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nationalisation

  • De la gauche caviar à la gauche Judas...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à l'affaire de Florange, qui a vu, une nouvelle fois, le gouvernement de gauche renier ses engagements...

     

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    Florange : de la gauche caviar à la gauche Judas

    La « nationalisation » d’ArcelorMittal a fait long feu. Les hauts fourneaux ne redémarreront pas. Un goût très amer est l’unique résultat d’une comédie dont les prétentions affichées se sont dégonflées comme un ballon de fête électorale. On en a « gros sur le cœur ». Ce n’était donc que cela... La nationalisation, même « temporaire », du site sidérurgique de Florange, n’était, au mieux, qu’un moyen naïf de faire chanter Lakshmi Mittal, qui en a vu d’autres, au pire une tromperie aussi niaise. Les imbroglios insensés qui ont accompagné ce qui est présenté comme un compromis, mais qui n’est en fait qu’un pari, bien fragile au demeurant, porteraient à sourire, tellement le personnage haut en couleur qu’est Montebourg, affublé du titre grotesque de « ministre du redressement productif », s’est époumoné en promesses réduites impitoyablement en poussière par Ayrault. Mais où sont passés les « repreneurs fiables » ? Et que valent ses rodomontades pseudo-révolutionnaires, qui s’en prenaient aux méthodes du patron indien, lesquelles ne devaient pas trouver leur place en France ? Même pas peur ! Du reste, le pauvre Montebourg ne sait plus à quel saint se vouer : la raffinerie Petroplus, par exemple, n’a pas plus de repreneur libyen que de repreneur russe ou chinois pour Florange. Peut-être au fond sa tâche est-elle d’occuper la galerie, pendant que le sale boulot s’effectue hors du théâtre des opérations médiatiques. Par exemple quelque chose qui ressemblerait à la fermeture, malgré son activisme presque sarkozyen, du site d'Aulnay PSA.

    Remarquons au passage que la nationalisation, qui est, littéralement, la reprise en main d’une entreprise par la Nation, est une action tout à fait légale, et envisagée par le préambule de la Constitution de 1946. Gageons que ce qui a pu choquer une ultralibérale comme Parisot a été justement cette évocation d’un geste qui heurte les libre-échangistes fanatiques qui nous dominent, plutôt que le poncif du manque de savoir-faire économique de l’Etat. Il aurait fallu plutôt se demander pourquoi un secteur qui concerne, en France, 40 000 personnes, qui produit un acier de très haute qualité, n’a pas été sauvegardé, protégé du dumping de prédateurs comme Lakshmi Mittal, qui a constitué son empire à coups de rachats d'entreprises défaillantes dans les pays émergents et pourquoi, au nom du dogme de la « main invisible », on réserve à l’industrie nationale et européenne les grands coups de poings qui la mettent à terre. Question oratoire, bien sûr... On préfère, dans un cadre mondial, sacrifier notre économie, notre pays, notre terre, au nom des principes. Et quels principes ? Tout le monde sait que Mittal contracte la production d’acier, dans un contexte de crise, pour sauvegarder des prix élevés. Sa démarche est entièrement financière. Une logique préoccupée de garantir des conditions de vie décentes à notre peuple aurait dû se fonder sur un volontarisme industriel, qui n’existe plus en France et en Europe, nonobstant notre ministre du Redressement productif. Que valent les leçons de « réalisme » lorsqu’on verse des milliards d’euros aux banques pour les sauver, et qu’on est soumis aux intérêts financiers transnationaux, voraces et cyniques ? Les dépenses occasionnées par des mesures d’ampleur, ambitieuses et véritablement soucieuses de notre intérêt, coûteraient bien moins cher que cette lente agonie qui nous ravale irrésistiblement au niveau de pays pauvre, désindustrialisé et dépouillé par les marchands apatrides. Nationaliser Florange, par exemple, exigeait 450 millions d'euros, mais n’oublions pas qu’après avoir été nationalisée, puis revendue, Alstom, qu’on donnait pour obsolète, lui a permis d'encaisser 1,6 milliard d'euros.

