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  • Georges Sorel contre la bourgeoisie décadente...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Rodolphe Cart à Eurolibertés, dans lequel il évoque la figure de l'auteur de Réflexions sur la violence à l'occasion de la sortie de son essai Georges Sorel - Le révolutionnaire conservateur (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    Entretien avec Rodolphe Cart à propos de l’écrivain révolutionnaire conservateur Georges Sorel

    Les opinions politiques de Georges Sorel ont évolué au fil du temps. Quelles sont les grandes étapes de ce processus ? Lors de son rapprochement avec les nationalistes, qui a-t-il fréquenté dans cette mouvance ?

    Tout d’abord, en bon disciple de Proudhon, Sorel est un conservateur en matière de mœurs – notamment concernant ses positions sur le mariage ou sur le rôle de la femme et du père au sein de la famille. En revanche, Sorel est un auteur à phases ; c’est-à-dire qu’il va évoluer sur certaines de ses positions tout au long de sa carrière de penseur politique. Comme le disait très bien Michael Freund – un des premiers biographes –, le Normand fut à tour de rôle marxiste (1893-1897), révisionniste (1898-1901), syndicaliste révolutionnaire (1898-1911), nationaliste (1911-1913) et même bolcheviste (1917-1922). Concernant son lien avec le nationalisme, même s’il a quelques échanges avec Charles Maurras, c’est surtout Georges Valois qui représentera ce « pont » entre Sorel et le mouvement monarchiste. En même temps, grâce à la revue L’Humanité Nouvelle, les deux Georges, Georges Valois, le militant, et Georges Sorel, le penseur syndicaliste, étaient en contact depuis 1898.

    Qu’est-ce que le syndicalisme-révolutionnaire théorisé par Georges Sorel ?

    Faisons simple : Sorel va se poser exactement contre la ligne de Jean Jaurès. Cette ligne jaurésienne consistait à rattacher le socialisme à la République, au parlementarisme et aux Lumières. Comme l’a très bien montré Jean-Claude Michéa, cette jonction se réalisa partiellement lors de l’Affaire Dreyfus. Bref, pour en revenir au syndicalisme révolutionnaire, Sorel plaide pour la scission, puis la sécession, et enfin l’autonomie des classes prolétaires contre l’ensemble des institutions « bourgeoises ». Sorel, en un sens, va donc encore plus loin que la simple lutte des classes marxiste.

    Georges Sorel est avant tout connu pour son ouvrage Réflexion sur la violence paru en 1908. Quel est le contenu de ce livre et pourquoi Georges Sorel est-il favorable à l’utilisation de la violence dans le domaine politique ?

    On ne peut comprendre le rôle qu’entend donner Sorel au concept de violence, si on ne garde pas en tête cet idéal de sécession vis-à-vis du système bourgeois, parlementaire et démocratique. La violence est le point nodal pour qu’émerge ce conflit – on se souvient que Sorel est un lecteur de Karl Marx (lutte des classes) –, car elle représente le phénomène qui permettra aux ouvriers d’entrer dans une pratique journalière du combat contre leurs « oppresseurs ». Pour Sorel, il faut constamment qu’une tension anime le corps social ouvrier pour empêcher l’évanescence de la conflictualité. Toutefois, Sorel distingue nettement la violence de la sauvagerie. Dans le premier cas, la violence possède une idée directrice qui permet aux acteurs d’avoir un but précis à accomplir, et une réflexion sur les moyens pour arriver à leur fin ; dans l’autre, on ne dépasse pas les bas sentiments de la débauche, du pogrom et de la violence aveugle des foules (Gustave Le Bon). Le constat de Sorel est donc clair : oui à la violence, mais seulement à la condition qu’elle soit au service d’un objectif plus haut d’émancipation politique et sociale.

    Le rejet par Georges Sorel de la démocratie parlementaire libérale bourgeoise trouve-t-il ses racines dans le marxisme ? Quelle est la position de Georges Sorel par rapport à ce dernier ? Quelle est la différence entre le socialisme de Georges Sorel et celui de Karl Marx ?

