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bourgeoisie

  • Une passion française ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur son blog A moy que chault ! et consacré à la réforme des retraites...

    Animateur du site Paris Vox, rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur de deux recueils de chroniques intitulés Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016 et la Nouvelle Librairie, 2019), d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019) et, dernièrement, d'Hécatombe - Pensées éparses pour un monde en miettes (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

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    Une passion française

    Le désir farouche des bourgeois français de faire travailler davantage le populo est tout à fait fascinant. Ce n'est pas un banal calcul économique mais bien une véritable passion qui travaille le corps et l'esprit de la bourgeoisie depuis des lustres. Il faut que les ploucs, qui sont par nature des feignasses, travaillent davantage, plus longtemps. C'est ainsi, c'est une injonction, une incantation, c'est un mantra. Et peu importe que cela ne leur rapporte rien personnellement et que cela ne fasse qu'engraisser un peu plus les exilés fiscaux, les fonds d'investissements et les nababs de l'oligarchie libérale-mondialiste qu'ils rêvent secrètement de devenir en pensant n'être pour le moment que de vagues cousins éloignés de ces êtres d'élite et d'exception. Mais cela reste la famille !

    Il ne s'agit pas tant d'argent que de pouvoir, de rapports de force, de « morale », la leur. La réforme des retraites, c'est la poursuite de la lutte des classes par d'autres moyens. Le peuple doit marner, c'est son rôle, sa fonction. Les milliardaires n'ont jamais été aussi nombreux et aussi riches, croulant sous des fortunes qui ont depuis longtemps dépassées la plus abjecte indécence, pendant que les salaires sont au plus bas et que l'inflation ronge chaque jour un peu plus le pouvoir d'achat, mais peu importe, l'ennemi c'est le facteur, le cheminot, l'agent EDF, l'ouvrier, l'infirmier... Au boulot, au boulot, sinon cette belle économie, juste et équilibrée, risque de s'effondrer ! Vous imaginez le drame ?

    Et ce n'est pas l'incohérence complète du projet – entre chômage de masse, inactivité forcée des plus de 50 ans, immigration incontrôlée, milliards distribués à l'Ukraine et à l'Afrique... - qui gêne ces prétendus grands réalistes et « pragmatiques » puisqu'il s'agit avant tout d'un combat idéologique. C'est la revanche des descendants des Maîtres des forges et des propriétaires miniers privés du travail des enfants et de la semaine de 7 jours sans repos. Et ce n'est qu'un début ! A grands coups « d'efforts collectifs », de « lutte contre les avantages indus » et de « valeur travail », le 19e siècle est devant nous ! Ceux qui sont – ou pensent être – du bon côté du manche, du bon côté du système, s'en réjouiront sans doute, mais pour combien de temps ? Peut-être jusqu'au moment où leurs enfants ou petits-enfants, déclassés et paupérisés, viendront leur demander des comptes, réclameront des explications, voudront savoir pourquoi, au nom de mesquines jalousies et de mépris de classe, ils ont sabordé et détruit un système bâti dans le sang et la sueur, arraché à la cupidité et au froid calcul marchand, et qui, sans être parfait, apportait un peu de justice et d'équité à un monde qui ne peut être supportable que si l'on brise l'avidité féroce et sans limite des prédateurs, qui seront toujours plus néfastes et dangereux que les « parasites » au SMIC ou au RSA, exclus de facto de la société, du pouvoir décisionnel et de la vie publique, dont ils se servent comme de faciles boucs-émissaires.

    Xavier Eman (A moy que chault !, 9 février 2023)

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  • Une gauche française bourgeoise et antisociale...

    Le 10 janvier 2022, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Xavier Moreau, animateur de Stratpol, pour évoquer la gauche française. Saint-Cyrien, ancien officier parachutiste et spécialiste des questions géopolitiques, Xavier Moreau est l'auteur de La nouvelle grande Russie (Ellipses, 2012), de Ukraine - Pourquoi la France s'est trompée (Rocher, 2015) et dernièrement du Livre noir de la gauche française (Stratpol, 2021).

