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novlangue

  • Le langage comme instrument de domination dans la post-démocratie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frank-Christian Hansel, cueilli sur le site d'Euro-Synergies, qui montre comment les concepts politiques influencent notre perception et ce qui se passe lorsque nous les remettons en question.

    Frank-Christian Hansel, né en 1964, est membre de la Chambre des députés de Berlin pour l'AfD depuis 2016. Originaire de Hesse, il a étudié les sciences politiques, la philosophie et suivi des cours en études latino-américaines.

     

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    Le langage comme instrument de domination dans la post-démocratie

    Avec les mesures qu'elle a prise contre ses détracteurs, l'ancienne ministre fédérale de l'Intérieur Nancy Faeser (SPD) a suscité plusieurs fois l'émoi au cours de ces derniers mois.

    À l'ère de l'ordre discursif hégémonique et de l'interconnexion totale des médias, ce n'est plus la parole libre, mais la formule langagière contrôlée qui est le vecteur du pouvoir. Le langage n'est plus seulement le vecteur des pensées, il les façonne. Il ne régule pas ce qui est dit, mais ce qui peut être pensé. Celui qui domine les concepts domine aujourd'hui la réalité.

    Une des clés de la déformation idéologique du débat politique réside dans la novlangue moderne, cette forme de langage manipulatrice anticipée par George Orwell dans 1984 et qui contrôle aujourd'hui, sous de nouveaux auspices, ce qui peut être dit en politique. Ce qui était autrefois un concept utilisé pour décrire le contrôle totalitaire du langage est aujourd'hui devenu le langage normal et invisible de nos dirigeants. Trois ensembles de concepts illustrent parfaitement ce phénomène :

    « Haine et incitation à la haine »: le verrouillage sémantique de la liberté d'expression

    L'expression « haine et incitation à la haine » fonctionne comme une condamnation de toute position divergente. Sa fonction n'est pas descriptive, mais exorcisante: elle bannit la divergence de l'espace légitime. Ce qui relevait autrefois de la liberté d'expression est aujourd'hui pathologisé et criminalisé par cette expression. La liberté d'expression subit ainsi un recodage silencieux: toutes les opinions ne sont plus protégées, mais seulement celles qui s'inscrivent dans la ligne officielle. Le pluralisme apparent masque une exclusion en profondeur des discours challengeurs.

    « Notre démocratie » – la revendication morale de la propriété du politique

    L'expression « notre démocratie » n'est pas une profession de foi inclusive, mais un marqueur identitaire exclusif. Quiconque s'oppose à « notre démocratie » – que ce soit en critiquant les institutions, les processus à l'oeuvre ou les acteurs de la scène politique – n'est pas considéré comme un démocrate en dissidence, mais comme un fasciste. Le démocratisme devient ainsi une idéologie autoritaire qui déclare que toute opposition politique est une dégénérescence morale. Il en résulte une délégitimation profonde du débat politique, au profit d'un consensus moralisateur qui ne tolère plus aucune alternative.

    « Racisme » et question migratoire: l'obligation de silence au nom de la morale

    Aujourd'hui, il ne s'agit plus de prôner la supériorité biologique, mais d'abord de remettre en question le statu quo en matière de politique migratoire. Le raciste est désormais celui qui pose des questions. L'antiraciste est celui qui croit. La migration, en tant que phénomène, est soustraite au débat rationnel et confiée à l'espace sacré de l'intangibilité. La dépolitisation d'un sujet politique par une charge morale est l'une des stratégies les plus efficaces du pouvoir postmoderne.

    La remigration – l'antithèse sémantique de l'idéologie migratoire

    Dans cet univers linguistique restreint, un terme fait irruption comme une bombe qui explose: le terme de "remigration". Cette expression n'est pas seulement un terme administratif et technique, mais constitue aussi une puissante contre-écriture face à l'ordre linguistique post-migratoire. Elle formule la possibilité d'un retour – non pas individuel, mais structurel – et viole ainsi le premier dogme du présent: que la migration ne connaît qu'un aller, jamais un retour.

