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politique industrielle

  • L'industrie française doit-elle s'inspirer des modèles asiatiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par William Thay au Figaro Vox, et consacré à la politique industrielle. William Thay est président du Millénaire, centre de réflexion d'orientation gaulliste, spécialisé dans les politiques publiques.

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    «L'industrie française devrait s'inspirer des modèles asiatiques»

    FIGAROVOX. - Vous publiez un rapport sur la politique industrielle française du XXIe siècle. L'objectif est-il de s'inspirer des modèles industriels asiatiques pour mieux rivaliser ?

    William THAY. - La crise sanitaire a accéléré des mutations déjà à l'œuvre sur le plan économique ou géopolitique. Sur le plan économique, la crise financière de 2008 a mis à mal le cycle néolibéral ouvert dans les années 80 par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Seulement, si nous avions un Keynes ou un Friedmann pour penser les ères keynésiennes et néolibérales, nous n'avons pas encore de penseurs économiques qui ont imaginé le monde d'après.

    Il nous a alors semblé opportun d'observer les remèdes des pays est-asiatiques pour plusieurs raisons. D'abord, il s'agit d'un modèle qui a rencontré un succès après s'être transformé pour s'adapter aux cycles économiques. Alors qu'en 1960, les pays est-asiatiques étaient encore peu industrialisés, la Chine (2e), le Japon (3e) et la Corée du Sud (10e) figurent actuellement parmi les 10 premières puissances économiques mondiales.

    Ensuite, il s'agit probablement du cœur géopolitique et économique (renforcé par l'accord de libre-échange «Partenariat économique global»). Cette zone se retrouve alors comme notre prochain partenaire mais également concurrent. Probablement la prochaine première puissance mondiale, la Chine entraîne dans son sillage le déplacement du centre de gravité du monde de l'Atlantique Nord vers l'Asie Pacifique. Alors, si les pays est-asiatiques se sont inspirés de nous pour nous rattraper, il apparaît judicieux d'en faire de même à leur égard.

    Enfin, il s'agit pour nous de bâtir un nouveau modèle économique d'après-crise pour renouer avec les jours heureux du modèle gaullien afin de bâtir une nation d'industriels et de savants, qui permet de répondre à ce que qualifie Marcel Gauchet de «Malheur français» et de mettre un terme à la spirale continue du déclin et du nivellement par le bas.

    Vous évoquez peu le rôle de l'Union européenne et insistez sur la souveraineté industrielle du pays. La France peut-elle se permettre de faire cavalier seul pour relancer son industrie ?

    Nous avons deux solutions vis-à-vis de l'Union européenne : soit plaider pour un changement de modèle tant attendu afin d'être moins naïf sur les évolutions mondiales, soit agir nous-même pour devenir une référence à suivre pour les autres États membres. Ainsi, l'Allemagne n'a pas attendu l'Europe pour sauver son modèle grâce aux réformes Hartz menées par le Chancelier Schröder au début des années 2000. De plus, pour obtenir des arbitrages favorables dans les instances de l'Union européenne, la France doit se renforcer pour être crédible. En ce sens, devenir la première puissance économique européenne doit être un objectif car cette qualité nous permettra d'avoir le statut nécessaire de changer l'Europe.

    Pour autant, la stratégie française doit prendre en compte les spécificités européennes aussi bien ses atouts que ses faiblesses. Sur nos quinze propositions seulement deux nécessitent une modification européenne. Il s'agit d'une réforme de la politique de concurrence afin de lever les seuils permettant de créer des champions européens à partir de nos champions nationaux. L'autre concerne, la protection de notre marché intérieur pour imposer une barrière douanière aux produits qui ne respectent pas nos normes. D'autres propositions auraient pu faciliter la mise en place de notre plan, mais elles nécessitaient l'accord des autres capitales européennes, ce qui est peu probable notamment sur la politique commerciale.

    Vous parlez de «certains choix économiques et industriels discutables» qui seraient «à l'origine du déclin industriel français». À quoi faites-vous référence ?

    La France a manqué deux tournants clés, il s'agit de l'entrée dans la mondialisation dans les années 80 et le début des années 2000 lorsque l'Allemagne commence à se redresser après avoir été qualifié d'«homme malade de l'Europe».

