Quotidien du Français libéral libertaire moyen, Libération ne surprend plus. L’actuel devenir du journal, de plus en plus décalé de la réalité, de plus en plus hors sol, ne peut qu’interroger sur ce qui est pensé dans les milieux auquel il s’adresse. C’était le cas le mercredi 30 octobre 2019.
Dans la masse de l’actualité de ce mercredi 30 octobre 2019 (le Brexit, le Chili, l’Ethiopie, la Libye, le nucléaire, les retraites, l’Iran…), Libération choisit à juste titre de faire sa Une sur l’attaque menée contre une mosquée à Bayonne par un individu de 84 ans vite identifié. Vu la manière dont l’islam s’est imposé quotidiennement dans le débat public, voile aidant, le choix est judicieux. On imagine l’information jouissive du côté de Libé : à la « pointe » de la lutte contre « l’islamophobie », depuis des quartiers parisiens où l’on ne croise guère de femmes voilées, Libération ne cesse de répéter que « discriminer » les femmes qui choisiraient de porter le voile musulman serait un facteur de danger pour la société française, ce que l’islam ne serait pas. Bayonne tombe à pic.
Ce ton est aussi celui du quotidien en ce mercredi 30 octobre.
Une seconde « actualité », la dernière page du journal consacrée au « retour sur scène » de l’actrice porno Nikita Bellucci, entièrement dévoilée (« à découvert »), venant ponctuer le numéro du quotidien, montrant combien Joffrin et ses collègues sont hors sol.
La Une
Sobre. En rouge, « attaque de Bayonne » (attaque, attentat, attaque… la discussion a sans doute été serrée au sein de la rédaction). En gros caractères noirs : « Climat de haine ». En petit caractère noirs : « L’attaque d’une mosquée par un retraité d’extrême droite survient au milieu d’un débat national tendu et souvent dirigé contre les musulmans ».
L’angle de l’analyse est donné : l’attaque contre cette mosquée serait directement liée au climat de haine alimenté par une « extrême droite » (qu’est-ce ?, demande-t-on sans cesse à des médias convenus qui semblent penser que définir l’extrême droite est en France une évidence) visant les musulmans à travers sa critique du port du voile. Les noms ne sont pas indiqués en Une mais chacun en reconnaîtra de nombreux, sur un spectre plutôt large - ce que le dessin de Plantu dans Le Monde daté du même jour montrait en moins de traits (un homme parlant au micro, un musulman dans une bulle de bande dessinée ; l’homme de la bulle, ensuite, pris pour cible).
L’éditorial de Joffrin ou la rhétorique uniformisée
Laurent Joffrin dit toujours la même chose au sujet de l’islam en France : il n’y a pas de souci avec la religion musulmane mais uniquement avec les « islamophobes », « xénophobes » etc, autrement dit tout ce qu’il appelle « l’extrême droite », c’est-à-dire dans son logiciel « la droite ». Car tout ce qui n’est pas de gauche, c’est le Mal. Laurent Joffrin pourrait aller voir le film Alice et le Maire et écouter attentivement le dernier discours écrit par Alice pour le maire Patrice Lucchini. Il apprendrait alors beaucoup sur la responsabilité de l’idéologie politique à laquelle il appartient dans la situation catastrophique actuelle.
Complotistes assassins !
Que dit l’éditorialiste en ce 30 octobre, sous le titre « fantasme », lendemain d’attaque de mosquée ? « Cette fois, le complotisme a failli tuer ». Un complotisme « le plus souvent associé aux idéologies extrémistes, de droite notamment ». Le lecteur ne peut être qu’étonné : Laurent Joffrin ignore-t-il réellement à quel point les musulmans vivant en France sont imprégnés de complotisme, y compris par exemple au sujet de la seconde guerre mondiale ? Il y a dans l’univers de pensée quotidien des quartiers musulmans en France tout ce que Joffrin dénonce sous le vocable d’extrême droite mais Joffrin ne le sait pas. Il voyage peu, ou alors très loin de la France. Pire : ce complotisme forcément d’extrême droite se généraliserait. Pourquoi ? Mais… « Il faut bien le dire, le RN de Marine Le Pen n’échappe pas à cette maladie de l’esprit ». Une sorte de… sida mental, quelque chose de cet ordre ? Ce parti politique serait, selon Joffrin, responsable du « climat de haine » car il « sous-entendrait » que l’immigrationisme serait « organisé » en sous-main et « volontairement ». L’éditorialiste Joffrin voit des complots partout.