    La remigration est donc la contre-position métapolitique explicite que d'aucuns opposent au fondement du récit postnational. Antonio Gramsci y aurait vu une tentative d'établir de manière positive un nouveau concept d'hégémonie culturelle. Il marque l'altérité de l'ordre actuel. C'est pourquoi ce concept suscite des réactions si violentes. Il n'est pas réfuté de manière rationnelle, mais brûlé moralement – dans un rituel idéologique qui trouve son origine dans la crainte qu'il puisse devenir efficace. Son pouvoir n'est pas dans sa mise en œuvre immédiate, mais dans la remise en question de l'ensemble du cadre sémantique. Il rend dicible ce qui ne pouvait plus être pensé – et ouvre ainsi une brèche dans l'armure du consensus moralement intouchable. Dans cette interprétation, la remigration devient un code stratégique pour la souveraineté – territoriale, culturelle, linguistique.

    Ces exemples le montrent clairement : le langage n'est pas un moyen de communication neutre, mais un instrument de domination épistémique. Ceux qui ne parlent pas comme l'exige le discours perdent leur légitimité en tant que citoyens, intellectuels ou êtres humains. Mais ceux qui comprennent le pouvoir du langage peuvent commencer à dépasser son ordre, à le transcender.

    La tâche de la critique métapolitique ne consiste pas en une simple protestation, mais en la création de nouveaux concepts qui démasquent et transcendent l'ancien ordre. Le concept de « remigration » est un tel point de rupture. Le penser, c'est ramener l'impensable dans l'espace politique – comme un défi à une forme de domination qui croit pouvoir contrôler l'avenir par le truchement de concepts.

    Frank-Christian Hansel (Euro-Synergies, 6 juin 2025)

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  • Nos enfants sont-ils vraiment condamnés à vivre avec ces barbares ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Dir cueilli sur Breizh-Info et consacré aux émeutes qui ont fait suite à la victoire du club Paris-Saint Germain en coupe d'Europe des champions.

     

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    Violences après la victoire du PSG. Nos enfants sont-ils vraiment condamnés à vivre avec ces barbares ?

    J’ai vu les images. Mes enfants aussi. Des vitrines fracassées, des boutiques pillées, des pompiers agressés, des policiers encerclés, des véhicules incendiés, des Champs-Élysées transformés en terrain vague de fin de civilisation. Des hordes de décérébrés profaner la statue de Jeanne d’Arc. Et mes enfants, eux, restaient là, les yeux écarquillés, muets, face à un monde qui n’est pas le leur. Qui ne sera jamais le nôtre.

    Alors non. Je ne veux pas qu’ils grandissent dans ce pays devenu un terrain de jeu pour des hordes sans foi, sans culture, sans cervelle, déguisées en supporters mais nourries à la haine, au rap crétin, à la malbouffe, à TikTok, au vide. C’est cela, désormais, la France du spectacle et du sport roi : une armée de décérébrés élevés dans la mollesse permissive de l’école de la République, libérés de toute autorité, libérés surtout de toute dignité.

    La barbarie est là, sous vos yeux, et vous ne voyez rien

    On en viendrait à regretter les hooligans d’autrefois (qui soit dit en passant subissaient une répression incomparablement plus violente que les émeutiers du week-end). Eux, au moins, avaient un code d’honneur. Ils cherchaient leurs alter ego, d’autres combattants, d’autres passionnés, pour un affrontement codé, ritualisé. C’était brutal, mais il y avait un sens. Une logique. Une identité. Aujourd’hui ? Le néant. La meute. La masse. Le chaos.

    Les événements de samedi soir ne sont ni un accident, ni une surprise. Ce sont la conséquence mécanique d’une société qui a détruit tout ce qui tenait ensemble une civilisation : la famille, l’école, l’autorité, la transcendance.Et ce n’est pas faute de l’avoir vu venir. Depuis trente ans, les voyants sont au rouge. Les signaux d’alarme hurlent. Mais les élites, aveuglées par leur multiculturalisme rance et leur lâcheté institutionnalisée, n’ont rien fait. Ou plutôt si : elles ont tout laissé faire.

    Des milliers de barbares, et pas un sursaut

    Ils étaient plusieurs milliers à Paris, mais aussi à Rennes, Lyon, Grenoble, Nantes, Dax. A supporter une équipe cosmopolite, symbole même de ce football sans identité, sans enracinement. Mais que font des Brestois ou des Lorientais avec des maillots du PSG sur le dos ? Ils ont pillé Chanel comme on vole un paquet de chips. Ils ont craché sur la fête, profané la victoire, fait de la violence un rite d’exhibition, filmé et diffusé en direct sur les réseaux sociaux. Deux morts. Des dizaines de blessés. Des centaines d’interpellations. Et demain ? Rien. Quelques peines avec sursis. Un rapport. Une cellule de réflexion. Un énième déni.

