Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

système - Page 19

  • Sous le regard des barbares...

     Nous reproduisons ci-dessous un texte remarquable de Philippe Grasset, cueilli sur son site De Defensa et consacré à la barbarie post-moderne, promue par le système...

    Philippe Grasset a récemment publié La Grâce de l'Histoire (Mols, 2014).

     

    Djihadisme.jpg

    Sous le regard des barbares

    J’avoue que les scènes diverses dont nous ont accablé les vidéos tournés par les islamistes, ou pseudo-islamistes, du groupe ISIS ou pseudo-ISIS (ou EIIL) lancé à l’assaut de l’antique Bagdad passé à la tronçonneuse du très clean Petraeus, scènes en Irak ou bien en Syrie qui le sait, ces scènes d’exécutions sommaires de pauvres hères ligotés, aveuglés par un bandeau, à genoux et psalmodiant une phrase ou l’autre de contrition forcée, tout cela fait passer le frisson de la barbarie. C’est la barbarie même qui s’exprime, primaire, sauvage, furieuse quoiqu’habitée étrangement et terriblement d’une détermination sans faille. C’est l’évidence même et on ne peut se le dissimuler une seconde ; c’est-à-dire qu’aucun parti-pris, aucun engagement ne devraient le dissimuler, et, de même, aucun parti-pris ni aucun engagement ne devraient bénéficier de la condamnation et du dégoût qui viennent à l’esprit et soulèvent le cœur. Pourtant il y a à voir à cet égard... Nous débusquons le monstre-Système, assez aisément si l’on veut bien, par ce simple détail de sémantique : dans la description de la chose affreuse, le qualificatif de “médiéval” vient souvent sous la plume de tel ou tel commentateur devenu par contraste immensément vertueux, le plus souvent anglo-saxon et immensément civilisé, nous signifiant qu’il s’agit de pratiques d’un passé sombre et obscur. Aussitôt un voile se déchire car ce qualificatif-là, n’est-ce pas, c’est déjà prendre parti en nous disant qu’une telle barbarie est “médiévale”, qu’elle nous vient d’une autre époque, et que notre aujourd’hui, notre modernité dissolue dans notre postmodernité, ont repoussé ce spectre à jamais. Passons outre mais voyons voir, tout de même...

    Ainsi procède-t-on, par amalgame de l’image, du cliché, du lieu absolument commun. Ce qui ne cesse de me stupéfier, c’est à quel point les régiments de la postmodernité, les défenseurs du Système, sont quitte de toute réelle humanité dans la façon dont il profite de chaque ignominie atroce de leur temps (on verra quelques lignes plus loin), pour faire la promotion de leur temps. Ces gens, pauvres hères de l’esprit, sont totalement, c’est-à-dire d’une façon totalitaire en eux-mêmes, les serviteurs-esclaves du Système.

    Cela me conduit à ce jugement après avoir vu telle ou telle vidéo de tel ou tel islamiste vidant son chargeur de Kalachnikov dans le dos de ses prisonniers ligotés, bâillonnés, aveuglés et mis à genou : non seulement cet acte n’a aucune signification directe d’un point de vue général et symbolique, – c’est-à-dire qu’il ne condamne pas rétrospectivement le temps “médiéval”, – mais au contraire sa signification indirecte nous conduit à condamner leur temps, c’est-à-dire notre temps présent. La cause est simple, et vite entendue. On sait bien que cette barbarie soi-disant “médiévale” a été réveillée, ranimée, relancée, rééquipée, remise à neuf pour les besoins de la cause, je veux dire de leur cause dont on voudrait nous faire croire que c’est notre cause, – et plus encore, que c’est une cause, quelque chose qui mérite le nom de “cause” ... On sait bien par quels chemins tortueux et vicieux ont été rallumés les incendies artificiels des extrémismes religieux. (On se reportera à l’inoxydable Brzezinski, circa 1979, préparant le soulèvement afghan à grands coups de manœuvres de la CIA – voir le 31 juillet 2005.) Je conclus à ce point avant d’en venir à l’essentiel : cette barbarie primaire sur vidéo, passé le frisson qu’on a dit, n’amène en moi aucune considération générale directe, notamment concernant la soi-disant sauvagerie “médiévale” de retour parmi nous. Cette barbarie primaire, qui est un montage-Système de notre modernité-postmodernité, voulu par le Système, ne nous ramène pas au temps “médiéval” ; elle nous conduit au contraire directement dans notre temps de la modernité-postmodernité. L’exécuteur à la Kalachnikov, souscripteur d’un ISIS/EIIL couvert de dollars fraîchement imprimés par la Fed, doit tout à leur temps ; il est notre rejeton, notre héritage, notre monstre accouché de nous. Il nous désigne, il nous dénonce, immanquablement. Ainsi passons-nous, comme subrepticement, de leur barbarie primaire à notre barbarie intérieure.

