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  • Face au tout-puissant Conseil constitutionnel, le peuple est-il vraiment souverain ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christophe Boutin, cueilli sur le Figaro Vox et consacré à la décision du Conseil Constitutionnel d'interdire la proposition des Républicains d’organiser un référendum sur la politique migratoire.

    Christophe Boutin est docteur en sciences politiques et professeur de droit public à l’université de Caen. Avec Frédéric Rouvillois, il a notamment publié Quinquennat ou septennat (Flammarion, 2000), Les parrainages ou comment les peuples se donnent des maîtres (La Nouvelle Librairie, 2022), La proportionnelle ou comment rendre la parole au peuple (La Nouvelle Librairie, 2022) et Le référendum ou comment redonner le pouvoir au peuple (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    RIP sur l'immigration : face au tout-puissant Conseil constitutionnel, le peuple est-il vraiment souverain ?

    Le Conseil constitutionnel intervenait pour la sixième fois dans une procédure de référendum d'initiative partagée (RIP). L'exercice suppose de réunir un cinquième des membres du Parlement, puis un dixième du corps électoral, avant que la proposition ne soit soumise au référendum - à moins que le Parlement ne «l'examine». Mais entre proposition et récolte des signatures intervient aussi le contrôle du juge.

    Aux termes de l'article 11, celui-ci doit d'abord vérifier le nombre de signataires, puis que la proposition n'ait pas pour objet «l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an», ou porte «sur le même sujet» qu'une proposition de RIP rejetée par référendum depuis moins de deux ans. Encore faut-il avoir un effet, et le Conseil a pu estimer en 2023 que deux propositions visant à interdire un âge du départ à la retraite supérieur à 62 ans n'emportaient «pas de changement de l'état du droit» et les écarter.

    Quatrième condition, la proposition doit entrer dans le champ de l'article 11. Si l'on exclut la ratification de traités, ce dernier concerne «l'organisation des pouvoirs publics» et les «réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent». Tous les termes sont importants : en 2022 la création d'une «contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises» est écartée. Parce qu'elle ne concerne pas la politique économique ? Le commentaire de la décision patauge pour justifier d'en exclure les dispositions fiscales, mais la décision sanctionne la proposition comme n'étant pas une «réforme» car n'ayant pas «une ampleur significative».

    Reste enfin le contrôle de constitutionnalité des «propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum» (article 61). Comme le Conseil constitutionnel s'interdit depuis 1962 le contrôle de la loi référendaire adoptée, on veut en 2008 lui permettre de bloquer les choses avant. Mieux, comme le Conseil constitutionnel vérifie «qu'aucune disposition» de la proposition ne soit contraire à la Constitution, cela interdit une séparabilité qui permettrait de laisser prospérer un texte amputé des dispositions jugées inconstitutionnelles. Sur cette base, la proposition de 2021 sur un «service public hospitalier de qualité», touchant à la «politique sociale de la nation», a été jugée inconstitutionnelle comme portant atteinte au pouvoir réglementaire du Premier ministre.

    Cette même logique des cinq lames du rasoir constitutionnel est celle de la décision du 11 avril 2024. Les trois premières conditions factuelles étant remplies, la question sur laquelle les auteurs de la proposition comme le gouvernement se sont focalisés était celle du domaine de l'article 11. Pour éviter une sanction, si le texte se voulait un moyen de faire valider par référendum des éléments écartés par le Conseil constitutionnel lors de son examen de la loi immigration (décision du 25 janvier 2024), les parlementaires le présentaient comme modifiant «certaines aides sociales susceptibles de bénéficier à des étrangers», entrant donc dans la «politique sociale de la nation», et bien comme une «réforme» au vu de l'ampleur de ses conséquences financières.

    Contre l'avis du gouvernement, le Conseil allait leur donner raison… Mais restait la conformité à la Constitution. L'article 1er excluait notamment de certaines aides les étrangers ne bénéficiant pas «d'une durée minimale de résidence stable et régulière en France», chose possible selon le juge tant que cette durée ne prive pas «de garanties légales» les exigences résultant selon lui du préambule de 1946. Or la durée retenue - au moins cinq ans -, leur aurait porté «une atteinte disproportionnée», et avec l'article 1er, c'est toute la proposition qui disparaît.

