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tragédie

  • Nietzsche. La conquête d’une pensée...

    Les Presses universitaires de France viennent de publier un essai de Patrick Wotling intitulé  Nietzsche. La conquête d’une pensée. Ancien élève de l'Ecole Normale supérieure et professeur à l'université de Reims, fondateur et directeur du Groupe international de recherches sur Nietzsche, Patrick Wotling est déjà l'auteur d'un essai intitulé "Oui, l'homme fut un essai" - La philosophie de l'avenir selon Nietzsche (PUF, 2016).

     

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    " Complexe, énigmatique car radicalement novatrice, la pensée nietzschéenne donne le sentiment d’être trop dispersée pour pouvoir être saisissable. Du reste, y a-t-il un ou plusieurs Nietzsche ? Celui de L’Antéchrist et d’Ecce Homo est-il le même que celui de La Naissance de la tragédie ? Mais complexe ne signifie pas chaotique, et l’incertitude se dissipe si l’on repère les moments où se constituent ses positions fondamentales : quand la notion de pulsion se met-elle en place ? Avec quel ouvrage la théorie des valeurs apparaît-elle ? À quel moment la logique du sentiment de puissance est-elle identifiée ? Quand la philosophie est-elle comprise comme un dire-oui ? Dans quel livre la tentative de lire la réalité tout entière comme volonté de puissance se fait-elle jour ? Cet ouvrage apporte une réponse à ces questions. Il caractérise l’apport des principaux textes de Nietzsche, et montre que l’évolution de sa réflexion n’est pas faite de revirements ni d’abandons de thèses au profit de thèses nouvelles, mais d’un affinement progressif au sein d’une problématique invariante : conquête d’un mode de pensée réformé dont les grandes lignes sont dessinées dès son premier livre, La Naissance de la tragédie. "

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  • Quand la France connaît une tragédie démocratique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Maxime Tandonnet au site Droite de demain et consacré à la crise démocratique que connaît notre pays.

    Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014). Il est également l'auteur de biographies d'André Tardieu et de Georges Bidault.

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    La France connaît une tragédie démocratique

    Européennes, municipales, régionales et départementales…les Français ont boudé les urnes. À deux mois des élections présidentielles ne doit-on pas craindre la même désaffection et comment résoudre la crise de la démocratie française ?

    En effet, après un scrutin de 2017 qui a été dénaturé par le scandale autour de François Fillon, les élections de 2022 s’annoncent absolument neutralisées par la succession des crises, épidémies de covid 19, Ukraine. La posture présidentielle de « fausse non-candidature », le problème des parrainages, le matraquage sondagier, les difficultés de Valérie Pécresse candidate officielle du principal parti d’opposition, la valse des trahisons, ont pour effet d’annihiler le débat démocratique sur le bilan du quinquennat et sur la préparation de l’avenir. Pour la première fois, le climat est au désintéressement général face à une présidentielle présentée comme jouée d’avance. La France connaît une tragédie démocratique. 

    La crise liée à la pandémie de la Covid-19 a consacré la résurrection de l’État sous toutes ses formes, État-providence, État-pompier, État régalien… et jeté une lumière glaçante, sur les lourdeurs et absurdités de la bureaucratie. Selon vous quel État va sortir de cette crise inédite et comment sortir de l’impuissance publique ?

    Rien dans le déroulement de cette non-campagne ou dans le programme des candidats ne permet de concevoir une rénovation de l’Etat. A voir comment les choses se déroulent, la volonté démocratique de changer les choses est écrasée, inexistante. On peut même craindre aujourd’hui que ces phénomènes soient voués à s’aggraver : la hausse vertigineuse des dépenses publiques et de la dette vont se poursuivre, comme une drogue destinée à anesthésier les tensions dans le pays, son appauvrissement et sa désindustrialisation, l’impuissance des institutions. Cet effondrement se traduit par l’exubérance de la communication : le grand spectacle sert à recouvrir le désastre. On ne voit pas à ce stade de qui permettra d’inverser la logique, en tout cas à moyen terme. La pente est raide…  Un jour, le pays se trouvera au pied du mur et la prise de conscience devra se produire, mais nous n’en sommes pas là. 

