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  • La novlangue bobo au service du capitalisme mondialisé...

    Le 25 février 2020, Pierre Bergerot recevait, sur TV libertés, François-Marie Blanc-Brude à l'occasion de la publication de son ouvrage intitulé Les mots et les maux de la bien-pensance (Godefroy de Bouillon, 2020). Originaire de la gauche populaire, influencé par Jean-Claude Michéa, François-Marie Blanc-Brude est déjà l'auteur de Pour le peuple français - Mémento à l'usage de gens ordinaires (Godefroy de Bouillon, 2019).

     

                                         

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  • Ils sont “Charlie” ? Ils sont déjà morts...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Ulysse, cueilli sur Novopress et consacré à la mort symbolique du nihilisme libéral libertaire...

     

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    Ils sont “Charlie” ? Ils sont déjà morts

    Charlie Hebdo représentait la pire forme de l’idéologie libertaire qui, sous couvert de contestation et de transgression, était sanctuarisée par le pouvoir actuellement en place dont elle était l’insigne agent symbolique et moral. En une image, Charlie Hebdo, c’était le « beauf » de Cabu : ce sale franchouillard raciste moustachu dont on cherchait à faire croire qu’il était la lie de l’humanité et sur lequel on tapait sans fin comme s’il était le tortionnaire malfaisant des gentilles populations immigrées venues enrichir la France. Oui mais voilà, le moustachu cachait un barbu, et le beauf consumériste, un fanatique impitoyable. Le xénophobe d’apparat cachait un fondamentaliste et s’il arrivait à Charlie Hebdo de brocarder le second, c’était en le mettant sur le même plan que le premier ; ainsi d’une couverture à l’autre, une Marine le Pen nazifiée pouvait-elle croiser un Pape pédophile sodomite suivi d’un Mahomet explosif…

    Sale beauf, sale babtou

     

    Les prétendus défenseurs de la « liberté d’expression » n’étaient en vérité rien d’autre que les défenseurs sectaires de l’expression libertaire, et ils étaient prêts à toutes les vilénies dès lors qu’il s’agissait de conspuer ce qui contrevenait à leur propre idéologie. Ce faisant, ils ne se rendaient même pas compte, ou si peu et si mal, qu’ils entretenaient précisément les clichés racistes mêmes qu’ils prétendaient par ailleurs combattre. Car enfin, quelle différence y a-t-il entre le « sale beauf » de Cabu et le « sale babtou » des réseaux sociaux et des banlieues? Les deux, dans les yeux de leurs adversaires, n’étaient somme toute rien d’autre que des « gros porcs »…

     

     

    Le premier était seulement l’archétype matriciel du second dont il a (entre autres facteurs) favorisé l’apparition. Ainsi, les clichés anti-racistes de Charlie Hebdo ont accompagné et avalisé les clichés racistes des « cités », qui, on expliquera pourquoi plus loin, le lui ont bien rendu.

     

    Crachoir de la gauche cléricale

     

    Charlie Hebdo, c’était donc cela : une grande soupe relativiste où tout ce qui ne ressemblait pas à une exigence compassionnelle humanitariste très vaguement étayée par des postulats marxistes devenait immédiatement fasciste ; où tout ce qui ne s’apparentait pas aux mouvements du cœur de belles âmes nihilistes boboïsées apparaissait alors comme les prémisses d’une dictature… En vérité, cette contestation anarcho-nihiliste de tous les ordres en cachait bien un d’ordre : celui d’un pouvoir qui subventionnait le journal et sans lequel il aurait déjà eu disparu depuis beau temps. C’est qu’au fond, Charlie Hebdo incarnait les aspirations morales (moralement anti-morales devrait-on dire) de la génération 68 qui, embourgeoisée jusqu’à l’overdose, gardait comme un animal de compagnie attendrissant cette sorte de souvenir de sa fougue transgressive de jeunesse ; une « potiche » du pouvoir, ponctuellement utile pour victimiser le patriotisme, utile parfois aussi pour servir de caution de « tolérance » universaliste lorsqu’il s’agissait de prétendre défendre un humanisme dont on se demandait bien ce qu’il avait encore à voir avec celui de Pic de la Mirandole.

     

     

     

     

    Ce qui a été tué, c’est donc l’animal de compagnie du système. Son caniche. Son fétiche aussi, son objet magique, une de ses innombrables cautions libertaires progressistes. Pas étonnant donc que le glas (l’ironie symbolique cache une évidence littérale) ait pu résonner pour lui. C’est qu’en effet Charlie Hebdo était bien le seuil d’une Eglise, ou du moins sa crypte : le lieu où la gauche cléricale entreposait ses trésors obscènes et vulgairement conformistes, l’auge où elle lançait ses crachats fatigués de vieux soixante-huitards lassés de vivre. Ils crachaient sur tout ce qui ressemble à de l’ordre, mais ce faisant promouvaient réellement un ordre : celui de l’individu détaché de tout et donc ré-ingurgité immédiatement par le dispositif technico-financier qui flatte ses intentions et ses projets.

     

    Ce qui a été pulvérisé, c’est le temple-crachoir d’une gauche dont la revendication de liberté n’était que le cache-misère du mondialisme le plus aliénant.

     

    Libéralisme du sens contre littéralisme du sens : le retour du négatif 

     

    En attaquant Charlie Hebdo, les djihadistes n’ont donc pas attaqué la liberté d’expression. Ils ont attaqué par ordre sémantique d’importance : des personnes (les victimes objectives),  l’Etat – ou plutôt les derniers restes d’un Etat presqu’entièrement dominé par les forces internationales de la finance et du numérique (mais il s’agit tout de même d’une attaque contre les institutions de Justice et de Police) -, et enfin la théologie implicite qui sous-tend cet Etat moribond et le projet universaliste du progressisme libertaire : l’idée que l’individu n’est libre que lorsqu’il a la licence de vomir tout ce qui n’est pas lui, au point d’ailleurs de se faire, quand il le juge utile, le censeur de ses contradicteurs (Charlie Hebdo avait demandé l’interdiction du Front national).

     

     

    Que signifie donc la mort de Charlie Hebdo ?

     

    Que l’idéologie progressiste libertaire, alibi de l’ordre prométhéen mondialisé, est morte. Qu’à vouloir évacuer du réel tout ce qui nous dérange en lui, c’est le réel qui finit par nous évacuer. Que celui qui croit qu’il peut chasser de l’expérience, par simple décret arbitraire, tout ce qui contrarie ses desseins, se retrouve bientôt ravalé par ce que l’expérience contient de plus irréductible : la violence brute, aveugle, injuste. Charlie Hebdo voulait une vie de jouissance, sans attaches à quoi que ce soit d’autre que soi-même, Charlie Hebdo a été détruit de manière immanente par ce négatif qu’il s’efforçait à tout prix de nier : le littéralisme mahométan, soit la forme la plus brutale et la plus bête de la détermination historique. Ils ont moqué le beauf moustachu, ils ont eu le fanatique barbu. Ils ont promu la liberté en criminalisant tout ce qui n’était pas conforme à leur propre licence, ils ont eu l’aliénation effrayante et cruelle d’un jugement théocratique. Ils ont méprisé le patriotisme, leur mort révèle un mouvement du peuple français. Ils ont conchié l’Eglise, et c’est le glas de Notre-Dame de Paris qui a résonné pour eux. Bref, Charlie Hebdo qui meurt dans une explosion de contradictions, c’est la revanche de l’Histoire contre tous ceux qui pensaient en être sortis pour flotter sans but dans le non-lieu de leur quant-à-soi hédonisto-technoïde. Il est tragique que cette revanche passe ici par la vengeance d’une secte mahométane malfaisante et cruelle. Il était cependant inéluctable qu’un jour ou l’autre, ce nihilisme de l’individu rendu fou sans Dieu, rencontrât ce nihilisme de la secte des fous de Dieu…

     

    Le littéralisme religieux le plus fou est la réponse la plus simple qu’a donné l’Histoire au libéralisme moral le plus bête.