    Soyons clairs : en confrontant les termes des propositions à son interprétation de la Constitution, le Conseil constitutionnel est aujourd'hui à même d'empêcher la mise en place d'un RIP sur quasiment tous les sujets. Pour prendre le cas d'espèce, si une durée de résidence de cinq ans était une «atteinte disproportionnée», quelle aurait été la bonne ? Nul ne le sait, à part les neuf Sages - pas plus ici que pour d'autres de leurs jurisprudences où se manifeste toute leur subjectivité.

    Conflit d'interprétation contre interprétation donc : a priori, et quoi qu'en disent leurs opposants, les auteurs de la proposition n'avaient pas l'intention de violer la Constitution. Et puisque conflit d'interprétation il y a, entre les parlementaires et le juge constitutionnel, il faut le faire trancher. Qui, du juge ou des représentants du souverain, doit avoir le dernier mot ? La réponse à cette question posera tôt ou tard celle de la révision constitutionnelle, ce «lit de justice» moderne selon le doyen Georges Vedel.

    Une telle révision-arbitrage peut se faire par le Parlement réuni en Congrès, comme en 1993, mais le peuple souverain pourrait de manière tout aussi légitime trancher le débat si on le laissait s'exprimer. En ce sens, nous avons fait avec Frédéric Rouvillois un certain nombre de propositions pour «redonner le pouvoir au peuple», en ouvrant par exemple le champ référendaire - on voit mal au nom de quoi on interdit de soumettre au peuple souverain quelque texte que ce soit - ou en se demandant si l'appréciation du Conseil ne pourrait pas prendre la forme d'un avis plutôt que d'une décision.

    Mais que le juge constitutionnel puisse continuer d'interdire, sur une base aussi floue, que des propositions référendaires puissent être soumises au peuple souverain, et ce quand il écarte en même temps, et de la même manière, les textes parlementaires sur le même sujet, bloque de fait toute possibilité de réforme sur des sujets qui semblent pourtant aux Français bien plus «existentiels» que d'autres. Notre démocratie n'y survivrait pas longtemps. La question n'est plus de savoir s'il faut réviser la Constitution, mais quand.

    Christophe Boutin (Figaro Vox, 12 avril 2024)

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  • Les « sages » du Conseil constitutionnel et le projet de loi immigration...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Johan Hardoy, cueilli sur Polémia et consacré au Conseil constitutionnel qui est en charge d'étudier la constitutionnalité de la loi immigration...

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    Les « sages » du Conseil constitutionnel et le projet de loi immigration

    Après des débats houleux à l’Assemblée nationale, le projet de loi immigration a finalement été voté. Pourtant, de leur propre aveu, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne misent sur le Conseil constitutionnel pour censurer certaines dispositions d’un texte pourtant approuvé par leur propre majorité !
    Il reviendra donc aux « sages » de la République – comme les appelle la presse de grand chemin – de légitimer ou non un texte suspecté en haut lieu de contenir des dispositions inconstitutionnelles.

    Une création de la Ve République

    Depuis la rébellion de la Fronde (1648-1653), la monarchie française avait été confrontée à une opposition des tribunaux culminant avec la Révolte des Parlements qui avait considérablement affaibli l’autorité royale de Louis XVI. Les parlements ou hautes cours de justice de France revendiquaient alors le droit d’examiner et d’enregistrer les lois et édits que le roi souhaitait adopter, l’obligeant en cas de refus à passer en force par le biais d’une procédure contestée, le « lit de justice ».

    Par la suite, les républiques parlementaires, qui se souvenaient de la méfiance des révolutionnaires à l’égard des juridictions d’Ancien Régime, n’avaient jamais accepté la création d’organes juridictionnels susceptibles de faire échec aux assemblées parlementaires.

    C’est la Ve République qui a donné naissance au Conseil constitutionnel, dont l’une des prérogatives consiste à se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois et des règlements, après saisine du Président de la République, du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée ou du Sénat, ou encore de 60 sénateurs ou députés.

