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turquie - Page 2

  • Quand les services secrets turcs investissent l’Europe...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Guillaume Perrier à Tigrane Yégavian pour évoquer l'implantation des réseaux islamo-nationalistes turcs en Europe. Guillaume Perrier vient de publier avec Laure Marchand une enquête sur le sujet intitulée Les loups aiment la brume - Enquête sur les opérations clandestines de la Turquie en Europe (Grasset, 2022).

     

    " Guillaume Perrier et Laure Marchand ont enquêté plusieurs années sur les opérations menées par les services secrets turcs en Europe. De Berlin à Bruxelles, d’Istanbul à Paris, il en ressort une action intense menée au service d’Erdogan. Enquête sur le MIT, ces loups redoutables qui aiment la brume.

    Ancien correspondant du Monde à Istanbul de 2004 à 2014, journaliste au Point et fin connaisseur de la Turquie, Guillaume Perrier cosigne avec Laure Marchand une enquête passionnante consacrée à l’activité des services secrets turcs en Europe occidentale et dans notre pays.

    Dans ce podcast, il s’entretient avec Tigrane Yégavian sur la nature des services secrets turcs, le tout puissant MIT et son mode opératoire en Europe occidentale. Il nous montre comment le territoire européen dans son ensemble apparaît comme un terrain d’action privilégié du président Erdogan qui peut s’appuyer sur ses militants, mais aussi des réseaux islamistes et ultranationalistes, les « Loups gris » et des groupes politico-criminels prêts à monter au front pour défendre la mère-patrie."

     

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  • Les loups aiment la brume...

    Les éditions Grasset viennent de publier une enquête de Laure Marchand et Guillaume Perrier intitulée Les loups aiment la brume - Enquête sur les opérations clandestines de la Turquie en Europe. Laure Marchand est journaliste indépendante et a été correspondante pendant dix ans en Turquie pour divers médias francophones. Guillaume Perrier, quant à lui, est journaliste au service international du Point et est l'auteur de plusieurs enquêtes sur la Turquie d'Erdogan.

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    " Depuis l'échec des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, Ankara et Bruxelles entretiennent des relations plus qu’ambiguës. Alternant crises diplomatiques et collaborations géopolitiques, ce sont deux visions du monde qui se jaugent et se toisent. Mais c’est à l’ombre de la scène médiatique, dans l’activisme souterrain de la Turquie et de ses cellules clandestines, que la vraie menace rôde. Comme le dit un proverbe turc, « les loups aiment la brume », et quand celle-ci se lève, elle laisse derrière elle, et chez nous, bien des énigmes et des cadavres…
    C’est pour percer l’opacité qui entoure ces agents de l’ombre et les activités des services de renseignement turcs - le redouté MIT – que les auteurs ont mené l’enquête. En Sicile. En Allemagne. En Suisse. En France, bien sûr, à Paris ou en province…
    Dans ce livre puissant, Laure Marchand et Guillaume Perrier ont remonté la piste des agents d'Erdogan. Le territoire européen dans son ensemble apparaît comme un terrain d'action privilégié et violent du président Erdogan. Le «  Reis  » peut compter sur ses militants, des réseaux islamistes et ultranationalistes, les « Loups gris » et des groupes politico-criminels prêts à monter au front pour défendre la mère-patrie. Mais avec la déliquescence du pouvoir turc et la crise de succession qui s'annonce, les loups s'entre-dévorent. Ce qui les rend encore plus dangereux pour les démocraties européennes… "

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  • Guerres d'influence...

    Les éditions Odile Jacob viennent de publier un essai de Frédéric Charillon intitulé Guerres d'influence - Les états à la conquête des esprits. Professeur des universités en science politique, Frédéric Charillon a dirigé l'institut de recherche stratégique de l'Ecole Militaire.