     

                                           

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  • L'éternel Bourgeois...

    Pour cette nouvelle édition de Cette année-là, Patrick Lusinchi, avec François Bousquet, rédacteur en chef d’Éléments, et Olivier François, chroniqueur, évoque la figure de l’éternel Bourgeois...

     

                                                  

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  • Le retour au commun...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur le site de la revue Rébellion et consacré à la question du libéralisme. Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Décroissance ou toujours plus ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2018) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Entretien avec Alain de Benoist : Le retour au commun

    Vous montrez que les différentes formes de libéralisme partagent une même conception de l’homme. Quelle est cette définition dans la pensée libérale ?

    L’unité profonde du libéralisme réside dans son anthropologie – une anthropologie dont les deux piliers sont, indissociablement, l’individualisme et l’économisme.

    Le libéralisme fait de l’individu la seule et unique source des valeurs et des finalités qu’il se choisit. Cet individu est considéré en soi, abstraction faite de tout contexte social ou culturel. C’est un être fondamentalement indépendant de ses semblables, entièrement propriétaire de lui-même, ne devant rien à la société, déterminant librement ses choix, qui vise toujours et uniquement à maximiser rationnellement son utilité, c’est-à-dire son meilleur intérêt matériel et son profit privé. Cette thèse fait de l’homme un être de calcul et d’intérêt. Le modèle est celui du négociant au marché : c’est l’Homo œconomicus.

    L’individu étant censé venir en premier, soit qu’on le suppose antérieur au social dans une représentation mythique de la « pré-histoire » (antériorité de l’état de nature), soit qu’on lui attribue un simple primat normatif (l’individu est ce qui vaut le plus), les peuples et les nations n’ont plus de propriétés intrinsèques ou de statut d’existence autonome : ce sont de simples agrégats d’individus. « La France n’est qu’un agrégat d’êtres humains », écrit l’économiste libéral Bertrand Lemennicier. C’est dans le même esprit que Margaret Thatcher pouvait affirmer que « la société n’existe pas » (« there is no society »).

    Dans ces conditions, l’homme est censé se construire lui-même à partir de rien, non à partir d’un déjà-là. L’homme se comporte comme un être social, non parce que cela est dans sa nature, ainsi que le soutenait Aristote, mais parce qu’il est censé y trouver son avantage, ce qui signifie qu’il n’a pas de rapport éthique avec lui-même. Dans le libéralisme, le lien social dépend entièrement du système contractuel : la société est censée pouvoir être entièrement régulée par le contrat juridique et l’échange marchand. C’est la fin du bien commun, faussement assimilé à un « intérêt général » qui n’est qu’une somme d’intérêts particuliers. Dans la mesure où le libéralisme prétend mettre les institutions au service de l’individu, il s’oppose inévitablement au bien commun, qu’il considère comme inconsistant. Le monde libéral, c’est le monde du non-commun

    La liberté n’est pas le propre du libéralisme. La « liberté » des libéraux est-elle un moyen de créer un individu égoïste détaché de toutes attaches ?

    Le libéralisme se présente volontiers comme l’« idéologie de la liberté », ce qui peut évidemment séduire. En fait, il n’est pas tant l’idéologie de la liberté que l’idéologie qui met la liberté au service du seul individu. La seule liberté qu’il proclame est la liberté individuelle, conçue comme affranchissement vis-à-vis de tout ce qui excède l’individu. Elle rejette d’emblée toute détermination, notamment celles qui relèvent de l’ancrage historique ou de l’appartenance culturelle. Benjamin Constant n’a cessé de le dire : « La liberté individuelle, voilà la véritable liberté moderne ! » A cette conception « moderne » de la liberté on peut opposer celle des Anciens, qui fait de la liberté la possibilité donnée à chacun de participer aux affaires publiques, ou encore celle de la tradition « républicaine », de Tite-Live et Machiavel à Harrington, qui affirme que je ne peux être libre si la communauté politique à laquelle j’appartiens ne l’est pas. Cette liberté « républicaine » a le souci de la société en tant que telle, tandis que la liberté libérale l’ignore superbement.