    Au fil du temps, cette institution aux pouvoirs au départ limitée à un contrôle formel s’est transformée en un authentique juge constitutionnel et en protecteur des droits fondamentaux, bien que, contrairement à d’autres juridictions telles que la Cour suprême américaine, elle ne se situe au sommet d’aucune hiérarchie de tribunaux judiciaires ou administratifs.

    Concernant l’immigration, rappelons qu’en 2018, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du principe de fraternité en se basant sur la devise de la République, le préambule de la Constitution (relatif aux « territoires d’outre-mer ») et l’article 72-3 de la Constitution (idem), affirmant dès lors le principe de la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national, à charge pour le législateur d’assurer la conciliation entre ce principe et la sauvegarde de l’ordre public.

    Qui sont les « sages » de la République ?

    Ses neuf membres, auxquels s’ajoutent les anciens Présidents de la République, sont nommés pour neuf ans et désignés par tiers par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale, après avis des commissions parlementaires qui peuvent s’y opposer à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. Nicolas Sarkozy n’y a plus siégé depuis 2013 et François Hollande ne l’a jamais fait.

    Un tiers de ces « sages » sont des politiciens chevronnés, extérieurs au monde juridique, dont les orientations ne devraient pas trop décevoir Emmanuel Macron :

    * Laurent Fabius a été Premier ministre sous François Mitterrand.

    Il est l’auteur d’une formule restée fameuse : « le Front national pose les bonnes questions, mais leur donne de mauvaises réponses. »

    * Alain Juppé a été Premier ministre de Jacques Chirac.

    Sa nomination au Conseil constitutionnel par Emmanuel Macron a fait de lui le premier membre de cette institution à avoir été condamné par la justice (en 2004, 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris).

    Ses positions à l’égard de l’immigration ont largement fluctué au cours des ans. Tenant d’une ligne considérée comme dure dans les années 1970 (en 1977, il souhaitait que « les emplois traditionnellement abandonnés aux étrangers puissent être occupés par des Français »), il déclarait plus tard qu’il fallait « accueillir de nouveaux immigrés » à la suite de la publication d’un rapport du Medef allant dans ce sens. Ses positions ultérieures sont à l’avenant : hostilité à la suppression du droit du sol, critique d’une possible suspension du regroupement familial, etc.

    * Jacqueline Gourault, qui était enseignante d’histoire et géographie avant sa carrière politique au sein de l’UDF puis du MoDem, a été sénatrice de 2001 à 2017, vice-présidente du Sénat de 2014 à 2017, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, puis ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales dans les gouvernements d’Édouard Philippe et de Jean Castex.

    Sa nomination au Conseil constitutionnel, sur proposition d’Emmanuel Macron, a suscité la polémique en raison de son absence de qualification juridique, mais le parlement l’a validée par 41 voix pour, 31 contre et 4 abstentions.

    En 1998, elle était l’une des rares élues du Loir-et-Cher à refuser toute alliance avec le Front national au conseil régional.

    Deux autres membres ont été nommés par la Macronie :

    * Jacques Mézard est diplômé en droit privé et avocat. Il a été sénateur dans le Cantal en 2008, puis ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et ministre de la Cohésion des territoires du gouvernement d’Édouard Philippe.

    * Véronique Malbec est une magistrate expérimentée qui a débuté sa carrière comme juge d’instruction, avant de devenir procureure générale, Secrétaire générale du ministère de la Justice de 2018 à 2020, puis directrice du cabinet du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.

    En 2017, en tant que procureure générale de Rennes, elle a supervisé (sans donner d’instruction) le classement sans suite d’une plainte de l’affaire des Mutuelles de Bretagne dans laquelle Richard Ferrand était mis en cause. C’est d’ailleurs ce dernier qui l’a nommée au Conseil constitutionnel en 2022, ce qui a soulevé des questions au sein même du monde judiciaire, bien que l’intéressée soit réputée indépendante d’esprit.

    L’intéressée vit en couple avec le Directeur général de la police, Frédéric Veaux.

    La suivante présente un profil plus neutre :

    * Corinne Luquiens, nommée en 2016 par le socialiste Claude Bartolone, est diplômée en droit public. Elle a effectué toute sa carrière à l’Assemblée nationale, tout d’abord en tant qu’administratrice au service des affaires sociales puis comme secrétaire générale de 2010 à 2016, sur proposition du Bernard Accoyer (alors UMP, devenu LR).