     

    Crise identitaire : ils sont Charlie et ils sont morts

     

    Ce que révèle enfin cette défaite idéologique transparaît aussi dans la prolifération écœurante des « Je suis » (Charlie, Kouachi, Charles Martel, juif etc.). Cette inflation revendicatrice a au moins un mérite objectif : révéler que dans ce conflit interne au nihilisme, c’est bien l’identité qui est en jeu et rien d’autre. C’est bien d’être dont il s’agit dans l’élément de l’Histoire, toujours, tout le temps, partout. D’être, personnel, familial, collectif, national, civilisationnel. Ceux qui manifesteront dimanche, eux, ont choisi leur camp. Ils sont Charlie ? Ils excluent les patriotes et préviennent des dangers de l’islamophobie et du racisme au moment même où l’islam les détruit et déploie sa haine anti-occidentale ? Alors oui, cela est bien clair, ils sont Charlie, c’est-à-dire qu’ils sont déjà morts.

     

    Ils n’ont rien compris, ils n’ont tiré aucune leçon, pas saisi que le libéralisme-libertaire et le fanatisme littéraliste sont les deux faces d’une même pièce : une culture de mort, morale, par l’atomisation individualiste, une culture de mort, physique, par le massacre aveugle. En proclamant qu’ils sont Charlie, ils prolongent la nuit de cette obscurité progressiste qui n’est que le contrepoint de l’obscurantisme mahométan. Ils contribuent, encore et toujours, à favoriser les conditions de développement du négatif qui pourtant les a presque déjà complètement détruits.

     

    Notre être à nous, lui, est bien vivant, parce qu’il est français. Qu’il ne croit pas à la fable du progrès, au multiculturalisme, à la République abstraite, au mondialisme souriant. Ce qui sauve de l’affrontement de Charlie et de la charia, ce n’est pas Charlie. Lui a déjà perdu la bataille. L’imposture soixante-huitarde a pris fin il y a trois jours. Non, le nom qui sauve de ce conflit des nuits, c’est François. Parce que dans ce nom se loge l’héritage d’une nation, l’exigence d’une foi, la promesse d’une vie qui a déjà démontré par le passé qu’elle avait la noblesse rigoureuse d’un destin.

     

     

    Réveil

     

    Nos adversaires ont été extrêmement intelligents en commençant par tuer ceux qui collaboraient depuis des décennies à notre extinction. Car ce faisant, ils veulent que nous nous identifions encore plus à ceux qui, ici-même, nient que nous existions. La stratégie est limpide : provoquer par la stupeur du massacre un réflexe d’identification aux valeurs d’un organe qui, justement, s’évertue déjà à nous combattre de l’intérieur. A nous d’être plus déterminés et intelligents qu’eux. A nous de contredire cette secte mahométane en reconnaissant que Charlie, avec ses coups de crayons contre les « sales beaufs » préparait de fait les coups de couteaux contre les « sales babtous ». A nous d’assumer enfin que si la France survit à Charlie c’est justement parce qu’elle ne s’y est jamais réduite et qu’elle ne s’est jamais identifiée à lui.

     

    Charlie est mort et ceux qui continuent de s’en revendiquer sont morts aussi. Les autres sont éveillés et vivants. Ils sont la France. Et ce sont eux qui gagneront la guerre qui advient.

    Ulysse (Novopress, 11 janvier 2015)

     

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  • Le Grand Journal ou Goebbels à Beverly Hills...

    Nous reproduisons ci-dessous un article cueilli sur le site de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique et consacré au décryptage du Grand Journal de Canal Plus, grand-messe de la bien-pensance...

     

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    Le Grand Journal ou Goebbels à Beverly Hills

    Il y a quelques mois, nous évoquions le cas Canal, les difficultés que rencontrait actuellement la chaîne, ses origines et ses évolutions, lesquelles avaient fini par aboutir à un mélange inquiétant de dérision et de fanatisme. Le visionnage attentif de son émission-vitrine en cette rentrée médiatique allait être l’occasion de détailler les procédés très particuliers que celle-ci emploie et qui lui permettent d’assener une espèce de matraquage idéologique indolore et pourtant permanent. Le temps de la propagande « à la papa » telle qu’usitée par Goebbels ou Staline est bien définitivement révolu. Plus de slogans manifestes, plus de foi affirmée avec éclat, plus de mythologie en toc orchestrée de manière pompeuse, plus de dénigrement littéral du déviant. Non, au Grand Journal, on est modernes, on fait dans le bourrage de crâne high-tech, on formate tout en finesse, on agresse à la Sun Tzu (le grand stratège chinois), c’est-à-dire systématiquement par un biais indirect. On est pourtant bel et bien en présence d’une véritable machine de guerre idéologique, très construite, très offensive, bien que peut-être de moins en moins efficace…

    Rappelons que cette émission, qui prit la suite de Nulle part ailleurs, avait d’abord était élaborée afin de répondre au problème que posait la création, par la gauche au pouvoir, d’une chaîne cryptée inaccessible aux pauvres, en proposant au moins quelques programmes en clair. Cette nécessité avait alors été transformée en moyen de racoler des CSP+, cœur de cible de la chaîne, et attirer ainsi de nouveaux abonnés. Qu’en est-il donc du Grand Journal au début de la saison 2014-2015, alors que la chaîne a subi de nombreuses attaques et qu’elle a, l’année dernière, rappelé Antoine de Caunes, figure de l’antique Nulle part ailleurs, pour tenter de renouer avec son souffle originel en le mettant à la tête de son programme phare ?

    Le règne des chroniqueurs

    Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on observe le montage général, la mise en scène et les gimmicks de l’émission, c’est à quel point les chroniqueurs qui y participent sont ici « starifiés ». Bien sûr, ce phénomène tient à une tendance générale qui s’est développée au cours des vingt dernières années, mais il atteint dans le Grand Journal un degré incomparable. Le générique est toujours précédé d’un sketch mettant en scène certains des chroniqueurs. Avant chacune des parties qui composent le programme, ce n’est pas l’invité ou le thème qui est introduit, mais les visages et les noms de ces héros qui se succèdent dans un montage éloquent et une image idéale. Enfin, régulièrement, ceux-ci sont intégrés comme figures dans les différents sketchs, dans les vidéos parodiques, dans les scènes des Guignols. Ce qui produit deux effets concomitants : premièrement, traités sur le même plan que les politiques, les sportifs ou les artistes célèbres, ils y gagnent un statut symbolique comparable. Deuxièmement, cela participe à fonder un facteur déterminant du discours implicite : l’esprit de connivence. On peut également remarquer que ces « stars » à la place des « stars » semblent toutes – hormis le disgracieux Jean-Michel Aphatie -, issus d’un casting photo drastique. Que l’on préfère passer à l’écran des gens au physique avenant est tout à fait compréhensible, mais encore une fois, par son côté systématique, le Grand Journal atteint sur ce point un niveau objectivement caricatural. Et ce, toujours pour la même raison : faire des chroniqueurs les vraies vedettes, les vecteurs essentiels du désir et de l’identification, à la place des invités. Quant à ces derniers, en raison de la brièveté des séquences, de leur enchaînement tambour battant, de la multiplicité des chroniqueurs qui les entourent et s’en nourrissent comme prétexte à leurs gags, ils en ressortent, à quelques exceptions près, à l’état de simple carburant d’une machine qui ne fabrique que sa propre gloire.