     

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    " Quoi de commun entre les panda kissers (les zélateurs de la politique chinoise), la « Poutine mania », les « réseaux » turcs ou qataris, la K-pop (musique pop coréenne), les fondations allemandes, les Instituts Confucius ou les programmes d’invitation « Young leaders » aux États-Unis ? Dans tous les cas, il s’agit d’afficher, de séduire, de convaincre, de trouver des relais, dans une stratégie d’État plus globale qui vise à conquérir les esprits.
    Car – c’est la thèse de ce livre – l’influence, et non plus la puissance, est la nouvelle clé pour déchiffrer le jeu des relations internationales. L’influence mobilise des ressources croissantes de la part des États. Elle leur permet de modifier le rapport de force mondial, de contrôler des pays tiers ou d’y prospérer sans entrave.
    On peut dénoncer ces stratégies d’influence comme autant de manipulations inacceptables, pointer du doigt leurs commanditaires, en particulier quand ils pratiquent la nuisance et l’intimidation. Mais elles sont devenues la norme géopolitique.
    La France et plus largement l’Europe sont-elles bien armées pour mener ces guerres d’un autre type ? "

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  • Le saut vers la haute intensité...

    La revue Conflits, dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque son quatorzième numéro hors-série consacré aux réflexions actuelles concernant les doctrines d'engagement des principales forces armées terrestres.

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    ÉDITORIAL

    Armée de terre : la grande inconnue, par Jean-Baptiste Noé

    EMPLOI DES FORCES

    Entretien avec le général d'armée Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de terre

    Le nouveau concept d'emploi des forces de l'armée de terre, par Olivier Entraygues

    PARTIE 1 Stratégie

    Les transformations de la guerre depuis la fin du XVIIIe siècle, par Pierre Santoni

    Les dilemmes de Tsahal, par Maximes Pérez

    La nécessité stratégique de l'interarmées, par Jérôme Pellistrandi

    Guerre future : quelles organisations tactiques pour combattre dans la profondeur ? , par Pierre Santoni

    L'armée brésilienne dans la lutte contre la criminalité, par Mauricio França

    La stratégie de contre-insurrection initiée par le capitaine Galula en Kabylie, par Gregor Mathias

    PARTIE 2 FRANCE

    Robotique terrestre : une réalité sur les champs de bataille, par Meriadec Raffray

    Pour le Battle Lab Terre, le risque peut être une opportunité, par Meriadec Raffray

    Cette réforme qui remet à l'honneur les spécificités du chef militaire, par Meriadec Raffray

    OPEX : vers la fin d'un cycle ouvert en 1991, par Alexis Feertchak

    Les grandes batailles à venir de l'armée de terre, par Jérôme Rivière

    Etat de l'industrie française de l'armement, par Jean-Marc Tanguy

    Panorama du matériel de l'armée française, par Jean-Marc Tanguy

    PARTIE 3 MONDE

    La guerre du Haut-Karabagh : quels enseignements pour la France ? , par Alban Wilfert

    Une révolution militaire chez Sa gracieuse Majesté, par Raphaël Chauvancy

    « Autonomie stratégique européenne » , un slogan très abstrait , par Hadrien Desuin

    L'armée russe : la gardienne de la « forteresse Russie » , par Igor Delanoë

    L'Afghanistan, les relations transatlantiques et l'avenir de la puissance américaine, par Paul Coyer

    Turquie : vers l'armée nouvelle ? L'après 15 juillet 2016, par Tancrède Josseran

     

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  • Diplomatie casquée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au retour du commerce des armes comme instrument de la diplomatie.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Diplomatie casquée

    Que nous dit de l’état de l’Europe et du monde la récente et très amicale rencontre Sanchez-Erdogan ? Les marins de la bataille de Lépante (1571) acceptent-ils le basculement espagnol du côté turc, la fourniture de porte-hélicoptères ou de sous-marins par les chantiers espagnols à la flotte turque ? Et, de leur côté, que pensent les Russes d’une alliance entre la Turquie et l’Ukraine qui se traduit entre autres par la livraison des fameux drones TB9 et Anka, ceux qui ont tant contribué à l’écrasante victoire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie au Nagorno-Karabakh, et qui pourraient donner aux Ukrainiens la bien mauvaise idée d’aller titiller les troupes russes massées de l’autre côté d’une incertaine frontière avec le Donbass ? Sans doute comprennent-ils bien l’intérêt du jeu turc, un coup à l’Est, un coup à l’Ouest, mais toujours en brandissant l’étendard de l’Islam, et toujours en quête de l’industrie des hélicoptères et des propulseurs navals que l’Ukraine a héritée de l’URSS…