    Il est moins probable que les trois derniers, nommés au Conseil constitutionnel par Gérard Larcher participent à la censure du texte :

    * Michel Pinault est licencié en droit, diplômé d’HEC et énarque. Il a siégé au Conseil d’État de 1976 à 1992 et de 2004 à 2008. Entretemps, il a travaillé chez les assureurs UAP et AXA pendant treize ans. En 2014, il a été élu président de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers.

    * François Pillet, diplômé en droit privé, a exercé pendant 38 ans à la cour d’appel de Bourges. Ancien membre de la Cour de justice de la République, il a été président du comité de déontologie parlementaire de la chambre haute, et sénateur divers droite rattaché au groupe LR entre 2007 et 2019.

    En tant que membre de la commission des Lois au Sénat, il est intervenu dans la commission de l’affaire Benalla. Il a auditionné Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée et bras droit d’Emmanuel Macron, avant de déclarer que les manquements de l’intéressé étaient très clairs. Par ailleurs, il a soutenu François Fillon durant la primaire présidentielle des Républicains de 2016.

    * François Seners, qui est énarque, a été conseiller au tribunal administratif de Nice de 1993 à 1996, puis au Conseil d’État de 1997 à 2008. Ancien directeur de cabinet de Rachida Dati pendant six mois entre 2008 et 2009, il a été secrétaire général du Conseil d’État entre 2012 et 2014, puis directeur du cabinet de Gérard Larcher entre 2014 et 2017.

    Par ailleurs, il a été Chef du centre de prospective de la gendarmerie nationale de 1999 à 2002, et membre du conseil de l’Ordre des médecins jusqu’à sa nomination en 2022.

    ***

    La composition actuelle du Conseil constitutionnel rend donc probable que le souhait présidentiel de censurer une partie du projet de loi sur l’immigration sera satisfait, sauf à ce que ses membres montrent une indépendance d’esprit digne des « sages » qu’ils sont censés être.

    Quelle que soit leur position sur ce texte, il va de soi que tant que la France n’aura pas recouvré sa pleine souveraineté, l’impact de cette trentième loi sur l’immigration restera cosmétique.

    En conséquence, la récente proposition de Marion Maréchal d’organiser un « Comité pour un référendum sur l’immigration », en invitant les partis attachés à la sauvegarde de la civilisation française à soutenir cette initiative en vue d’organiser un référendum d’initiative partagée (RIP), prend tout son sens. Le RIP, encore jamais organisé en France, doit préalablement réunir les paraphes de 185 parlementaires et d’environ 4,8 millions d’électeurs.

    Pour mémoire, ainsi qu’il l’a rappelé à propos de l’élection du Président de la République, en 1962, et du traité de Maastricht, en 1992, le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la décision du peuple souverain, mais la régularité des conditions de sa consultation.

    En cas de validation finale du RIP et de la possibilité enfin donnée aux Français de se prononcer en faveur d’une législation moins laxiste sur l’immigration, la question de la prédominance des lois et conventions européennes, de même que des traités internationaux ratifiés par la France, resterait pendante, mais l’expression populaire, si elle était manifeste, pèserait indéniablement en faveur de la promotion des choix politiques nécessaires à la maîtrise des flux migratoires.

    Johan Hardoy (Polémia, 29 décembre 2023)

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  • Référendum sur l’immigration : la méfiance des élites envers la souveraineté populaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Leblay cueilli sur Polémia et consacré au refus des consultations référendaires du peuple par les élites du système.

     

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    Référendum sur l’immigration : la méfiance des élites envers la souveraineté populaire

    Le site Télos a publié le 27 mai dernier un article de Messieurs Elie Cohen, Gérard Grunberg et Pasquale Pasquino intitulé Le choix inquiétant des Républicains. Il s’agit d’une critique de l’annonce dans Le journal du dimanche du 21 mai 2023 par Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau de deux propositions de loi sur l’immigration. La première proposition vise à permettre la tenue d’un référendum sur l’immigration et la seconde a pour objet l’adoption de mesures restrictives sur l’immigration. Face à ces deux propositions, les auteurs de l’article marquent leur opposition avec les intentions formulées par les trois élus Républicains qu’ils résument en trois mesures : une réforme constitutionnelle pour élargir l’objet du referendum à la politique de l’immigration ; une remise en cause de la primauté de la norme juridique européenne sur la norme nationale ; et une primauté de la décision politique sur son interprétation juridique.