    Une propagande VIPiste

    Si c’est l’équipe du Grand Journal qui est starifiée, c’est donc que c’est à elle et à son « esprit » que le téléspectateur est convié à adhérer, et non directement à des invités qui, en proposant diverses visions du monde, pourraient du moins entretenir un panel d’opinions un rien démocratique. Il ne s’agit pas de s’identifier à un peuple entier mythifié et au dictateur censé l’incarner, mais à une caste, une caste de journalistes branchés et télégéniques, la « hype » friquée et bien-pensante, vis-à-vis de laquelle le CSP+ visé par le programme peut davantage se sentir à portée que le téléspectateur de TF1. Il s’agirait « d’en être ». D’où la culture permanente de cet esprit de connivence qui tranche avec les codes traditionnels de distance objective. D’où la règle de l’implicite qui prévaut toujours en matière idéologique, et non l’exposition claire des partis pris possibles. C’est en effet toujours l’implicite qui caractérise une aristocratie : seuls ceux qui y appartiennent sont initiés à ses rites, on n’expose pas ceux-ci au vulgaire. Paradoxe typique de la gauche mitterrandienne et de sa télé par excellence : on se présente comme de gauche, et même à la gauche de Hollande, mais l’ouvrier de chez Renault peut toujours attendre pour capter les sous-entendus ; le pauvre paysan ne sera représenté que par les séquences de L’Amour est dans le pré rediffusées dans le zapping pour faire s’esclaffer les beaux gosses médiatiques ; la femme de ménage comprend d’instinct qu’elle n’aura jamais la moindre chance d’être intégrée parmi les « élus » casseurs de ringards. Sauf que, comme au Grand Journal, on ne pense pas, mais on déconne dans l’entre soi pailleté, on n’a pas l’occasion de s’arrêter sur ce genre de contradictions.

    Le cas Polony

    Passons à présent à la constitution de cette équipe. Il n’y a pas grand chose à dire sur Antoine de Caunes, animateur assez transparent, si ce n’est qu’il est physiquement très présentable et qu’il apporte la caution des heures de gloire de Nulle part ailleurs, censée donc régénérer un programme à bout de souffle. L’introduction en cette rentrée de Natacha Polony, ancienne chroniqueuse du talk show de Laurent Ruquier, concourt à la même tentative de rénovation du Grand Journal. Il est fort possible que les critiques touchant au ronron autosatisfait de l’émission aient poussé les producteurs à intégrer un zeste de « diversité » et de débat en la personne de Polony. Dans l’émission de Ruquier, On n’est pas couchés, les chroniqueurs bénéficient également d’une place de premier ordre, mais l’effet d’équipe n’y a pas sa place, puisqu’il s’agit d’un tandem et, jusqu’alors, d’un tandem gauche / droite produisant plus de discorde que de connivence. Une discorde qui avait atteint des niveaux assez outrageux entre Natacha Polony et Aymeric Caron. L’avantage était la possibilité d’ouvrir le débat, un débat qui, en règle générale, peut en effet se tenir étant donnée la durée significative accordée aux échanges. Qu’allait donc donner l’introduction de Polony, intellectuelle « de droite » (enfin, de gauche chevènementiste, mais passons…), dans le sérail des bobos triomphants ? Eh bien, au début : rien. Et ensuite : pas grand chose. Au début, rien, l’intello rouquine est digérée par la machine, on la fait, dès le 1er septembre, participer à des sketchs et on lui consacre le même jour une parodie de la bande annonce du film Lucy de Luc Besson. Quoiqu’érudite et sérieuse, elle est une déconneuse branchée et starifiée comme les autres. Surtout, elle est très discrète et peine à trouver ses marques lors des premières émissions. À partir du 4 septembre, notamment face à Eric Ciotti revenant d’Irak, la polémiste commence de s’affirmer enfin. Elle pose de bonnes questions. Reste que le format du débat ouvrant le talk show ne permet ni d’y répondre vraiment, ni de développer une analyse. Ce que Christiane Taubira (le 10 septembre) sait parfaitement, qui botte en touche dès que Polony évoque son traitement de la délinquance, expliquant qu’il faudrait pour cela le cadre d’une autre émission… Les questions de Polony peuvent donc bien fuser, moins conformistes, plus pertinentes ou plus dérangeantes certes que celles des autres, elles resteront lettres mortes et avalées dans le flux d’une émission qui prétend ouvrir des débats sans laisser à personne le temps de s’expliquer.

    Le cas Aphatie

    Dans cette première partie du programme où se tiennent en général deux discussions avec un invité puis des journalistes ou témoins sur un thème politique ou sociologique, Jean-Michel Aphatie est le pendant de Polony. Le vieux journaliste basque est une caricature outrancière de la suffisance, telle qu’acquise à tremper depuis des décennies dans la vase de la Pensée Unique qui a inondé tous les grands médias. Le 2 septembre, face à Nicolas Dupont-Aignan venu témoigner du mouvement de grève des maires refusant la réforme des rythmes scolaires, Aphatie, après lui avoir reproché de chercher le spectaculaire pour se faire de la promotion, lui affirme tout bonnement : « C’est pour votre bien que je dis ça. Ça peut vous servir. » Le 12 septembre, face à Axel Kahn qui revient d’explorer la « France périphérique », alors que l’invité expose comment le développement de ces territoires oubliés n’implique pas forcément une augmentation des dépenses publiques, Aphatie rétorque, catégorique : « Bah… Sans dépenses publiques, c’est impossible. » On ne saura pas pourquoi. Mais visiblement, Aphatie maîtrise mieux tous les sujets possibles que ses invités auxquels il ne laisse de toute manière que très peu de temps pour répondre. Figure de vieux sage recadrant tout le monde au milieu de la déconnade et assenant sans la moindre gêne ses vérités toutes faites, Aphatie ne rechigne pas pour autant à l’autocélébration et à la clownerie qui sont la marque de la maison. Ainsi, le 8 septembre, l’émission s’ouvrira sur une scène particulièrement grotesque : le chroniqueur, affublé d’un chapeau pointu et devant une bougie, chante : « Joyeux anniversaire à moi… » À un tel stade d’autosatisfaction, il faut croire que l’idée qu’on puisse se rendre ridicule n’a simplement plus la possibilité de jamais surgir.