    Le temps de la diplomatie armée est revenu. L’Union européenne a-t-elle les yeux ouverts sur une réalité qui a toujours été déterminante dans la structure du commerce international ? Les diplomates suivent les marchands d’armes, comme c’est le cas en Italie, au Qatar et ailleurs. Ou bien les marchands d’armes et les industriels suivent les directives de l’État, comme en France, en Russie ou en Espagne, où les chantiers navals sont 100 % propriété d’État… Et les grands contrats d’armement suivent ou précèdent les alliances, pour les concrétiser, pour les affermir, ou pour les renverser ; la France aura-t-elle tirée toutes les conclusions de l’affaire australienne, et de l’écart qui la sépare des « five eyes » ? Mais contrats d’armement et diplomatie se sont singulièrement rapprochés.

    Qu’il s’agisse des alliances en Méditerranée orientale, formidablement réarmée, avec d’un côté la Grèce, Chypre, l’Égypte et la France, de l’autre la Turquie, le Qatar, la Lybie, la Russie, avec Israël, les USA et la Chine en invités permanents. La montée en qualité et en quantité des armes est partout, qu’il s’agisse de la Grande-Bretagne et de son agressivité contre la Russie portée par diplomates, services et industriels de l’armement, avides de réarmer la Pologne avec les missiles fabriqués par MDBA GB venant compléter les Patriot américains, avec des bateaux fabriqués dans les chantiers britanniques pour l’Ukraine en Mer Noire, qu’il s’agisse d’une Allemagne qui risque de concourir encore plus à la subordination totale des industries de la défense et des exportations à l’OTAN, le constat est à une imbrication croissante de la politique et des contrats d’armement, et à des transformations d’alliance remarquables, spectaculaires et parfois déroutantes, la montée en puissance de la Turquie en Afrique, en Méditerranée et en Europe de l’Ouest n’étant pas la moindre.

    La plus spectaculaire est pourtant britannique. La Grande-Bretagne renoue avec des stratégies de la tension, de la division et de la zizanie qui lui sont familières. Finie la comédie de l’adhésion à l’Union européenne et du rattachement au continent eurasiatique, l’alliée des États-Unis en ajoute et en rajoute dans la provocation permanente à l’égard de la Russie et aussi de la Chine. Il suffit de lire les éditoriaux de The Economist pour s’en persuader ! Les colons qui ont pillé, corrompu et détruit l’Empire chinois ne pardonnent pas à ceux qui ont refait l’unité de la Chine et de Hong Kong. Les ennemis héréditaires de l’indépendance européenne et de la puissance continentale, qui ont toujours su diviser pour régner, ont un compte à régler avec l’Union européenne, encore plus avec une Union devenue allemande — pour une large part au service de la puissance et des intérêts industriels et commerciaux allemands.

    Tout le savoir-faire du pays qui a inventé la diplomatie européenne est à la manœuvre en Pologne, en Hongrie, en Roumanie et ailleurs. Avec trois objectifs manifestes, outre celui de montrer aux États-Unis à quel point l’Angleterre sera toujours prête à prendre le grand large et à combattre contre le continent. D’abord celui de diviser l’Europe, en utilisant la vieille tactique de la provocation ; pousser l’Union à réaffirmer le principe «  une Union toujours plus étroite », c’est tout simplement tôt ou tard la condamner à subir la réaction violente de peuples qui n’acceptent de se voir déposséder de leurs compétences que jusqu’à un certain point — et la Grande-Bretagne s’emploie à ce que ce point soit dépassé, par exemple sur les migrations, sur les mœurs, sur l’éducation.