    La découverte de Marx est une révélation pour Sorel. Pour lui, le marxisme demeura longtemps l’unique réponse à l’avènement de la société industrielle et capitaliste, aux transformations sociales sans précédent qui s’annonçaient. Seule la doctrine de Marx pouvait mettre en place l’apparition d’une philosophie nouvelle, d’un droit audacieux et d’une morale inédite. Sorel a même pu dire qu’il voyait dans le marxisme la « plus grande innovation dans la philosophie depuis plusieurs siècles ».

    Pourtant, peu à peu, Sorel va se faire plus critique – notamment après la lecture d’auteurs comme Henri Bergson ou le philosophe italien Giambattista Vico. Comme le rappelle Pierre Andreu – un commentateur de Sorel –, l’auteur des Illusions du Progrès commence, à partir de 1897, à remettre en doute l’enseignement marxiste sur différents points comme la « négligence des facteurs moraux », la « confiance exagérée accordée à la science », l’« interprétation insuffisante ou erronée de l’évolution sociale et du mouvement ouvrier ». En 1898, Sorel n’hésite pas à écrire que Marx a laissé une « œuvre géniale » mais « inachevée ». Sorel devient alors, en préférant les thèses fédéralistes de Proudhon, un antiétatiste rabique contre les positions de Marx – rappelons que ce dernier prévoyait de passer par un État communiste avant son abolition. Aussi, contre la thèse de l’abolition des classes de l’auteur du Manifeste du parti communiste, Sorel ne pense pas que les classes sociales s’effaceront ; au contraire, il pense même que cette opposition tendra toujours plus à différencier les classes, à les séparer.

    Georges Sorel est le fondateur, dans le domaine politique, de la notion de mythe. Qu’en est-il ? La « grève générale » est-elle, pour Sorel, le principal mythe ?

    L’un des objectifs de la pensée sorélienne est de mettre les acteurs sociaux en mouvement. Lorsque Sorel dénonce le parlementarisme, les compromissions de la gauche socialiste et de la démocratie républicaine, il ne le fait jamais de manière gratuite mais toujours dans le but que cette dénonciation trouve un écho dans le corps social prolétarien. Or, Sorel se rend compte que tous les mouvements de masse de l’histoire des sociétés humaines n’ont été possibles que lorsque les individus étaient plongés, et cela avant même la mise en action, dans un univers mental qui les poussait à prendre telle ou telle décision. Ce rôle du mythe consiste à propager des images mobilisatrices dans des groupes humains, pour ensuite les faire réagir lors des évènements.

    Pour en revenir sur le mythe de la grève générale, Sorel mesure, à son époque, que le développement des syndicats les oppose directement, et de manière de plus en plus violente, au cadre de la IIIe République. Tous les « ingrédients » d’une révolte sont présents : une violence qui s’accentue, deux camps qui s’opposent et une fracture qui ne cesse de s’agrandir. En clair, il ne manque plus qu’une idée directrice pour ce conflit désormais inévitable. Pour Sorel, c’est le concept de grève générale insurrectionnelle qui devait être capable d’élaborer le paradigme dans lequel le mouvement ouvrier français doit pouvoir se projeter.

    Sorel a influencé, tant Maurice Barrès et Charles Péguy, que Lénine, Antonio Gramsci et Benito Mussolini. L’Italie fasciste et l’Union soviétique ont proposé d’entretenir sa tombe. Comment expliquer une telle situation, qui voit un théoricien influer sur les tenants d’opinions si différentes ?

    Effectivement, l’attrait des régimes de Mussolini et de Lénine pour Sorel a largement contribué à constituer cette « légende noire ». Après, cet amalgame entre ces régimes et la doctrine sorélienne est largement grossi, voire faux. Comme nous l’avons vu précédemment, Sorel a évolué tout au long de sa vie sur certaines de ces positions. Il n’existe pas de « sorélisme » à proprement parler, sauf quelques grands concepts (le mythe, l’antiparlementarisme, l’antidémocratisme, la violence émancipatrice et héroïque) qui, eux, ont pu être repris par les intellectuels de ces mouvements – et souvent de manière abusive.