    Une conception de la démocratie

    Ce qui retient d’abord l’attention c’est la conception avancée par les trois auteurs de ce que doit être une démocratie et leur considération pour la souveraineté populaire. C’est certainement à ce titre que l’article doit être relevé en premier lieu. Deux phrases extraites de celui-ci en traduit l’esprit : LR remet à l’honneur la pratique du référendum, partageant ainsi la tendance antiparlementaire de la droite et de la gauche radicales et rompant avec le ralliement des gaullistes au parlementarisme rationalisé opéré après le départ du général de Gaulle. Cette évolution est dangereuse. La présidence du Général De Gaulle et le recours par celui-ci au suffrage populaire pour les questions qu’il estimait essentielles pour le pays apparait de ce point de vue comme une regrettable parenthèse. En fait, ce qui est défini comme le parlementarisme rationalisé est à l’essence de la Ve République puisque la Constitution de celle-ci, approuvée par le suffrage universel le 28 septembre 1958, a bordé l’action du Parlement. D’une part, aux termes des articles 34 et 37 de la Constitution le domaine de la loi est strictement défini, les « matières autres » ayant un caractère réglementaire. D’autre part, cette Constitution offre au gouvernement des moyens constitutionnels, en premier lieu l’article 49.3, pour faire adopter des textes malgré l’absence de majorité pour les voter. En parallèle, le recours au référendum est explicitement prévu aux termes des articles 11 et 89 de la Constitution. Il est vrai que l’article 89 apporte une limite fondamentale puisque toute réforme de la Constitution proposée au référendum doit au préalable être approuvée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Le Général De Gaulle dû regretter cette disposition puisqu’il l’enfreint lors de la réforme constitutionnelle de 1962. Il recourut à l’article 11 comme dans le cas de l’autre projet de réforme constitutionnelle de 1969. Dans ces deux circonstances, le fondateur de la Ve République paraissait opposer une légitimité populaire à une légitimité parlementaire. Pour autant, il n’y eut aucun caractère systématique dans cette opposition. Notamment, renonçant à son projet de référendum annoncé le 24 mai 1968, c’est bien par le recours à des élections législatives qu’il a résolu politiquement la crise née des évènements de mai-juin 1968.

    Sans que la proposition soit détaillée, la réforme constitutionnelle envisagée par les trois élus Républicains devrait toucher l’article 89, permettant au Président de la République de soumettre directement au référendum un projet qui comporterait une modification de dispositions constitutionnelles.

    Une telle option ne remet pas en cause le parlementarisme rationalisé. Elle vise sur des sujets considérés comme essentiels à recueillir l’approbation du suffrage universel. Toute autre serait l’introduction du « référendum d’initiative citoyenne ».

    En fait, les auteurs expriment la plus grande méfiance à l’encontre de la souveraineté populaire, expression de la souveraineté nationale. C’est l’idée même qu’un peuple puisse par son suffrage fixé son destin qui est en cause, la mythologie juridique de la souveraineté populaire, selon leur expression à propos du référendum. L’élément fondamental de leur raisonnement est la soumission de l’action politique au contrôle du juge : … cette source (les règles en termes d’immigration) réside dans un ordre juridique fondé sur des droits universels garantis par des conventions européennes et sur le pouvoir d’interprétation et de sanction du juge. Ils ajoutent, par rapport à ces propositions des élus Républicains, qu’il s’agit d’une remise en cause de la primauté de la norme juridique européenne sur la norme nationale ; et une primauté de la décision politique sur son interprétation juridique… En précisant que : La supériorité de la norme juridique européenne sur la norme nationale est constitutive du projet européen et ne saurait être écartée au nom d’intérêts dont la définition serait laissée à la discrétion de chaque nation.