    Autre source d’embrouille et d’enfumage : la solution alternative est loin de rassurer. Le projet européen «Ulcos» n’a d’ailleurs pas été mentionné dans le communiqué final. Du reste, il a la réputation d’être peu rentable et grevé d’incertitudes techniques et financière. Un avenir fondé sur du sable, en quelque sorte... «Il n'y aura pas de plan social à Florange. Le groupe Mittal s'est engagé à investir au moins 180 millions dans les cinq prochaines années» affirme Ayrault. Cinq ans, c’est long... Quant au « plan social », qui peut garantir que ce n’est pas partie remise ?

    Toutefois, la seule question qui vaille la peine d’être posée est de savoir si la décision du gouvernement Ayrault sera aussi dévastatrice politiquement que celle de Jospin, en 1999, qui avouait, du ton technocratique qu’on lui connaît, qu’il ne pouvait rien faire, après des licenciements boursiers provoqués par Michelin. Décidément, la gauche s’est pliée à la logique libérale mondialiste, et ce ne sont pas les couinements de la patronne Parisot qui nous feront croire le contraire. En vérité, l’hypothèse de la nationalisation, outre qu’elle avait été envisagée par Sarkozy, qui s’y connaît pourtant lui aussi en matière d’enfumage, pour ce même ArcélorMittal, a été appuyée par une grande partie des responsables politiques, nationaux et locaux, de droite comme de gauche, adhésion qui ne plaide pas pour le caractère révolutionnaire d’une telle mesure. Il faut croire que, dans le jeu de dupe qu’est devenue la pratique politicienne contemporaine, on s’évertue à parodier les signes du combat ancien, où les affrontements idéologiques pesaient encore, et que cette agitation de pantins télévisuels, qui remuent leur verbe avec les accents faux d’une rhétorique surannée, ne vise qu’à préparer les trahisons futures, qui nous présenteront le dilemme entre un libéralisme mondialiste soft, contre un libéralisme mondialiste hard. Tant les mots sont plus importants que l’on ne croie pour faire avaler les choses.

    Il est en tout cas certain que les 2 700 employés de Florange sont insignifiants par rapport aux 260 000 salariés du groupe, et surtout par rapport aux quelque 50 000 chômeurs qui, en ces temps de crise, restent, en France, chaque mois sur le carreau. Leur poids est symbolique, comme l’est le mot « nationalisation », qui renvoie à une France jadis industrialisée, dont le secteur sidérurgique, sans parler des autres, était florissant, où la classe ouvrière était fière, digne, orgueilleuse et combative, et, pour tout dire, quand la France était encore la France.

    Le temps est donc au « réalisme », vertu que l’on brandit volontiers pour se donner un air d’honnête gestionnaire, et l’on ne prend même plus la peine d’user de ces feux d’artifices lyriques, qui faisaient frissonner la Mutualité. La chair est triste, hélas !, et je ne prends même plus la peine de lire tous les programmes, tellement ils se ressemblent et s’alignent platement sur les prétendues nécessités de l’économie mondiale.

    Il est clair que Hollande a « écouté », dans l’affaire, Michel Sapin et Pierre Moscovici, plus sensibles à « l'image de la France » auprès des investisseurs étrangers qu’à la détresse des ouvriers français. La bourse vaut bien une fermeture. Le capitalisme prospère sur les cadavres économiques. Il n’est qu’à mesurer la hausse des cours boursiers quand des licenciements sont annoncés dans un secteur. « Say Oui to France » - certainement pas à la France des travailleurs !

    Les économistes ont toujours d’excellentes raisons pour justifier les capitulations. On peut même dire que les brigades de « spécialistes », dont le nombre ne semble pas très rentable en matière de prévisions, si l’on prend la peine de rassembler toutes les erreurs d’analyse et de prédiction qui ont ridiculisé la profession depuis des lustres, occupent et saturent petit écran, grandes ondes et torchons baveux, et qu’ils n’ont jamais assez de mots pour assurer qu’en matière de rêve, c’est assez. Un jour, il faudra se pencher sur la condition de ces plumitifs qui prospèrent à Science Po, dans des fondations grassement subventionnées par des multinationales, et sur les petites chaises qui serrent de près les arrière trains de ces princes qui nous gouvernent. Ces tristes sires ont pour sale besogne de faire accepter l’inévitable, ou considéré comme tel, et de prôner la résignation.