    Le libéralisme se fonde par ailleurs sur la conviction qu’il existe des droits individuels fondamentaux et inaliénables qui sont à la fois antérieurs et supérieurs à toute institution humaine, et que le premier de ces droits est le droit de poursuivre librement son meilleur intérêt. Ces droits sont évidemment purement formels (le droit au travail n’a jamais donné un emploi), mais là n’est pas le point important : le droit fondamental, c’est le droit d’avoir des droits. Les droits individuels peuvent de ce fait être opposé à toute obligation sociale ou à tout impératif politique. Cette conception des droits subjectifs rompt avec toute la philosophie traditionnelle du droit, qui se bornait à déterminer la juste part qui devait être attribuée à chacun (« suum cuique tribuere »).

    Comme vous le rappelez justement, les communautés authentiques ne sont pas des réunions ou des additions d’individus. Pourtant, dans le monde post-moderne, les néo-communautés se regroupent de manière très artificielle. Les modèles de consommation ou les pratiques sociétales créent des « communautés de consommation ». Pensez-vous que c’est un « triomphe du libéralisme » ?

    Je ne dirais pas cela. Les « communautés authentiques » ne sont pas forcément des communautés fondées sur des liens hérités. Il y a aussi des communautés « acquises », mais il faut les distinguer des « tribus » éphémères et des associations sans autre raison d’être qu’un intérêt partagé. Une communauté authentique donne (ou contribue à donner) un sens à l’existence. Elle peut aussi donner des raisons de mourir. Une communauté qui se forme autour d’un certain nombre de convictions politiques, idéologiques ou philosophiques est par définition une communauté « acquise » (même si cette acquisition peut être transmise). Un homme qui sacrifie sa vie à ses idées meurt pour une chose à laquelle il a décidé d’adhérer. Mais personne n’est prêt à mourir pour une « communauté de consommation » !

    Plus globalement, comment juger de l’impact du libéralisme dans les sociétés occidentales ? La « grande transformation » capitaliste est-elle résorbable ?

    L’impact du libéralisme au sein de la société se mesure à la montée de l’individualisme et de l’utilitarisme, à la prédominance des seules valeurs marchandes. La société capitaliste libérale est tout naturellement une société de marché, c’est-à-dire une société d’individus étrangère à la notion de gratuité, à l’éthique de l’honneur, au système du don et du contre-don, une société où règne le fétichisme de la marchandise et où ce qui n’est pas calculable ne compte pas.

    Le marché peut être considéré comme une loi régulatrice de l’ordre social sans législateur. C’est pourquoi le libéralisme tend à faire de ce modèle le paradigme de tous les faits sociaux (d’où l’analyse libérale du marché politique, du mariage, du crime, de la famille, etc.), tout en prétendant, à tort, que le marché au sens moderne du terme est la forme naturelle de l’échange, alors qu’il a été institué sous l’impulsion d’Etats-nations en formation, désireux de monétariser à des fins de prélèvement fiscal des échanges intracommunautaires non marchands, auparavant insaisissables. Or, le marché exige la disparition de tout ce qui peut faire obstacle aux échanges marchands, et donc que les frontières soient tenues pour inexistantes. Le libéralisme n’a de ce point de vue rien à objecter au mondialisme. Il aspire à l’élimination des frontières (« laissez faire, laissez passer », libre circulation des hommes et des capitaux). Un million d’extra-Européens venant s’installer en Europe, c’est à ses yeux seulement un million d’individus venant s’ajouter à d’autres millions d’individus. « Un marchand, écrit Smith dans un passage célèbre, n’est nécessairement citoyen d’aucun pays en particulier. Il lui est, en grande partie, indifférent en quel lieu il tienne son commerce, et il ne faut que le plus léger dégoût pour qu’il se décide à emporter son capital d’un pays dans un autre, et avec lui toute l’industrie que ce capital mettait en activité ». C’est déjà une apologie des délocalisations !