    Or, s’il peut être admis que le juge censure le vote du législateur, à l’évidence, réprouver l’expression populaire manifesterait un déni de démocratie. La promotion des valeurs et, en premier lieu, la démocratie se trouverait fortement mise à mal.

    En la circonstance, le sujet de l’immigration tel qu’il se présente pose le problème du devenir de la Nation au regard de l’arrivée de populations, de plus en plus nombreuses avec le temps, venues d’autres aires de civilisation ; sans compter les questions immédiates liées à la sécurité quotidienne.

    Le rejet du référendum et de la souveraineté populaire

    Ainsi, il ressort du propos trois éléments : des droits universels garantis ; des nations enserrées dans des règles supranationales ; in fine, le pouvoir de décision revient au juge. Comme il est souligné, La France ne peut pas plus que l’Italie (pour la politique migratoire) s’opposer à l’Union européenne. Ce qu’il manque, assurément, partant de ces observations, c’est une définition de la démocratie et de la souveraineté d’un peuple. Néanmoins, il est possible de relever dans l’article quelques indices. Ainsi, s’agissant du référendum de 2005, ils (les électeurs) se décident plutôt en fonction de leur relation à l’acteur politique qui propose le référendum que sur le contenu de la proposition – comme on l’a bien vu dans le cas du référendum sur le traité constitutionnel de l’Union Européenne en 2005. Le gouvernement par référendum signerait en réalité la mort du régime représentatif rationalisé. Outre que les raisons invoquées pour lesquelles les électeurs se prononceraient relèvent d’une simple affirmation, non d’une démonstration, il apparait que par la référence au régime représentatif rationalisé détourne ce concept de son sens. Le régime représentatif rationalisé ne saurait exclure le recours au référendum sauf à considérer que le concept supposerait des choix politiques déterminés. Les élections, dans ces conditions, ne constitueraient alors qu’un simple habillage démocratique. En effet, les élus, au-delà du vote de leurs électeurs, seraient soumis à l’injonction d’une rationalité spécifique. Celle-ci serait comprise comme « une vérité » sur l’ordonnancement du monde ni contestable, ni négociable, ni amendable à laquelle n’accéderait qu’une « élite » dirigeante.

    La condamnation de l’assimilation

    Parmi les items de cette « vérité » figure l’immigration et la manière dont elle doit être conçue. A cet égard, le propos tenu sur l’assimilation est éloquent quant à l’idéologie qui sous-tend la vision exprimée par les trois auteurs : À cela s’ajoute la proposition réactionnaire et dangereuse de révision de la Constitution consistant à compléter son article 3 en proclamant que « nul ne peut devenir français s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française ». Cette vieille notion, particulièrement floue, que l’on croyait abandonnée, peut être entendue de toutes les façons y compris les plus restrictives. Non seulement l’immigration est vue comme une obligation mais elle doit se concevoir dans le cadre d’une société multiculturelle, c’est-à-dire le rassemblement d’individus à un moment donné sur un territoire donné, la cohabitation par nature ne devant être qu’harmonieuse, chacun ayant pour seul devoir de respecter l’autre. Tout cela relève du mirage de la construction de l’homme nouveau dans la société nouvelle. Mais les faits sont là ; l’histoire nous l’enseigne au travers des siècles et des millénaires.

    La représentation démocratique subordonnée au juge

    Ce parlementarisme rationalisé tel qu’il est invoqué dans le propos, placé sous le contrôle du juge national et international, dans le contexte de la pensée dominante présente, n’est donc pas un principe de gouvernement ouvert à tous les choix politiques, il est l’outil au service d’une idéologie et le seul moyen pour l’imposer. Les peuples d’Occident se montrant rétifs à un cosmopolitisme effaçant les cultures et les traditions propres à chacun, émiettant leurs sociétés, désagrégeant leurs économies par le jeu de concurrences insoutenables, octroyant des droits à tous d’où qu’ils viennent, la solution se trouve donc dans l’instauration de sociétés purement normatives au sein desquelles le juge devient le décideur suprême. Ce système voulu par une structure dirigeante, appuyée par une classe intellectuelle et médiatique rêvant de cet univers où l’individu évoluerait au gré de son désir est en marche. Pour autant, les résistances sont fortes, en témoigne là et ailleurs la voie des urnes. Il est encore loin de son accomplissement.