    En 1981, la France a raté son entrée dans la mondialisation. Alors que tous les pays occidentaux adaptaient leur économie à l'ère néolibérale, les réformes socialistes ont plongé la France dans un état d'esprit où notre État-providence et notre bureaucratie interdisent davantage qu'ils ne protègent nos acteurs économiques. Les élites socialistes conduites par François Mitterrand ont négligé les mutations mondiales préférant s'accrocher aux vieilles lunes socialistes qui n'étaient plus valables avec une ère keynésienne mise à mal par les deux chocs pétroliers et l'ouverture à la concurrence induite par la mondialisation. Ainsi, il a été privilégié des politiques de soutien à la consommation par la revalorisation du SMIC et la réduction du temps de travail plutôt que de favoriser l'innovation et l'investissement dans les secteurs d'avenir. Ces manquements sont à l'origine du déclin français qui marque une rupture avec l'épopée industrielle gaulliste.

    À cela s'ajoute le manque de réforme structurelle au début des années 2000 marquées par le tandem Jacques Chirac et Lionel Jospin. Ces années sont cruciales pour comprendre le retard accumulé par la France. Alors que le PIB par habitant de la France et de l'Allemagne se situent à un niveau proche dans les années 2000, un écart se creuse à partir des années 2005-2006. En effet, la France n'a pas mené de réformes structurelles et a poursuivi une politique de baisse du temps de travail inadapté aux mutations industrielles mondiales. Tandis que les réformes structurelles conduites par le chancelier Schröder ont donné un avantage comparatif aux acteurs économiques allemand pour qu'ils puissent s'imposer dans la concurrence mondiale. Ce décrochage économique français s'est révélé par deux fois : lors de la crise de 2008 et lors de la crise sanitaire de 2020-2021.

    Vous expliquez que le bas coût de la main-d’œuvre en Asie lui est profitable. Considérez-vous que le SMIC – qui, en comparaison avec les salaires asiatiques, est élevé en France - est un frein à la compétitivité industrielle de la France ?

    Les pays est-asiatiques dont nous avons choisi de nous inspirer ont bénéficié d'une abondance du facteur travail, comme la France de la fin des années 1950. Dans un premier temps, l'absence d'un modèle social protecteur leur a permis de s'insérer dans les échanges intra-branches, principalement en qualité de fournisseurs de composants destinés à l'exportation, avant de produire des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée, permettant un rattrapage des salaires.

    La Commission européenne a longtemps jugé le salaire minimum français «trop élevé». En 2020, selon l'OCDE, la France dispose du troisième plus haut niveau de salaire minimum horaire réel en PPA des pays développés avec un salaire de 12,2 $ par heure. Il s'agit d'un niveau légèrement plus élevé que l'Allemagne (12 $), et bien plus élevé que la Corée du Sud (8,9 $) ou encore que le Japon (8,2 $). D'autant plus que la France est un des pays qui travaille le moins puisque la durée de travail tout au long de la vie est la plus faible des pays de l'OCDE. Il s'agit en effet d'un frein à la compétitivité industrielle de la France. Pour autant, la problématique du SMIC en France est davantage liée au coût qu'il représente pour l'entreprise. Il convient donc de revoir le financement de notre modèle social qui pèse beaucoup trop sur le travail et qui mine notre compétitivité. Pour faire de la France le paradis du travail, il faut rompre avec notre politique économique basée sur la consommation et la dépense publique.

    Le schéma démographique, social et surtout politique de la France est assez éloigné des modèles asiatiques, est-il ainsi possible d'adopter leur modèle économique et industriel ? Les choix économiques ne vont-ils pas de pair avec le contexte politique et sociétal ?

    L'idée est de s'inspirer dudit modèle, pas de nier des dérives inhérentes et les répercussions évidentes du dirigisme autoritaire en Chine ou auparavant en Corée du Sud sur les libertés individuelles. Nous souhaitons nous inspirer de la méthode de fonctionnement en l'adaptant à notre trajectoire historique, nos problématiques sectorielles ainsi qu'à nos traditions et notre culture politique.