    Pendant cette pandémie les esprits libres se sont fait rares. La politique a ses propres exigences. Comment rester un “esprit libre” face au pouvoir de l’opinion et en admettant une obligation d’action ? 

    A mes yeux, le passe vaccinal est emblématique du pire de ce que la société politique peut produire. Cette mesure emblématique est rigoureusement inefficace et ne prétend même pas à l’efficacité (le vaccin n’empêche pas la transmission du virus). Sous le voile du progressisme, elle procède de méthodes de communication les plus douteuses : désigner implicitement une partie de la population – non vaccinée – comme bouc émissaire de maux qui tiennent en grande partie aux dirigeants politiques (réduction des moyens hospitaliers).  Son objectif déclaré – forcer les non vaccinés à se faire vacciner – n’a même pas été atteint. Et pourtant, le pouvoir persiste et signe, l’opposition soutient dans l’ensemble ces méthodes de même qu’une vaste majorité de l’opinion selon les sondages. Cela montre l’état de déliquescence morale et intellectuelle d’une société. Les quelques esprits libres et lucides qui gardent le cap dans la tempête doivent aujourd’hui s’unir par-delà les clivages du passé. 

    Lors de cette campagne présidentielle, le régalien sera inexorablement mis en avant, notamment dans une période chaotique marquée par la poursuite de l’augmentation de la violence. Pourtant la préoccupation des Français sur des questions fondamentales comme l’avenir de la démocratie française, les libertés sont très peu repris, pour quelles raisons ? La gouvernance doit-elle être un thème électoral pour 2022 ?

    Parce que nous sommes avant tout dans le médiatique, l’émotionnel et l’immédiateté. S’intéresser à la préparation de l’avenir, notamment au fonctionnement de la démocratie française suppose un retour à la raison, à la prospective, à la capacité de se projeter dans l’avenir. Or, l’effondrement du niveau scolaire, depuis des décennies, annihile la capacité d’une société à réfléchir sur son destin. Ce nivellement et cet aveuglement touchent aussi bien la majorité des commentateurs que l’opinion en général.  Des images médiatiques montrant une agression vont provoquer une (légitime) émotion collective. Cependant, les spectateurs de ce drame ne vont pas pour autant s’interroger sur une faillite de long terme d’un système politique qui a abouti à l’impuissance de l’Etat et au chaos d’une société sur plusieurs décennies. L’affaiblissement de la culture politique et de l’esprit critique est au cœur de la tragédie démocratique. 

    Que voulez-vous dire sur la faillite des institutions ?

    Le système politique français (pas seulement les institutions, mais leur pratique et la culture politique) a abîmé la démocratie. Il a engendré une sorte de gourou élyséen qui absorbe toute la substance du politique. La vie publique se limite pour l’essentiel à sa logorrhée quotidienne et ses gesticulations médiatiques tournées ver sa réélection, comme dans un vulgaire régime autocratique. De fait, le gouvernement n’existe plus, le parlement est annihilé, les collectivités territoriales affaiblies, la presse neutralisée. Nul ne décide plus grand chose dans le champ du concret. La politique se réduit pour l’essentiel à n’être qu’un spectacle éthéré destiné à occuper les esprits. La faiblesse se déguise en autorité. Les courroies de transmission entre le pouvoir central et la Nation sont rompues. Tout est à repenser, à reconstruire. La démocratie est à réinventer, par le référendum, le renouveau des libertés locales, la refondation de la représentation populaire… Tout le reste en dépend dès lors que la gouvernance conditionne l’efficacité des politiques. Mais qui cela intéresse-t-il ? 

    Jamais la liberté n’a autant été abîmée. Cet état dont le gouvernement nous a privé et où l’opposition a eu bien du mal à la défendre. Comment la droite doit elle retrouver ces fondamentaux ?

