?

    Alain de Benoist : Il est d’autant plus mort qu’il n’a jamais connu le moindre début de réalisation. Il en va de même de l’axe Paris-Berlin-Moscou dont nous sommes quelques uns à avoir également rêvé. La conséquence première de la guerre qui se déroule en ce moment est la recréation du rideau de fer, à cette différence près que c’est un rideau de fer dressé aux frontières de la Russie par les Occidentaux, dans l’espoir de museler un compétiteur jugé dangereux, et non un rideau de fer dressé par les Soviétiques pour empêcher les gens d’aller voir ailleurs. Le déluge de propagande russophobe auquel nous assistons en ce moment est de ce point de vue significatif. Le grand continent eurasiatique est à nouveau coupé en deux – ce qui n’a que le mérite de clarifier les choses.

    Ce qu’il faut bien voir, en attendant de pouvoir en faire une analyse plus complète, c’est que la guerre entre l’Ukraine et la Russie n’est pas seulement, ni même principalement, une guerre entre deux pays. Ce n’est pas non plus un affrontement entre le nationalisme ukrainien et le nationalisme russe, comme beaucoup cherchent à le faire croire. C’est d’abord une guerre entre la logique de l’Empire et celle de l’Etat-nation. C’est ensuite, plus globalement, une guerre entre l’Ouest et l’Est, entre le monde libéral et celui des « espaces civilisationnels », entre la Terre et la Mer. C’est-à-dire une guerre pour la puissance mondiale.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-Info, 22 mars 2022)

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