    En ce sens, l'action du général de Gaulle est une illustration des possibilités d'adopter un modèle économique qui peut faire notre singularité. Son plan d'action autour de réformes économiques et un pilotage à travers le commissariat au plan ont constitué une singularité française. Nous subissons depuis les années 80, ce que le philosophe Marcel Gauchet appelle «le malheur français», puisque nous sommes dans un modèle d'entre deux : entre la volonté de conserver notre singularité et la nécessaire adaptation à la mondialisation. Les pouvoirs publics ont souhaité adapter la France à la mondialisation depuis le fameux tournant de la rigueur en 1983, sans pour autant l'assumer. Ils ont ainsi fait porter cette adaptation par les institutions européennes tout en compensant les effets pervers de la mondialisation par une politique sociale dispendieuse. Cette même politique sociale qui mine notre compétitivité et qui empêche nos acteurs économiques de pouvoir conquérir les marchés européens et mondiaux.

    Le nouveau cycle économique qui s'ouvre après les ères keynésiennes et néolibérales est plus propice à la culture française puisqu'il s'agit de cumuler la prospérité économique avec une aspiration de puissance. En prenant en compte cette évolution, nous proposons de bâtir une nation d'industriels et de savants pour construire la France d'après-crise et rompre avec le Malheur français ainsi que la spirale infernale du nivellement par bas. Pour cela, notre plan d'action regroupe 15 propositions autour de trois axes : des réformes structurelles pour créer un environnement propice aux acteurs économiques, renforcer notre tissu économique autour de champions nationaux et un réseau de PME et d'ETI.

    Cette note de politique industrielle paraît dans un contexte d'élection présidentielle. Quel candidat est, selon vous, le plus à même de relancer l'industrie et de partager ces recommandations ?

    Au vu de leur position économique, trois candidats sont susceptibles d'appliquer ce programme, avec chacun des forces et des défauts : Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Éric Zemmour.

    Le Président prochainement candidat a pour lui sa volonté d'axer sa politique économique sur l'amélioration de l'attractivité française et l'investissement. À ce titre, sa politique de baisse des impôts notamment sur le capital (transformation de l'ISF et mise en place de la flat tax), et sa politique d'investissement à travers le plan France 2030 vont dans le bon sens. Cependant, nous pouvons avoir des doutes sur sa volonté réformatrice. Tout d'abord, l'abandon du plan Action publique 2022 et son absence de réforme structurelle durant son quinquennat sont un manque. Ensuite, Emmanuel Macron se heurte à une certaine résistance comme le soulignent les manifestations récentes après ses propos sur les «non-vaccinés». Est-ce qu'une tentative de réformes structurelles en cas de réélection ne se heurtera pas à un blocage de la société comme lors des Gilets jaunes et des manifestations contre sa tentative avortée de réforme des retraites ?

    Valérie Pécresse présente de nombreux avantages en s'inspirant du programme de François Fillon. Ses réformes économiques sont les plus précises et les plus volontaristes. Cependant, comme l'ancien Premier ministre, son programme apparaît comme punitif parce qu'il ne propose pas une perspective aux Français, à savoir un cap. Si, elle arrive à projeter une vision comme celle que nous proposons à savoir bâtir une nation d'industriels et de savants, elle apparaîtra comme la mieux armée parmi les trois parce qu'elle arrivera à justifier les efforts nécessaires pour construire la France d'après-crise.

    Éric Zemmour a des positions plus libérales que Marine Le Pen, dont le programme économique et social comprend la retraite à 60 ans. En revanche, il n'a pas projeté ses réformes pour bâtir la France de 2050 et son programme, trop interventionniste, ne comporte pas de réelles réformes structurelles. En ce sens, il cumule les défauts d'Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse : un manque de volonté de réforme structurelle, une possibilité non négligeable de manifestations, et une absence de vision économique.

    William Thay (Figaro Vox, 18 janvier 2022)

     
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  • La non-délocalisation : un enjeu politique !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Deplanche, cueillli sur le site Infoguerre et consacré au phénomène des délocalisations vu comme un agent de déstructuration économique, sociale et culturelle, et dont la maîtrise est un enjeu politique majeur pour les années à venir... 

     

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    La non-délocalisation : véritable enjeu politique ?

