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  • La ruse et la force...

    Les éditions Perrin viennent de publier un essai de Jean-Vincent Holeindre intitulé La ruse et la force - Une autre histoire de la stratégie. Docteur de l'EHESS, Jean-Vincent Holeindre est professeur de science politique à l'université de Poitiers et directeur scientifique de l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM). Il préside l'Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES).

     

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    " Au VIIIe siècle avant J.-C., Homère expose de manière frappante la dualité qui fonde la stratégie. Dans l'Iliade et l'Odyssée, le poète grec met en scène la guerre à travers deux personnages phares. Achille, héros de la force, est un soldat : son honneur est au-dessus de tout. Ulysse, héros de la ruse, est un stratège : seule la victoire compte. Cette opposition de la force et de la ruse structure dès l'origine l'histoire de la stratégie dans le monde occidental.
    Jusqu'à présent, la force a davantage attiré l'attention des historiens. La ruse apparaît rarement comme un élément majeur de la stratégie. Au contraire, elle fait figure de repoussoir et se présente comme l'apanage du faible ou de l'étranger. Cet « orientalisme » militaire et stratégique n'est pas recevable, parce qu'il ne reflète pas la réalité historique et se fait l'écho d'un discours idéologique. Il s'agit donc d'en finir avec cette lecture stéréotypée afin de comprendre ce que la stratégie, dans le monde occidental, doit à la ruse, en identifiant les moments clés de son histoire, des guerres antiques aux mouvements terroristes du XXIe siècle. Se déploie ainsi une histoire longue de la stratégie, dégagée des préjugés culturels et ethniques, qui met en scène, pour la première fois et de manière systématique, le dialogue ininterrompu de la ruse et de la force. "

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  • L’âme européenne est actuellement "en dormition", mais cela ne signifie pas qu’elle ait disparu...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-François Gautier au site Le Rouge & le Noir et consacré à l'âme européenne. Docteur en philosophie, essayiste, musicologue et historien des sciences, Jean-François Gautier collabore aux revues Éléments et Krisis et a récemment publié Le sens de l'histoire (Ellipses, 2013).

     

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    Jean-François Gautier : « L’âme européenne est actuellement ‘en dormition’, mais cela ne signifie pas qu’elle ait disparu »

    Le Rouge et le Noir : Votre intervention lors du colloque annuel de l’institut Iliade portera sur la pérennité de l’âme européenne. Comment définir, à l’heure où des vagues migratoires successives engendrent le « renouvellement » des populations autochtones, l’âme européenne ?

    Jean-François Gautier : L’âme, la psuchè intellective telle que l’entendaient Aristote et une part essentielle du néoplatonisme (que l’on qualifierait mieux de néo-artistotélisme), est une manière de mise en forme de la réalité, et surtout de la réalité spatiale, c’est-à-dire politique. Les Européens ont toujours distingué ce qui est de chez eux et ce qui est du dehors. Dans les cités helléniques, cela correspondait aux domaines d’Hestia et d’Hermès. L’imperium romain distinguait quant à lui les citoyens et les autres. Et la Déclaration de 1789 rappelle que la souveraineté « réside essentiellement dans la Nation ». L’âme européenne est ce qui donne forme et mouvement à une certaine manière de vivre, de dire le droit des gens et d’affronter le devenir sur un territoire donné. Elle est actuellement ‘en dormition’, comme disait notre ami Venner, mais cela ne signifie pas qu’elle ait disparu.

    Le Rouge et le Noir : Le terme de pérennité laisse sous-entendre une continuité dans le temps. Quel rôle joue le christianisme, présent en Europe depuis plus de 1500 ans, dans la continuité de l’âme européenne ?

    Jean-François Gautier : Il me semble nécessaire de distinguer deux réalités sociales et culturelles. D’un côté le christianisme proprement dit, qui relève d’une théologie monothéiste propre aux clercs et aux savants. Il a entretenu des relations souvent conflictuelles avec les institutions politiques, mais ces mêmes institutions se sont souvent servi de lui, et de son personnel, pour arbitrer des conflits purement politiques. Ce fut le cas en Angleterre lorsque l’Acte de suprématie de 1534 fit de Henry VIII le seul chef d’une Église devenue ‘anglicane’ sans changer quoi que ce soit à la théologie. Et il ne faut pas oublier, en France même, la première convocation des États généraux qui permit à Philippe IV, en janvier 1302, d’affirmer l’autonomie du pouvoir royal sur ses terres. Geste repris par Louis XIV avec la Déclaration de 1682 rédigée par Bossuet et consacrant une Église ‘gallicane’. Ce sont bien des problèmes de territorialisation des pouvoirs qui sont ici évoqués, tout comme ils le furent dans le très long conflit opposant la papauté et l’Empire germanique. Le christianisme en fut un révélateur efficace.