    La réalité économique que ces messieurs de la moulinette à Phynance est pour le coup assez peu ragoûtante, car on a eu souvent affaire, ces dix dernières années, à des licenciements boursiers, qui visaient à accroître les dividendes des actionnaires, en contractant la masse salariale. Danone, Lu, Michelin, Mark&Spencer, Hewlett-Packard, Moulinex, Aventis, Valeo et d’autres sont restées dans les mémoires.

    La gauche n’a jamais essayé d’empêcher ces dérives. Du moins, comme pour le cas Danone, a-t-elle fait mine de prendre des mesures qui se sont révélées impuissantes. Car depuis le tournant de la « rigueur », que l’inénarrable et ex-stalinien Yves Montand avait bénie de sa gouaille d’histrion, en 1983, elle n’a de cesse que de prouver son « sérieux », c’est-à-dire, in fine, sa collusion avec la finance internationale, que Hollande, quand il était candidat, a rassuré, dans la patrie de la banque, en Grande Bretagne, en avouant que ses quelques piques contre elle était de la rigolade électoraliste. Avec Fabius et Bérégovoy, le mot d’ordre avait été la « réconciliation avec le monde de l’entreprise », en clair avec le fric, ce que les champions de la gauche caviar ont bien compris. On ne jura alors que par la concurrence, les privatisations, les baisses d’impôts, les déréglementations.

    Rappelons les exploits d’une gauche qui a le culot de s’appeler encore « socialiste » (« Je n’aime pas les socialistes, parce qu’ils ne sont pas socialistes », disait déjà De Gaulle) : gouvernement Rocard : Crédit local de France, 5 avril 1991, privatisation partielle ; Renault, 1990, ouverture du capital ; gouvernement Jospin : Air France, 1999, ouverture du capital ; Autoroutes du sud de la France (privatisation partielle), mars 2002 : mise en bourse de 49 % du capital, recette : 1,8 milliard d'euros ; Crédit lyonnais , 12 mars 1999 (décret) ; France Télécom, 1997, ouverture du capital, 42 milliards de FF ; Octobre 1997 : mise en bourse de 21 % du capital ; Novembre 1998 : mise en bourse de 13 % du capital ; Framet, 1999; GAN, 1998; Thomson Multimedia ; 1998, ouverture du capital ; 2000, suite ; CIC, 1998; CNP, 1998; Aérospatioale (EADS), 2000, ouverture du capital.

    Si Jean-Marie Le Pen n’avait pas été là en 2002, rien ne les empêchait de continuer sur cette lancée. La droite l'a fait pour eux.

    Comment maintenant le gourvernement actuel va-t-il réagir quand des « plans sociaux » seront annoncés à Renault, SFR, Aetos ; aux Charcuteries Alsaciennes Iller , aux Rillettes Sarthoise Boussard, à la Société Générale, à Coca Cola, à l'AFPA (association nationale pour la formation professionnelle des adultes), à GOL, aux quotidiens régionaux La Provence, Nice Matin, Var matin et Corse Matin sont en vente, à la chaîne télé régionale TLM (Lyon), etc. ?

    Les cadavres risquent de ne pas loger dans le placard !

    Claude Bourrinet (Voxnr, 2 décembre 2012)

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  • Florange, la trahison du socialisme compassionnel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir, cueilli sur son blog Russeurop, qui adresse une volée de bois vert au gouvernement à propos de la reculade piteuse de Florange...

     

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    Florange, la trahison du socialisme compassionnel

    Ainsi, c’était donc ça. L’accord avec MITTAL, sur lequel on pouvait déjà avoir des doutes importants compte tenu de la « réputation » de la société à ne pas tenir ses promesses, se révèle n’être qu’un plan social camouflé. On annonce déjà plusieurs centaines de départs en préretraite. Les investissements promis ne sont que ce qui était prévu avant la négociation, essentiellement pour le partie « froide » du site. Les travailleurs ont été roulés dans la farine par le Premier ministre et le Président. À vrai dire, on s’y attendait. Mais, pas que le vernis craque aussi vite, en moins de 72h. Le problème, en l’occurrence, est que ceci était d’emblée dans la tête de J-M Ayrault, qui semble avoir été plus intéressé à sauver des emplois dans sa région que par le sort des ouvriers de Florange. Tel est le « secret » d’un accord qui n’en est pas un et qui constitue une capitulation en rase campagne de la part du gouvernement.