    Effectivement, l’image ne ment pas, comme la plume qui en fait le commentaire ; elle est la marque indubitable de l’acte monstrueux, et ainsi la barbarie primaire des bourreaux allumés de ISIS/EIIL est absolument et indirectement enfantée par notre “barbarie intérieure”... L’expression utilisée vient du titre de l’essai de Jean-François Mattei, La barbarie intérieure, qui porte comme précieux sous-titre : Essai sur l’immonde moderne  (1), – et cela nous permet de passer à l’essentiel. Mattei définit ici et là, dans son essai, ce qu’il entend par “barbarie intérieure :

    « L’histoire de l’Europe, et plus tard du monde, montrera dès lors l’étrange cadeau d’une barbarie qui, vaincue par la civilisation qu’elle avait terrassée, s’est retrouvée transposée au cœur de la civilisation elle-même... [...] Tout s’est passé comme si la barbarie, sous l’influence du monde intérieur du christianisme, s’était progressivement défaite de sa violence extérieure pour se convertir en une cruauté, ou une insensibilité, intérieure. Après l’avènement du christianisme, le barbare, ce ne sera plus l’Autre, à l’extérieur du “limes” impérial, mais le civilisé Meme, à l’intérieur de la conscience...»

    Comme complément de cette citation pour définir la barbarie intérieure, qui est évidemment celle de l’indifférence du monde, la barbarie posée comme par défaut au-dedans de soi et qu’on cherche à écarter, comme on chasse une mouche agaçante dans le chef des terribles cruautés du monde, qui deviennent la transmutation et l’expression opérationnelle de notre propre cruauté intérieure, sans que nous nous en avisions, par indifférence tout cela, – on ajoutera cette observation de Robert Redeker (2) : «La domination de l’indifférence est l’une des grandes singularités de notre modernité tardive. Tout dans notre société concourt à fabriquer à échelle industrielle cet être sans souci que j’appelle l’indifférent. L’histoire – comme d’ailleurs les paysages, œuvre de dizaines de générations de paysans – n’est plus pour lui qu’un spectacle. Il n’est plus lié à l’histoire nationale et aux paysages par aucun lien charnel...»

    Cette barbarie intérieure de l’être indifférent, le “dernier homme” qu’annonçait Nietzsche, n’a pas de meilleur champ d’expérimentation aujourd’hui que l’Ukraine... (La piètre basse-cour de l’“histoire-tout-court” de notre temps métahistorique où se sont réfugiés la plupart ces sapiens n’est pas une simple image. Elle existe, en pleine agitation, aisément identifiable, sur une carte, selon des références bien déterminées, en latitude et longitude. Elle est bien un “champ d’expérimentation” actif, où le Système s’essaie à créer des nouveaux modes d’humanité, où leur bassesse peut s’étaler dans son “bourbier” selon le terme employé par Platon autant que par Plotin, pour rester dans cette veine sublime... Mattei encore : «L’image traditionnelle du “bourbier” [...] est récurrente chez Platon, du Phédon à La République, avant de devenir dans le néoplatonisme, en premier lieu chez Plotin. Mais Platon lui associe, dans un des textes fondateurs de sa philosophie, au septième livre de La République, le terme de “barbare”, indiquant par là que le fond de l’âme humaine, aussi opaque qu’un bourbier, est impropre à la lumière. La barbarie, – “la matière, le bloc, la fange, la géhenne”, murmure la Bouche d’Ombre chez Hugo, – se trouve ainsi dès l’origine liée au destin de l’âme dans la philosophie...»)

    Ce “champ d’expérimentation actif” de la barbarie, initié et opérationnalisé par le Système, se trouve bien en Ukraine aujourd’hui, parallèlement à l’Irak, mais d’une façon particulière et si spécifique que la chose mérite un développement spécifique et particulier. Le concept de “barbarie intérieure” y trouvera tous ses composants et toute son universalité, sa globalisation d’époque, de l’époque de la globalisation. On connaît, – je parle de ceux qui veulent connaître, question d’en faire l’effort, – la situation en Ukraine... L’armée ukrainienne et ses multiples appendices tordus, vicieux, mafieux et mercenaires, continue à pilonner les villes et les villages du Donbass, au nom d’un pouvoir qui est un rassemblement d’êtres dissolus et déstructurés, dont l’âme est “aussi opaque qu’un bourbier”, sans honneur ni parole, faisant assaut de mensonges inconscients et de vitupérations haineuses, tremblants de n’être pas assez du parti de la fange et de l’ombre pour satisfaire leurs maîtres dont ils ignorent qu’il n’y en a qu’un, – et qu’il se nomme le Système, la Bête tentaculaire.