    D’un autre côté, moins directement politique, il a existé un catholicisme rural qui, quant à lui, était polylâtre, à cultes multiples, et magnifiait nombre de saints locaux, ceux des territoires paroissiaux. Il en subsiste encore des traces en Bretagne, en Irlande, en Espagne ou en Italie. Ce catholicisme-là a été le dernier conservatoire des ferveurs européennes traditionnelles, très éloignées des contenus monothéistes officiels. Le concile Vatican II a eu soin d’en limiter la portée, mais le facteur décisif de leur effacement a été celui des grandes vagues d’urbanisation de la seconde moitié du XX° siècle, avec un recul des pratiques religieuses qui a nui tout autant à l’entretien de l’âme européenne qu’au christianisme proprement dit.

    Le Rouge et le Noir : Pérennité suppose qu’il y ait eu transmission d’une psyché commune aux Européens par le passé. Or, nous faisons face à un phénomène de mondialisation abhorrant les frontières et assujetti à un besoin compulsif d’immédiateté, non inscrit dans l’horizon de la longue mémoire. Dans ce cadre, n’estimez-vous pas ce combat perdu d’avance ?

    Jean-François Gautier : La psuchè européenne ne se résume pas à un contenu, mais se dit de manières de vivre et d’organiser tant l’espace institutionnel que l’espace symbolique. Il y a là motif à variations multiples, régionales ou locales. Le premier support de cet agir européen, ce sont les langues. Les Européens ont en commun des langues à construction en sujet-verbe-complément. Tant qu’elles se maintiendront face au globish, elles porteront un potentiel d’indépendance et prépareront d’éventuelles révoltes, si celles-ci deviennent indispensables. Les Européens n’aiment pas être le complément de quoi que ce soit, ils préfèrent être les sujets de l’action, c’est-à-dire, chez eux, les maîtres de leur sort.

    Le Rouge et le Noir : Vous aviez évoqué par le passé que, pour l’Européen, la seule signification de l’histoire est son absence de sens. Conditionnant sa conduite, la perpétuelle construction constitue l’un de ses seuls exutoires. En quoi cette acception des choses diffère de l’immédiateté plébiscitée par une grande majorité de nos contemporains à l’heure actuelle ?

    Jean-François Gautier : C’est précisément parce que l’Histoire, pour les Européens, n’a pas de sens préalable qu’ils ont été portés vers les confins. De longues périodes de conquêtes, commencées à la Renaissance, ont pris fin du fait de la rotondité de la Terre : on ne refait pas deux fois le même tour du monde, pas plus qu’Ulysse n’entreprend deux fois son Odyssée. Les décolonisations ont marqué cet achèvement. Aujourd’hui, les peuples colonisés reprennent en sens inverse la Querelle de Valladolid de 1550 : puisque nous sommes comme vous, nous exigeons d’habiter chez vous, et tout de suite. C’est typique des peuples sans mémoire, mais néanmoins pourvus d’habitudes et de mœurs qui ne sont pas les nôtres. Ulysse rentrant à Ithaque découvrit des gens prêts à prendre sa place et à transformer Ithaque en Las Vegas, pour parler moderne. Ils n’ont pas duré bien longtemps. Ceux qui débarquent chez nous se persuadent qu’ici (ici, pas en Chine) on gagne à tout coup au casino de la Sécurité sociale, des allocations familiales et du logement. Nombre d’Européens emboîtent le pas. Mais le bandit manchot va se fatiguer, la première grande crise financière en sonnera le glas, de même que celui de la marchandisation transfrontalière. Alors, bien sûr, les apologistes de la fatigue de vivre et de l’impuissance à agir, tous les conservateurs modernes, ceux-là vont être déçus. Mais il y a, dans tous les pays européens, une jeunesse prête à inventer son devenir ailleurs que dans les salles de shoot. Leur enthousiasme sera d’autant plus irrésistible que la tâche sera immense.