    En France, et plus largement dans le monde occidental, l’industrie souffre d’une crise profonde : destructions d’emplois en masse, recul des exportations, perte de parts de marché, affaiblissement durable de sa part dans la création de la richesse nationale. Une absence de vision du rôle de l’industrie en France et une soumission au discours ambiant sont probablement parmi les facteurs prégnants de ce recul. Les pressions de différentes natures ont fait passer les sociétés qui fondaient une grande partie de leur richesse sur les activités industrielles à un capitalisme financier qui fait fi des territoires et les déstructure.
    Le discours néolibéral des années 1980 porté par Ronald Reagan et Margaret Thatcher a quelque peu aveuglé les décideurs qui ont fait de la compétitivité par la réduction des coûts salariaux la pierre angulaire de leur stratégie de développement, politique qui perdure de nos jours.
    On a également beaucoup disserté sur le fait que les industries françaises, en externalisant leurs activités opérationnelles sur des pays à faible coût de main d’œuvre,  allaient de facto pouvoir se concentrer sur les activités à forte valeur ajoutée ; la différence d’emplois serait compensée par les emplois crées dans le secteur tertiaire. Pour être à peine caricatural, nous serions « la tête et Eux, les bras». Cette orientation a tourné court étant donné que les pertes d’emplois industriels ne pouvaient structurellement et culturellement, comme pourtant annoncé initialement, être compensées par les créations d’emplois de service.

    Ce discours d’inspiration néo-libérale a convaincu les décideurs économiques et politiques : réduction au maximum du rôle de l’Etat («downsize the state») ; idéologie du marché libre (moteur du développement économique au sein de l’ Union européenne) ;  pressions des actionnaires (qui ont imposé aux entreprises une exigence de dividendes rapides  et par là, ont  soumis ces dernières à utiliser les salariés comme variable d’ajustement pour générer des profits) ; accélérations des phénomènes mondialisants (en partie grâce à la dématérialisation de l’économie via les NTIC) ; compétitivité accrue en abaissant les coûts de main d’œuvre par  le licenciement ou la délocalisation sur des pays à charges faibles, financiarisation de l’économie (qui, poussée à l’extrême, conduit à la crise des subprime), etc. A bien y regarder, ces pratiques ont souvent contribué à mettre en péril des pans entiers de la création de la richesse industrielle au bénéfice du pure gain financier. La délocalisation, parfois opérée à la hussarde, fait également partie de ces pratiques.

    La désindustrialisation est une problématique qui dépasse le seul phénomène de la délocalisation. Des facteurs de nature différente l’expliquent tels les gains de productivité et l'externalisation de quelques activités vers le tertiaire, les conséquences de l’ouverture internationale, les délocalisations n’étant qu’un aspect ; délocalisations qui n’impactent d’ailleurs pas que l’industrie mais également les services.
    Pourquoi alors se focaliser sur le rôle de l’industrie dans un pays comme la France ? Pourquoi craindre la désindustrialisation dans un pays qui professe être entré dans une nouvelle modernité dite ère post-industrielle ? Simplement parce que l’industrie y crée des chaînes de valeur, qu’elle induit une multiplication des services, qu’elle anime les territoires, qu’elle tire vers le haut le niveau de formation des hommes et qu’elle nourrit la recherche comme cette dernière est nourrie par elle au sein d’une synergie qui secrète l’innovation et recèle les vrais avantages compétitifs auxquels l’hypercompétition mondiale contraint le pays.  Le progrès social, le progrès d’une nation est donc par essence attaché à la bonne santé de son industrie et à son développement.

    Délocalisation : des enjeux divergents

    La délocalisation s’est très vite imposée comme source de rentabilité par l’abaissement des coûts de main d’œuvre. La Chine s’est distinguée comme pays à charges faibles par défaut et a attiré un nombre impressionnant d’entreprises du monde entier. Nous nous interrogerons plus loin sur la pérennité d’une telle stratégie.
    Inutile ici de gloser sur les bienfaits et/ou méfaits produits par les délocalisations. Le citoyen est abreuvé en permanence de chiffres, pourcentages et autres statistiques sur les emplois industriels détruits en France. Les médias sont une caisse de résonance de choix pour ce phénomène qui est loin de laisser la population indifférente.  Pas un jour qui ne passe sans que la presse ne relate la fermeture d’une entreprise que leur stratégie conduit à quitter la France.
    Si un exposé sur les avantages et menaces générés par la délocalisation ne s’impose pas, en revanche exposer la dichotomie qui existe aujourd’hui entre les intérêts de l’entreprise et ceux du territoire qui l’ont portée, voire vu naître et croître, est plus probant. Nous avons été instruits à penser la PME comme une entité ancrée dans son territoire, portée par un échange entre ses propres intérêts et ceux des parties prenantes locales qu’il s’agisse des salariés, administrations, entreprises tierces,…et évoluant dans une dynamique vertueuse dont la fonction – au-delà de ses activités industrielles et commerciales et de la réalisation de bénéfices – servait la cohésion sociale par la provision de l’emploi localisé.