    La montée de l’individualisme libéral, accompagnant l’ascension des valeurs et des classes bourgeoises, aux dépens des valeurs aristocratiques comme des valeurs populaires, s’est traduite, d’abord par une dislocation progressive des structures d’existence organiques caractéristiques des sociétés traditionnelles, ensuite par une désagrégation généralisée du lien social, et enfin par une situation de relative anomie sociale, où les individus se retrouvent à la fois de plus en plus étrangers les uns aux autres et potentiellement de plus en plus ennemis les uns des autres, puisque pris tous ensemble dans cette forme moderne de « lutte de tous contre tous » qu’est la concurrence généralisée. A terme, cette anomie sociale peut aussi bien déboucher sur une société, non plus « liquide », mais « gazeuse », c’est-à-dire sur le chaos.

    On ne pourra en sortir que par un retour au commun. Dans cette perspective, le bien commun n’a d’autre sens que celui d’un bien qui a été institué en commun, et qui est inappropriable par nature. Dans l’expression « bien commun », le second terme compte d’ailleurs tout autant que le premier, car le commun est à lui seul déjà un bien qui se définit comme ce dont chacun peut jouir sans qu’on ait à en faire le partage. Restaurer le commun et le bien commun est le programme qui s’offre aujourd’hui à tous les antilibéraux si l’on veut sortir d’un monde où rien n’a plus de valeur, mais où tout a un prix.

    Le bourgeois post-moderne est-il très différent de celui de l’époque de Flaubert ?

    En apparence, il a beaucoup changé. Le bobo d’aujourd’hui paraît à première vue bien différent du bourgeois austère, frugal et épargnant, de la fin du XIXe siècle. Le premier est aussi cool que le second était rigide, il est aussi hédoniste et ouvert à toutes les suggestions les plus extravagantes que le second veillait de façon minutieuse au respect des conventions sociales. C’est que la société globale a elle-même beaucoup changé. Elle se veut « ouverte », fluctuante, relativiste, indifférente à la vérité. Mais ce qui, sur le fond, caractérisait le plus l’esprit bourgeois, le souci prioritaire de son intérêt, sa façon de concevoir la société sous le seul horizon du plus ou du moins, n’a pas varié. François Bégaudeau montre tout cela très bien cela dans son dernier livre, Histoire de ta bêtise.

    Autrefois, pour maximiser son avoir, le bourgeois vieux-style devait faire des efforts, s’astreindre à une discipline. Aujourd’hui, on peut s’enrichir tout en s’éclatant et en se bourrant le nez. Mais le but est resté le même. L’entreprise post-moderne est elle aussi bien différente de l’usine, tout comme le capitalisme spéculatif et déterritorialisé d’aujourd’hui diffère du vieux capitalisme industriel qui ne s’était pas encore dégagé de ses ancrages nationaux. Pourtant, dans les deux cas, le but est toujours de transformer l’argent en capital.

    Peut-être pourrait-on dire aussi que le bourgeois a créé son monde, et que dans ce monde les anciennes vertus n’ont plus besoin d’être incarnées de façon exemplaire par des individus, tout simplement parce qu’elles ont été reportées sur la société globale. Désormais, c’est la société elle-même qui doit être gérée de façon rationnelle, précautionneuse, fiable économiquement et commercialement. Werner Sombart l’avait très bien montré dans le cas de l’entreprise : le capitalisme moderne conserve toutes les vertus bourgeoises, mais il les soustrait aux personnes pour les reporter sur les firmes, qui cessent alors « d’être des propriétés inhérentes à des hommes vivants, pour devenir des principes objectifs de la conduite économique ». Or, aujourd’hui, les nations ne sont plus elles-mêmes que de grandes firmes, dirigées par des experts et des techniciens de la gestion.

    La démocratie et le libéralisme furent unis par l’idéologie des droits de l’homme. Désormais, il semble que ce couple soit au bord de la rupture comme modèle. Pensez-vous que le libéralisme est possible sans son habillage démocratique ?