    Le Rouge et le Noir : Aujourd’hui véhiculé à grand renfort de plaidoyers pour le vivre-ensemble, le cosmopolitisme érigé en vertu semble avoir remporté un combat – au moins sémantique. Dans cette perspective, quels moyens mettre en œuvre pour retrouver une identité européenne ?

    Il n’y a pas à retrouver une identité européenne perdue, mais seulement à continuer d’affirmer celle qui nous caractérise. Il faut se méfier des grands textes et des idéologies qui expliquent tout par avance. Mieux vaut regarder la réalité quotidienne, certes partielle, mais combien éloquente. Les Européens du centre ou de l’Est ont compris où les a menés l’asservissement à un sens préétabli de leur histoire. Ils n’ont aucune envie de réentendre la même leçon universalisante. Chez nous, où les idéologies égalitaires et marxisantes ont tenu les chaires universitaires et les relais médiatiques, la leçon n’est pas encore entendue. Mais il y a tout un peuple d’instituteurs et d’enseignants qui en ont assez de se faire insulter par des gamins, ou des policiers et des gendarmes qui ne supportent plus d’être rabroués à chaque coin de rue, des médecins et des pompiers qui ne veulent plus être caillassés. Il paraît que nombre de candidats aux prochaines élections présidentielles cherchent des programmes convaincants. Qu’ils ne cherchent pas trop loin. Imposer le retour de l’instruction élémentaire dans les écoles, et l’application du droit dans les territoires où il est bafoué, voilà de quoi remplir au moins deux quinquennats, avec réélection garantie. Le reste s’en suivra. Et si rien n’est fait en ce sens, il restera évidemment la rue. Ce n’est pas la perspective la plus enviable, d’autant moins engageante qu’elle serait doublée d’une perte des élites, dont une partie s’en irait vivre ailleurs. Mais tous les peuples européens ont connu, à un moment ou à un autre, des institutions qui les ont trahis. Ils n’ont pas disparu pour autant. Quant aux élites en partance, il faut se rappeler que l’armada d’artisans calvinistes chassée par la Révocation de l’édit de Nantes, en 1685, a initié ce qui est devenu l’industrie de la Prusse. Très mauvaise affaire pour la France, certes, mais pour l’Europe ? Il est possible que les Russes ou les Polonais, comme Frédéric-Guillaume Ier en Prusse, trouvent les termes d’une sorte de nouvel Acte de Tolérance accueillant les révoqués de l’Universel, chassés de France ou d’ailleurs par les caillasses des idéologues et de leur dogues. Un tel transfert nuirait certainement aux États, ou à ce qui en restera, mais pas à l’âme européenne. Avec toutes ses riches variantes, elle s’exprimait déjà sur les parois de nos grottes voilà trente mille ans. Nul ne peut la rayer d’un trait de plume. Pas même le mammouth laineux ou le rhinocéros à poils longs qui, eux, ont disparu de nos horizons.

    Jean-François Gautier, propos recueillis par Aloysia Biessy (Le Rouge & le Noir, 5 avril 2016)

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  • Le retour d'Ulysse...

    Les éditions Scorpion Press viennent de publier le texte d'une pièce de Michael Walker intitulée The Return of Odysseus. Editeur et talentueux animateur, jusqu'au début des années 2000, de la revue néo-droitiste anglaise The Scorpion, Michael Walker est déjà l'auteur de deux pièces, King et Hitler's Temptation.

    L'ouvrage est disponible à la commande sur Amazon.

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    " Can a civilization teetering on the edge of destruction be saved through the strength of will of a single individual?

    Can a culture be rescued by the faithful few, given inspiration by a powerful leader?

    Can a deliberate conspiracy be defeated through decisive action—even though the conspiracy appears to have already won?

    Can an individual who has already given up his cause as hopeless, be persuaded to return to the fray and win?

    All of these questions—and more—are addressed in this masterful adaptation of the last section of Homer’s classic work, “The Odyssey”, dealing with the final return of the long-lost King of Ithaca, Odysseus, to his homeland.

    As all familiar with the original story will know, in Odysseus’s absence following the Trojan War, his country Ithaca falls into anarchy with all manner of evil suitors seeking the hand of his wife—presumed to be a widow—in order to seize control of the kingdom.

    In this adaptation of that drama, Michael Walker takes its underlying premise—a king returning to his subverted realm—and weaves a suspense-filled tale involving characters present-day readers may recognise.

    Posited against the scenario of betrayal, fear and self-seeking, are the faithful few who have remained loyal to the missing king, hoping against hope that he will return and cleanse the nation.