    La délocalisation vient chahuter le territoire : la disparition, souvent rapide, de l’entreprise  signifie l’érosion du bassin d’emplois et par là, met en danger la cohésion sociale du territoire. Cela revient à dire que les intérêts des entreprises sont devenus fondamentalement divergents de ceux des territoires. Délocaliser rime donc bien avec rentabilité si l’on se place du côté de l’entreprise. Le territoire, lui, est perdant. On a là un changement de paradigme des plus inquiétants car il assigne une nouvelle tâche au territoire : comment limiter cette déstructuration, comment être suffisamment attractif et porteur de profits auprès des candidats à la délocalisation ? Que peut imaginer le territoire pour que les entreprises qui le structurent économiquement et socialement soient non-délocalisables ?  Même si la généralisation du phénomène de délocalisation n’est pas une menace réaliste, un mouvement d’ampleur d’entreprises quittant la France pour les pays à faibles charges serait très grave car il mettrait en danger la cohésion sociale nationale, donc la pérennité de l’Etat.

    Est-ce là un problème majeur ? Si l’on considère que la plus ancienne construction politique française est l’Etat-nation, que l’Etat-nation est l’Etat protecteur (ce qui n’est pas le protectionnisme), et que sa raison d’être démocratique est de protéger sa population, alors « oui », la mise en instabilité de l’Etat dans un pays comme la France est un problème des plus graves. L’Etat doit avoir les moyens de sa pérennité. Intimement lié à la structuration générale du pays qu’il organise, il est par ailleurs organiquement lié à l’entreprise, ce qui ne signifie pas qu’il doive être interventionniste. On peut donc affirmer, n’en déplaise aux thuriféraires du néo-libéralisme que la délocalisation est un agent de déstructuration économique, sociale et culturelle qui menace la société dans son ensemble et ébranle les fondations de la structure Politique française. Le découplage entreprise/territoire est la manifestation d’une puissance déclinante. Il est par conséquent urgent que non seulement le mouvement de délocalisation soit ralenti – il est peu réaliste de penser qu’il puisse être complètement endigué – mais également que soit encouragée la relocalisation.

    La relocalisation : nouvelle stratégie de reconquête industrielle ? L’exemple états-unien.
    Dévoilons un secret de Polichinelle : les Etats-Unis, pour un grand nombre pays du libéralisme par excellence, n’ont jamais été… libéraux ; ils ont en effet fréquemment pratiqué un libéralisme à sens unique, unilatéral et en cela ont eu une position contraire aux lois sur le commerce mondial qu’ils contribuaient à édicter et imposer. Contrairement aux idées reçues, les Etats-Unis ne constituent en rien un marché libre comme l’est l’Europe, par exemple. Ils sont fondamentalement une terre de marchés opposables, l’Etat Fédéral intervenant souvent comme protecteur in fine des intérêts nationaux. Cette position tend à prouver que l’économie est au service de l’hégémon américain et que le diptyque public-privé fonctionne comme augmentateur de la puissance nationale états-unienne.