    L’exclusion de l’Union européenne, une menace illusoire

    Quant à la relation avec l’Union européenne, l’argument d’une exclusion de la France par celle-ci pour le non-respect des règles en matière d’immigration est vain. Sans la France, pays fondateur de la Communauté Économique Européenne, seconde puissance économique de l’Union, cette dernière perdrait son sens. Compte-tenu des intérêts économiques et monétaires en jeu, de la menace qui pèserait sur les budgets européens et, dans le domaine particulier de l’immigration, des préoccupations sinon des rejets exprimés par de plus en plus de peuples européens, assurément un accord serait trouvé.

    Michel Leblay (Polémia, 24 juillet 2023)

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  • Comment redonner le pouvoir au peuple ?...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie, en partenariat avec la Fondation du Pont-Neuf, viennent de publier un nouvel essai de Christophe Boutin et de Frédéric Rouvillois intitulé Le référendum ou comment redonner le pouvoir au peuple.

    Christophe Boutin est docteur en sciences politiques et professeur de droit public à l’université de Caen ; Frédéric Rouvillois est professeur de droit public à l’université Paris-Descartes et délégué général de la Fondation du Pont-Neuf. En 2000, ils ont rédigé ensemble un essai prophétique et salué par la presse, Quinquennat ou septennat (Flammarion), sur le raccourcissement du mandat présidentiel. Ils ont récidivé en 2022 avec Les parrainages ou comment les peuples se donnent des maîtres (La Nouvelle Librairie, 2022) et La proportionnelle ou comment rendre la parole au peuple (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

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    " Un pouvoir élu peut-il imposer son choix à une majorité de citoyens hostiles ? Sommes-nous des « souverains captifs » ? Ces questions se posent alors que se creuse le fossé entre le peuple et ses dirigeants. Depuis des années, de la crise des Gilets jaunes à l’opposition à la réforme des retraites, les Français sentent qu’on ne les écoute plus et cherchent dans la rue les moyens de se faire entendre. Pour sortir de ces crises à répétition, le référendum apparaît comme une solution d’arbitrage. Sauf à récuser le principe même de la démocratie, la souveraineté du peuple, il faut rendre la parole à ce dernier. Face à cette urgence, Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin en reviennent aux principes même de la Ve République pour rappeler ce qu’a été et dire ce que devrait être le référendum. "

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  • Les snipers de la semaine... (252)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur le site de la revue Éléments, Xavier Eman dézingue Cyril Hanouna et Sophia Aram qui se sont déclarés la guerre sur le grand théâtre médiatique...

    Sophia Aram contre Cyril Hanouna, duel au sommet… de la nullité

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    - sur le site de Marianne, Renaud-Philippe Garner et Julien Picault allument le "premier de cordée de la république" qui refuse de donner la parole au peuple...

    "Français, nous étions un peuple, nous sommes devenus une foule sans légitimité"

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  • Quand les dirigeants oublient que c'est le peuple qui est souverain...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Michel Naulot, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de la souveraineté du peuple. Ancien membre du Collège de l’Autorité des marchés financiers, Jean-Michel Naulot est l’auteur d’Éviter l’effondrement (Seuil, 2017).

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    Brexit, référendum de 2005...: «Nos dirigeants ont oublié que c’est le peuple qui est souverain»

    Au Royaume-Uni, la démocratie est en crise. Theresa May a fait voter trois fois les parlementaires sur le même texte, comme si un dirigeant politique était libre d’ignorer un vote lorsqu’il ne lui est pas favorable. Les parlementaires eux-mêmes, majoritairement hostiles au Brexit, ont le plus grand mal à accepter le vote populaire de 2016. Enfin, situation surréaliste dans une démocratie, les perdants du Brexit manifestent pour demander l’organisation d’un nouveau référendum. Ne craignant pas de s’ingérer dans les affaires britanniques, le Président français a même été jusqu’à dénoncer récemment les «mensonges» qui avaient permis aux partisans du Brexit de gagner. Qu’auraient dit en France les partisans du oui à Maastricht si les tenants du non avaient exigé de revoter au prétexte que des mensonges avaient été énoncés par les partisans du oui? À l’époque, cette idée n’a traversé l’esprit de personne.