Complot ? Vous avez dit complot ?
Il n’y a pas de complot : Angela Merkel le disait clairement et ouvertement en 2015, l’Europe doit accueillir plusieurs millions de migrants car sa population vieillit. Et Macron renchérissait à ce propos il y a un an. Pas de complot imaginé par le RN, sinon dans l’imaginaire complotiste anti-droite de Joffrin, mais des faits : les gouvernements de l’UE veulent une politique migratoire permettant, de leur point de vue, de rajeunir la population du continent.
Mais ce n’est pas la question pour Joffrin. Il n’y a qu’une question : celle de la responsabilité de toute violence liée à l’islam imputée au RN et « à une partie des polémistes d’extrême droite qui parlent de grand remplacement ». C’est cela, pense Joffrin, qui a conduit Breivik à perpétrer son massacre en Suède, tout comme à l’attaque de Bayonne ou à l’attentat meurtrier de Nouvelle-Zélande. Et tout cela vient des thèses de l’écrivain Renaud Camus. Le monde « non complotiste » de Joffrin est simple comme un monde vu par un complotiste : une seule réalité (cachée), celle de « l’islamophobie », avec une seule cause agissante. Et surtout, là est le fondement du complotisme : cette réalité est celle que ne voient que des élus (comme Joffrin, pour qui ceux qui lisent Camus sont des « esprits faibles »).
Joffrin n’a oublié qu’un élément dans son éditorial : la religion musulmane a tué plus de 260 personnes en France depuis 2015. Et plusieurs centaines de milliers dans le monde. Zemmour, Camus, le RN et autres sont-ils vraiment la cause de cela ?
Joffrin partout, islamisme nulle part !
Les pages « événements » de Libération, ouvertes par l’édito de Joffrin, se prolongent par deux articles :
- Une relation des faits de Bayonne vus par une journaliste du quotidien, avec comme titre : « Bayonne. Le racisme tue ». Le texte relate les événements, insistant sur le parcours de l’agresseur, son ancienne appartenance au RN, son goût pour Zemmour, son passé militaire puis de membre de l’éducation nationale et ses ennuis psychiatriques.
- Le deuxième article est signé du « spécialiste » de « l’extrême droite » au sein de Libération, Dominique Albertini. Il est titré : « Padamalgam, nouveau refrain du RN », avec comme accroche : « Géné par le passé frontiste du suspect de l’attaque de Bayonne, candidat en 2015 aux cantonales, le parti appelle à refuser tout amalgame. Sans craindre les contradictions ». « Pas d’amalgame », c’est l’expression qui est dans toutes les bouches médiatiques dès qu’un problème surgit au sujet de l’islam ou de l’immigration (c’est pour cela que les médias parlent de « jeunes » quand il y a des incivilités ou des agressions alors qu’elles sont massivement le produit de jeunes issus de l’immigration, tout comme le trafic de drogues aux abords des lycées). Libération en fait son éditorial à chaque occasion. Du coup, le quotidien est gêné : il lui faut expliquer qu’amalgamer le suspect de l’attaque avec le RN, les discours de Zemmour, les écrits de Camus, les magazines ouvertement non libéraux libertaires, les sites d’analyse comme l’OJIM, ne serait pas un amalgame. La démonstration est à la peine, sauf à être à l’avance convaincu.
Nikita est là
Libération ne voit donc pas de problème avec l’islam en France, sauf pour les « esprits faibles » (plus de 70 % des Français tout de même selon le sondage IFOP/JDD paru le dimanche 27 octobre 2019 - l’observateur ne peut que se demander quelle idéologie depuis longtemps dominante peut être à l’origine de tant de faiblesse collective d’esprit). La rédaction ne voit pas plus l’incongruité qu’il y a à publier une Une sur l’attaque de Bayonne et à refermer le journal sur le corps nu de l’actrice porno Nikita Bellucci qui a « décidé de reprendre sa carrière » et qui explique pourquoi sur une pleine page, avec force détails sur ses expériences.
Laurent Joffrin pense-t-il sérieusement que dans une France à venir où la religion musulmane, modérée à ses yeux, dominerait, une telle page serait encore publiable ? Si la réponse est oui, alors en effet Libération se regarde le nombril.
Observatoire du journalisme (OJIM, 5 novembre 2019)