    Nous en saurons plus dans quelques mois, en fonction du résultat des présidentielles et législatives. Mais a priori, elles ne se présentent pas dans les meilleures conditions pour les idées auxquelles nous croyons.  Lors de la crise sanitaire, une poignée d’hommes et de femmes, généralement étiquetés à droite, mais pas seulement, parlementaires et intellectuels, ont montré leur attachement à la liberté face à l’Absurdistan bureaucratique et à la terrifiante dérive du passe vaccinal ainsi que leur lucidité et leur force de caractère en résistant au vent de folie collective. Il leur faut s’unir, même en partant d’un tout petit nombre, et tenter de reconstruire quelque chose en livrant la bataille des idées. 

    Maxime Tandonnet (Droite de demain, 27 février 2022)

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  • Le chant du bouc...

    Les éditions de la Reine Grenouille ont publié récemment un essai de Christophe Lavigne intitulé Le chant du bouc. Ancien membre du renseignement militaire français, Christophe Lavigne vit retiré dans le vignoble bordelais.

     

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    " La catastrophe s’est déjà produite. Le monde évolue. Est-ce bien ou mal? Peu importe. Quoi qu’il en soit, il faut s’adapter et faire face à de nouvelles contraintes et de nouveaux dangers.Pour affronter la médiocrité, Christophe Lavigne nous propose de revenir aux origines en interrogeant la civilisation grecque et sa définition de la tragédie. Inégalité, violence et mort, trois notions clés que nos contemporains cherchent, en vain, à écarter de leur chemin. Or plutôt que de fuir le tragique ne devrions pas plutôt faire corps avec lui? C'est sur ces pistes, affranchies de toute rhétorique pompeuse et intellectualisante, que nous mène l'auteur. Le Chant du bouc s’invite au milieu des considérations sur le monde contemporain, un monde devenu complexe et difficilement lisible, et nous propose des clés pour s'affranchir et, pourquoi pas, s'accomplir.Plus qu'un livre de réflexion, un manuel de vie."
     
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  • La crise du Coronavirus ou le grand retour du tragique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Figaro vox et consacré à l'ébranlement que provoque dans notre société la pandémie de coronavirus. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

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    Michel Maffesoli: «La crise du Coronavirus ou le grand retour du tragique»

    Sans craindre les foudres d’une intelligentsia apeurée, on ne dira jamais assez que nous assistons à la décadence inéluctable de la modernité. Fin d’un monde se manifestant, au quotidien, dans une dégénérescence intellectuelle, politique, sociale dont les symptômes sont de plus en plus évidents.

    Dégénérescence de quoi, sinon du mythe progressiste? Corrélativement à l’idéologie du service public, ce progressisme s’employait à justifier la domination sur la nature, à négliger les lois primordiales de celle-ci et à construire une société selon les seuls principes d’un rationalisme abstrait dont l’aspect morbide apparaît de plus en plus évident. Les réformes dites «sociétales» (mariage pour tous, PMA-GPA, etc.) en étant les formes caricaturales.

    Le point nodal de l’idéologie progressiste, c’est l’ambition voire la prétention de tout résoudre, de tout améliorer afin d’aboutir à une société parfaite et à un homme potentiellement immortel.

    Qu’on le sache ou non, la dialectique: thèse, antithèse, synthèse est le mécanisme intellectuel dominant. Le concept hégélien de «dépassement» (Aufhebung), est le maître mot de la mythologie progressiste. C’est stricto sensu, une conception du monde «dramatique», c’est-à-dire reposant sur la capacité à trouver une solution, une résolution permettant d’accéder à la perfection à venir.

    Il est une formule de K. Marx qui résume bien une telle mythologie: «L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre.» Ambition, prétention de tout maîtriser. Et que l’on veuille ou non le reconnaître, il existe, gauche et droite confondues, une véritable «marxisation» des esprits. L’élite moderne: politiques, journalistes et divers experts, est contaminée par cette prétention quelque peu paranoïaque. Dans un avenir, plus ou moins proche, l’on arrivera à réaliser une société parfaite!