    La tyrannie du montage

    Entre les quelques questions de Polony auxquelles on n’a pas le temps de répondre et les assertions péremptoires d’Aphatie, l’invité est également systématiquement coupé par des extraits vidéos, des tableaux de statistiques, voire par un sketch. Le portrait à l’écran de l’invité est en outre titré d’un adjectif censé résumer d’emblée ce qu’on est censé penser de sa personne. Le tout sur une durée de moins d’une dizaine de minutes entièrement maîtrisée par les organisateurs du plateau. Dans un tel contexte, il est évident que l’invité a peu de chance d’incarner autre chose que la marionnette qu’on a décidé qu’il incarnerait avant que ne s’animent les vraies marionnettes des Guignols de l’info… Le procédé est totalement déloyal et contraire à la constitution du moindre débat. D’abord, diffuser des extraits vidéo, sélectionnés, coupés, montés hors de leur contexte et les assener à un invité sommé de se justifier (encore une fois, sans disposer du temps pour cela) et pris totalement au dépourvu représente une méthode pour le moins malhonnête. Ensuite, les sketchs de Sébastien Thoen répondent également à un procédé pour le moins pervers. Celui-ci va interroger des gens dans la rue soit sur le mode de la blague soit sur celui du témoignage brut. Il place donc le sujet du débat sous le signe de la dérision, ou colporte des réactions censées avoir le poids du réel. Sauf qu’on peut évidemment monter les extraits qu’on a sélectionnés et ceux-ci n’ont bien entendu aucune valeur objective. Mais présentés de cette manière, ils se trouvent lestés d’un effet de réel totalement factice et comminatoire. Idem en ce qui concerne les chiffres que Jean-Michel Aphatie fait brutalement surgir sur un écran au cours de la discussion, qu’il s’agisse de sondages ou de statistiques. Ceux-ci produisent immédiatement un effet de vérité objective et indiscutable, alors qu’on sait bien que les chiffres doivent au contraire être manipulés avec beaucoup de précautions et mis en perspective, sans quoi on peut bien leur faire dire à peu près tout et n’importe quoi. Mais prenons un exemple particulièrement éloquent, lors du passage de Nicolas Dupont-Aignan sur le plateau du Grand Journal, le 2 septembre.

    Dupont-Aignant : lynchage orchestré

    Parce qu’il est représentant d’une droite gaulliste classique, Dupont-Aignan est d’emblée considéré comme un ennemi politique par les déconneurs de l’émission qui demeurent très sérieux en matière de rectitude idéologique. Le 2 septembre, il est invité au sujet de la polémique autour de la réforme des rythmes scolaires, suite au cadenassage des écoles par des maires refusant d’appliquer cette réforme. Il est probable que l’essentiel des téléspectateurs dans ces échanges confus, rapides, lapidaires qui acculent totalement un Dupont-Aignan débordé, ne retiendra que l’adjectif qui souligne son portrait en lettres capitales dès le début du « débat » : « LE PROVOCATEUR ». On aurait pu écrire : « le rebelle », « l’insoumis », « le frondeur », mais toutes ces épithètes ont, à gauche, une résonance positive. On choisit donc de l’étiqueter simple « provocateur », exposant d’ailleurs dans un premier temps comment cette provocation est une provocation contre la République. « Le principe républicain, c’est d’appliquer la loi », déclare Aphatie, plus méprisant que jamais. Donc d’expulser Léonarda ? a-t-on envie de lui répliquer. Même Natacha Polony y va de son soupçon d’anti-républicanisme. Dupont-Aignan tente de revendiquer le simple droit de grève. La rhétorique est archi-classique. À gauche, quand on désobéit : on résiste au fascisme. À droite quand on désobéit : on assassine la République, et donc on concourt au fascisme. À gauche, quand on obéit, c’est parce qu’on est attaché à la République. À droite, quand on obéit c’est par esprit de collaboration. Il n’y a rien d’autre à comprendre. S’ajoute à cette première pseudo-démonstration, un sketch de Sébastien Thoen qui donne la parole à des enfants, lesquels ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas aller à l’école. Le procédé est totalement grotesque. Pourquoi ne pas convier des élèves de CM2 à s’exprimer sur le plateau dans ce cas ? Enfin, dernière partie de la démonstration, Aphatie fait défiler plusieurs extraits qui tendraient à prouver que Dupont-Aignan a toujours fait dans la provocation et dans le spectaculaire au cours de sa carrière politique. Sauf que collecter des extraits vidéo sur une longue carrière politique, puis les rassembler permet évidemment d’illustrer n’importe quoi. On aurait tout aussi bien pu démontrer que l’homme avait toujours été dépressif ou optimiste, grincheux ou lyrique, amateur de thé ou de café. Surtout, dans une démocratie médiatique comme la nôtre, quel homme politique ne verse pas dans le spectaculaire ? Mélenchon, invité le 11 septembre, ne sera jamais accusé d’un tel vice, alors qu’il s’y vautre en permanence (il allait quelques jours plus tard s’afficher avec Jérôme Kerviel à la fête de l’Humanité). En tout cas, la démonstration est achevée : Dupont-Aignan n’est qu’un vulgaire provocateur, sa provocation a des relents plus ou moins fascistes, et ne sert en définitive que son carriérisme politique. Hormis ce lynchage parfaitement orchestré, on ne retiendra aucun échange véritable sur la question de fond : celle de la réforme des rythmes scolaires…

    Taubira, Mélenchon : ceux qui triomphent

    A contrario, quelques invités politiques, exclusivement de gauche, ressortent triomphaux de l’expérience. Ce furent Taubira et Mélenchon lors de ces deux premières semaines. Cela tient autant du fait qu’ils bénéficient d’un traitement de faveur que de leur propre talent en de semblables circonstances. Traitement de faveur : Taubira est annoncée par cette phrase de de Caunes : « Rare en télévision, ce soir, elle a accepté l’invitation du Grand Journal. » Pour une fois, c’est donc l’invitée qui est mise à l’honneur et accueillie avec gratitude. Ensuite, Taubira, comme Mélenchon, bénéficieront d’un temps d’antenne supérieur aux autres invités politiques, comme si on ne se décidait pas à les quitter et que l’on désirait leur avis sur tout, Taubira parvenant même à se faire réinviter en direct pour une autre émission. Mais l’autre point important, c’est également que ces deux invités sont de véritables bêtes médiatiques et qu’ils désamorcent tous les pièges que nous avons décrits plus haut afin de conserver la maîtrise de l’entretien ; et ils les désamorcent sans doute pour les avoir étudiés en amont. Ainsi, après un extrait de Martine Aubry suite auquel on demande à Christiane Taubira de réagir, celle-ci réplique : « Je suis étonnée de la transition… » mettant en relief la perversité du procédé du montage sauvage d’extraits en cours de débat. Comme Aphatie coupe la ministre, celle-ci rétorque, offensive : « Je peux finir une phrase ? » et force les chroniqueurs à lui laisser le loisir de s’expliquer. Mélenchon, lui, observant son portrait qui le montre grimaçant avec le titre : « ANTISYSTÈME », fait remarquer : « Elle n’est vraiment pas belle, la photo ! », révélant encore la déloyauté de ces raccourcis caricaturaux. À son sujet, d’ailleurs, le sketch réalisé par Sébastien Thoen sera pour une fois parfaitement complaisant. En effet, le comique demande des signatures de soutien au président du Front de Gauche dans le quartier huppé du XVIe arrondissement. C’est la bourgeoisie du XVIe qui est la vraie cible du sketch, que l’on tente de ridiculiser et non l’invité lui-même. Cette bourgeoisie représente une autre cible rituelle de Canal++ (avec le peuple ringard de province), non tant par esprit anti-bourgeois puisqu’en vérité, si la nouvelle bourgeoisie branchée et médiatique de gauche ne perd jamais une occasion de tacler la vieille bourgeoisie de droite, c’est simplement en raison d’une rivalité obsessionnelle.