    Reprenons depuis le début ; MITTAL veut liquider la partie « chaude » du site (les hauts-fourneaux), mais tient à garder la partie « froide » qui fabrique des emballages à partir du métal, et qui gagne de l’argent. MITTAL, par ailleurs, emploie 20 000 ouvriers sur divers sites en France. Le gouvernement a fait l’erreur de traiter ce problème de manière parcellaire, se mettant ainsi lui-même la tête sur le billot, et celle des ouvriers de Florange par la même occasion. On lit sans problème la stratégie de MITTAL, qui consiste à menacer, en cas de nationalisation de l’ensemble du site de Florange, de cesser ses investissements dans le reste du pays, et qui menace donc l’emploi. Cette stratégie est efficace, mais elle ne l’est que parce que le gouvernement ne veut pas traiter du problème dans son ensemble, c’est-à-dire de l’ensemble des installations de MITTAL en France. On dira que le coût serait extrêmement élevé. Non, si on le fait dans une logique où ces activités seraient reprises par un ou plusieurs repreneurs. La question de la gestion et des activités commerciales serait réglée par des sociétés déjà existantes.

    Jean-Marc Ayrault prétend que ce repreneur n’existe pas. Or, les deux sites de Florange sont connus pour intéresser beaucoup de monde, le groupe russe SEVERSTAL entre autres, mais pas seulement. La possibilité de trouver un repreneur était bien présente, mais à la condition d’une reprise globale du site. C’est sur cette ambiguïté qu’a jouée le Premier ministre pour imposer l’accord qu’il voulait. Cet homme, de Notre Dame des Landes à Florange, sera désespérément resté un élu local.

    Le problème fondamental est celui de la logique financière qui est celle du groupe MITTAL. Entendre qualifier « d’entrepreneur » Lakshi Mittal a de quoi faire se retourner dans sa tombe Joseph Schumpeter. Dors en paix, pauvre Joseph, ils ne savent pas ce qu’ils disent. Lakshi Mittal est essentiellement un financier, sans logique industrielle d’ensemble, qui n’est intéressé que par le rendement immédiat de ses entreprises. Il n’a de cesse, pour utiliser une expression un peu vulgaire, que de faire « pisser du cash », et ceci sans souci du moyen ou du long terme. Un entrepreneur, et il faut le rappeler à tous ceux qui n’ont que ce mot à la bouche, y compris au MEDEF et à la sinistre Parisot, est quelqu’un qui entreprend une activité dont il pense que grâce à une innovation de produit ou de procédé, il tirera profit. Un entrepreneur industriel, de plus, a dans la tête la notion de filière et de pérennité de son entreprise. Pas un opportuniste ou un preneur de rente.

    La mise en place d’une logique industrielle d’ensemble cohérente et la seule réponse possible à l’attitude du groupe MITTAL. Les éléments de cette logique existent, ainsi que les partenaires, qu’il s’agisse de sociétés françaises ou de sociétés étrangères. Mais, cette logique étant contradictoire avec celle de MITTAL, il convient donc de se débarrasser de ce groupe, et pour cela d’en nationaliser l’ensemble des établissements sur le territoire français. On fera l’objection des obstacles que pourrait soulever l’Union européenne. Mais, étant contributrice nette à hauteur de 7 milliards d’euros par an, la France peut parler fort à Bruxelles. La véritable réponse à l’arnaque que prépare MITTAL, avec l’assentiment du Premier ministre, est bien une nationalisation d’ensemble, mais accompagnée de la constitution d’un syndicat de repreneurs, appelé à reprendre les diverses activités et à les développer dans la lignée de ce que l’on a décrit dans la première note. Ici encore, cela implique une politique industrielle d’ensemble sur la filière sidérurgique de la part du gouvernement français. Or, c’est bien ce qui manque aujourd’hui.