    En France, le référendum de 2005 avait déjà constitué un tournant inquiétant. La manœuvre qui avait consisté à faire adopter par le Parlement français le texte rejeté par le peuple n’avait pas été glorieuse. Elle montrait qu’en France et à Bruxelles, comme aujourd’hui au Royaume-Uni, certains dirigeants ont un peu de mal à accepter le vote populaire lorsqu’il leur est défavorable.

    Au Royaume-Uni, chacun savait, depuis le début des négociations, qu’aucun accord vraiment satisfaisant ne peut être trouvé. L’accord signé en 1998 avec l’Union européenne interdit en effet de rétablir la frontière entre les deux Irlande. La seule manière de résoudre ce problème, c’est le «no deal», à moins de donner un petit coup de canif dans la souveraineté britannique en prévoyant un statut spécial pour l’Irlande du Nord. Le «no deal» a l’avantage, si l’on peut dire, de rétablir la frontière sans que personne n’en assume la responsabilité…

    Lors du Sommet du 10 avril, si certains dirigeants de l’Union européenne étaient tentés d’accorder un long délai aux Britanniques pour négocier un nouvel accord sur le Brexit, avec l’arrière-pensée de laisser le temps aux Britanniques de revenir sur le choix de 2016, ils rendraient un bien mauvais service à la cause européenne et à la démocratie. Mais, dans le climat actuel, on ne peut exclure que certains dirigeants ne soient tentés de prendre prétexte de l’organisation de nouvelles élections britanniques ou de la nécessité d’ouvrir les élections européennes aux Britanniques pour accepter la solution d’un long report du Brexit. Ils confirmeraient alors que les propos tenus par Jean-Claude Juncker au lendemain de l’élection d’Alexis Tsipras - «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens» - constituent désormais l’ADN de l’analyse politique de certains dirigeants.

    En pleine crise des Gilets jaunes, certaines leçons du Brexit et du référendum de 2005 peuvent d’ores et déjà être tirées en vue des réformes institutionnelles qui suivront le Grand Débat. La revendication d’une plus grande participation des citoyens aux décisions est légitime. Le dispositif organisant le référendum d’initiative partagée doit ainsi être assoupli pour permettre à un nombre significatif de citoyens de soumettre un texte au vote populaire. Cette réforme pourrait être l’occasion d’ajouter deux règles simples au fonctionnement du référendum. Aucun référendum ne devrait pouvoir être organisé sur un texte qui a déjà été soumis à référendum si un délai raisonnable, par exemple cinq ans, ne s’est pas écoulé entre la mise en application de la décision référendaire et le nouveau référendum. Cela pour éviter que l’on ne soit tenté de faire revoter le peuple jusqu’à ce qu’il change d’avis sans avoir préalablement respecté sa décision. Par ailleurs, aucun vote parlementaire ne pourrait défaire ce que le peuple a décidé. Cela, afin d’éviter un véritable déni de démocratie.

    Ces règles vont presque de soi dans une démocratie bien vivante mais, dans le climat des dernières années, elles gagneraient à être écrites. Quant aux traités, ils ne peuvent en aucun cas être opposés à la volonté populaire. Le peuple est souverain. Les traités sont faits pour évoluer. Comme le disait De Gaulle, «Les traités sont comme les jeunes filles et les roses: ça dure ce que ça dure!».

    Le passage de la démocratie représentative à une démocratie semi-directe, amorcé par la Cinquième République en 1958 (référendum) et en 1962 (élection du Président au suffrage universel), exige qu’une place plus importante soit faite à l’expression de la volonté populaire. Mais il exige aussi que de nouvelles règles soient posées pour nous protéger des résistances d’une élite qui a parfois un peu de mal à accepter cette évolution. Un nouvel équilibre doit être trouvé, à moins de prendre le risque d’aller vers une crise démocratique beaucoup plus grave.

    Jean-Michel Naulot (Figaro Vox, 2 avril 2019)

     

     

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