    Ensuite, en sapant la politique allemande qui fait de la Russie, de la Chine et plus largement de l’Eurasie, ses partenaires commerciaux naturels, la source de ses excédents exceptionnels, et un champ d’expansion industriel, financier et aussi politique pratiquement sans limites — si les États-Unis ont eu leur Far West, l’Allemagne a son far east. Enfin, en développant sur le modèle américain un ensemble hétérogène, mais structuré de Fondations, d’ONG, de fonds d’investissement et de fonds de pension, d’entreprises, de sociétés de service, qui assurent à la Grande-Bretagne à la fois le contrôle de technologies décisives, l’information sur des entreprises clé, une vision en profondeur des flux commerciaux et financiers, et les moyens de manipuler l’information, d’orienter le débat public et de mobiliser les opinions publiques. L’histoire dira la part que Grande-Bretagne et USA jouent dans l’obsession militaire polonaise qui conduit à payer pour accueillir une base américaine, multiplier les achats d’armements — avec des fonds européens ? — et doubler les effectifs permanents de son armée, jusqu’à anticiper sur les plus chers désirs de l’OTAN.

    Elle dira la part d’intérêts marchands et de réalisme politique qui conduit à un surarmement de l’Ukraine, à un conditionnement permanent de la population de l’Ouest ukrainien, et aussi voire surtout de la diaspora ukrainienne aux États-Unis et au Canada, au point qu’à tout moment, une escalade est possible que seule, la placidité maîtrisée de l’ours russe laisserait sans sa conséquence légitime — une correction militaire que subiraient les forces ukrainiennes, les Britanniques envoyant comme ils savent bien le faire, en Syrie comme en Afghanistan, les autres se faire tuer à leur place.

    Une seule question l’emporte. Les armes sont-elles faites pour servir ? « Si vis pacem, para bellum » place sur toute réflexion sur ce sujet, et il est certain que l’équilibre des forces, c’est-à-dire l’incertitude sur l’issue d’un conflit, est le plus puissant facteur de paix qui soit. A deux conditions ; d’abord, que la décision soit celle d’acteurs rationnels, qui pèsent froidement les conséquences d’un conflit et acceptent que le prix à payer soit trop élevé pour être risqué, celle de dirigeants suffisamment forts pour ne pas se laisser emporter par des opinions publiques aisément manipulées. Ensuite, qu’aucun belligérant ne se laisse enfermer dans la position où il fera la guerre pour d’autres, enverra ses hommes et ses armes livrer une guerre que d’autres ne veulent pas risquer, et compter les morts que d’autres auront envoyé se faire tuer pour leur propre politique et leurs propres intérêts. Certaines des Nations de l’est européen, longtemps tributaires de l’Empire ottoman pour les unes, assujetties au Reich allemand ou à l’Empire russe puis soviétique pour d’autres, membres de l’Empire austro-hongrois pour d’autres encore, ou souvent les mêmes, ont une longue et tragique expérience d’une telle situation de dépendance stratégique, une expérience sacrificielle dont la Serbie comme la Pologne traînent les cicatrices.

    La situation actuelle suggère moins une réponse que d’autres interrogations. D’abord, celle de l’absolue primauté des intérêts nationaux et des logiques nationales. Seule face à la Turquie, la France a payé pour le savoir ; la diplomatie des armes reste nationale. En matière d’armements comme en matière de conduite de la guerre, et quelles que soient les prétentions de l’OTAN, les Nations demeurent, les Nations décident et les Nations poursuivent les intérêts qui leur sont propres, par des moyens qui leur sont propres. Quelle peut être l’utilité et quelles sont les compétences de l’Union dans ce domaine ? Question ouverte, et à laquelle nul ne répond.

    Ensuite, celle du contrôle des exportations d’armement. Non seulement l’Union européenne n’a rien entrepris pour protéger l’indépendance de ses industriels et combattre leur mise sous tutelle par le complexe américain auquel l’OTAN sert de faire-valoir, mais l’alignement atlantiste de la nouvelle coalition rouge-vert Allemande fait peser les plus graves menaces sur la capacité commerciale d’un des derniers secteurs industriels puissamment exportateurs de la France — ici encore, l’Union se trompe de combat ; lutter contre la règle « ITAR » et l’extraterritorialité du droit américain, plutôt que contre les capacités de ses industriels ! Enfin, le lien entre diplomatie, armement, et interventions directes.

