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bien commun

  • La loi naturelle et les droits de l'homme...

    Les Presses universitaires de France viennent de rééditer dans la collection Quadrige un essai de Pierre Manent intitulé La loi naturelle et les droits de l'homme. Professeur de philosophie politique, ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Pierre Manent est notamment l'auteur d'essais comme  Cours familier de philosophie politique (Fayard, 2001) ou Les Métamorphoses de la cité (Flammarion, 2010).

     

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    " La doctrine des droits de l'homme est devenue l'unique référence légitime pour ordonner le monde humain et orienter la vie sociale et individuelle. Dès lors, la loi politique n'a plus d'autre raison d'être que de garantir les droits humains, toujours plus étendus. La loi ne commande plus, ne dirige plus, n'oriente plus : elle autorise. Elle ne protège plus la vie des institutions – qu'il s'agisse de la nation, de la famille, de l'université –, mais donne à tout individu l'autorisation inconditionnelle d'y accéder.
    L'institution n'est donc plus protégée ni réglée par une loi opposable à l'individu ; celui-ci jouit d'un droit inconditionnellement opposable à l'institution. Pierre Manent montre que cette perspective livre les éléments constituants de la vie humaine à une critique arbitraire et illimitée, privant la vie individuelle comme la vie sociale de tout critère d'évaluation. Une fois que sont garantis les droits égaux de faire telle action ou de conduire telle démarche, il reste à déterminer positivement les règles qui rendent cette action juste ou cette démarche salutaire pour le bien commun.
    La loi naturelle de la recherche du bien commun se confond ainsi avec la recherche des réponses à la question : comment orienter ou diriger l'action que j'ai le droit de faire ? "

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  • Le grand retour du mépris de classe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur son blog A moy que chault ! , qui prend l'occasion d'une polémique médiatique provoquée par les propos d'une (ex-)chroniqueuse de L'Incorrect sur LCI pour évoquer le délitement de la société et la montée du mépris de classe.  Animateur du site d'information Paris Vox , rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur d'un recueil de chroniques intitulé Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016) et d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019).

     

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    Le grand retour du mépris de classe

    Bien sûr, il n'avait jamais vraiment disparu – consubstantiel qu'il est à la nature de certaines catégories d'individus – mais il s'était fait beaucoup plus discret, prudent, retenu, se rabattant largement sur la sphère privée. Évidemment, dans les couloirs des conseils d'administration, sur les parcours de golf et sous les poutres apparentes des demeures bourgeoises, on n'en pensait pas moins, on pensait même toujours rigoureusement la même chose mais on en réservait l'expression à un entre-soi choisi. Car le mépris social n'était plus à la mode, plus tendance, en tout cas médiatiquement, remplacé qu'il était – dans notre société moderne inapte à la mesure et à la nuance - par une survalorisation de la figure de la victime, du précaire, du chômeur en fin de droit.... Le temps était à la compassion lacrymale et à la « solidarité », du moins déclamatoire. C'était le temps où l'on essayait de nous faire pleurer sur les étudiantes « contraintes» de faire des pipes pour pouvoir suivre leur cursus de sociologie sans travailler au MacDo et où l'on applaudissait les actions du Droit Au Logement qui occupaient des immeubles inoccupés. « L'argent sale, l'argent qui corrompt... »... Tout le monde s'en foutait plein les fouilles, comme d'habitude, mais le discours était au misérabilisme bienveillant envers les « losers » de la mondialisation. Les socialistes existaient encore et, tout en menant des politiques capitalistes, devaient bien tenter de justifier encore ce nom, tandis que, de leur côté, les libéraux, ayant raflés toutes les mises, pouvaient bien accepter de cohabiter avec quelques discours « sociaux » qui ne mangeaient pas de pain, ni de brioche. Les médias, eux, se complaisaient à flatter généreusement un « petit peuple » qu'ils ne connaissaient pas et ce avec d'autant plus d'empressement que ce dernier avait le bon goût de voter à gauche, d'adhérer à la CGT et de respecter les dogmes de la bien-pensance « antiraciste ». Hélas cette tendance ne fût que temporaire, et, trop violemment bousculés dans leur existences quotidiennes par les soubresauts mondialistes et l'invasion migratoire, les « ploucs », les « prolos » se sont mis à dériver dangereusement vers le conservatisme et l'identitarisme tant honnis... Ils ne méritaient donc plus d'être défendus, même purement symboliquement. Coupables d'élire des maires FN, les chômeurs du Nord n'étaient désormais plus des victimes de la désindustrialisation mais des consanguins attardés. De la même façon, les fonctionnaires – dont le vote systématique pour le PS commençait à être ébranlé - n'étaient plus les nobles défenseurs du service public, mais d'infâmes parasites surnuméraires. Il n'y avait maintenant plus de « prolétaires » mais des « sans dents », et l'existence des pauvres « n'était rien »... Les masques pouvaient enfin tomber, il n'était plus nécessaire de prendre des gants, de faire semblant. Le PS disparaissait et la droite se « décomplexait », c'est à dire qu'elle retrouvait la mâle assurance des Maîtres des forges et des propriétaires miniers qui lui manquait tant. La réussite financière, la rapacité, l'accumulation matérielle, la spéculation et l'usure reprenaient leurs droits et pouvaient désormais être encensés sans gêne dans un pays dirigé comme une « start up » par un président banquier.