    C’est d’autant plus possible que cet habillage n’a jamais été qu’un déguisement. A force d’entendre parler de « démocratie libérale », on s’est habitués à penser que libéralisme et démocratie sont en quelque sorte synonymes. C’est une énorme erreur. La démocratie implique le pouvoir souverain du démos ou, si l’on préfère, la souveraineté populaire en tant que pouvoir constituant titulaire de la légitimité politique. La démocratie est la forme de gouvernement répondant au principe de l’identité de vues des gouvernants et des gouvernés, l’identité première étant celle d’un peuple concrètement existant par lui-même en tant qu’unité politique. Le libéralisme est tout différent puisqu’il prétend que la « sphère économique » doit être rendue autonome vis-à-vis du pouvoir politique. L’économie, considérée à l’origine comme le royaume de la nécessité, devient ainsi par excellence celui de la liberté.

    Redéfinie dans un sens libéral, la démocratie n’est plus le régime qui consacre la souveraineté du peuple, mais celui qui « garantit les droits de l’homme ». Les droits de l’homme priment la souveraineté du peuple au point que celle-ci n’est plus respectée que pour autant qu’elle ne les contredise pas : l’exercice de la démocratie est ainsi placé sous conditions. Le libéralisme est en outre fondamentalement hostile à la notion de souveraineté – sauf bien entendu à la souveraineté de l’individu. Pour lui, toute forme de souveraineté excédant l’individu est une menace pour sa liberté. Il condamne donc la souveraineté politique et la souveraineté populaire au motif que la légitimité n’appartient qu’à la volonté individuelle. Toutes les démocraties libérales sont aussi des démocraties parlementaires représentatives, ce qui signifie que la souveraineté parlementaire s’y substitue à la souveraineté populaire. Pour le libéralisme, le pouvoir n’a pas fondamentalement pouvoir à diriger, mais à représenter la société. Dès l’origine, la démocratie représentative n’avait en fait d’autre but que de se prémunir contre les « débordements » du peuple et la colère des « classes dangereuses ». Jacques Julliard parle même d’une « barrière de sécurité imaginée par la classe gouvernante à l’égard des débordements possibles de la souveraineté populaire ». Or, le peuple a d’autant moins vocation à se faire représenter qu’il n’est vraiment souverain que lorsqu’il est présent à lui-même. C’est la raison pour laquelle Carl Schmitt disait qu’une démocratie est d’autant moins démocratique qu’elle est plus libérale.

    Les « démocraties illibérales » sont-elles une réponse à cette crise de légitimité ?

    Leur apparition répond de toute évidence à la crise actuelle de la démocratie libérale, et plus précisément à « l’éloignement du libéralisme de la démocratie, c’est-à-dire au non-respect de la souveraineté du peuple dès lors qu’il ne valide pas les choix économiques ou politiques des élites qui le gouvernent » (Laurent Bouvet). Plus profondément, les démocraties illibérales naissent d’une prise de conscience que le système formel de l’Etat de droit, conçu sous la forme d’un empilement de normes abstraites, ne répond pas à la question fondamentale de savoir ce que peut être une bonne société, ni quel sens nous pouvons donner à nos existences.

    L’Etat libéral s’abstient par principe de tout jugement concernant la façon dont les gens choisissent de vivre. Il n’a pas à trancher entre les conceptions concurrentes en matière de morale, il ne doit pas contribuer à donner un sens à l’existence, il ne doit pas proposer un modèle de « vie bonne » (Aristote), il n’a pas à encourager certaines attitudes ou à en décourager d’autres. Le gouvernement, souligne Robert Nozick, doit être « scrupuleusement neutre face à ses citoyens ». Comme le dit très bien Pierre Manent, le libéralisme est d’abord un renoncement à penser la vie humaine selon son bien ou selon sa fin ». Comment s’étonner dès lors de l’incapacité des sociétés libérales à légiférer de façon cohérente sur des « questions de société » (bio-éthique, procréation assistée, mariage homosexuel, immigration, etc.) qui impliquent inévitablement un jugement en termes de moralité substantielle ?

    La répression du mouvement des Gilets Jaunes est sans précédent, c’est un basculement durable dans le maintien de l’ordre libéral pour vous ?