    Ces individus, dont beaucoup venue de banlieue, mais pas que, ne sont pas des supporters, ni mes compatriotes. Ce sont des barbares modernes, déracinés, haineux, ivres d’impunité. Ce que nous avons vu, c’est la pulsion tribale d’individus qui ne veulent pas s’assimiler, mais dominer et terroriser par le néant. Qui ne veulent pas faire partie de notre civilisation, mais s’en emparer, la ruiner, la souiller.

    Une terre sans défense, un peuple sans État

    Et pendant ce temps-là ? Le ministre bredouille, le président condamne mollement, les préfets se félicitent d’avoir limité la casse, les sociologues cherchent des explications sociétales, les médias parlent de « débordements ». La novlangue anesthésie tout. Et la France, elle, saigne sans dire un mot.

    Je n’ai pas de haine. J’ai de la lucidité. Et une certitude : on ne peut pas cohabiter avec ceux qui brûlent ce que nous sommes. Notre terre ne peut pas se partager entre le feu et l’ordre, entre l’enracinement et l’errance, entre les héritiers d’une civilisation millénaire et les parasites d’un monde sans mémoire. Ce sera eux, ou nous. Le sursaut, ou la soumission. La reconquête, ou la disparition.

    Je veux que mes enfants sachent. Je veux qu’ils voient. Et qu’ils choisissent. Je ne leur dis pas de haïr. Je leur dis de survivre. Et pour survivre, il faut se réveiller, se relever, refuser cette république invertébrée et moribonde, bâtir autre chose, ailleurs peut-être, mais ensemble, entre nous, avec ceux qui savent encore ce que signifie être Breton, être Français, être Européen, être debout.

    Les barbares ne sont pas à nos portes. Ils sont dans nos rues. Et nous sommes seuls.

    Julien Dir (Breizh-Info, 3 juin 2025)

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  • Feu sur la désinformation... (470)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, et Lucas Chancerelle.

     

                                               

    Au sommaire cette semaine :

    L'image de la semaine : les élections européennes avec les interventions de Attal et Macron qui tentent de sauver la candidate macroniste Valérie Hayer qui peine dans les sondages.

    Dossier du jour :  la consécration de Cnews comme première chaîne d’info de France devant BFM avec le décryptage de ce succès.

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    Pastilles de l’info :

    1) Décryptages : attaques au couteau en Allemagne
    2) La novlangue : Il vole une voiture à 14 ans et tue quelqu’un
    3) Top ou flop : Complément d’enquête, Depardieu blanchi ?

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    Portrait piquant (en partenariat avec l’OJIM) : Stéphane Bern, le plus royaliste des hommes de médias !

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  • Novlangue & co...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site son site personnel et consacré aux "langues de pouvoir".

    Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018), Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019) avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, et dernièrement L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

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    Novlangue & co

    La plupart des lecteurs conviendront que la langue ( un système de signes a priori fait pour cela) sert à communiquer. Mais elle fait aussi intérioriser un pouvoir : utiliser certains mots, d’une certaine façon, interdit de penser ou oblige à penser.

    Parmi les langues de pouvoir, nous distinguerons trois familles (ou trois logiques principales) : la famille jargon, la famille novlangue et la famille langue de coton. Étant entendu qu’il y a énormément de mariages et cousinages entre les trois branches.

    Les jargons sont des langues spécifiques à des catégories sociales ou professionnelles. Ils permettent de se comprendre à l’intérieur d’un cercle et d’exclure les non-initiés (comme les argots dans les groupes marginaux). Globalement, un jargon sert à s’identifier à une communauté (« je maîtrise les codes »), et à faire sentir aux autres qu’ils n’en sont pas (« ils ne comprennent pas »). Il en résulte souvent, grâce à des termes ésotériques, techniques ou savants, un effet de persuasion (« puisque je ne comprends pas, ce doit être vrai »). La sidération fonde l’autorité. Et le mystère, la soumission.