    Où, plus précisément, c’est bien la volonté de penser le développement d’ensemble de l’industrie, les coexistences de filières sur un même site, qui est aujourd’hui absente dans le pôle libéral de ce gouvernement, représenté par Sapin, l’homme qui accepte le chômage, par Moscovici, l’homme qui accepte l’Euro et les pertes de compétitivité qui en découlent, et par Ayrault, Premier ministre plus attaché à sa circonscription qu’aux intérêts du pays et de l’ensemble de ses travailleurs.

    Oui, le « socialisme » compassionnel a bien trahi les travailleurs de Florange, et d’autres trahisons se préparent, qui laisseront toutes un goût de plus en plus amer. Jusqu’à ce que ce gouvernement soit régurgité par ceux là même qui l’ont élu.

    Jacques Sapir (Russeurop, 3 décembre 2012)

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  • La leçon des cantonales...

    Nous publions ci-dessous, sous la plume de Pierre Le Vigan, une analyse particulièrement intéressante du résultat des élections cantonales de la semaine dernière.

     

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    La leçon des cantonales

    Entretien avec Pierre Le Vigan (01/04/20111, propos recueillis par Jean-Marie Soustrade)

     

    Quel bilan des cantonales ? 

    Au terme des scrutins des 20 et 27 mars 2011, la gauche gagne 2 Conseils généraux de province et en perd un, le Val d’Oise, (département peuplé). La gauche gagne des sièges mais son gain en termes de pouvoirs locaux est donc modeste. De même l’UMP s’effondre mais pas les divers droites. Au second tour il y eu comme au premier 55 % d’abstention. Cela pose la question du vote obligatoire, qui serait une bonne chose, à condition d’instaurer la reconnaissance du vote blanc. 

    Et le Front national ? 

    Plus de 15 % au premier tour et en fait plus de 19% si on ne tient compte que des cantons où il était présent (mais par définition le FN n’avait pas choisi d’être présent dans les cantons où il était le plus faible) : c’est un score très élevé. Mais au second tour le bilan est contrasté. Le Front a pu se maintenir, compte tenu de la règle par rapport au pourcentage du nombre d’inscrits, monté à 12,5 % au lieu de 10 % auparavant, dans environ 400 cantons. Il était dans ceux-ci non à 19 %, qui n’était que la moyenne de ses 1500 candidats, mais bien au dessus, à 23 % en moyenne. Or la moyenne des candidats frontistes au second tour est à 35,5 % soit un gain de 12 ou 13 %. Le FN passe de 600 000 à 900 000 voix entre les 2 tours alors qu’il n’est présent au second tour que dans 400 cantons au lieu de 1500. 

    C’est donc un grand succès du FN. Pourquoi parlez-vous de bilan contrasté ?

    Parce que ce succès ne débouche pas sur des élus. Il n’y a que 2 conseillers généraux FN, sur 2000 cantons renouvelables (et 4000 au total). Alors que le FN obtient beaucoup plus de voix à toutes les élections que le PCF allié au Front de Gauche, et que les écologistes (Europe Ecologie Les Verts), contrairement à eux, il n’obtient pas d’élus locaux. 

    Pourquoi ? 

    Parce que le FN n’est pas dans une coalition. Beaucoup de gens et un peu partout – c’est ce que l’on appelle la « nationalisation »  du vote - votent FN mais il n’y a pratiquement aucune portion du territoire national où 50 % des gens veulent un élu FN. Sur les bases des cantonales, le FN n’aura pas d’élus aux prochaines législatives ou un ou 2 comme dans toute son histoire (Yann Piat en 1988, Marie-France Stirbois en 1993, Jean Marie Le Chevallier en 1997…). Sur ce plan, rien n’a changé. 

    Le FN espérait mieux. Pourquoi s’est-il trompé ? 