    Oui, on peut dire cela. Lors des manifestations des Gilets jaunes, les forces de police n’ont pas fait du maintien de l’ordre, mais de la répression. Celle-ci a atteint un niveau de violence et de brutalité que l’on n’avait pas vu en France depuis la guerre d’Algérie. Cette brutalité témoigne de la peur que ce mouvement a inspiré à la classe dirigeante (souvenez-vous de cet hélicoptère qui volait au-dessus de l’Elysée afin d’« exfiltrer » le président de la République en cas de nécessité), mais aussi de ce que cette même classe dirigeante ne recule devant rien pour défendre ses positions. Si besoin était, elle n’hésiterait pas un instant à faire tirer sur la foule à balles réelles, j’en suis convaincu. 

    La crise des Gilets Jaunes a fait revenir l’idée d’une démocratie directe à travers le RIC. Que pensez-vous de cette idée et des travaux d’Étienne Chouard ?

    Je défends moi-même depuis longtemps l’idée d’une démocratie participative et d’une démocratie plus directe ; vous devez donc vous douter de ma réponse. Quant aux travaux d’Etienne Chouard, je trouve qu’ils mériteraient d’être mieux diffusés et plus abondamment discutés. L’idée, également avancée par Chouard, d’une assemblée constituante tirée au sort, mériterait notamment d’être sérieusement examinée. Quant au référendum d’initiative populaire (ou d’initiative citoyenne) dont ce critique résolu de l’idéologie libérale est un chaud partisan, je partage à ce sujet tout à fait son opinion, même si je ne fais pas du référendum une panacée. Qu’Etienne Chouard ait joué un rôle de « conseiller informel » auprès de certains Gilets jaunes ne me surprend pas, et me le rend d’autant plus sympathique.

    Pourquoi l’idée de la fin du capitalisme est aujourd’hui devenue synonyme de fin du monde ?  Le mythe du collapsus est-il devenu un moyen de légitimer le monde actuel ? Une autre fin du monde est possible pour vous ?

    Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du système capitaliste, a-t-on pu dire en effet. La raison en est que ce système a depuis des décennies façonné les imaginaires de toutes les façons possibles et imaginables. Il y a un demi-siècle, l’opinion dominante était également convaincue que le système soviétique n’était pas près de s’effondrer. On sait ce qu’il en est advenu. Je pense pour ma part qu’il peut très bien en aller de même du système capitaliste, qui se heurte actuellement à des contradictions internes insurmontables. Une nouvelle crise financière mondiale, plus ravageuse encore que celles de 1929 et de 2008, pourrait encore accélérer les choses. Mais, qu’on se rassure, ce ne sera pas la fin du monde ! Ce sera seulement la fin d’un monde qui, dans tous les sens du terme, a fait son temps.

    On remarque l’émergence d’une réflexion transversale visant à proposer des alternatives concrètes au système. Les notions de communauté, d’autonomie et d’entraide peuvent-elles devenir un nouvel élan vers le bien commun ?

    Oui, sans doute. Mais dans l’époque de transition que nous vivons actuellement, il reste encoree beaucoup à faire. Il serait déjà bien, dans l’immédiat, de susciter et d’organiser la réflexion en gardant l’œil ouvert sur ce qui s’annonce, de façon parfois confuse, afin de faire apparaître des directions à suivre.

     

    Alain de Benoist (Rébellion n°87, novembre 2019)

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  • Les snipers de la semaine... (186)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur le Courrier des stratèges, Eric Verhaeghe mouche Macron, président de la bourgeoisie orléaniste...

    Macron, président assumé de la bourgeoisie

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    - sur Hashtable, H16 dézingue le gouvernement sur l'affaire de la canicule...

    Une canicule prévisible mais insurmontable

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  • Une France d'en haut structurée autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy à Atlantico, dans lequel il évoque les premiers mois de la présidence Macron à la lumière de ses analyses... Géographe, Christophe Guilluy est déjà l'auteur de trois essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

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    Christophe Guilluy : "La France d'en haut s'est structurée autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas, lui, est complètement dispersé"

    Atlantico : À la rentrée 2016, vous publiiez "le crépuscule de la France d'en haut". Selon un sondage Viavoice publié par Libération en début de semaine, 53% des français jugent que la politique du gouvernement bénéficiera en premier lieu aux plus aisés, quand 60% d'entre eux craignent une précarisation. Un an après, quel constat portez-vous sur cette "France d'en haut" ? 