    Il est vrai que Sorel, en 1922, a défendu Lénine contre les politiciens « démocrates » ; car, pour lui, le Russe incarnait « le marxisme en action, le marxisme vivant, ressuscité de la décomposition du socialisme parlementaire ». Tandis que les hommes politiques européens représentent l’effacement du sublime et la haine pour les « hommes supérieurs », Lénine se présentait comme la figure qui les ramenait à leur médiocrité, leur bassesse. La reconnaissance entre les deux hommes n’est pas pour autant réciproque, puisque l’auteur de Que faire ? décrit Sorel comme un « esprit brouillon ».

    Concernant Mussolini, la relation est différente. En 1922, Mussolini déclare au journal espagnol ABC : « Pour moi, l’essentiel était : agir. Mais je répète que c’est à Georges Sorel que je dois le plus. C’est ce maître du syndicalisme qui, par ses rudes théories sur la tactique révolutionnaire, a contribué le plus à former la discipline, l’énergie et la puissance des cohortes fascistes. » En règle générale, on peut même dire que c’est en Italie, et même avant la France, que les thèses soréliennes vont être le plus reprises. Déjà bien imprégné de nietzschéisme, tout le mouvement syndicaliste et révolutionnaire italien va s’abreuver de l’éloge de la violence et de la guerre de Sorel.

    En quoi Georges Sorel était-il un révolutionnaire conservateur, en l’occurrence un opposant aux idées des Lumières qui ne désire cependant pas restaurer le monde d’avant, mais seulement trouver dans celui-ci des éléments afin d’instaurer un autre futur.

    La question morale est sans nul doute l’un des rares fils rouges de la pensée sorélienne. Il fut constamment le sujet d’une angoisse profonde quant à l’avenir de son pays, et même du continent européen. Pour lui, la classe dirigeante bourgeoise et républicaine a échoué dans son rôle d’élite, et c’est pour cela qu’il attaque sans cesse l’idéologie du progrès, les idées des Lumières ou la vulgate sur la tolérance et le bien-être, qui ne sont rien moins que la bien-pensance d’avant. Sorel croit donc en l’imminence d’une révolution prolétarienne qui renversera cet ordre décadent.

    Le pire, pour lui, étant sûrement la trahison des élites socialistes envers le peuple – sur ce thème, il écrira un texte ravageur, en 1909, intitulé La révolution dreyfusienne. Cette compromission de la social-démocratie représentait, à ses yeux, une faute d’ordre moral. C’est pour cela qu’il opposa constamment le prolétariat industriel – associée aux valeurs positives d’héroïsme, de conservatisme et de puissance – à la bourgeoisie corrompue et décadente. C’est en s’appuyant sur Proudhon, Renan et Nietzsche, qu’il trouvera une partie de ses arguments pour attaquer la « décadence de la bourgeoisie ».

    Rodolphe Cart, propos recueillis par Lionel Baland (Eurolibertés, 24 juillet 2023)

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  • Maurizio Serra, l’Italie majestueuse...

    Nous reproduisons ci-dessous l'entretien donné récemment par Maurizio Serra à la revue Le nouveau Conservateur, dans lequel il revient sur les personnages dont il a écrit la biographie...

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    Maurizio Serra, l’Italie majestueuse

    La France considère-t-elle toujours l’Italie à sa juste valeur ? S’il existe une évidente affection, voire un amour, il y a aussi parfois de la condescendance, du « mépris », si l’on veut citer Moravia. 

    Voilà un vieux problème de cousinage. Nous trouvons les Français arrogants et les Français nous trouvent légers. Hier encore, je feuilletais le livre d’un ami et je trouvais cette phrase, qui peut être flatteuse : « L’Italie, pays de l’amour de vivre… ». Il y a une difficulté française à voir le côté dramatique, tragique, de notre nation. Et pourtant, cette Italie véritable est très présente dans votre littérature. Lorsque Lamartine, Musset, Stendhal, ou Chateaubriand – que je sais très aimé au Nouveau Conservateur – regardent vers l’Italie ; ce n’est pas toujours pour la Dolce Vita… À côté de cela, il y a des visiteurs comme Sainte-Beuve, qui eux, au contraire, sont entraînés par la vitalité du pays. Je crois que cette impression nous vient du XXe siècle, où il y a eu une vague très italophobe, dans le sillage du fascisme. Cette dualité, je l’ai vécue moi-même, par la proximité que j’entretiens avec les deux pays.