    Le succès israélien dans ce domaine est largement lié à la présence sur le terrain, et sur le front, de « conseillers » et « d’experts » qui ne se contentent pas de démonstration dans les salons internationaux et de signature de contrats dans les bureaux, mais qui participent au déploiement, à l’adaptation et à la mise en œuvre des armes ou des systèmes d’arme qu’ils vendent. Inutile de dire que Russes et Américains, par des biais divers, savent accompagner leurs armes sans fausse pudeur. L’Union européenne se veut pleine de bonnes intentions, sans en prendre les moyens. Elle paralyse davantage les Nations européennes qu’elle ne les aide à développer leurs légitimes stratégies industrielles et militaires. Mais est-il dans son intérêt de refuser de voir cette réalité en face ; dans un XXIe siècle qui ne ressemble pas à ce qu’il devait être, la diplomatie suit les armes, et les armes font la diplomatie ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 22 novembre 2021)

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  • Face à la Turquie, la nécessité d'une stratégie géopolitique globale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christian Makarian cueilli sur Figaro Vox et consacré à la position de l'Union européenne face à la Turquie. Écrivain et journaliste, Christian Makarian est spécialiste des questions internationales et religieuses. Il a publié  Le choc Jésus-Mahomet (CNRS Éditions, 2011) et Généalogie de la catastrophe - Retrouver la sagesse face à l'imprévisible (Éditions du Cerf, 2020).

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    «L'Union européenne doit adopter une stratégie géopolitique globale vis-à-vis de la Turquie»

    Avec la maîtrise relative de la pandémie de Covid-19 en Europe et l'arrivée de l'été, saison plus propice aux déplacements de populations, le spectre de la question migratoire revient brusquement au-devant de l'actualité. C'était le sujet brûlant du sommet européen des 24 et 25 juin, dont il ne fallait pas attendre de grandes décisions mais qui est venu rappeler combien les grandes fractures du vieux continent contribuent à aggraver le problème.

    Si on a pu noter, au cours des derniers mois, une moindre circulation des flux migratoires en Méditerranée orientale, on constate en revanche une très forte augmentation en Méditerranée centrale et en Europe de l'est (des Balkans à la Lituanie). Durant les cinq premiers mois de 2021, on a dénombré 47.100 franchissements illégaux aux frontières extérieures de l'Union (chiffres Frontex), soit presque le double de la période équivalente de 2020, il est vrai caractérisée par l'irruption brutale de la pandémie et des échanges intercontinentaux. La situation totalement explosive qui caractérise depuis des années les camps de réfugiés en Libye, où l'on déplore de plus en plus de morts du fait des violences commises à l'intérieur de ces concentrations inhumaines, laisse augurer une montée inexorable des flux migratoires vers l'Europe. La cruauté de ce qui se passe en Libye constitue pour les migrants en souffrance une incitation définitive à traverser la Méditerranée fut-ce au péril de leur vie.

    Face à ce drame récurrent, aucune politique européenne coordonnée et solidaire n'existe réellement ; la proposition d'un «pacte global pour la migration», faite par la Commission en 2020, ne parvient pas à emporter l'adhésion des pays d'Europe centrale, particulièrement rétifs à la prise en charge de la part d'accueil et de financement qui leur incomberait.

    Dans ce contexte, la Grèce, notamment, fait une nouvelle fois figure de pays le plus vulnérable ; le mur d'acier en cours d'achèvement le long d'une partie de la frontière (200 km) qui sépare ce pays de la Turquie est le symbole criant de l'insuffisance accablante des mesures que l'UE a prises et accentue le besoin de celles qu'elle peine tant à prendre. Cette fortification ahurissante est prévue pour être dotée de tours d'observation munies de caméras, de dispositifs de vision nocturne et même d'un canon à bruit, dont le niveau sonore est supposé être insupportable aux oreilles humaines. Du reste, les refoulements de réfugiés qui ont lieu en Grèce, parfois violents, sont régulièrement dénoncés par Amnesty International. Mais comment oublier toutes les privations que la population grecque a elle-même subies depuis la crise financière de 2008? L'austérité, quand elle a atteint ce degré-là, se conjugue mal avec l'hospitalité.