    C’est bien cette conception dramatique, donc optimiste qui est en train de s’achever. Et, dans le balancement inexorable des histoires humaines, c’est le sentiment du tragique de la vie qui, à nouveau, tend à prévaloir. Le dramatique, je l’ai dit, est résolument optimiste. Le tragique est aporique, c’est-à-dire sans solution. La vie est ce qu’elle est.

    Plutôt que de vouloir dominer la nature, on s’accorde à elle. Selon l’adage populaire, «on ne commande bien la nature qu’en lui obéissant.» La mort, dès lors, n’est plus ce que l’on pourra dépasser. Mais ce avec quoi il convient de s’accorder.

    Voilà ce que rappelle, en majeur, la «crise sanitaire». La mort pandémique est le symbole de la fin de l’optimisme propre au progressisme moderne. On peut le considérer comme une expression du pressentiment, quelque peu spirituel, que la fin d’une civilisation peut être une délivrance et, en son sens fort, l’indice d’une renaissance. Indice, «index», ce qui pointe la continuité d’un vitalisme essentiel!

    La mort possible, menace vécue quotidiennement, réalité que l’on ne peut pas nier, que l’on ne peut plus dénier, la mort qu’inexorablement l’on est obligé de comptabiliser, cette mort, omniprésente, rappelle dans sa concrétude que c’est un ordre des choses qui est en train de s’achever.

    Ce qui est concret, je le rappelle: cum crescere, c’est ce qui «croît avec», avec un réel irréfragable. Et ce réel c’est la mort de cet «ordre des choses» ayant constitué le monde moderne!

    Mort de l’économicisme dominant, de cette prévalence de l’infrastructure économique cause et effet d’un matérialisme à courte vue.

    Mort d’une conception purement individualiste de l’existence. Certes, les élites déphasées continuent à émettre des poncifs du type «compte tenu de l’individualisme contemporain», et autres sornettes de la même eau. Mais l’angoisse de la finitude, finitude dont on ne peut plus cacher la réalité, incite, tout au contraire, à rechercher l’entraide, le partage, l’échange, le bénévolat et autres valeurs du même acabit que le matérialisme moderne avait cru dépasser.

    Encore plus flagrant, la crise sanitaire signe la mort de la mondialisation, valeur dominante d’une élite obnubilée par un marché sans limites, sans frontières où, là encore, l’objet prévaut sur le sujet, le matériel sur le spirituel.

    Souvenons-nous de la judicieuse expression du philosophe Georg Simmel, rappelant que le bon équilibre de toute vie sociale est l’accord devant exister entre le «pont et la porte». Le pont nécessaire à la relation, et la porte relativisant cette relation afin d’accéder à une harmonie bénéfique pour tout un chacun.

    C’est ce que j’ai appelé «Écosophie», sagesse de la maison commune. En termes plus familiers, il s’agit de reconnaître que «le lieu fait lien». Toutes choses rappelant qu’à l’encontre du leitmotiv marxiste: «l’air de la ville rend libre», formule archétypale du déracinement, la glèbe natale retrouve une force et vigueur indéniables.

    Enracinement dynamique rappelant que, comme toute plante, la plante humaine a besoin de racines pour pouvoir croître, avec force, justesse et beauté! Ainsi face à la mort on ne peut plus présente, est rappelée la nécessité de la solidarité propre à un «idéal communautaire» que certains continuent à stigmatiser en le taxant, sottement, de communautarisme.

    La mort de la civilisation utilitariste où le lien social est à dominante mécanique, permet de repérer la réémergence d’une solidarité organique. Organicité que la pensée ésotérique nomme «synarchie». Ce qu’avait également bien analysé Georges Dumézil en rappelant l’interaction et l’équilibre existant, à certains moments, entre les «trois fonctions sociales».

    La fonction spirituelle, fondant le politique, le militaire, le juridique et aboutissant à la solidarité sociétale. Ainsi, au-delà d’une suradministration déconnectée du Réel, c’est bien un tel holisme que l’on voit resurgir de nos jours.