    La vérité de la situation en Ukraine est suffisamment manifestée, attestée, ouverte à notre intelligence et à notre intuition par les moyens clandestins du système de la communication lorsqu’il est de bon usage par une résistance antiSystème. Nous avons tous les témoignages qu’il faut, par les outils triomphants de la communication de la modernité, ses vidéos, ses photos, ses témoignages, ses interviews, etc. Par conséquent, nous disposons de l’évidence d’une campagne dite “de terreur”, où la force qui en a la charge pilonne sans trop de risque les bâtiments civils, les institutions publiques, les appartements anonymes comme les hôpitaux, sans discrimination, presque avec une sorte de souci d’égalité. Je ne dis pas que c’est un carnage monstrueux, que c’est un génocide sans égal, parce qu’en vérité je n’en sais rien ; mais l’on peut aisément savoir, par un simple effort civique de recherche facile de la connaissance, qu’il s’agit de ce que je décris, d’une campagne de terreur contre des populations civiles.

    On comprendra, je l’espère avec ferveur, que ce n’est, de ma part, prendre parti en aucune façon. Je suis en-dehors de ce débat et je dirais même au-dessus, parce que j’estime que ce débat n’est pas le vrai, que la seule chose qui importe pour garder une certaine hauteur est d’identifier ce qui est antiSystème dans telle ou telle occurrence, dans autant de crises, d’incidents, d’affrontements, pour soutenir le phénomène le temps qui importe, dans ce qui devient pour un instant ou pour un moment sa lutte à mort contre le Système. Il n’y a donc rien de politique (encore moins d’idéologique) dans ce cas comme dans mon propos, d’aucun parti, d’aucune chapelle, rien du tout. Ce qui m’importe, dans l’occurrence décrite, c’est bien de débusquer le barbare fondamental, le barbare de notre barbarie intérieure... Et il se trouve justement, dans ce cas, que ce n’est pas le bidasse ukrainien, le tordu de Pravy Sektor ni le psychopathe d’Akademi (ex-Blackstone) ou l’agent un peu exalté d’un service polonais quelconque, tous ceux qu’on retrouve dans la campagne “anti-terroriste” de terreur. Le barbare intérieur, c’est nous, ici, dans nos pays.

    L’Ukraine est champ d’expérimentation à plus d’un titre, et il l’est précisément et particulièrement dans le champ du déni de la vérité d’une situation, par automatisme, par fermeture, par enfermement dans “la matière, le bloc, la fange, la géhenne”, – ce champ bienheureux de l’indifférence où l’on ne voit rien. Il s’agit donc bien de notre barbarie intérieure. Jusqu’à l’Ukraine-2014, il n’existait aucune occurrence où les communautés dites-civilisées, chez nous, dans cet Occident du monde abîmé dans son hybris, aient si manifestement, si extraordinairement et consciencieusement, mais aussi en toute inconscience je crois, si complètement ignoré ce qui se passe sous leur regard vide.

    On sait comment fonctionne notre système de la communication. Des événements font l’objet de toute son attention, pour telle ou telle raison qu’importe, d’autres sont complètement ignorés. L’Ukraine (ce qu’on désigne comme la “crise ukrainienne”, à partir de son premier paroxysme de février 2014) fait partie de la première catégorie. L’événement a donc été suivi, commenté, chargé d’intenses significations antagonistes, disséqué, disputé, etc. On connaît la musique, avec les affrontements de communication qui vont avec, les polémiques, les narrative, les montages, etc., d’une façon désormais connue entre les tenants du Système (la presse-Système et le reste) et la résistance antiSystème, tout cela à la lumière encore éclatante des précédents libyens et syriens. Mais avec l’Ukraine, il s’est passé quelque chose de singulier. A partir d’un certain moment, disons vers quelque part début-avril ou courant-avril, lorsque la crise s’est concentrée sur la campagne “anti-terroriste” lancée par Kiev contrer le Sud-Est du pays, tout a semblé se contracter, se replier, se refermer et se fermer ; les lumières se sont éteintes, du côté du Système, la salle s’est vidée, les portes se sont fermées, les cadenas ont claqué. A part quelques éclats ici ou là qu’il était difficile d’ignorer, quelque événement politique ou “militaire” plus imposant que les autres, tout s’est passé dans le paysage de la communication comme s’il n’y avait plus rien à voir, comme si l’animation furieuse de la crise et des affrontements s’était dissipée en un lendemain silencieux de fin de saison, puis transformée en une immobilité sans accident ni relief particulier. Soudain, en Ukraine, il n’y eut plus rien, ou tout comme.