    Certaines résistances morales subsistant malgré tout, on envoya au casse-pipe une ravissante idiote vaguement droitarde qui dît crûment ce que tout le monde répétait depuis des mois en des formulations alambiquées nourries au sein du politiquement correct et de la langue de bois : « Dans notre beau monde libéral, ceux qui ne réussissent pas, qui ne gagnent pas suffisamment leur vie, qui se retrouvent en difficulté... ben c'est avant tout leur faute, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes et s'ils rechignent à se sortir les doigts du cul, au moins qu'ils ferment leur gueule. » (Sentence ne s'appliquant étrangement qu'aux petits blancs, aux « de souche », le migrant, bien qu'assisté des orteils à la pointe des cheveux, nourri , logé, blanchi, soigné aux frais de la princesse, n'entrant jamais dans la ligne de vindicte du libéral qui, au contraire, Medef en tête, lui trouve tous les charmes et mérites... Peut-être parce que, malgré son énorme coût social (public), son exploitation professionnelle (privée) sera particulièrement juteuse ? On n'ose y croire... ; ).

    Ces propos de notre Bécassine LCIsée avaient en tout cas au moins le mérite de la franchise et de la clarté. Quelques pousses-mégots s'offusquèrent, un employeur « incorrect » - dont on apprit à l'occasion qu'il était le vaisseau amiral de la « cause des pauvres », navire armé par ce nouvel Abbé Pierre qu'est donc, semble-t-il, Charles Beigbeder – l'abandonna au milieu du champ du déshonneur médiatique, mais au final, elle eut autant de soutiens que de contempteurs et, sans ces embarrassants engagement parallèles, notamment pro-vie, sans doute en aurait-elle eu bien davantage.

    Car au final, aussi maladroitement que brutalement, elle n'aura fait que mettre des mots sur ce qu'est devenu notre pays : une non-société où le prisme économique domine tout, où le Bien Commun n'est plus qu'un lointain souvenir, remplacé par l'implacable tyrannie de l'individu et la guerre de tous contre tous. Plus de compatriotes, des concurrents. Plus de concitoyens, des agents économiques. Tant un tel monde, ce qu'on donne à l'autre (qui n'est rien pour moi), on me l'enlève injustement à moi (qui suis tout) et les décrochés de la course au pognon deviennent des entraves à ma propre réussite, des boulets plombant mon plan de carrière. J'ai donc le droit de les mépriser. En attendant de les haïr.

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 16 novembre 2019)

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  • Redécouvrir les bienfaits du commun dans une société individualiste...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Alain de Benoist, réalisé par Edouard Chanot pour son émission Parade - Riposte, et diffusé le 14 février 2019 sur Sputnik, dans lequel il évoque le mouvement des Gilets jaunes et son opposition au libéralisme. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist vient de publier Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

     

                                          

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  • La loi naturelle et les droits de l'homme...

    " C’est ainsi qu’au nom du principe des droits humains, on veut interdire aux nations de prendre les lois qu’elles jugeraient éventuellement utiles ou nécessaires pour préserver ou encourager la vie et l’éducation communes qui donnent à chacune sa physionomie et sa raison d’être. Ce n’est plus aux cités de déterminer qui sera citoyen et à quelles conditions, puisque chacun désormais est supposé avoir le droit de devenir citoyen de la cité qu’il choisit. Quelle que soit l’institution, pourrait-on dire, tout individu a le droit inconditionnel d’en devenir membre – inconditionnel, c’est-à-dire sans avoir à se soumettre aux règles spécifiques – à la « loi » – qui règlent la vie de cette institution, ou en ne s’y soumettant que de la manière la plus approximative et pour ainsi dire la plus dédaigneuse. Qu’il s’agisse de la nation, de la famille ou de l’université, l’institution ne saurait légitimement opposer sa règle à l’individu qui invoque son désir ou son droit, les deux tendant à se confondre désormais (…) ce « droit » est compris d’une manière de plus en plus extensive, en vérité d’une manière proprement illimitée : non seulement comme le droit de « tout avoir » mais, de manière plus troublante encore, comme le droit d’être tout ce que nous sommes ou voulons être. "