    Mais la prise en compte d’une telle synarchie organique nécessite que l’on sache le dire avec les mots étant le plus en pertinence avec le temps. Il est amusant, il vaudrait mieux dire désolant, de lire sous la plume de la plupart des observateurs sociaux que la situation est dramatique et quelques lignes plus loin parler de son aspect tragique. Ce qui montre bien que la formule de Platon est toujours d’actualité: «la perversion de la cité commence par la fraude des mots!»

    La conception «dramatique» est le propre d’une élite croyant trouver à tout une solution opportune. Le «tragique», bien au contraire, s’accorde à la mort. Il sait, d’un savoir incorporé, savoir propre à la sagesse populaire, vivre la mort de tous les jours.

    Voilà en quoi la crise sanitaire porteuse de mort individuelle est l’indice d’une crise civilisationnelle, celle de la mort d’un paradigme progressiste ayant fait son temps. Peut-être est-ce cela qui fait que le tragique ambiant, vécu au quotidien, est loin d’être morose, conscient qu’il est d’une résurrection en cours. Celle où dans l’être-ensemble, dans l’être- avec, dans le visible social, l’invisible spirituel occupera une place de choix.

    Michel Maffesoli (Figaro Vox, 23 mars 2020)

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  • Dostoïevski, Nietzsche et la philosophie de la tragédie...

    Les éditions Le Bruit du Temps viennent de rééditer un essai de Léon Chestov intitulé La Philosophie de la Tragédie - Dostoïevski et Nietzsche. Figure de la philosophie russe du début du siècle, Léon Chestov est mort en exil à Boulogne en 1938.

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    " La Philosophie de la tragédie est le troisième livre de Léon Chestov, une œuvre de sa première période, publiée originellement en 1901 dans Le Monde de l'art, la célèbre revue de Diaghilev, puis en volume en 1903. Chestov poursuit ici la réflexion amorcée dans Shakespeare et son critique Brandès, qui était déjà "une apologie de la tragédie" telle qu'elle apparaît dans Hamlet, Lear ou Macbeth. Son second livre, L'Idée du bien chez Tolstoï et Nietzsche, rompait plus nettement encore avec l'idéalisme en opposant la philosophie de Nietzsche, dont la rencontre l'a bouleversé, à la sagesse du romancier russe. Tolstoï (encore vivant à l'époque de la rédaction du livre) est également présent dans La Philosophie de la tragédie, mais Chestov s'attache ici, d'une manière si personnelle qu'elle trahit sans doute une expérience autobiographique, à éclairer chez le romancier de La Voix souterraine et chez le philosophe de Humain trop humain le moment où les convictions idéalistes entretenus dans leur jeunesse se sont trouvées bouleversées et où ils ont pénétré dans un domaine de l'esprit humain où les hommes n'entrent d'habitude qu'à leur corps défendant. Or c'est là, à proprement parler, pour Chestov, le domaine de la tragédie. Dès ce moment, et c'est ce qui rend son œuvre actuelle et prophétique, Chestov décrit l'idéalisme comme "semblable aux états despotiques orientaux" : "Du dehors tout apparaît splendide et bâti pour l'éternité ; mais à l'intérieur, c'est atroce." Aux tenants de l'idéalisme, c'est-à-dire à la quasi-totalité de la tradition philosophique, il préférera donc toujours les Nietzsche et les Dostoïevski : ceux qui donnent la parole à "l'homme souterrain" qui s'offense des lois de la nature et, dans la souffrance, cherche "là où personne n'avait cherché, là où, selon la conviction générale, il ne peut y avoir que ténèbres et chaos", ceux qui brisent les chaînes qui entravent l'esprit humain, avide de liberté. "

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  • Clint Eastwood dans le jardin du bien et du mal...

    A l'occasion de la sortie du film controversé de Clint Eastwood, American sniper, nous reproduisons ci-dessous une excellente critique de l’œuvre de l'acteur-cinéaste qu'a publiée Alexandre Devecchio dans le Figaro Vox...