    Le modèle de développement économique américain a été adopté pour la plupart des démocraties industrielles, suivistes, attirées par un système qui a su vendre son modèle sous l’angle de la modernité économique et de la profitabilité maximale.
    On s’interrogeait plus haut sur la pérennité des délocalisations vers la Chine. Les Etats-Unis, promoteurs de la délocalisation à outrance, en ont fait leur atelier au point  que l’interdépendance entre les deux nations n’est plus exclusivement manufacturière. Un grand nombre d’entreprises états-uniennes se sont engagées sur la voie de la délocalisation au détriment des équilibres sociaux territoriaux. Cette situation n’est peut-être pas inscrite dans la durée et de grands groupes ont d’ores et déjà initié une politique de relocalisation (NCR, Ford, Caterpillar, GE) tout comme des PMI (Outdoor greatroom,  Peerless industries,  Sleek audio,  Coleman, etc.), le gain d’emplois étant d’environ de six à sept mille en deux ans.
    Le phénomène est naissant mais va s’accentuer au cours des cinq prochaines années. Les raisons invoquées par le Boston Consulting Group dans un rapport récent sont la forte de hausse des coûts salariaux en Chine, les coûts logistiques de plus en plus élevés, la prévision d’une hausse inévitable de l’énergie, l’éloignement du marché domestique et les délais d’acheminement, et parce que selon BCG, la Chine n’est plus un pays de production intéressant. Elle est  maintenant concurrencée par des pays à plus faibles charges comme le Vietnam, le Cambodge, le Mexique, etc.
    Ces retours aux Etats-Unis sont motivés moins par des préoccupations sociales que par les coûts induits par la délocalisation sur les activités où la main d’œuvre ne constitue pas l’essentiel des coûts de production. La délocalisation restera la stratégie choisie pour les groupes qui produisent des biens à fort contenu de main d’œuvre.

    Il est intéressant de noter que ces retours d’entreprises se font souvent dans les états les plus pauvres des Etats-Unis (Kansas, Alabama, Tennessee) ou ceux ayant perdu une grande partie des industries traditionnelles (Illinois) car le coût du travail d’un état à l’autre varie. Il existe donc une forme de dumping social domestique qui bien que peu enviable va bénéficier au pays tout entier. On assiste donc à un recouplage entreprises/territoire qui fait converger les intérêts des uns et des autres même si la nature de ces intérêts (profit pour les entreprises, cohésion sociale pour les territoires) est différente.
    En France, un phénomène du même type existe. Il est actuellement faible. On compte à peine une dizaine d’entreprises qui ont fait le choix de la relocalisation. Ce phénomène peut-il constituer une nouvelle donne économique comme le pense BCG pour les Etats-Unis ? C’est inenvisageable. On imagine mal l’Etat encourager une situation où le SMIC en Limousin serait de 20% inférieur à celui de l’Alsace ! Notre culture et tradition sociales reposant sur la solidarité et l’égalité garanties par l’Etat impartial, les régions ont peu de chances de se voir invitées à pratiquer le dumping social. On en déduit que si les phénomènes de relocalisation sont peut-être amenés à se développer – et l’Etat y engage déjà les entreprises par un soutien financier en particulier – la voie majeure qu’il convient de promouvoir est la non-délocalisation des industries. C’est là tout l’enjeu Politique qui assurera à la France cohésion sociale, pérennité de son modèle,  puissance et influence.

    A un moment où le pays s’apprête à élire son président de la République pour un mandat de cinq années, qui s’annoncent cruciales en termes éminemment stratégiques pour son l’avenir, on s’interroge sur l’existence d’une vision à long-terme des candidats dont le discours fait de généralités lancinantes et d’incantations pro-industrielles creuses ne propose rien de concret. Autrement dit : rien !  Il est par conséquent urgent que les candidats à la présidence soient convoqués à une vision d’une France industrielle, 2°) une vraie stratégie non partisane, 3°) une ambition et surtout 4°) un courage politique qui assurent la pérennité du modèle français et qu’ils réinstaurent au centre du débat politique un discours éclairé, pragmatique et sincère sur la puissance industrielle de la France en en dessinant les contours stratégiques et tactiques à long terme. Il est grand temps d’oser les débats interdits, de faire de l’économie et un peu moins d’idéologie.
    Si la crise que nous traversons a eu au moins un mérite, c’est celui de faire prendre conscience aux citoyens de l’importance de l’industrie dans la création de la richesse collective et dans la vigueur économique et sociale des territoires. Les politiques en sont-ils fondamentalement convaincus ?

    Pierre Deplanche (Infoguerre, 2 janvier 2012)

    Le Buy American Act, la loi Exon Florio ne sont que quelques exemples probants de la façon dont les Etats-Unis protègent leurs intérêts économiques nationaux.

     

    Made in America, again.  Why manufacturing will return to the US”, BCG.

     

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