    La bouillie commune

    En dehors de ces cas extrêmes, on pourra remarquer la prestation tout à fait correcte d’Eric Ciotti le 4 septembre, évoquant la situation en Irak et parvenant à formuler un propos sans être en permanence interrompu. Sur le même sujet -l’intervention contre l’État Islamique-, le 12 septembre, les invités parviennent également à développer à peu près leurs aperçus. Quand le thème est difficile et que l’invité en a une connaissance particulière que ne peuvent partager les chroniqueurs, le brouillage manipulatoire du discours est moins effectif et, faute de débat, on peut au moins entendre une analyse rapidement ébauchée. Sinon, la grande majorité des invités appartient à l’aile gauche du parlement : Stéphane Le Foll, Bernard Poignant, Julien Dray, Jean-Marie Le Guen, et bien sûr Mélenchon et Taubira. La plupart du temps, seule une bouillie confuse surnage de ces échanges truffés des lieux communs du politiquement correct. De toute manière, l’important ici, ce ne sont pas les idées, c’est le sketch. Lorsque les sujets sont délicats, ils sont en général éludés d’un slogan convenu. Le cas Mehdi Nemmouche, par exemple, qui soulève tout de même beaucoup d’inquiétudes sur l’intégration et la radicalisation de l’Islam en Europe, est résolu par le terme : « PSYCHOPATHE », accolé à son portrait. Ainsi peut-on bien s’enfoncer dans le crâne qu’un cas clinique marginal n’est le symptôme de rien en ce qui concerne la situation de l’Islam en France. Néanmoins, le mauvais accueil de la société française vis-à-vis de ces populations immigrées sera tout de même pointé du doigt. En somme, ce ne sont pas les dérives de l’Islam fanatique qui sont criminelles, mais les Français de souche qui, par leur méchanceté, les rendent inéluctables.

    Rissouli et la chasse aux fachos

    Parmi les (trop) nombreuses rubriques qui émaillent cette première partie, on trouve celle de Karim Rissouli, tellement anecdotique qu’on se demande bien ce qu’elle est censée nous apprendre. Une suite de flash info sans la moindre cohérence constitue en général son intervention. Cependant, le 9 septembre, le chroniqueur donne dans le scoop inédit. On nous montre des images d’une réunion sur le parvis de la mairie de Calais, où une foule est échauffée par un ex militant du FN, Yvan Benedetti. La population de Calais, exaspérée par le nouveau camp de réfugiés installé chez elle, est encouragée par Benedetti à s’organiser et, Rissouli force un peu le propos, à former des milices. Le chroniqueur, en bon adjuvant de la police de la pensée, en appelle à une condamnation judiciaire des déclarations du tribun. Le tatouage d’une croix gammée dans le cou d’un des hommes assistant au discours est zoomée pour faire s’effarer le téléspectateur. Encore une fois, on manipule sans vergogne. Qu’il y ait un skinhead à Calais et que celui-ci ait eu envie de se rendre à ce genre de réunion n’est symptomatique de pas grand chose, et sûrement pas de ce que laisse entendre le chroniqueur : que l’assemblée serait un regroupement de nostalgiques du IIIème Reich… Tenant son « affaire », Rissouli revient le lendemain avec des images des migrants, montrant la misère qui est la leur et comment les associations qui s’en occupent sont totalement débordées. Que ceux-ci soient également des délinquants qui enfreignent la loi française et qu’ils se livrent à de nombreuses déprédations dans la ville de passage qu’est pour eux Calais n’est bien sûr jamais mentionné. La population calaisienne elle-même n’est jamais interrogée ou prise en compte. Non, vu des studios parisiens et de la hype de Canal+, le problème est d’une simplicité déroutante : les méchants fachos d’un côté et les gentils migrants de l’autre. Et la seule question à se poser revient à se demander pourquoi l’État n’enferme pas les premiers et ne nourrit pas les seconds.

    L’esthétique du zapping

    Dans cette première partie, Augustin Trapenard assure la caution culturelle « dure ». Le 11 septembre, de Caunes l’introduit en prétendant que se vulgarise à Paris l’expression « se faire trapenardiser », pour poursuivre l’autocélébration permanente que l’émission se rend à elle-même. Bien, mais pour ce qui est de haute culture, Trapenard ne relaiera durant ces semaines de rentrée littéraire que les romans qui font le « buzz », lesquels sont rarement promis à une quelconque postérité. Le 2 septembre, le « critique littéraire » nous append que Frédéric Beigbeder bousculerait les codes du roman… On peut certes apprécier les productions du plus mondain des romanciers français, mais affirmer, après Joyce, Proust ou Céline, que Beigbeder bousculerait les codes du roman relève tout de même de la bêtise la plus manifeste. Enfin, cette première partie du Grand Journal s’achève dans le « Zapping », métaphore de tout ce qui précède. Le rythme est trop rapide pour le moindre début de réflexion, mais cette vitesse générale est un moyen de propagande subliminale. Au lieu de marteler sans cesse le même slogan, on fait tout défiler dans une confusion et un relativisme délirants, en orchestrant néanmoins les choses de manière à ce que ne surnage au delà de l’agression du flux, qu’une vision extraordinairement simpliste et autoritaire des choses. Dans le zapping, trois types d’extraits dominent la sélection. 1) Des extraits de documentaires sérieux qui, en quelques secondes, ne nous apprennent rien, mais instillent l’idée que les monteurs auraient une véritable conscience politique. 2) Des extraits d’émissions de téléréalité ou de jeux télévisés pour ménagères, laissant entendre que chez Canal+, on n’est pas des ploucs et qu’on peut donc se gausser librement de ces derniers. 3) Des extraits du Grand Journal de la veille, induisant le fait que l’émission est donc la référence ultime dans le domaine médiatique. En outre, la même technique de montage sélectif permet d’inclure des témoignages unilatéraux qui, sur chaque sujet, offrent systématiquement le même filtre idéologique limité. Par exemple, le 1er septembre, on diffusera les images d’un peuple ukrainien révulsé par Poutine. En aucun cas les arguments des partisans, pourtant nombreux, du président russe. Lequel sera juste après présenté dans Les Guignols sous les espèces d’un conquérant impavide. Voilà comment fonctionne le bourrage de crâne du Grand Journal : sans avoir l’air d’y toucher et sans se donner les moyens d’aucun débat véritable et constructif, on divulgue en permanence, sur le ton de la déconnade, une idéologie ultraformatée qui passe comme un code implicite d’appartenance à une élite VIP autocélébrée tout en faisant fantasmer au spectateur le bonheur de s’y identifier.

    Batterie de sketch

    La suite de l’émission, au centre de laquelle s’insinuent Les Guignols de l’info, marionnettes mythiques qui en sont comme la perle au milieu de l’huître, ne déroule presque plus qu’une interminable succession de sketchs brefs, de gags mitraillés jusqu’à épuisement par une armée d’adulescents. Rire et chansons version bobo n’offre plus que mille variations sur le même ton. Les Guignols consacrent l’essentiel de leur énergie dans le Hollande bashing. Cet acharnement pourrait paraître étrange de la part d’une émission si marquée à gauche, pourtant la gauche dont on se réclame ici est une espèce d’utopie immaculée, un trailer pour le meilleur des mondes qui n’a d’autre fonction que d’être exhibé sur l’écran de son portable dernier cri. L’engagement politique se résume dans le fait de porter un tee-shirt Che Guevara en se rendant à sa soirée privée. Quant à l’analyse générale du monde telle que divulguée par les Guignols, elle est d’une simplicité redoutable. En Amérique : des dictateurs sanguinaires. En Russie : des dictateurs sanguinaires. Au Moyen-Orient : des dictateurs sanguinaires. En France : un incapable, Hollande, qui laisse Valls faire le travail, mais Valls, c’est déjà Sarkozy, Sarkozy, c’est plus ou moins Marine Le Pen, Marine, elle n’est jamais présentée sans son père, Jean-Marie, qui lui est toujours Hitler… En somme, le monde est peuplé d’ignobles fascistes. Heureusement, des studios de Canal++, on résiste avec humour et on empoche les bénéfices financiers, moraux et narcissiques qui en résultent.