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    Clint Eastwood, ni facho, ni héros

    Clint Eastwood serait-il rattrapé par ses vieux démons? Son dernier film, American Sniper, qui sort en France ce mercredi, a rencontré un immense succès public aux États-Unis, mais également engendré une intense polémique. Tout est parti d'un tweet du cinéaste Michael Moore: «Mon oncle a été tué par un sniper pendant la Seconde Guerre mondiale. On nous a appris que les snipers étaient des lâches.». American Sniper est l'adaptation de l'autobiographie de Chris Kyle, tireur d'élite ayant servi pendant la guerre en Irak. Connu pour être le plus prolifique de l'histoire, celui-ci aurait tué officiellement 160 personnes, femmes et enfants compris. Outre-Atlantique, certains critiques reprochent à Eastwood de glorifier un assassin et voient dans ce film une apologie de la violence. La polémique pourrait rebondir en France: le sénateur Yves Pozzo di Borgo a écrit à François Hollande pour demander au ministère de la Culture de reporter sa diffusion ou de l'interdire au moins de 16 ans, en vain. L'élu redoute que «compte tenu des évènements survenus au mois de janvier, le film contribue à la stigmatisation de la communauté musulmane de France».

    Deux Eastwood en un

    Clint Eastwood est un habitué des controverses. Bien avant American Sniper, L'inspecteur Harry, lui avait valu les foudres des libéraux américains. A propos du polar de Don Siegel, Pauline Kael, considérée comme la plus grande critique américaine de l'époque, écrivait dans le New Yorker en janvier 1972, «L'inspecteur Harry n'est évidemment qu'un film de genre, mais ce genre du film d'action a toujours recelé un potentiel fasciste, qui a fini par faire surface». «Facho» l'adjectif a longtemps collé à la peau de l'acteur, devenu entre-temps réalisateur. La revue Positif ira même jusqu'à qualifier de «Mein Kampf de l'Ouest» le western L'Homme des hautes plaine (1973). Une image désastreuse qui finit par se retourner à la fin des années 80 et au début des années 90 après une série de réalisations en apparence plus consensuelles: Bird (1987), Impitoyable (1992), Un monde parfait (1993), Sur la route de Madison(1995)… La plupart des critiques saluent la rédemption de l'acteur-réalisateur qui passe du statut de réac infréquentable à celui d'humaniste pour tous.

    Il y aurait donc deux Eastwood. Le premier, celui des westerns et des films d'action, serait le champion de l'ordre moral, le chantre de la violence gratuite et le héros des ploucs du Sud profond tandis que le second incarnerait une Amérique libérale plus tolérante et ouverte sur le monde. «F-o-u-t-a-i-se!» aurait sans doute répliqué l'inspecteur Harry. Car cette vision binaire de la carrière d'Eastwood passe à côté de ce qui fait la singularité de son cinéma: sa profonde ambivalence et son refus absolu de tout manichéisme. Minuit dans le jardin du bien et du mal (1997), titre de son vingt-troisième long-métrage, pourrait résumer l'ensemble de son œuvre. S'il y a bien deux Eastwood, ces derniers cohabitent dans chacun de ses films et de ses personnages. L'acteur-réalisateur célèbre en effet le rêve américain, mais en montre également la face sombre. Profondément humains, ses héros sont habités par le pire et le meilleur: solitaires et individualistes, ils se cherchent néanmoins une famille de substitution ; farouchement campés sur leurs valeurs et leur modes de vie, ils n'en sont pas moins capables de tendre la main vers l'Autre. Ce goût d'Eastwood pour le clair-obscur se retrouve jusque dans ses choix esthétiques de réalisation, en particulier dans sa photographie qui joue constamment avec l'ombre et la lumière. Cette ambiguïté a été la marque de fabrique de ses westerns aussi bien en tant qu'acteur que réalisateur.

    Cow-boy ou criminel?