    Christophe Guilluy : Nous sommes dans la continuité d'une société qui se structure autour de la mondialisation depuis 20 ou 30 ans. Ce qui est validé ici, c'est une logique de temps long. Avec un monde d'en haut que j'ai décrit dans "la France périphérique" mais aussi dans la "Crépuscule de la France d'en haut". C'est un monde qui vit en vase clos, je parle de "citadellisation" des élites, des classes supérieures, et tout cela ne cesse de se creuse

    Il faut revenir au 2e tour de l'élection présidentielle. Ce que nous avons vu, c'est une structuration de l'électorat qui suit la dynamique économique et sociale de ces 30 dernières années. Le grand sujet caché depuis 30 ans, c'est la disparition de la classe moyenne au sens large, c’est-à-dire telle qu'elle l'était hier, celle qui regroupait la majorité des catégories sociales ; de l'ouvrier à l'employé en passant par le cadre. Les gens étaient intégrés économiquement, donc socialement, politiquement, et culturellement.

    Ce qui explose avec le modèle mondialisé, c'est la classe moyenne occidentale. On va retrouver ces gens dans les territoires qui ne comptent peu ou pas ; France périphérique, Amérique périphérique, Grande Bretagne Périphérique etc…Inversement, des gens qui vont être de plus en plus concentrés dans les endroits ou "ça" se passe ; les grandes métropoles mondialisées. C'est ce qu'on a vu avec la carte électorale, qui était assez claire : les bastions d'Emmanuel Macron sont ces grandes métropoles mondialisées qui reposent sur une sociologie d'un front DES bourgeoisies.

    Ce qui est frappant, c'est en regardant Paris. La bourgeoisie de droite n'a qu'un vernis identitaire, car même les bastions de la "manif pour tous" ont voté pour Emmanuel Macron qui est pourtant pour les réformes sociétales à laquelle elle s'oppose. Dans le même temps, les électeurs parisiens de Jean Luc Mélenchon, au 1er tour, ont aussi voté Macron au second tour. Ils n'ont pas voté blanc. Cela veut dire que le monde d'en haut est de plus en plus dans une position de domination de classe qui est en rupture avec la France d'en bas. C'est la grande nouveauté. Parce qu'un société ne marche que si le haut parle au bas. C'était le parti communiste; constitué d'une frange d'intellectuels qui parlaient aux classes ouvrières. Aujourd'hui le monde d'en haut ne prend plus du tout en charge le monde d'en bas, qui est pourtant potentiellement majoritaire. C'est un processus long, qui est celui de la sortie de la classe moyenne de toutes les catégories sociales. Cela a commencé avec les ouvriers, cela s'est poursuivi avec les employés, et cela commence à toucher les professions intermédiaires. Demain ce sera les retraités, il suffit de regarder ce qu'il se passe en Allemagne. La mondialisation produit les mêmes effets partout et les spécificités nationales s'effacent. Sur le fond, même si l'Allemagne s'en sort un peu mieux en vendant des machines-outils à la Chine, la précarisation touche largement l'Allemagne avec des retraités qui sont obligés d'empiler les petits boulots pour s'en sortir.

    Ce qui est derrière tout cela, c'est cette fin de la classe moyenne occidentale qui n'est plus intégrée au modèle économique mondialisé. À partir du moment où l'on fait travailler l'ouvrier chinois ou indien, il est bien évident que l'emploi de ces catégories-là allait en souffrir. Nous sommes à un moment ou les inégalités continuent à se creuser. Je le répète, le monde d'en haut ne prend plus en charge les aspirations du monde d'en bas, c'est une rupture historique. On parle beaucoup du divorce entre la gauche et les classes populaires, c'est très vrai, mais ce n'est pas mieux à droite.