    Is faith enough? Have they given up in the face of seemingly overwhelming numbers? Will they find the strength and courage to fight once again should the king return?

    Find out in the dramatic conclusion of this work, written in play format ready for stage presentation. "

     

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  • Préparer le réveil des fils d'Homère, d'Ulysse et de Pénélope !...

    A l'occasion de la sortie de son nouveau livre, Le Choc de l'histoire, publié aux éditions Via Romana, Dominique Venner a répondu aux questions de Laure Destrée, pour la Nouvelle Revue d'Histoire.

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    Dans un nouveau livre, Dominique Venner affirme que le monde, la France et l’Europe sont entrés dans une époque inédite. Le moment, dit-il, va venir pour les Européens de répondre à de mortels défis. À quelles conditions ?

    Propos recueillis par Laure Destrée.


    Laure Destrée : Le 15 septembre, on trouvera en librairie votre nouveau livre, Le Choc de l’Histoire, publié aux éditions Via Romana (1). Pourquoi avez-vous choisi ce titre et qu’annonce-t-il ?

    Dominique Venner : Le choc de l’histoire, nous le vivons sans le comprendre. Cela se passe souvent ainsi. C’est plus tard que l’on mesure la portée des changements. Bien d’autres époques avant la nôtre ont subi des chocs historiques et affronté d’immenses défis, telles les guerres médiques pour les Hellènes.

    Au cours des siècles « modernes » et contemporains, des chocs de grande ampleur ont été à l’origine de réactions qui ont marqué l’évolution des idées. Machiavel, par exemple, est né, si l’on peut dire, des troubles de Florence et de l’Italie à la fin du XVe siècle, Montaigne des guerres de Religion, Hobbes de la première révolution anglaise, Carl Schmitt du désastre européen et allemand consécutif au traité de Versailles (2), Samuel Huntington du monde nouveau postérieur à la guerre froide.

    LD : Comment se manifeste de nos jours ce nouveau choc de l’histoire ?

    DV : Quand d’anciennes croyances s’effondrent, c’est le signe d’un basculement historique. Je vais donner un exemple, offert par Jean Raspail. Avec sa prescience prophétique, l’écrivain a parfaitement exprimé l’une des ruptures en cours. Répondant aux questions d’un journaliste sur le succès de la réédition du Camp des Saints, il dit que, pour refouler les invasions d’immigrés, il faudrait se montrer ferme. Mais, ajoute-t-il, c’est impossible. Pourquoi ? «Parce que la charité chrétienne le défend. En quelque sorte, la charité chrétienne nous conduit au désastre !(3) » Et celui qui dit cela est un catholique. Il comprend soudain que, pour survivre, il faudrait mettre à l’écart un pan important de la culture chrétienne qui imprègne notre inconscient et nos comportements. C’est à ce genre de novations que l’on mesure un basculement historique.

    LD : Pouvez-vous détailler ce basculement ?

    DV : Depuis l’effrayant recul européen qui a suivi la Seconde Guerre mondiale – je dis bien effrayant -, depuis la disparition des souverainetés nationales, les Européens sont confrontés à un choc de l’histoire qui appelle des réponses neuves. On sait par exemple que l’hégémonie américaine a entrainé la mondialisation de l’économie au profit des requins de la finance et au détriment des peuples. À ce fléau, il faut ajouter les effets incalculables de l’immigration-invasion de l’Europe. On doit compter aussi avec la renaissance d’anciennes civilisations et d’anciennes puissances que l’on croyait mortes, ce qui transforme la physionomie du monde et pas seulement d’un point de vue géostratégique.

    LD : Quand vous parlez de l’Europe et des Européens, à quoi pensez-vous ? À l’Union européenne ?

    DV : Certainement pas. Je ne pense à aucune structure politique mais à notre civilisation multimillénaire, à notre identité, une certaine façon « européenne » de penser, de sentir et de vivre qui traverse le temps.

    LD : Jadis, on parlait de « la » civilisation par opposition à l’état primitif ou barbare. Mais vous utilisez le mot dans un autre sens ?

    DV : Aujourd’hui, « civilisation » est synonyme d’identité, de permanence. L’historien Fernand Braudel a donné de ce concept une définition que l’on peut citer : « Une civilisation est une continuité qui, lorsqu’elle change, même aussi profondément que peut l’impliquer une nouvelle religion, s’incorpore des valeurs anciennes qui survivent à travers elle et restent sa substance (4) ». Chaque mot est important dans cette définition. À la continuité des valeurs très anciennes qu’ils ont en propre, les hommes doivent d’être ce qu’ils sont.