    Clint Eastwood aura d'abord marqué le genre de son empreinte à travers sa célèbre interprétation de l'homme sans nom dans la trilogie des dollars de l'Italien Sergio Leone. L'acteur est comparé à John Wayne qui l'adoube immédiatement comme son successeur. Tous deux ont pour point commun leur virilité sauvage. Mais, tandis que la plupart des cowboys incarnés par «the Duke» sont des héros qui exaltent les valeurs de la conquête de l'Ouest, Eastwood interprète des antihéros essentiellement motivés par l'appât du gain et capables de tirer dans le dos de leurs adversaires. Son style de jeu, volontairement impassible, est marqué par une certaine distance ironique. De même, l'Ouest dépeint par Leone est profondément désenchanté. On s'y entre-tue, non pour sauver la veuve et l'orphelin, mais pour une poignée de dollars. La dimension critique des westerns spaghettis passera pourtant longtemps inaperçue. Pendant des années, le genre sera réduit à un simple exercice de style inutilement violent. La brutalité des personnages d'Eastwood et du cinéma de Leone est pourtant loin d'être gratuite. Dans Le bon, la brute et le truand (1966), dernier opus de la trilogie des dollars, la guerre de Sécession est montrée dans toute sa cruauté: une longue scène dans un camp de prisonniers, au cours de laquelle une fanfare joue fort pour couvrir les cris des hommes torturés, évoque l'horreur des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Le film suggère que l'Amérique s'est bâtie dans le sang.

    Plus tard, Eastwood poursuivra cette démystification du western à travers ses propres films. On peut notamment citer Josey Wales hors-la-loi (1976), qui raconte la vengeance d'un paisible fermier après le massacre de sa femme et ses enfants par les tuniques bleus à la fin de la guerre civile. Une fois n'est pas coutume, les unionistes ne sont pas présentés comme les «gentils» de l'histoire. Eastwood brouille la frontière entre le bien et la mal et renvoie dos à dos sudistes et nordistes. Dans la spirale infernale de la guerre, les deux camps sont capables des pires exactions. Dans Impitoyable (1991), son dernier western, qui marque également le crépuscule du genre tout entier, Eastwood ira encore plus loin dans sa vision nihiliste de l'Ouest. Requiem d'une profonde noirceur, le long-métrage nous plonge dans une Amérique sans foi, ni loi. Comme dans Josey Wales hors-la-loi, les «bons» et les «méchants» ne sont pas forcément là où on l'attend puisque la figure du mal est ici incarnée par le shérif, sadique et psychopathe. Mais, le «héros» du film, Will Munny, interprété par Eastwood lui-même, est presque tout aussi criminel. Ancien chasseur de primes reconverti dans l'élevage, il accepte de reprendre du service pour venger une prostituée défigurée au couteau par un cow-boy ivre. Munny pensait que sa femme décédée l'avait transformé. Mais dans sa traque il va reprendre goût à la violence. Un personnage finalement pas si éloigné de Chris Kyle, le soldat d'American Sniper, sorte de cow-boy contemporain, accro à la guerre.

    Un homme en colère

    Outre le western, Clint d'Eastwood s'est illustré dans le genre du polar, souvent à travers des rôles de flic. Son personnage le plus emblématique et le plus controversé n'est autre que l'inspecteur Harry qui apparaîtra dans pas moins de cinq long-métrages. Est-il réellement le «fasciste moyenâgeux» décrit par la critique Pauline Kael? En réalité, comme tous les meilleurs personnages Eastwoodien, Harry Callahan brille par sa complexité derrière son apparence de brute. L'historien du cinéma Richard Schickel voit dans L'inspecteur Harry «le remarquable portrait d'un certain homme américain, furibard, perplexe, sur le point de craquer et de perdre tout son sens des convenances, et qui cependant, s'accroche désespérément à ses valeurs à mesure que la modernité ne cesse de les entamer». Pour Eastwood, «Le film ne parle pas d'un homme qui incarne la violence, mais d'un homme qui ne supporte pas que la société tolère la violence.» Pour l'américain ordinaire, Harry symbolise peut-être tout simplement le bon sens populaire.