    La novlangue a une origine bien précise : le génial roman d’Orwell 1984 décrit comment le pouvoir de Big Brother développe scientifiquement un néovocabulaire et une néosyntaxe. Le but est de remplacer l’ancienne langue naturelle par le newspeak. La fonction est d’empêcher la formulation de toute critique afin de produire une soumission idéologique. Pour cela, des bureaucrates suppriment une partie du vocabulaire et réassignent un sens nouveau à d’autres (le fameux « la guerre, c’est la paix, la vérité, c’est le mensonge »). L’usage révisé devient obligatoire et, dans les mots forgés par le parti, s’exprime l’adhésion à la doctrine. Toute représentation de l’histoire et de la réalité est parallèlement modifiée par les médias et les archives sont réécrites suivant la ligne politique. Le système repose sur le couple interdiction plus automaticité. Les phrases, purifiées des mots inutiles, s’enchaînent pour mener aux conclusions souhaitées. Parallèlement, la « doublepensée » permet d’assumer des contradictions évidentes. Essentiellement idéologique, la novlangue suppose un ennemi, coupable du mal par excellence : la « crimepensée », c’est-à-dire le seul fait de concevoir (et nommer) le monde autrement que Big Brother.

    « Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement limité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées… La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. »

    George Orwell, 1984.

    Certes la novlangue n’a jamais été parlée que dans le roman, mais elle se réfère à la « sovietlangue », ou langue de bois soviétique, outil historique d’une logocratie : une parole officielle formalisée et dont la répétition obligatoire s’impose à tous. Elle sert à occulter la réalité (les échecs du régime ou les contradictions de la doctrine). Elle contraint chacun à feindre de croire en un monde imaginaire où ladite doctrine fonctionnerait parfaitement. Mentionnons aussi une LTI (« lingua terti imperi », langue du Troisième Reich) nazie que s’imposaient les membres du parti. Totalitarisme et contrôle du langage entretiennent un lien évident. La recherche de la prévisibilité maximale : conformité de toute parole, même dans des échanges privés. Donc contrôle maximal des esprits qui ne maîtriseront plus de codes pour penser autrement.

    La troisième catégorie de notre typologie ne fonctionne pas par les conventions d’une minorité ou par la contrainte des autorités : elle est si consensuelle, si peu discriminante, si floue qu’il n’est plus possible de dire le contraire. Cette « langue de coton » a particulièrement fleuri à la fin des années 1980, dans les discours médiatique, politique et technocratique. Irréfutable parce que l’on ne peut pas énoncer la thèse opposée, elle dit des choses tellement imprécises ou moralement évidentes qu’il est impossible de savoir à quelle condition son message pourrait être reconnu faux tant il offre d’interprétations. On reconnaît la langue de coton à ce que ses concepts sont interchangeables. Les mêmes mots peuvent servir à parler de n’importe quoi d’autre.

    « Cela dit, dès que l’on échappe au physicalisme des rapports de force pour réintroduire les rapports symboliques de connaissance, la logique des alternatives obligées fait que l’on a toutes les chances de tomber dans la tradition de la philosophie du sujet, de la conscience, et de penser ces actes de reconnaissance comme des actes libres de soumission et de complicité. »

    Interview non parodique de Pierre Bourdieu parue dans Libération en 1982.

    En résumé, les jargons jouent sur le ressort de l’incompréhension (sens ésotérique), les novlangues et sovietlangues sur l’interdiction et la prescription (sens obligatoire) et la langue de coton par exclusion de la critique (vidée de sens).

    Politiquement correct et écriture inclusive

    Cela posé, à quoi ressemblent les langues idéologiques d’aujourd’hui ? Le lecteur se doute que nous allons répondre : un peu des trois. Mais d’autres facteurs plus récents s’ajoutent.

    Le premier est le « politiquement correct ». Dans la décennie 1980, on commence à employer l’expression aux États-Unis (vite abrégée en PC pour political correctness). Ce sont des formules et vocables qui se réclament d’une vision ouverte et moderne du monde. Elle impose de reformuler les façons anciennes de nommer certaines catégories de gens ou certaines notions. Non seulement le PC multiplie les interdits et les expressions figées (avec périphrases ridicules), mais il le fait au nom d’un impératif : ne pas offenser telle catégorie – minorités ethniques, femmes – telle forme de sexualité, tel handicap, tel mode de vie, telle conviction. Le tout pour ne pas discriminer. Des phrases sont bannies non parce qu’elles seraient fausses (rappelons que nommer, c’est discriminer, pour bien distinguer ce dont on parle de tout le reste), mais parce qu’elles provoqueraient une souffrance ou une humiliation. Elles révéleraient une domination. Le parler ancien serait plein de stéréotypes, globalement imposés par les hommes blancs hétérosexuels prospères et conservateurs. Lexique et grammaire (prédominance du masculin en français) refléteraient un rapport de pouvoir à déconstruire. Pour le remplacer par un langage convenu (par qui, au fait ?) et de nouveaux rapports de respect et de tolérance.