    LD : L’islamologue René Marchand a écrit que les grandes civilisations ne sont pas des régions sur une planète, mais des planètes différentes. Cette image vous convient-elle ?

    DV : Elle me semble très pertinente. Tout comme la civilisation des Européens, celles de la Chine, de l’Inde, de l’Orient sémite et musulman, de l’Amérique indienne, sont d’origine immémoriale. Elles plongent souvent loin dans la Préhistoire. Elles reposent sur des traditions spécifiques qui traversent le temps sous des apparences changeantes. Elles sont faites de valeurs spirituelles qui structurent les comportements et nourrissent les représentations. Si, par exemple, la simple sexualité est universelle comme l’action de se nourrir, l’amour, lui, est différent dans chaque civilisation, comme est différente la représentation de la féminité, la gastronomie, l’architecture ou la musique. Ces traits sont les reflets d’une certaine morphologie de l’âme, transmise par atavisme autant que par acquis. On sait que l’influence de nouvelles religions peut modifier les représentations et les comportements. Mais l’atavisme d’un peuple transforme aussi les religions importées. Au Japon, par exemple, le bouddhisme a reçu un contenu martial qu’il n’a pas en Chine. On pourrait dire que chaque peuple a ses propres dieux qui viennent de lui-même et se survivent même quand ils semblent oubliés. Ce sont eux qui nous font ce que nous sommes, à nuls autres pareils. Ils sont la source de notre tradition pérenne, une façon unique d’être des femmes et des hommes devant la vie, la mort, l’amour, l’histoire, le destin. Sans la conscience de cette tradition, nous serions voués à n’être rien, à disparaître dans le chaos intérieur et dans celui d’un univers dominé par d’autres.

    LD : Vous avez parlé d’une « morphologie de l’âme transmise par atavisme autant que pas acquis ». Comment expliquez-vous que les Américains d’origine européenne aient rompu à ce point avec la tradition européenne pour édifier un nouveau monde qui lui est opposé ?

    DV : Je pense à une observation importante du géopoliticien autrichien Jordis von Lohausen (5). Il notait que des Allemands transplantés quelque part sur le continent européen, par exemple en Russie, restent toujours allemands, plusieurs siècles après avoir émigré. En revanche, une génération suffit pour que les Allemands émigrés aux Etats-Unis cessent de se sentir allemands et deviennent des Américains conformes aux autres. Cela soulève une rude question à laquelle on ne peut répondre en deux phrases. Cette question prouve en tout cas que tout ne dépend pas de la « race », comme on disait jadis. Les Américains venus d’Europe ont pourtant conservé les qualités « animales » de leurs origines : énergie, fougue entreprenante ou combattive, esprit inventif… Mais leurs « représentations » ont été transformées par leur transplantation dans le Nouveau Monde. C’est dû sans aucun doute au conformisme écrasant de la société américaine si bien décrit par Tocqueville. Le formatage des esprits est dû certainement aussi à l’imprégnation du rêve biblique des fondateurs qui ont transmis leur certitude d’être le nouveau « peuple « élu » chargé d’apporter au monde entier « l’esprit du capitalisme », pour reprendre la formulation de Max Weber (6). N’oublions pas que le commentaire quotidien de la Bible est obligatoire dans les écoles américaines, comme le serment au drapeau étoilé. Tout en évoluant, la « représentation » religieuse des fondateurs est devenue celle de la plupart des immigrants. Et cette religion politique implique de rompre avec toute la tradition européenne aristocratique et tragique.

    LD : Qu’en est-il ailleurs dans le monde ?

    DV : Ailleurs, les choses sont perçues de façon qu’imaginent rarement les Américains, pas plus d’ailleurs que les Européens. Pour faire comprendre cette réalité, je cite dans mon livre des témoignages tirés de l’expérience française. Par exemple celui de Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, ancien président du Conseil français du Culte musulman. L’islam, explique-t-il, est « à la fois une religion, une communauté, une loi et une civilisation. […] Ne sont pas seulement musulmans ceux qui pratiquent les cinq piliers de l’islam, mais tous ceux qui appartiennent à cet ensemble identitaire » (4). Le mot important est identitaire. Ainsi l’islam n’est-il pas seulement une religion. Il est même autre chose qu’une religion : « une communauté, une loi, une civilisation. » Quand on est imprégné de culture chrétienne, universaliste et individualiste, cela surprend. Pourtant, bien d’autres religions, même l’islam, comme je viens de le rappeler, ou le judaïsme, mais aussi l’hindouisme, le shintoïsme ou le confucianisme, ne sont pas seulement des religions au sens chrétien ou laïque du mot, c’est-à-dire une relation personnelle à Dieu, mais des identités, des lois, des communautés.