    Éternelle adulescence

    C’est donc une vision du monde d’ados niaisement idéalistes, binaires, irresponsables, ignorants et narcissiques, mais forts en vannes et munis d’un compte en banque d’adultes parvenus qui imprègne tout le programme. Apogée soixantuitarde. Dans la seconde partie, dominent la sous-culture américaine, le sport, et les performances des jeunes stars du Net recrutées par Canal. On se demande à ce moment-là si l’émission ne s’adresse pas en fait exclusivement à un public à peine pubère. La fameuse « miss météo » du Grand Journal, cette année la jolie Raphaëlle Dupire, ne passera pas le 8 septembre, ne se sentant pas à la « hauteur » de sa mission. Elle sera donc relayée ensuite par Alison et Poulpe. Cette séquence est également symptomatique. Sous prétexte de mépriser la météo, info beauf par excellence, et au lieu de se contenter de ne pas la présenter, l’émission propose de la tourner en dérision à travers le sketch d’un jeune mannequin qui incarne peu ou prou une bimbo de l’époque de Stéphane Collaro avec moins de poitrine et davantage d’esprit. Hormis la séquence du Gorafi, le vendredi, les comiques du Web repérés par l’équipe du Grand Journal ne donnent pas grand chose dans un tel contexte et développent le même humour ultra stéréotypé qui se limite à une succession mécanique de vannes d’une phrase. On a beau changer les têtes, Alison, Poulpe, Jérôme Niels, la très médiocre Nora Hamzaoui, il semble que se poursuive sans interruption la même et unique litanie qui finit par assommer d’ennui le téléspectateur ayant passé la vingtaine.

    Kultur Kampf

    Hormis ce robinet à vannes, donc, la « culture », c’est soit la rubrique « pop culture » de Mathilde Serrell qui égraine des nouvelles dans la même superficialité alerte qui fonde le rythme de l’émission, soit des invités qui peuvent certes être Ora-ïto et Daniel Buren (9 septembre), pour faire dans l’épate-bobo, Houellebecq avec Délépine et Kervern, qui s’en sortent en effet plutôt bien, à l’instar de Benoît Poelvoorde. Mais plus généralement, on tombe sur Luc Besson pour le navet blockbuster Lucy, Cameron Diaz pour le navet blockbuster Sextape, Charlotte le Bon et Helen Mirren pour le navet bien-pensant Les Recettes du bonheur… En soi, pourquoi pas ? Simplement, si on prétend mépriser le plouc à longueur de temps, encore faudrait-il avoir les moyens culturels de se le permettre. On aura également le nageur Florent Manaudou et les stars de la rentrée littéraire Frédéric Beigbeder et Emmanuel Carrère. Mais surtout, le 10 septembre, un grand moment de communion autour de Djamel Debbouze et de Mélissa Theuriau, incarnant à eux deux le summum artistique, humain et moral tel que peut le rêver la clique du Grand Journal. Il est comique, elle est journaliste de gauche ; elle est belle, il est d’origine maghrébine ; ils sont un couple mixte et un couple qui travaille ensemble et, en l’occurrence, elle vient de réaliser un documentaire pour Canal+ à la gloire de l’improvisation théâtrale (et donc de Djamel Debbouze dont ce fut la voie d’avènement). Béatitude et extase. Personne, à ce moment-là, ne se permettrait la moindre dérision. On baigne dans le sacré. Mais également dans l’idéologie. Car derrière le film, le couple cherche à imposer l’improvisation théâtrale aux programmes scolaires… Laquelle possède en effet mille vertus. Mais pose également mille problèmes qu’il eût été opportun de soulever. Plutôt que la langue de Racine, l’inhibition de l’étude et l’intégration de l’héritage, on valorise ainsi le « viens comme tu es », « parle comme tu peux », et « dispense-toi des modèles ». Étant donnée la dégradation actuelle de la transmission, on peut penser qu’il serait bon d’actionner d’autres leviers que celui-ci pour relever le niveau général. On peut aussi penser que Djamel Debbouze ne représente pas forcément non plus le modèle absolu à donner en exemple aux jeunes Français comme s’il s’agissait d’une version XXIème siècle de l’ « Honnête homme » pascalien du XVIIème.

    Goebbels à Beverly Hills

    Si dans les régimes totalitaires classiques, la propagande adoptait la forme d’un certain lyrisme paternaliste à l’attention d’un peuple massifié et infantilisé, la propagande divulguée en permanence par le Grand Journal adopte celle de la déconne adulescente à l’attention d’une masse atomisée à laquelle on propose le fantasme de rejoindre un carré VIP. Quant à ce carré VIP, cette élite autocélébrée et décérébrée, elle ressemble moins à une aristocratie qu’à une bande de lycéens « populaires » dans une série américaine. Lorsque cette élite du fond du bus se penche du côté droit, elle voit des fachos ; du côté gauche, elle voit des ringards. Elle méprise autant le petit peuple des loosers que les bandes rivales en classe à Louis le Grand. Sa vacuité pailletée n’a d’égale que sa morgue. Et elle sévit du lundi au vendredi dès 19h10. En clair, sur Canal+.

    OJIM (Observatoire des journalistes et de l'information médiatique, 23 septembre 2014)

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  • Les petits monstres...

    Nous reproduisons ci-dessous la dernière Chronique d'une fin du monde sans importance, de Xavier Eman, publiée dans le numéro 151 de la revue Éléments, actuellement en kiosque, et cueillie sur l'excellent blog A moy que chault !...

     

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    Les petits monstres

    « Tu n'envisages tout de même pas de sortir avec nous habillé comme cela ? »

    Noémie avait frémis de surprise et de colère en voyant apparaître Etham, son fils de 7 ans, qu'elle venait d'appeler pour la promenade familiale dominicale. Elle n'en croyait pas ses yeux et agitait la tête de gauche à droite dans une expression d'incompréhension et d'accablement mêlés. Pour un peu elle en aurait fait tomber son Télérama sur la moquette à boucles épaisses couleur « ventre de taupe » du salon. Dans l'encablure de la porte, stoppé net dans l'élan qui le conduisait aux bras de sa mère, le gamin était déjà aux bord des larmes. Vêtu d'une salopette, d'une chemise bleue à carreaux et d'une paire de baskets à scratch, Etham hésitait entre fureur et sanglots, tremblotant de tout son petit être frustré de l'affection attendue.

    « Ha, ne commence pas à pleurer, je t'ai dit cent fois de ne pas prendre les affaires de ta sœur ! Remonte vite et va mettre la robe que Mum t'a préparé ! »

    « Mum » c'était quand même moins plouc que « maman ». Bien sûr, cela restait encore assez largement hétéro-normé, encore confiné dans le dualisme périmé du père/mère, mais elle n'était toutefois pas mécontente d'avoir réussi à imposer ces anglicismes « Mum » et « Dad » qui lui semblaient moins agressivement archaïques.

    « Dad » d'ailleurs, entra à son tour dans la pièce et interrogea du regard Noémie sur la raison de son courroux.

    « Je te jure, ce projet parental finira par me rendre folle ! » s'exclama-t-elle pour toute réponse. André insista donc :

    « Qu'est-ce qu'il a encore fait ? »

    « Il voulait sortir avec une salopette de sa sœur ! Tu imagines ce qu'auraient dit les voisins s'ils avaient vu ça ? » hurla presque Noémie, comme terrorisée par la perspective.