    Vous avez récemment publié Le Mystère Mussolini, aux éditions Perrin. Davantage qu’une biographie, votre livre est comme le portrait psychologique d’un homme qui est certainement la figure historique la plus énigmatique du siècle dernier.  

    J’ai souhaité préciser dès l’introduction que ce n’était pas une biographie. Si j’avais voulu me livrer à cet exercice, comme mon regretté ami Pierre Milza, l’ensemble aurait inévitablement tourné autour des milles pages. Nous ne voulions pas de cela. Cet ouvrage est venu après une série de livres dont j’ai été l’éditeur. D’abord, nous avons fait la nouvelle édition du journal de Ciano, puis nous avons réédité les conversations de Mussolini avec le grand journaliste de Weimar, Emil Ludwig. Puis il y eut un troisième livre, très important, celui de Filippo Anfuso : Du palais de Venise au lac de Garde – mémoires d’un ambassadeur fasciste. Une remarquable psychologie du temps. 

    La tentative est toujours la même : essayer de saisir Mussolini, être pourtant insaisissable. Il n’est certainement pas l’espèce de brute épaisse que l’on voit dans le Dictateur de Chaplin. L’image de cette brutalité n’est venue qu’assez tardivement. Si vous prenez le journalisme français, assez conservateur, des années 1925 aux années 1930, l’homme était alors parfaitement pris au sérieux. Lorsque je vais à la télévision, je constate qu’on repasse toujours les mêmes images, les mêmes discours. Pourtant, toute la phase « en veston » est une phase finalement conservatrice. En ce moment, je travaille beaucoup sur la période de Munich, et je retrouve des témoignages qui prouvent l’importance qu’il peut placer dans les détails et les conversations diplomatiques. Je n’innocente rien du tout : il pouvait être brutal, avec des collaborateurs par exemple, mais jamais avec des interlocuteurs étrangers. 

    Le scrutin italien du 25 septembre dernier, marqué par la victoire de la coalition des droites de Giorgia Meloni, a donné à la presse l’occasion de brandir l’insulte du fascisme, ou sa variante moderne, le « postfascisme » (sic). Pourriez-vous, en tant qu’historien, et finalement en tant que citoyen italien, nous donner votre définition du fascisme, tant on a l’impression que ce mot, usé jusqu’à la moelle, ne signifie plus rien ? 

    Je peux considérer une définition en deux temps. D’une part, le fascisme est un phénomène autoritaire qui tend à la dictature d’un parti ou d’un mouvement et qui, dans la version italienne, se caractérise par trois choses. L’usage de la force pour aller au pouvoir, mais non nécessairement pour le maintenir. Parce qu’il y a d’autres armes, y compris la corruption… C’est un phénomène de gauche, parce qu’il y a une composante sociale. Les derniers fascistes, les plus extrêmes, voulaient appeler la République de Salò : « République socialiste fasciste ». Et c’est aussi un phénomène de droite, car il a une conception très hiérarchisée et anti-démocratique. Il a également légué l’idée que « l’homme vit dans la violence », ce qui ne signifie pas l’empoignade, mais plutôt qu’il ne faut jamais s’arrêter dans la compétition des nations, des élites et – hélas, hélas – dans la compétition des races… 

    Ainsi, malgré des sollicitations nombreuses, j’ai refusé d’intervenir dans la presse après les dernières élections. Pour une raison très simple : mon métier étant celui de l’historien, je dois étudier un mouvement, le fascisme, qui est mort en 1945. Nous devons l’analyser avec les instruments de l’Histoire, comme on le ferait par exemple pour le Second Empire. 