    En réalité, la Grèce, montrée du doigt par les bonnes consciences, fait fonction de bouclier pour tout le reste d'un continent qui n'a pas envie de se salir les mains. D'une part, Athènes subit une énorme pression de la part de l'Union ; du reste, elle reçoit de Bruxelles des financements considérables pour réaliser sa grande muraille. D'autre part, les dirigeants grecs ont parallèlement fort à faire avec la Turquie, qui utilise l'arme des migrations pour poursuivre de tous autres objectifs résolument hostiles à la Grèce. Pour mémoire, en février 2020, le gouvernement turc avait soudain laissé plus de 15.000 migrants s'acheminer vers la Grèce du nord en provoquant une panique indescriptible qui avait contraint les autorités grecques à les repousser vigoureusement. De nombreux indices ont prouvé que l'opération avait été méthodiquement préparée par la Turquie. L'occasion a permis aux dirigeants turcs de tester la faible capacité de réaction de l'UE, d'amplifier la discorde existant entre les 27 et, surtout, de rappeler que le désordre serait total sans la fonction de «retenue» remplie par la Turquie. On a rarement assisté à un tel exemple de cynisme diplomatique sur le dos de milliers d'êtres humains aussi déshérités qu'instrumentalisés. Emmanuel Macron lui-même a résumé le danger lors d'une interview accordée à France 5, le 23 mars 2021: «Si vous dites du jour au lendemain: nous ne pouvons plus travailler avec vous, ils ouvrent les portes et vous avez 3 millions de réfugiés syriens qui arrivent en Europe.» De quoi confirmer l'efficacité des manœuvres d'intimidation organisées par Erdogan.

    Depuis l'accord migratoire conclu entre l'UE et Ankara, le 18 mars 2016, l'Europe est enserrée dans une relation paradoxale. Elle a besoin de manière irremplaçable de la Turquie, laquelle accueille 3,7 millions de réfugiés sur son sol, majoritairement en provenance de Syrie (mais pas seulement). C'est, selon l'ONU, un record mondial qui mérite sans doute que l'on dialogue courtoisement avec le dirigeant turc, Recep Tayyip Erdogan, avec tous les égards dus à un partenaire. Il n'y a aucun mal à reconnaître l'effort accompli par la Turquie et cela peut, ou doit, légitimement engendrer des compensations et des solidarités financières.

    L'Union européenne, conformément à l'accord du 18 mars 2016, aura bien versé l'intégralité des 6 milliards d'euros promis à la Turquie (plus précisément 4,1 milliards déboursés, 2 milliards à venir) ; mais les sommes ont été allouées à des organisations humanitaires. Les négociateurs turcs réclament depuis le début que cet argent soit directement attribué à l'État turc et prétend avoir dépensé jusqu'à 40 milliards pour les migrants présents sur son sol. D'autres demandes pressantes sont faites par Ankara (sur les visas pour les ressortissants turcs, sur la modernisation de l'accord douanier entre l'UE et la Turquie, sur l'évolution des conditions d'adhésion à l'Union)… En contrepartie, la Turquie n'a pas respecté la stricte équivalence (à laquelle elle s'était engagée par l'accord de 2016) entre le nombre de clandestins renvoyés par l'Union européenne et le nombre de réfugiés envoyés à partir du sol turc - la disproportion est flagrante.

    Mais, c'est tout le problème, le président turc va très au-delà de la question humanitaire ; il exploite le flux humain que son pays héberge sur son sol dans le cadre d'une stratégie globale de puissance. De sorte qu'on en arrive à tout lui passer au nom de la frayeur qu'inspirent ces flux de déshérités qui frappent à la porte de la riche Europe - alors même qu'Erdogan agit délibérément contre l'Europe sur d'autres fronts.