    Soucieux d'apaiser le trouble de sa compagne-partenaire, André engagea alors une stratégie de détournement en déclarant :

    - « Oh, eux, ils n'ont pas grand chose à dire, hier encore j'ai surpris leur petite dernière en train de jouer avec un poupon dans le jardin. Elle s'amusait à le changer, tu imagines ! Dans le genre formatage domestico-sexué, on peut difficilement faire pire ! »

    Mais l'argument ne porta qu'à moitié car l'aîné des voisins, lui, avait fait son coming-out il y a un peu plus d'un an et vivait depuis lors avec un immigré clandestin gabonais en attente d'une opération de changement de sexe, ce qui conférait à l'ensemble de la famille une inattaquable respectabilité et même une sorte d'autorité morale sur tout le quartier.

    Noémie souffrait, sans vouloir jamais le formuler, de ne pas se sentir totalement au niveau de cette rude concurrence. Elle sentait bien, malgré ses efforts incessants, toutes les scléroses, les vétustés et les anachronismes qui encombraient encore son organisation familiale : Etham qui avait abandonné la gymnastique rythmique pour le football (« Dad » ayant cédé après des nuits entières de larmes et une dramaturgie digne d'une sorte de « Billy Elliot » inversé...), les grands-parents qui s'acharnaient à offrir des opuscules fascistes à leurs petits-enfants (Cendrillon,la Belle au bois dormant, le Prince Eric... toutes les saloperies occidentalo-machistes y passaient...) et elle-même qui, encore entravée par des vestiges de son éducation étriquée et obscurantiste, n'avait pas pu retenir un léger haut-le-coeur en assistant à la séance obligatoire de projection de la « Vie d'Adèle » organisée par l'école primaire de son fils. Le broutage de minou en gros plan au Ce2, à sa grande honte, elle avait encore quelques difficultés à intégrer toute la portée pédagogico-citoyenne de la chose...

    Pourtant, elle avait fait de considérables progrès, grâce notamment à ses abonnements à Technikart et Libé, et sentait bien que, sans être arrivée à la totale plénitude de la libération de tous les carcans hérités, elle s'était largement avancée sur la voie de l'interchangeable et de l'indéfini, vers le monde merveilleux où chacun n'est déterminé que par ses désirs de l'instant.

    Le plus dur finalement avait été de faire accepter par André le fait de se laisser sodomiser en levrette, à l'aide d'un godemichet-ceinture, afin de rompre définitivement avec l'oppression machiste de la pénétration hétérosexuelle unilatérale qui imprégnait leurs relations intimes depuis trop d'années. Dorénavant, il avait régulièrement les fesses douloureuses mais pouvait au moins regarder les voisins droit dans les yeux.

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 4 mai 2014)

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  • « Libération », du maoïsme au moralisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Le nouvel Économiste et consacré à la ligne éditoriale du quotidien Libération dont les ventes en kiosque sont en constante diminution et ne sont plus en mesure d'assurer sa survie...

     

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    « Libération », du maoïsme au moralisme

     

    De leur passé gauchiste, les bourgeois-bohèmes de Libé conservent cependant la phobie de la sécurité et de l’ordre

    D’abord, le doute : doit-on tirer sur une ambulance ? Peut-on courir le risque d’attenter à la liberté de la presse ? Puis le sens du réel l’emporte : ces vingt années écoulées, Libération a tant soutenu les pires lubies de la “culture de l’excuse”, tant déversé de moralisme et d’“antiracisme” monochrome sur les criminologues fermes face au crime, que la crise vécue par ce quotidien tourne à la bonne nouvelle pour la liberté de penser.

    Remontons d’abord aux origines : en 1973, Libé est fondé par des gauchistes idolâtrant Mao Tsé-Toung, (les “Maos”), au moment même où leur dieu vient de présider, coup sur coup, à deux des pires génocides du XXe siècle, dont la funeste “Révolution culturelle” et ses millions de morts – une “catastrophe nationale” pour le pouvoir communiste chinois d’aujourd’hui.

    Mais bien pire encore et même méconnu, ce “Grand bond en avant” (1958-1962) dont le “Soljenitsyne chinois” Yang Jisheng, communiste lui-même, a établi qu’il avait provoqué 36 millions de morts (bien plus que la première Guerre mondiale… 450 fois le nombre de victimes du bombardement atomique de Nagazaki !).

    Ce “génocide le plus épouvantable de toute l’histoire humaine” (New York Times, 7/12/2012) trouve son origine dans le pur fanatisme communiste d’un Mao alors divinisé, en pleine paix, hors de tout désastre naturel et dans une orgie d’horreurs : cadavres jonchant les routes, cannibalisme et nécrophagie familiales, etc.

    Extrait des archives du PC chinois, ces rapports, parmi des milliers d’autres : un paysan exhume quatre cadavres pour les dévorer… une fillette abandonnée tue son petit frère de quatre ans pour le manger… Traversant en bus une province ravagée par la disette, un journaliste de l’agence officielle Xinhua confesse : “Je voyais un cadavre après l’autre au bord de la route, mais nul dans le bus n’osait parler de la famine…”

    Quelques brèves années après ces tragiques crimes contre l’humanité, de jeunes bourgeois gauchistes français s’entichent de Mao et du maoïsme.

    Mais précisons d’abord le concept de “crime contre l’humanité” : la Cour pénale internationale y prévoit clairement l’extermination : “Le fait d’imposer intentionnellement des conditions de vie telles que la privation d’accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population.” S’agissant aujourd’hui de la Syrie, cette définition est encore renforcée par la voix autorisée du prix Nobel de la paix Elie Wiesel, qui martèle : “Lorsqu’on tue ses propres citoyens en nombre, cela s’appelle un crime contre l’humanité.” (AFP, 23/2/2014.)

    Retour aux “Maos” : hors du prolétariat qu’ils fantasment, point de salut ! Leur idéal : “Servir le peuple”, défendre la “Cause du peuple”. C’est l’époque où un chœur de gosses de riches chante sans rire : “Ecoutez-les nos voix, qui montent des usines…”

    Dans la foulée, Libération est créé. Sa charte d’origine est claire : il doit “donner la parole au peuple”. Mais la désillusion vient vite : les vrais prolétaires rejettent leur indigeste cocktail Mao-Althusser-Lacan. Les maoïstes et leur journal virent alors à l’anarchisme bohème, au libéralisme libertaire ; le contenu du quotidien passant, lui, du journalisme à l’exorcisme et de l’information à l’inquisition.

    Pour les ex-Maos devenus bobos, ces ouvriers qui les ont dédaignés deviennent ensuite objet de mépris, puis de haine : de “Servir le peuple” à salir le peuple… Le 24 novembre 2011, à l’issue de cette trajectoire de trahison, un article de Libé intitulé “Debout les autodamnés d’Angleterre”, vomit une culture ouvrière – de fait éloignée des Gay Prides – marquée par “l’obsession de la masculinité … imprégnée par un violent racisme et sexisme”, avec le risque “d’interprétations réactionnaires et fascistes”.

    Alors, des damnés de la Terre, les prolos ? Pas du tout : ces proto-fachos n’ont que ce qu’ils méritent.

    De leur passé gauchiste, les bourgeois-bohèmes de Libé conservent cependant la phobie de la sécurité et de l’ordre. Dans ses articles et dans les colloques qu’il organise, Libé pourfend toute mesure d’ordre, assurant que l’insécurité est un fantasme et les pires voyous, des victimes de l’exclusion et du racisme. Ceux qui prônent la sécurité ? Des fascistes et rien d’autre.