     

    Les PUF viennent de publier un essai de Pierre Manent intitulé La loi naturelle et les droits de l'homme. Directeur d'études à l'EHESS, membre fondateur de la revue Commentaire, Pierre Manent est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages de philosophie politique, parmi lesquels Cours familier de philosophie politique (Fayard, 2001) et Les métamorphoses de la cité (Flammarion, 2012).

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    " La doctrine des droits de l'homme est devenue l'unique référence légitime pour ordonner le monde humain et orienter la vie sociale et individuelle. Dès lors, la loi politique n'a plus d'autre raison d'être que de garantir les droits humains, toujours plus étendus. La loi ne commande plus, ne dirige plus, n'oriente plus : elle autorise. Elle ne protège plus la vie des institutions qu'il s'agisse de la nation, de la famille, de l'université, mais donne à tout individu l'autorisation inconditionnelle d'y accéder. L'institution n'est donc plus protégée ni réglée par une loi opposable à l'individu; celui-ci jouit d'un droit inconditionnellement opposable à l'institution. Pierre Manent montre que cette perspective livre les éléments constituants de la vie humaine à une critique arbitraire et illimitée, privant la vie individuelle comme la vie sociale de tout critère d'évaluation. Une fois que sont garantis les droits égaux de faire telle action ou de conduire telle démarche, il reste à déterminer positivement les règles qui rendent cette action juste ou cette démarche salutaire pour le bien commun. La loi naturelle de la recherche du bien commun se confond avec la recherche des réponses à la question : comment orienter ou diriger l'action que j'ai le droit de faire ? "

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  • Viktor Orbán et la « démocratie non libérale »...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à Viktor Orbán et à son projet de « démocratie non libérale » ...

    Directeur de la revue Krisis , dont le dernier numéro est consacré à la question de la modernité, et éditorialiste de la revue Éléments,  Alain de Benoist vient de rééditer, chez Pierre-Guillaume de Roux, dans une nouvelle version largement augmentée, son essai intitulé Au de là des droits de l'homme.

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    Alain de Benoist : Pourquoi Viktor Orbán veut une « démocratie non libérale »…

    Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, a récemment suscité un assez joli tollé en déclarant qu’il allait mettre en place une « démocratie » qui ne serait pas « libérale ». Les deux mots ne seraient donc pas synonymes ?

    Orbán, chef de file de la Fidesz (Union civique hongroise), a plus précisément déclaré que « jusqu’à présent, nous connaissions trois formes d’organisation étatique : l’État-nation, l’État libéral et l’État-providence », avant d’ajouter : « Le nouvel État que nous construisons en Hongrie n’est pas un État libéral, c’est un État non libéral. » Plus récemment, Orbán a précisé au journal allemand WirtschaftsWoche que les valeurs « occidentales », fondées sur les droits de l’homme, le libre-échangisme et l’État de droit, ont fait long feu. D’où ce concept de « démocratie non libérale » (illiberal democracy), théorisé dès 1997 par Fareed Zakaria dans un article de la revue Foreign Affairs qui avait fait grand bruit.

    Il ne faut pas s’en étonner. Aujourd’hui dominante dans les pays occidentaux, la démocratie libérale, parlementaire et (de moins en moins) représentative, n’est à bien des égards qu’un oxymore.

    La démocratie a pour principe l’égalité entre les citoyens, tous également appelés à participer aux affaires publiques. Le libéralisme affirme le primat d’un individu doté de droits hérités d’un état de nature prépolitique et présocial. La démocratie affirme la souveraineté du peuple. Le libéralisme ne reconnaît aux entités collectives aucun statut d’existence qui leur soit propre (« La société n’existe pas », disait Margarer Thatcher, elle n’est qu’une addition d’individus), place la souveraineté du marché au-dessus de la souveraineté politique et n’admet les décisions démocratiques qu’à la condition que celles-ci ne contredisent pas l’idéologie des droits de l’homme. La démocratie privilégie la politique, dont la vocation naturelle est de produire du commun (et du bien commun). Le libéralisme privilégie les choix individuels qui s’effectuent dans la sphère privée et se satisfait d’une vie sociale réglée par les seuls mécanismes impersonnels du contrat juridique et de l’échange marchand. Périclès définissait la démocratie quand il disait « qu’un homme ne se préoccupant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile ». Le libéralisme pense le contraire.