    Près de quarante ans après le premier inspecteur Harry, Eastwood semble avoir voulu revisiter ce personnage, un peu comme il avait revisité la figure du cow-boy dans Impitoyable. Dans Gran Torino (2009), son avant-dernière apparition en tant qu'acteur, il incarne Walt Kowalski, vétéran de la guerre de Corée et retraité de l'industrie automobile. Celui-ci habite dans la banlieue de Détroit, ville la plus ségrégée des États-Unis où sous l'effet de la désindustrialisation les quartiers ouvriers sont remplacés par des ghettos d'immigrés. Le vieil homme irascible, arme au poing, défend son carré de pelouse, sur lequel flotte le drapeau américain, face à ses voisins, des immigrants Hmongs venus d'Asie du Sud-Est. Dans la bouche de ce personnage politiquement incorrect, les insultes xénophobes pleuvent: «faces de citrons», «niakoués», «rebuts de rizière». Mais peu à peu Walt va s'apercevoir qu'il a plus en commun avec «ces bridés» qu'avec ses propres enfants, trop gâtés à ses yeux, dont un vrai sens de l'honneur et un certain respect des traditions. Lorsque ces derniers sont victimes de la brutalité d'un gang local, on s'attend à ce que Walt dégaine son flingue et fasse le ménage, comme Harry jadis. Mais contre toute attente dans une dernière scène christique, l'ancien soldat décide de se sacrifier pour les Hmongs. Certains critiques y ont vu la rédemption de l'inspecteur Harry. Et s'il fallait plutôt y voir encore et toujours le goût d'Eastwood pour les paradoxes? Derrière les faux moralistes, il y a parfois de parfaits hypocrites et derrière les faux réacs, il y a aussi de vrais humanistes. La colère de Walt, bien qu'elle semble parfois teintée de racisme, n'est-elle pas simplement l'expression d'une angoisse légitime face au communautarisme qui s'installe dans les quartiers en déshérence de l'Amérique profonde?

    Minuit dans le jardin du bien et du mal

    Comme la plupart des films d'Eastwood, Gran Torino est aussi une méditation sur la violence. Durant la guerre de Corée, Walt a tué un enfant, acte qu'il ne se pardonne pas et qu'il cherche à expier. Chris Kyle, le soldat d'American Sniper est lui aussi hanté par la mort d'un jeune garçon. Dans la première scène du film, littéralement insoutenable, Chris Kyle abat un jeune irakien et sa mère. Eastwood s'abstient pourtant de juger son personnage. Avait-il vraiment le choix? L'enfant était armé d'une bombe et s'apprêtait à tuer des dizaines de soldats. N'en déplaise à Michael Moore, Chris Kyle n'est pas présenté comme un monstre, mais comme un authentique patriote confronté à des situations impossibles. «J'aime que mes personnages soient ambigus, que les bons ne soient pas seulement bons et que les méchants ne soient pas que des méchants. Chacun a ses failles et ses raisons, et une justification à ce qu'il fait.». affirme Eastwood. Il ne s'agit en aucun cas de relativisme moral, plutôt d'une certaine hauteur de vue qui lui permet d'explorer encore et toujours la complexité de la condition humaine. Cela lui vaut régulièrement d'être attaqué par la gauche, mais aussi par la droite. Million Dollar Baby, peut-être son plus beau film à ce jour, se clôt par l'euthanasie du personnage principal, une boxeuse devenue tétraplégique, à laquelle se résout avec désespoir son père de substitution incarné par Eastwood. Un épilogue déchirant et dépourvu de toute intention militante, pourtant dénoncé par certains conservateurs américains. Comme l'écrit le critique Richard Schickel: chez Eastwood, «le destin tragique auquel on ne peut échapper transcende l'idéologie». Il n'y a ni facho, ni héros.

    Alexandre Devecchio (Figarovox, 17 février 2015)

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