    En février 2013, son colloque “Prise d’élans pour la ville”, consacré aux “quartiers populaires” et banlieues, ne pipe mot du crime ni des bandes – Libé ou l’art d’ignorer l’éléphant dans la pièce…

    Le 4 octobre dernier encore, entre les tirs de kalachnikov et le pillage des campagnes, Pierre Marcelle, Bobo-en-chef de Libé, ironise lourdement sur “le maxi délinquant de 14 ans déjà épinglé quatorze fois pour vols de Carambars, racket de tickets de métro et tapage nocturne à Mobylette”.

    Résultat : outrés par cet aveuglement et par ces anathèmes, des lecteurs se détournent. Les ventes s’effondrent : moins 40 % de 2012 à 2013. Et même, Libé aurait déjà disparu, sans les millions d’euros de subventions de l’Etat et les dotations de ses actionnaires. Et quels actionnaires pour un journal naguère gauchiste ! Un “promoteur”, une “société foncière” une “banque d’affaires”… Un “capitaliste italien”…

    Cette déroute ramènera-t-elle Libé à la raison ? A exposer la réalité criminelle ? A ne plus ironiser sur le martyre que vivent les habitants de HLM dont les couloirs sont occupés par des racailles ; ou les usagers du RER détroussés par des voyous ?

    A ne plus s’indigner par pleines pages de l’antisémitisme de Martin Heidegger, en occultant totalement celui, pire encore, de Karl Marx ? A abandonner son sectarisme aveugle ?

    Bref, Libé, qui exalte la “diversité”, comprendra-t-il un jour que ce concept peut dépasser la couleur de l’épiderme pour atteindre celui de sa ligne éditoriale ?

    Qu’il se reprenne ainsi et Libé verra à coup sûr ses ventes augmenter. Une renaissance qui serait alors, et tout ensemble, bénéfique à la liberté de la presse, comme à celle de penser librement.

    Xavier Raufer (Le Nouvel Économiste, 21 mars 2014)

     

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  • Madame Bobovary...

    Nous reproduisons ci-dessous la dernière Chronique d'une fin du monde sans importance, de Xavier Eman, publiée dans le numéro 149 de la revue Éléments, actuellement en kiosque...

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    Madame Bobovary

    Ravie, le visage épanoui et la moue excitée, Eliane sortit de la librairie en serrant amoureusement contre son sein, tel le bébé qu'elle n'avait jamais voulu, le précieux sac contenant la dizaine de livres qu'elle venait d'acheter. Elle avait en effet acquis l'intégralité de la « sélection rentrée littéraire » de son magazine préféré, « Maxi Actuel », la revue de la nouvelle féminité décomplexée. Elle pressait maintenant le pas, presque fiévreuse, impatiente de se jeter à corps et âme perdus dans ces passionnantes auto-fictions torturées et dépressives, débordantes de sexe, de drogue et de visions du monde délicieusement désabusées. Elle même était d'ailleurs fortement désabusée. Il est vrai que la vie ne lui avait pas fait de cadeaux. Après une scolarité brillante et ennuyeuse à Stanislas puis des études à Sciences Po, elle avait été, durant quelques mois, vaguement attachée de presse pour un groupe pharmaceutique avant d'épouser sans passion mais avec faste un prothésiste dentaire spécialisé dans la réfection buccale des stars du show-biz et de la télévision. Ainsi, elle avait été impitoyablement condamnée à une vie de dîner mondains, de promenades en Sologne et de vacances à Saint-Barthélémy ou Verbier, une vie doucereuse et routinière qui ne lui correspondait absolument pas. Son mari ne lui avait jamais proposé d'aller dans une boîte à partouzes et ne prenait même pas la peine de la tromper. Elle en souffrait beaucoup. Car elle était faite pour la douleur, les angoisses, les névroses et les expériences violentes que l'existence lui avait cruellement épargné. Fort heureusement, il lui restait la littérature contemporaine, chaque nouvel ouvrage étant pour elle une délicieuse injection de misère morale, d'échec familial, de haine conjugale, de perversion et de déréliction toxicologique... Elle sniffait dans ces lignes la cocaïne qui n'avait jamais inondé ses narines, discernait dans l'encre des caractères le sang ayant jailli des veines de ces auteurs génialement, et perpétuellement, suicidaires, se troublait en transformant le blanc des pages en coulées de foutre répandues par ces amants à la fois érotomanes et complexés sur leurs innombrables maîtresses qu'elle imaginait invariablement sous les traits de jeunes femmes étiques et blafardes, tenant en permanence une cigarette blonde entre leurs doigts aux ongles rongés... Grâce à cette littérature, elle pouvait se vautrer dans la boue tant aimée et tant espérée sans même quitter ses draps de soie. C'est pourquoi elle était si enthousiaste en s'échappant de chez son dealer, regagnant hâtivement l'appartement de l'avenue Wagram sans même apercevoir les clins d'oeil des vitrines Hermès ou Dior qui, d'ordinaire, transformaient chacune de ses sorties en pic bénéficiaire pour l'industrie du luxe.

    Marchant de plus en plus vite, elle imaginait déjà le subterfuge qu'elle utiliserait pour échapper au dîner prévu ce soir avec des collègues de son mari, des imbéciles parvenus et grossiers qui n'avaient jamais vibré aux envolées cosmétiques de Florian Zeller, aux affres incestueux de Christine Angot, pas plus qu'aux sodomies alternatives et révolutionnaires de Virgnie Despentes ou aux questionnements egotiques de Yann Moix... Un nouvel accès de forte migraine suffirait d'ailleurs certainement à assurer sa tranquillité pour la soirée. Eliane se mit même à ricaner en imaginant son gros mari venir s'enquérir de sa santé et lui porter une tisane apaisante avant de l'embrasser sur le front et de rejoindre ses invités. L'idée de ce baiser éteignit rapidement son ricanement qui céda la place à un léger frisson de dégoût, mais la vision du brushing Zellerien sur la couverture dépassant du sac l'apaisa immédiatement.

    La nuit était maintenant presque totalement tombée et Eliane ressemblait à toutes ces autres ombres trottinantes et déjà un peu effacées, impatientes de rejoindre famille et foyer. Pourtant Eliane savait qu'elle n'était pas comme elles, pas le moins du monde même, car ce n'était pas le confort et la sécurité bourgeoise qu'elle s'empressait de retrouver mais au contraire les désordres et tumultes intellectuello-germanopratins qui s'élèvent tellement au dessus de toutes ces petites vies laborieuses et vaines, à jamais mornes et bornées. Elle rayonnait maintenant de morgue et de mépris en frôlant ces misérables fourmis qui ignoraient tout des amours sado-cannibalesques du couple DSK/Iacub et préféraient le visionnage de divertissements télévisés à la description des prurits gynécologiques de publicitaires trentenaires à lunettes carrées. Ces gens qui encombraient la rue n'étaient rien pour elles, ce monde n'était pas définitivement pas le sien. Elle courrait presque maintenant pour retrouver ses douloureux amants et c'est presque dans un état de transe qu'elle traversa la rue sans prendre garde au bus qui surgissait au même moment et qui, malgré le hurlement d'un coup de frein, la percuta de plein fouet.

    Le corps inerte d'Eliane gisait maintenant au milieu de la chaussée, bientôt entouré de badauds horrifiés. A ses cotés, quelques livres ensanglantés et le visage souriant de Florian Zeller.

    Xavier Eman (Éléments n°149, octobre - décembre 2013)

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