    De l’autre côté des Alpes, on a parfois coutume de dire que « les Italiens n’ont pas été fascistes, mais ils qu’ils ont été mussoliniens ». Cette phrase veut tout dire de l’espèce de fascination étrange que ce personnage composite a exercé sur l’opinion italienne… 

    Le mussolinisme a été le fascisme. Le fascisme n’a eu ni « Mein Kampf » ni la doctrine bolchévique. C’est en réalité une opération pragmatique et très cynique qui vise à conserver le pouvoir pour changer la structure nationale. Après quoi, dans la deuxième phase, qui est celle qui commence en 34-35, au moment de la compétition avec Hitler, la guerre d’Espagne puis celle d’Abyssinie, il y aura cette dérive fatale, néfaste, vers l’idée totalitaire. Idée tout à fait irréalisable dans un pays comme l’Italie ! On oublie trop qu’au contraire d’Hitler ou de Staline, Mussolini n’a jamais eu un pouvoir unique. Il y avait le Roi, qui n’était pas du tout un personnage falot. À tel point qu’il a fait, au cours de sa vie, pas moins de trois coups d’État ! Le premier en 1915, quand il a fait entrer l’Italie en guerre aux côtés des Alliés, contre l’avis du parlement. Le deuxième, le 28 octobre 1922, lorsqu’il a avalisé la Marche sur Rome, qui n’avait aucune dimension réelle dans le pays. Mussolini, lui-même n’y croyait pas : il était resté à Milan, prêt à décamper en Suisse ! Et puis enfin, en 1943, le Roi renverse Mussolini.

    Parlons de D’Annunzio. Il faut le reconnaître, le grand poète italien, de ce côté de la frontière, est un peu tombé en désuétude, malgré votre belle entreprise biographique, D’Annunzio le Magnifique (Grasset). Il fut pourtant le père spirituel de toute une glorieuse génération, d’Henry James à Joyce en passant par Malraux et Gary. 

    Ah, D’Annunzio ! Toute sa vie se confond dans son œuvre. Ce qui est saisissant chez lui, c’est son âme d’esthète, héritier direct de Chateaubriand. On voit parfois d’Annunzio comme un personnage de la Belle Époque, là encore un peu léger, presque dépassé. C’est une erreur. Il fut un grand combattant de la guerre, un précurseur et même un prophète. Il y a aussi l’épopée de Fiume, qui représente le passage de l’esthète à l’homme d’action malrucien. Malraux naît de la cuisse de d’Annunzio, et le prouve lorsqu’il dit à Clara, un peu à la manière de Victor Hugo : « Je serai d’Annunzio ». 

    On dit parfois l’œuvre surannée. Il y a je crois un problème de traduction, ce sont elles qui sont finalement vieillies. Certes, nous pourrions citer la phrase de Montherlant : « Si un tiers me survit, un tiers est passable et un tiers est nul, je suis un bon écrivain… » Fort malheureusement, ce grand poète est très difficilement traduisible, parce que c’est un poète extrêmement lyrique, qui a une grande hauteur de ton. 

    Je me suis essayé, dans ma biographie, à une tentative de traduction. Elle est modeste, mais retrouve, je crois, le mouvement de l’original. C’est une petite gageure car on considère ce poème comme intraduisible… 

    « Que fraîches te viennent mes paroles ce soir

    Comme le bruissement que font les feuilles 

    Du mûrier dans la main qui les recueille

    En silence, et s’attarde à l’œuvre lente

    Sur la haute échelle obscure

    Contre le fût qui s’argente

    Aux branches dépouillées.

    La lune gagne les seuils d’azur

    Et semble étendre un voile

    Où choit notre rêverie.

    Voici que la campagne s’étoile

    De lueurs dans le gel de la nuit

    Et boit sa paix tant attendue

    Sans l’avoir vue. »

    Il y a aussi son théâtre. Demeurent à mon avis deux ou trois pièces encore jouables, mais c’est un théâtre à la Claudel, très statique, obsédé par la récitation et le retour à la Grèce. Montherlant s’en est également inspiré, quoiqu’avec un peu plus d’action. On le joue encore à Rome. Ses romans sont de loin la chose la plus publiable. Seulement, D’Annunzio se plaignait de certaines de ses traductions, qui l’embourgeoisaient. Son traducteur fidèle, Georges Hérelle, avait trouvé un style français qui perdait beaucoup du lyrisme brumeux des romans.