    Ce raisonnement repose sur trois présupposés. D’abord que ceux qui ont produit la langue jusqu’à présent (le peuple et les écrivains) ignoraient la nature oppressive de la langue et, partant, étaient complices des dominants. Seconde idée : une minorité éclairée est, elle, en mesure de déconstruire le complot séculaire et de fixer les bonnes dénominations source des bonnes pensées. Troisième postulat : imposer la pensée correcte par les mots rectifiés, c’est supprimer la source du mal, dans la tête. Cela permet de criminaliser toute critique : par les mots mêmes que vous employez, ou votre refus du PC, vous êtes du côté des oppresseurs et des abrutis. Donc vous ne pensez pas vraiment : votre tête est pleine de stéréotypes dont nous allons vous guérir.

    À un degré plus avancé, se développe l’écriture inclusive, qui, au mépris de la grammaire, impose des contorsions destinées à établir l’égalité entre masculin et féminin. Le but est que personne ne puisse se sentir mal représenté ou lésé par l’orthographe. Double bénéfice : ceux qui l’adoptent se forment au dogme et ceux qui la maîtrisent manifestent leur supériorité morale. On gagne à tous les coups : qui ne parle pas comme moi (par exemple, qui doute de la « théorie du genre ») ne pense littéralement pas, il a des fantasmes et des haines. Et comme la langue est performative (elle a des effets dans la vie réelle), il est comme responsable de quelques crimes relevant du sexisme, du patriarcat, du colonialisme.

    Amusant paradoxe : si la novlangue de Big Brother s’assume comme langue d’autorité, le politiquement correct se pare des prestiges de la critique. S’il s’impose c’est, disent ses partisans, pour nous libérer et parce que nous étions aliénés. Ce qui lui permet, en toute bonne conscience, de transformer des opinions adverses en délits. Le jour où nous parlerons comme des robots, nous serons totalement libres.

    Marqueurs progressistes et marqueurs conservateurs

    Bien entendu, la plupart des éditorialistes ou des hommes politiques ne parlent pas comme des décoloniaux intersectionnels queers. Leur discours, surtout à l’heure du « en même temps », fonctionne plus banalement avec un stock de mots éprouvés et rassurants : compétitivité, ouverture, société civile, transition écologiste, parité, décentralisation, attentes sociétales, participation citoyenne, dimension européenne, dialogue. La tendance à la standardisation se renforce avec des tics verbaux comme « être en capacité de » ou « dans une logique de dialogue ». De ce point de vue, le discours macronien n’est pas fondamentalement différent de la rhétorique progressiste libérale-libertaire typique des classes dominantes européennes. Mélangeant parler technolibéral et inévitable appel aux valeurs, il opte pour le sens le moins discriminant possible et les affirmations les plus tautologiques et morales. Le tout sous le chapeau du « progressisme », dont on croit comprendre qu’il consisterait à accorder plus de droits et de libertés à chacun dans un cadre de prospérité et de sécurité. Difficile d’être férocement contre.

    Le problème de cette néo-langue de coton est qu’elle suscite deux fortes oppositions, celle du réel et celle de couches sociales rétives au parler d’en haut.

    Une grande partie du discours des élites consiste, sinon à dire que tout va bien et qu’il n’y a pas d’alternative, du moins à faire oublier les réalités déplaisantes. D’où un code du déni. Le citoyen moyen a une idée de ce que cachent des euphémismes comme : mineurs non accompagnés, dommages collatéraux, drague qui a mal tourné, individu déséquilibré muni d’un couteau, islamiste modéré, échauffourées dans un quartier sensible, faire société, croissance négative ou restructuration de l’entreprise.