    Selon un sondage IFOP de ce 20 septembre, 67% des Français jugent que les inégalités ont plutôt augmenté en France depuis 10 ans, un sentiment largement partagé en fonction des différentes catégories testées, à l'exception d'écarts notables pour les électeurs d'Emmanuel Macron (54% soit -13 points). Votre livre décrit une nouvelle bourgeoisie cachée par un masque de vertu. Alors que le Président a été critiqué pour ses déclarations relatives aux "fainéants et aux cyniques", n'assiste-t-on pas à une révélation ? 

    Aujourd'hui nous avons un monde d'en haut qui se serre les coudes, des bourgeoisies qui font front ensemble, qui élisent un Emmanuel Macron qui va être l'homme qui va poursuivre les grandes réformes économiques et sociétales de ces 30 dernières années. La seule différence entre Macron et Hollande ou Sarkozy, c'est que lui, il n'avance pas masqué. Il assume complètement. Il a compris qu'il ne s'agit plus d'une opposition gauche-droite, mais d'une opposition entre les tenants du modèle et ceux qui vont le contester. Les gens l'ont compris, et c'est de plus en plus marqué, électoralement et culturellement. Ce qui complique les choses, c'est qu'il n'y a plus de liens. Le monde politique et intellectuel n'est plus du tout en lien avec les classes populaires, et ils ne les prendront plus en charge. Les gens savent que les réformes vont les desservir et l'impopularité d'Emmanuel Macron va croître. Le crépuscule de la France d'en haut découle de cette absence de lien, parce qu'une société n'est pas socialement durable si les aspirations des plus modestes ne sont pas prises en compte.

    Mais la bourgeoisie d'aujourd'hui est plus intelligente que celle d''hier car elle a compris qu'il fallait rester dans le brouillage de classes, et officiellement le concept de classes n'existe pas. La nouvelle bourgeoisie n'assume pas sa position de classe. Elle est excellente dans la promotion de la société ou de la ville ouverte, alors que ce sont les gens qui sont le plus dans les stratégies d'évitement, de renforcement de position de classe, mais avec un discours d'ouverture. Et quand le peuple conteste ce modèle, on l'ostracise. C'est pour cela que je dis que l'antifascisme est devenu une arme de classe, car cette arme n'est utilisée que par la bourgeoisie. Ce n'est pas un hasard si les antifascistes dans les manifestations sont des enfants de la bourgeoisie. Et tout cela dit un mépris de classe. Parce que personne ne va être pour le racisme et pour le fascisme. En réalité, derrière tout cela, il s'agit d'ostraciser le peuple lui-même, les classes populaires. C'est aussi une façon de délégitimer leur diagnostic, parce qu'en réalité, le "populisme", c'est le diagnostic des gens d'en bas, et la bourgeoisie s'en démarque en se voyant en défenseur de la démocratie. Et si Jean Luc Mélenchon monte trop haut, on utilisera ces méthodes-là.

    Vous êtes géographe. Quel verdict dressez-vous des différentes mesures prises par le gouvernement, et comment s'articulent-t-elles autour de votre constat d'une France périphérique ?

    On a un processus de plus en plus fort, avec la dynamique économique, foncière, territoriale. Le gouvernement ne fait que suivre les orientations précédentes, les mêmes depuis 30 ans. On considère que la classe moyenne n'a plus sa place, qu'elle est trop payée quand elle travaille et qu'elle est trop protégée par un État providence qui coûte trop cher si on veut être "compétitif"'. La loi travail n'est que la suite d'une longue succession de mesures qui ne visent qu'à dépouiller une classe moyenne qui ne sert plus à rien.

    Il y a aussi un jeu pervers avec l'immigration puisqu'on va concentrer les budgets sur les plus démunis qui vont souvent être les immigrés, ce qui va permettre d’entraîner un ressentiment très fort dans les milieux populaires qui se dira qu'il ne sert qu'aux immigrés, ce qui aboutira à dire "supprimons l'État providence". Il y a une logique implacable là-dedans. Parce qu'aussi bien ce monde d'en haut a pu se structurer autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas est complètement dispersé.

    Christophe Guilluy (Atlantico, 23 septembre 2017)

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