    LD : Cette perception nouvelle de l’identité pourrait-elle aider les Européens à se reconstruire ?

    DV : Oui, je pense qu’elle peut les aider à retrouver leurs liens identitaires forts, par-delà une religion personnelle ou son absence.

    LD : Quels liens ?

    DV : D’abord ceux d’une mémoire identitaire à réveiller. Des liens capables de les  armer moralement pour affronter la menace assez clairement dessinée de leur disparition dans le néant du grand brassage universel et de la « brasilisation ». De même que d’autres se reconnaissent fils de Shiva, de Mahomet, d’Abraham ou de Bouddha, ce n’est pas rien de se savoir fils et filles d’Homère, d’Ulysse et de Pénélope.

    LD : Dans un éditorial de La Nouvelle Revue d’Histoire, en janvier 2008, parodiant la formule célèbre de Maurras, «Politique d’abord», vous écriviez que, devant les  immenses changements de perspectives imposés par le choc de l’histoire, il faudrait plutôt dire désormais : « Mystique d’abord, politique ensuite ». Qu’est-ce que cela signifie ?

    DV : Cela signifie que les anciens critères de l’action politique telle qu’elle fut conduite en Europe jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ont été ruinés par la faute des Européens eux-mêmes, par leur démesure, sans compter les entreprises toxiques des nouvelles puissances hégémoniques, à commencer par les Etats-Unis d’Amérique. Quels que soient les mérites de l’action politique, ce n’est pas elle qui peut rendre aux Européens la conscience forte de ce qu’ils sont. Cette conscience de l’identité en tout, y compris en politique, appartient à l’ordre de la mystique ou de la croyance. Autrement dit, aucune action politique de haut niveau n’est concevable sans le préalable d’une mystique identitaire capable de la diriger. Ces réflexions sont au centre de ma pensée depuis très longtemps. J’en trace les lignes directrices dans le livre dont nous parlons.

    LD : Le choc de l’histoire se rapporte à des questions que vous étudiez depuis longtemps. Qu’est-ce qu’apporte votre nouveau livre ?

    DV : Ce livre constitue une synthèse, sous la forme originale et dynamique d’entretiens conduits par Pauline Lecomte (7). La perception des bouleversements historiques est au cœur de mes travaux et réflexions d’historien depuis longtemps. Elle inclut les relations entre religion et identité, continuité et renaissance des civilisations, conçues elles-mêmes comme l’expression spécifique de l’identité des peuples sur la longue durée. C’est ainsi que l’Europe, dans sa très longue histoire, avant même de porter son nom, a trouvé des réponses multiples, irriguées par une tradition qui a sa source dans les poèmes homériques, expression eux-mêmes d’un héritage indo-européen multimillénaire. 

     

    Notes :

    1. Dominique Venner, Le Choc de l’histoire, Editions Via Romana (www.via-romana.fr). Edition de luxe numérotée de 1 à 100 sur papier vergé de luxe, dédicacée par l’auteur : 39 €. Edition normale : 19,50 €.

    2. Carl Schmitt a perçu très tôt la réalité nouvelle de la disparition des souverainetés nationales et de la fin de l’ancien jus publicum europaeum en tant que limitation de la guerre entre les États, remplacé par le droit américain de la guerre illimitée et la criminalisation de l’ennemi. Il a conceptualisé cette nouveauté dès 1932 dans son étude La Notion de politique (Der Begriff des Politischen), traduction française préfacée par Julien Freund, avec en complément Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972.

    3. Propos publiés par L’Action française 2000 du 19 mai 2011, p. 16.

    4. Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969.

    5. Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance. La géopolitique aujourd’hui, Paris, Livre club du Labyrinthe, 1985.

    6. Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, (1920), traduction Paris, Plon, 1964.

    7. Propos rapportés par Le Figaro Magazine du samedi 29 juin 2002.

    8. Pauline Lecomte est l’auteur d’un essai, Le paradoxe vendéen, Paris, Albin Michel, 2004.

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