    Ce que l'Union voit comme une entente nécessaire, une forme de bon voisinage et d'intelligence mutuelle, Erdogan le conçoit comme une ligne de force pour obtenir bien davantage, selon de tout autres considérations ou sous de tout autres cieux. Un nouvel exemple de cette relation paradoxale a été encore fourni le 23 juin 2021, la veille même du jour où le Conseil européen s'est réuni à Bruxelles pour reconduire l'accord de 2016. Le ministre des Affaires étrangères turc se trouve alors à Berlin pour évoquer la situation en Libye ; la conférence réunit 16 pays et quatre organisations internationales pour convaincre «toutes les forces étrangères et les mercenaires» de «se retirer sans délai» de Libye afin de mettre fin à la déstabilisation qui ravage ce pays. La Turquie, qui est présente en Libye au terme d'un accord conclu avec les autorités de Tripoli, à la fois sous la forme de forces régulières (base aérienne d'Al-Watiya, bases navales de Misrata et de Khoms) et des groupes de mercenaires syriens qu'elle finance (environ 5.000 hommes aguerris) a tout fait pour écarter la moindre référence aux «forces étrangères», mention qui contrarie ses ambitions militaires. L'objectif d'Ankara était de cantonner le débat aux forces irrégulières pour pouvoir écarter toute éventualité d'un accord international portant sur le retrait des troupes régulières sur place. La Turquie n'a pas finalement obtenu gain de cause ; mais au cours des discussions les États-Unis ont clairement soutenu la partie turque, en grande partie pour contrer l'implantation des Russes en Libye (la Russie soutient en effet le camp du maréchal Haftar, maître de Benghazi, ennemi juré des hommes du clan pro-turc de Tripoli). Répétons-le: la situation en Libye n'est en rien déliée de la question migratoire, elle en est un des abcès les plus à vif.

    En réalité, depuis la rencontre entre Joe Biden et Recep Tayyip Erdogan, lors du dernier sommet de l'OTAN à Bruxelles, le 14 juin dernier, le président turc s'emploie à effectuer un nouveau virage sur l'aile. Durant les dernières années, il avait laissé les Occidentaux mesurer à quel point son glissement vers la Russie de Vladimir Poutine présentait des dangers potentiellement irréparables. Changement brusque de décor: après l'éviction de Donald Trump, ami précieux d'Erdogan, le leader turc n'a pas tardé à se rapprocher de Biden. Soutien à l'Ukraine (pour plaire aux Américains), cessation des attitudes agressives de la marine turque en Méditerranée orientale, accalmie et reprise des négociations avec la Grèce au sujet du contentieux maritime… Le pragmatique reis néo-ottoman parle maintenant de «nouvelle ère» entre Ankara et Washington, au-delà des différends qui opposent toujours les deux pays sur divers sujets (achat par Ankara du système de défense antiaérien russe S-400, soutien américain aux Kurdes de Syrie). Au point que Moscou s'inquiète désormais de cet épisode imprévu et que des signes de refroidissement apparaissent entre les deux complices ultra-autoritaires (notamment en Syrie, mais aussi en Libye).

    Il ne s'agit pas là d'une clarification: ceux qui songent au retour à l'alignement atlantiste qui était celui de la Turquie kémaliste de naguère ne seront pas exaucés. Erdogan continuera de jouer sur les deux tableaux, tantôt Washington, tantôt Moscou, au gré de ses intérêts évolutifs. Mais il existe un partenaire qui apparaît presque secondaire et qui aura du mal à suivre cette danse du ventre: l'Europe. Ce batelage permanent, cette manie de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, cette alternance de camouflets et de paroles mielleuses, de provocations offensantes et de faux rapprochements, forment une spécialité reconnue d'Erdogan. Pourquoi y renoncerait-il tant ce comportement lui a procuré des avantages tactiques et tout en forçant l'UE à le courtiser de nouveau?

    C'est sous cet angle, vraiment global, qu'il faut envisager la relation avec la Turquie. La question des migrations qui hante les consciences européennes s'inscrit, elle aussi, dans une dimension géopolitique sans laquelle on ne peut pas négocier équitablement avec Erdogan. On sait combien Angela Merkel est soucieuse de ne pas conclure son bilan politique, assez remarquable par ailleurs, sur une crise avec la Turquie. Or c'est bien moins l'obsession du consensus qui devrait guider l'UE qu'un sens aigu de ses intérêts stratégiques at large, ce qui appelle une vision beaucoup plus vaste et ambitieuse qu'un bras de fer grimaçant entre le visage mou qu'affiche Bruxelles et la mâchoire serrée qui caractérise Ankara.

    Christian Makarian (Figaro Vox, 25 juin 2021)

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