    L’autre menace pour la langue dominante serait que les dominés ne la pratiquent guère. Quiconque a fréquenté un rassemblement de Gilets jaunes a compris que l’on n’employait pas les mêmes périphrases que sur les plateaux de télévision et dans les beaux quartiers. Mais il y a plus : quand une domination idéologique recule, cela se traduit aussi par une lutte du vocabulaire. En sens inverse : de repentance à bobos, de mondialisme à immigrationnisme, d’oligarchie à extra-européen, d’islamo-gauchisme à dictature de la bien-pensance, certains termes sont devenus des marqueurs conservateurs. Autant de termes mauvais à dire et de thèmes mauvais à penser pour les tenants d’une hégémonie qui se réclame du progrès et de l’ouverture.

    Sans parler des lois contre les fake news, de la lutte contre le discours de haine, les bons esprits veulent démasquer et endiguer le discours réac paré d’un charme sulfureux anti-establishment et subversif. D’autant qu’il dénonce la censure conformiste et le totalitarisme latent des bien-pensants en un singulier retournement. Du coup, on s’inquiète de la montée intellectuelle du « national-populisme ». Comme si un certain héritage – Lumières, Mai 68, multiculturalisme – était menacé par une « révolte contre la révolte » des réactionnaires. Et comme si leur reconquête intellectuelle passait aussi par les mots.

    Certains termes agissent comme des déclencheurs. Ainsi, même en période de coronavirus et tandis que de nombreux pays ferment les leurs, le seul emploi du mot « frontière » suscite un rire méprisant et un soupçon politique (« relents identitaires » ?). Peuple, nation, dictature médiatique, élites, étranger, oligarchie, islamiste, culture, identité, sont des marqueurs dont l’emploi sur un plateau de télévision ne peut que déclencher en riposte un « mais qu’entendez- vous par là ? » ironique. La question est en réalité une mise en cause destinée à bien marquer la différence entre, d’une part, un langage totem démocratique apaisé d’ouverture qui va de soi, et, d’autre part, des termes tabous qui pourraient bien dissimuler des stéréotypes archaïsants, des arrière-pensées suspectes et le début d’un langage totalisant.

    On répète souvent la phrase de Confucius, « pour rétablir l’ordre dans l’empire il faut commencer par rectifier les dénominations », ou celle de Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Et c’est vrai. Mais encore faut-il se rappeler que le désordre et la confusion des mots servent les détenteurs d’un pouvoir : celui de nommer ou d’occulter.

    François-Bernard Huyghe (Le site de François-Bernard Huyghe, 28 décembre 2021)

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  • Orwell, à sa guise...

    Les éditions Lux viennent de publier un essai de George Woodcock intitulé Orwell, à sa guise - La vie et l’œuvre d'un esprit libre. Journaliste, poète, éditeur, historien et critique littéraire canadien, de tendance anarchiste, George Woodcock a fait partie des proches de George Orwell.

     

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    " George Woodcock, critique littéraire, historien et anarchiste, a eu un accès privilégié à la complexe histoire personnelle de George Orwell, dont il fut un ami proche. Rassemblant souvenirs, lettres et divers témoignages, cette biographie situe l’œuvre d’Orwell dans son contexte personnel, politique et littéraire. Elle offre une perspective à la fois intimiste et documentée sur la vie et les écrits de cet esprit libre, ne faisant l’impasse sur aucun des paradoxes qui habitent l’une et l’autre.

    Alors que George Orwell est remis au goût du jour tant à gauche qu’à droite, et que prolifèrent les fake news, la novlangue et de nouvelles formes de contrôle technoscientifiques, cette biographie littéraire – la seule à avoir été écrite de première main – arrive à point nommé. Par l’élégance de son écriture et l’accès privilégié qu’il offre à son sujet, Woodcock brosse ici un portrait inédit de celui qui fut bien plus que l’auteur de la dystopie 1984.

    La version originale de ce livre, The Crystal Spirit. A Study of George Orwell, a reçu le Prix littéraire du gouverneur général en 1966. "

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  • La novlangue bobo au service du capitalisme mondialisé...

    Le 25 février 2020, Pierre Bergerot recevait, sur TV libertés, François-Marie Blanc-Brude à l'occasion de la publication de son ouvrage intitulé Les mots et les maux de la bien-pensance (Godefroy de Bouillon, 2020). Originaire de la gauche populaire, influencé par Jean-Claude Michéa, François-Marie Blanc-Brude est déjà l'auteur de Pour le peuple français - Mémento à l'usage de gens ordinaires (Godefroy de Bouillon, 2019).

     

                                         

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