    Louis Aliot avait espéré entre 10 et 50 élus au second tour des cantonales. Compte tenu des trés bons résultats du premier tour, 10 élus était un objectif effectivement possible sur le papier. Il était difficile de prévoir que, au fond, il y a toujours un profond « blocage mental » au vote FN, avec peut-être la crainte d’avoir des élus qui ne servent à rien localement car ils seraient totalement marginalisés donc pas de subvention aux projets locaux, etc. La révolution Marine est en marche à savoir le changement profond de l’image du Front mais elle n’est pas encore aboutie. Il est certain que la défolklorisation y a sa part, et que cette part est nécessaire. D’autres gestes, comme un voyage en Israël, y contribueront sans doute. Cela pèsera plus vis-à-vis des élites que vis-à-vis du peuple au demeurant. Toute la difficulté est de devenir un parti normal tout en restant non aligné face au nouvel ordre mondial. Pour l’instant le FN manque encore singulièrement de cadres de valeur pour mener cette politique. Mais nous n’en sommes qu’au début d’un processus et le succès appelle les talents – mais aussi les carriéristes, avec ou sans talent ! C’est donc une période délicate pour la nouvelle patronne du Front.

    Comment le blocage du Front au second tour peut-il changer ? comment peut-il avoir des élus ?

    Par la décomposition, fort possible, de l’UMP et l’éclatement des droites. On peut imaginer un bloc à vocation majoritaire dont le FN serait le pivot. La difficulté c’est que les raisons du succés du FN au premier tour des élections sont les mêmes que les raisons de son échec au second. C’est parce que le FN est « seul contre tous » qu’il monte haut au premier tour, c’est parce qu’il est seul contre tous qu’il ne franchit qu’exceptionnellement le second tour en vainqueur. L’exemple italien est intéressant. Il y a eu un moment où Alliance nationale (l’ex-MSI) a fait de bons scores, de l’ordre de 15 % tout en étant associé à Berlusconi, vers 1995. Puis les électeurs ont cessé de bien percevoir à quoi servait Alliance nationale, assimilé à la coalition berlusconienne. Quitte à soutenir Berlusconi, autant le faire à fond et directement plutôt que de soutenir un parti qui ensuite soutient à fond Berlusconi. Au final Gianfranco Fini (le patron d’Alliance nationale) a fondu son parti dans le parti unique de la droite italienne, le Peuple de la Liberté. Pour se retrouver ensuite en désaccord avec Berlusconi. Mais assez démuni politiquement. Avec une trentaine de députés au lieu de 100 auparavant. Et tenter de refonder un nouveau parti (Futur et liberté pour l’Italie). Cela montre qu’abandonner trop vite sa spécificité peut être désastreux. Des accords minimum de gestion locale sont certainement préférables. A noter que la Ligue du Nord, justement en Italie, a toujours maintenu une distance avec Berlusconi et échappe ainsi à son naufrage. 

    Au fait, à quoi servirait des élus FN ? 

    Ils sont indispensables pour être crédibles. Le travail de terrain, ce sont des cadres, et une école de formation de cadres. Des incarnations des idées, des façons de confronter sa doctrine au réel. Il n’y a pas d’avenir pour un parti sans des élus locaux. Quelques députés européens ne suffisent absolument pas. De bons scores aux présidentielles peuvent être illusoires aussi. Ce sont des mairies qu’il faut gagner si on veut exister vraiment quand on est dans la situation du Front c'est-à-dire sur une dynamique de conquête et non de simple « témoignage » de l’ordre de « maintenir la flamme », attitude de la vieille droite antimariniste, et de ceux qui préfèrent être « entre eux » à 3 % (et encore…) plutôt que d’être confrontés à des gens nouveaux, aux motivations parfois nouvelles, aux itinéraires déroutants. Et alors ? La vie c’est aussi l’irruption du nouveau.

    Des itinéraires déroutants ? Vous faites allusion par exemple à cette candidate FN dans le Nord qui aurait été escort girl en Belgique ? 

    Si la diversité des horizons se limitait à cela ce serait voir les choses par le petit bout de la lorgnette, mais toutefois, dans le cas que vous évoquez, je ne vois pas où serait le problème, quoi qu’il en soit du fond de cette histoire. Je suis pour la liberté de faire ce qu’on veut de son corps et d’avoir en même temps les idées politiques que l’on souhaite. Et sans que l’un invalide l’autre.

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