    Vous êtes un allié précieux des lettres françaises, avec votre regard tout à la fois étranger, par votre naissance, mais surtout passionné. En 2008, vous publiiez, à La Table Ronde, Les Frères Séparés. Ouvrage d’une qualité rare, où vous vous livriez à une comparaison des parcours de Malraux, Aragon et Drieu La Rochelle ; trois écrivains dans le siècle. 

    Ce livre est d’abord paru en Italie avant d’arriver sur la table d’un homme magnifique, un conservateur, un ami, qui s’appelait Denis Tillinac. Je vois très bien Denis, qui était à son bureau de La Table Ronde, prendre le livre – il ne parlait pas un mot d’Italien – et dire : « le sujet me plaît, vous me plaisez, on fait le livre ». La naissance d’une grande et fidèle amitié.

    Je veux rendre hommage à la France, car après tout on pouvait se dire : « Mais qui est cet écrivain étranger, sympathique, gentil, francophile, mais qui vient chez nous en donneur de leçons sur trois gloires de la littérature française ? » L’accueil qu’on me fit fut tout autre, ce qui démontre une grande ouverture d’esprit de la part de la France. La France, que j’ai connue dans l’enfance, m’a suivie jusqu’à Rome… 

    J’ai toujours entretenu des rapports très forts avec elle, et j’ai l’impression que d’autres écrivains étrangers partagent cette même opinion, je pense à mon ami Mario Vargas Llosa. Il y a ici une capacité d’accueil ; même s’il faut parfois passer entre les gouttes de certaines sensibilités. Je suis donc infiniment reconnaissant à la France. 

    Pour finir, parlons de Malaparte, autre figure de la littérature italienne, elle aussi particulièrement mystérieuse, voire étrange… 

    Malaparte est désormais plus populaire en France qu’en Italie. Évidemment, c’est habituel, on lui reproche souvent ses liens avec le fascisme. Je veux insister sur un point, souvent mal compris hors d’Italie : le fascisme dure 20 ans… De ce point de vue, les seuls avec lesquels nous pouvons parler dans les colloques – en sachant que nous parlons des mêmes choses – ce sont les Espagnols ; puisque chez eux, la dictature dure cinquante ans.  Le fascisme fut l’étau d’une génération, celle de Malaparte. Ils furent fascistes avant de devenir antifascistes, devinrent l’un puis l’autre pour les mêmes raisons. Le goût de l’entortillement, chez Malaparte, est de toute façon poussé jusqu’à la perversité. Il en rajoute en permanence. C’est un poseur exceptionnel, parfois d’un terrible cynisme. L’homme avait des défauts considérables. Son absolue inaffectivité est saisissante. Il est d’un opportunisme et d’une froideur sans pareille. Seuls les animaux et les enfants l’amenaient parfois à une certaine tendresse. Malaparte, d’ailleurs, n’aimait pas les femmes. Il était d’un ascétisme sexuel assez impressionnant, malgré sa grande sportivité. La violence, par certains aspects, l’attirait. Il restera de lui une intuition majeure, développée dans Kaputt puis La Peau. Celle de la décadence de l’Europe. Notre devoir commun est de sauver notre continent, si frêle et si faible. Y arriverons-nous ? 

    Maurizio Serra, propos recueillis par Valentin Gaure (Le nouveau Conservateur, 23 février 2023)

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  • Sur les hommes du fascisme...

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    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Frédéric Le Moal à Jean-Baptiste Noé dans lequel il évoque son dernier ouvrage Les hommes de Mussolini (Perrin, 2022). Docteur en histoire et professeur au lycée militaire de Saint-Cyr, Frédéric Le Moal, qui est un spécialiste de l’histoire de l’Italie du XXème siècle, est déjà l'auteur d'une Histoire du fascisme (Perrin, 2018).

                                                          

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  • Sécession...