    Peut-on, dès lors, parler d’un « modèle hongrois », qui serait appelé à faire souche ?

    L’exemple hongrois s’est déjà révélé contagieux. En Pologne, le plus grand pays de l’ancien bloc de l’Est, où le parti Droit et justice (PIS) a remporté la majorité absolue aux législatives d’octobre 2015, l’ancien Premier ministre Jarosław Kaczyński a promis d’« amener Budapest à Varsovie ». La Croatie, avec l’Union démocratique croate (HDZ) et la Slovaquie (qui présidera à partir du 1er juillet l’Union européenne) se sont également dotées de gouvernements conservateurs de tendance « non libérale ». En Autriche, le FPÖ, qui a manqué d’un cheveu d’emporter la présidence le mois dernier, annonce la mise au point d’un « nouveau système politique typiquement autrichien ». Tout cela n’est pas très différent des orientations actuelles de la Russie, pays avec lequel Orbán entretient d’ailleurs (contrairement à la Pologne, qui ne veut pas se détourner de Washington) les meilleures relations.

    Il est absolument remarquable que ces anciens pays de l’Est qui, au lendemain de l’effondrement du système communiste, avaient cru que l’Occident libéral était un pays de cocagne, aient aussi rapidement déchanté au vu des réalités. Viktor Orbán en est un très bon exemple : ancien héros de la lutte contre le communisme, il a d’abord été lui-même libéral avant de rejeter le libéralisme et ses effets délétères, ce qui lui a permis d’être aisément réélu en 2014. Dans les pays du groupe de Visegrád (Tchéquie, Slovaquie, Pologne, Hongrie), où la lutte pour l’indépendance s’inscrit traditionnellement au cœur du mythe national, la crise des migrants n’a évidemment fait que renforcer cette tendance. Un axe fort se dessine ainsi dans une Europe centrale qui a décidé de tourner le dos à l’Union européenne pour liquider un quart de siècle d’héritage libéral postcommuniste. D’où l’indignation et l’inquiétude qui prévalent désormais dans les couloirs de la Commission de Bruxelles. Cette réorientation radicale des pays d’Europe centrale est un tournant historique dont on n’a pas encore pris la pleine mesure.

    En France, pourtant, le libéralisme ne paraît pas avoir si mauvaise presse, puisqu’à l’exception notable du Front national et du Front de gauche, la majorité de la classe politique s’en réclame ou feint de s’en réclamer.

    Selon le sondage publié tout récemment par le quotidien L’Opinion, c’est Emmanuel Macron qui « incarne le mieux les idées libérales » (35 %), loin devant Alain Juppé (23 %). La même enquête révèle que 69 % des Français n’aiment pas le mot « capitalisme », 60 % le mot « mondialisation », et que 53 % pensent qu’en matière économique, l’État devrait intervenir davantage. On a connu plus libéral ! Mais ces chiffres n’ont rien de surprenant non plus. Dans l’état de désespérance où ils se trouvent aujourd’hui, avec le sentiment d’exclusion politique et culturelle qui est le leur, les Français demandent avant tout de la protection. À un moment où le pouvoir d’achat des classes populaires est toujours plus menacé, tandis que les classes moyennes sont en voie de déclassement, ils s’inquiètent de l’avenir, voient monter le chômage et ont très bien compris que la « flexibilité » n’est que le cache-sexe de la précarité. Pas plus qu’ils ne veulent voir s’effacer les repères identitaires, ils ne veulent voir s’effondrer les fragiles acquis de l’État social.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 8 juin 2016)

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  • Faire la différence entre « la » politique et « le » politique…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question du politique...

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    Faire la différence entre « la » politique et « le » politique…

    « Faire de la politique », vaste histoire. Au fait, quelle définition donneriez-vous de la « politique » ? Action historique, entretien du « grand roman national » cher à Michelet, vision nationale et continentale à plus ou moins long terme ?