    Le nouveau numéro de la revue Réfléchir & agir (n°76 - Hiver 2022) est paru. Le dossier est consacré à la sécession...

    La revue n'est plus disponible que par abonnement.

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    Au sommaire :

    En bref

    Antipasti

    Guillaume travers : "L'idiocratie est en marche, y compris chez beaucoup de ceux qui la dénoncent."

    Scènes et rustines du nationalisme

    DOSSIER 

    Sécession

    "L'importance fondamentale de transmettre et de continuer à exister en tant que Blanc, en tant qu'Européen.", entretien avec Yann Vallerie
    Quelle indépendance énergétique ?, par Scipion de Salm
    Orania, par Klaas Malan
    Pour une école libre, entretien avec Sylvain Roussillon
    Le web serein, par Georges Hirlay

    "J'ai quitté la France parce qu'elle est morte.", entretien avec un camarade qui vit en Russie

    Une urgence, la révolution culturelle, par Pierre Gillieth

    Arthur Kemp, bâtir le foyer blanc, par Klaas Malan

    Que faire ?, par Pierric Guittaut & Eugène Krampon

    Hommage

    Tombeau pour Jack Marchal, par Pierre Gillieth

    Géopolitique

    Trudeau, le Macron québecois, par Rémy Tremblay

    Judaïca

    Les Juifs de Mussolini, par Edouard Rix

    Féminisme

    Quand féminisme rimait avec fascisme, par Sylvain Roussillon

    Notes de lecture

    Les crimes du mois

    Cinéma

    Vigilante, l'honneur retrouvé, par Pierre Gillieth

    Disques

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  • Rome et le Duce...

    Les éditions Glénat et Fayard viennent de publier, dans leur collection de bandes-dessinées "Ils ont fait l'Histoire", un volume intitulé Mussolini, avec un scénario de Luca Blengino et de Davide Goy et des dessins d'Andrea Meloni. Une vision du fascisme partielle mais relativement équilibrée...

     

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    " Au sortir de la Première guerre mondiale, Benito Mussolini prend la tête d’un mouvement révolutionnaire et violent, le fascisme, regroupant les déçus de la victoire « mutilée » italienne. Ils aspirent au retour d’une «Grande Italie». Il prend la tête du gouvernement en 1922 et impose une « révolution fasciste » en refondant entièrement le système politique et économique. Son grand dessein est de créer une Italie nouvelle, organisée et puissante avec à sa tête, un chef infaillible, le Duce (le «guide»). Il s’attache en parallèle a faire de Rome le centre du pouvoir et la nouvelle cité idéale, conforme aux idéaux du fascisme afin de faire de la ville une véritable vitrine du régime et une capitale impériale. Davide Goy et Luca Blengino, avec l’historienne Catherine Brice, retracent la mise en place du fascisme du point de vue de Rome, littéralement rebâtie par un Mussolini modelant le visage de cette ville éternelle à l’image du fascisme conquérant. "

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  • Le journal de Julius Evola, de la chute de Mussolini à la prise de Rome...

    Les éditions Ars Magna viennent de publier dans leur collection Evoliana le Journal de Julius Evola tenu entre la chute de Mussolini et la prise de Rome.

    Penseur essentiel du traditionalisme révolutionnaire, écrivain au style clair et puissant, Julius Evola est notamment l'auteur de Révolte contre le monde moderne (1934), Les Hommes au milieu des ruines (1953) et Chevaucher le tigre (1961).

     

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    " Ces pages, d’une trop grande brièveté, sont le récit qu’Evola construit autour de sa vie et de sa participation aux soubresauts historiques situées entre le 25 juillet 1943 et le mois de juin 1944, lequel correspond à l’occupation américaine de Rome.

    D’après le ressenti de l’auteur, cette période fut marquée par une intense « action », néanmoins strictement politique – contrairement à ses habitudes –, vouée non seulement à s’opposer aux inévitables succès de l’adversaire, mais également dédiée à un objectif d’une importance capitale, se déployant sur le long terme, à savoir « préparer quelque chose qui pût subsister même après la guerre ». "

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