    L’immense majorité des gens qui s’intéressent à la politique n’ont pas la moindre idée de ce qu’est la politique. Il en va de même, malheureusement, de la plupart des hommes politiques. À l’ENA, on ne leur a pas appris la différence entre la politique et le politique. On leur a seulement parlé de régimes politiques, de pratique gouvernementale et de météorologie électorale. La plupart d’entre eux s’imaginent que la politique se réduit à une gestion administrative inspirée du management des grandes entreprises. C’est, là, confondre le gouvernement des hommes avec l’administration des choses, et croire qu’il faut s’en remettre à l’avis des techniciens et des experts. Dans une telle optique, il n’y aurait pour chaque problème politique qu’une seule solution optimale : « Il n’y a pas d’alternative » est un mot d’ordre typiquement impolitique. En politique, il y a toujours des alternatives parce qu’un même fait peut toujours être jugé différemment selon le contexte et les critères d’appréciation retenus.

    Une autre forme classique d’impolitique consiste à croire que les fins du politique peuvent être déterminées par des catégories qui lui sont étrangères – économiques, esthétiques ou morales par exemple. En réalité, chaque activité humaine a sa propre finalité, sa propre morale et ses propres moyens. Dire qu’il y a une essence du politique, c’est dire que la politique est une activité consubstantielle à l’existence humaine au seul motif que l’homme est, par nature, un animal politique et social, et que la société ne dérive pas, contrairement à ce qu’affirment les théoriciens du contrat, d’un « état de nature » prépolitique ou présocial.

    Dans son grand livre sur L’Essence du politique, Julien Freund a donné de la politique cette définition canonique : « Elle est l’activité sociale qui se propose d’assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d’une unité politique particulière en garantissant l’ordre au milieu de luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions et des intérêts. » Freund ajoute que, comme toute activité humaine, la politique possède des présupposés, c’est-à-dire des conditions constitutives qui font qu’elle est ce qu’elle est, et non pas autre chose. Freund en retient trois : la relation du commandement et de l’obéissance, la relation du public et du privé, enfin la relation de l’ami et de l’ennemi. Cette dernière relation est déterminante, car il n’y a de politique que là où il y a possibilité d’un ennemi. Si, comme le dit Clausewitz, la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens, c’est que le politique est intrinsèquement conflictuel. Il en résulte qu’un monde sans frontières serait un monde d’où le politique aurait disparu. C’est en ce sens qu’un État mondial est une absurdité.

    Il faut dire encore que la politique n’est pas un domaine, mais une dimension de la vie sociale. Qu’elle n’est pas une science gouvernée par la raison, mais un art gouverné par la prudence (phronèsis). Qu’elle s’appuie sur le droit mais ne s’y réduit pas, car le droit n’est pas porteur de contrainte. La politique, enfin, ne se fait pas avec de bonnes intentions, mais en sachant ne pas faire de choix politiquement malheureux. Agir moralement n’est pas la même chose qu’agir politiquement (vertu morale et vertu civique ne sont pas la même chose).

    Et la notion de bien commun ?

    Le bien commun n’est pas synonyme de l’intérêt général, c’est-à-dire de l’addition des intérêts particuliers. Dans l’expression, le mot qui compte est « commun ». Le bien commun, que Tocqueville appelait « bien de pays » (on trouve aussi chez Hobbes l’expression « bien du peuple »), est un bien dont chacun est appelé à bénéficier, mais qui ne peut faire l’objet d’un partage : on n’en jouit que parce qu’il est la chose de tous. La politique est le royaume du commun. C’est la raison pour laquelle le libéralisme est intrinsèquement négateur de l’essence du politique, puisqu’il ne connaît que des intérêts particuliers et assigne pour seule mission à l’État de garantir des droits individuels (la très libérale Margaret Thatcher prétendait que « la société n’existe pas »).

    Qu’on apprécie ou non sa vision politique, la dernière figure nationale à faire de la politique, depuis l’éviction de Montebourg et le départ annoncé de Jean-Luc Mélenchon, ne serait-elle pas Marine Le Pen ? Que vous inspire sa trajectoire ?

    Marine Le Pen est, à mon avis, une vraie femme politique. Sa volonté affirmée de se dégager du vieux clivage droite-gauche, ainsi que l’avait fait avant elle le général de Gaulle, me semble en être une preuve. Cela dit, on peut évidemment discuter de ses orientations et de ses choix. Pour l’heure, j’espère qu’elle a bien compris qu’en 2017, il est vital pour elle, non seulement d’accéder au second tour, mais de s’y retrouver face à un représentant de la majorité actuelle. Dans cette optique, son adversaire principal est évidemment l’UMP.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 septembre 2014)

     

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