    Je crois bien que c’est la première fois qu’un tel phénomène se produit, que le Système, sans doute lassé d’avoir à argumenter pour imposer sa narrative, peut-être craignant finalement de n’y pas parvenir, rompt brusquement en disant en toute simplicité : “voilà, c’est fini”. Je ne parle pas ici d’efficacité, d’une opération d’étouffement de la communication réussie, etc., car l’on sait bien que ce n’est pas le cas, que, dans tous les réseaux antiSystème, sous la plume des commentateurs du domaine, chez les résistants, leurs relais divers, au contraire la description et la dénonciation de la vérité de la situation se sont poursuivies et se poursuivent toujours. Je parle du Système et de ses gros moyens en général, et, par conséquent, de tous ceux qui le suivent et qui obtempèrent, en le sachant un peu ou en l’ignorant souvent, qu’importe. Tous ceux-là se sont brusquement fermés à la vérité du monde qu’ils discutaient et contestaient l’instant d’avant, ils l’ont écartée, ils lui ont tourné le dos avec une telle effronterie et une telle impudence, et une telle inconscience d’ailleurs, que l’on en reste coi. Certes, et encore une fois, ils n’ont pas réussi à anéantir cette vérité du monde, mais ce n’est nullement ce qu’il m’importe de montrer et je crois même que ce n’était pas leur but ... Ce qui m’importe ici, c’est bien la soudaine et éclatante démonstration de la barbarie intérieure qui les habite, qui est bien le caractère de notre temps, car cette ignorance soudaine, ce basculement dans l’indifférence, et cela quel que soit votre parti et le parti-pris, – voilà bien la parfaite illustration de ce que l’on nomme “barbarie intérieure”. Elle n’a pas les mains tachées de sang, cette barbarie, elle n’a pas le regard furieux du bourreau ni la Kalachnikov au canon fumant, mais à tout prendre on comprend que je dise qu’elle est beaucoup plus effrayante, qu’elle est d’une terrible horreur d’un degré au-delà et en-dessous. Cette barbarie intérieure est celle du regard vide et tourné vers soi, et encore plus vide de ce fait, celle des âmes désagrégées dans l’entropie du nihilisme.

    ... Par conséquent, ils ignorent, ces barbares intérieurs à eux-mêmes, que les événements se sont poursuivis et se poursuivent. D’ailleurs, est-il bien nécessaire de les en instruire ? Poser la question, n’est-ce pas, on croirait que c’est déjà y répondre. (Mon Dieu, combien est lourde cette sorte de quasi-certitude, combien nous attriste cette désagrégation, cet éparpillement d’eux-mêmes de nos contemporains, de nos compagnons égarés et leurrés.) ... Mais qu’y puis-je enfin, – toute cette aventure, toute cette quête épuisante et sublime, toutes ces vérités que nous devons affronter, toute ces angoisses que nous devons supporter et dont je connais la cause, tout cela est hors des standards de leur “histoire-tout-court”, de leur petite histoire ripolinée et blanchie par les maîtres-mandarins de nos établissements-Système qui réécrivent la vérité du monde. Tout cela est de l’ordre de la métahistoire, et il faut leur annoncer avec la précaution nécessaire qu’on prend pour les âmes fragiles et fangeuses, et déjà dissoutes, qu’ils ont déjà perdu et qu’ils doivent songer à changer de parti, comme ils font en général dans cette sorte de situation... (Car au fond ils ne sont pas mauvais, comme on le sait bien depuis Plotin, mais simplement trop faible pour échapper à l’attraction du Système, aux tentacules de la Matière déchaînée.)

    On leur dira également, et avec autant de précaution, que si l’on s’élève un peu l’air devient assez éclatant de lumière pour constater que les événements sont si rapides, si emportés et si fous, dans le tourbillon de l’histoire transformée en métahistoire, qu’à cet instant vous pouvez croire que tout est possible, jusqu’à l’effondrement du monde-Système, jusqu’à la Chute... Nous y sommes. Il faudra bien qu’ils nous y rejoignent.

    Philippe Grasset (De Defensa, 19 juin 2014)

    Notes

    1). La barbarie intérieure –Essai sur l’immonde moderne, de Jean-François Mattéi, Quadrige/PUF, Paris, 3ème édition 2006. (Première édition publiée en 1999. La troisième édition comporte notamment une “préface à la 3ème édition” inédite.)

    2). Déjà citées dans nos colonnes (le 14 juin 2014), ces déclarations de Robert Redeker sont extraites d’Eléments, avril-juin 2014.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • La publicité, arme de l'idéologie dominante...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la publicité... 

     

    alain de benoist,turbocapitalisme,hollande,taubira,révolution

     

     

    Le message publicitaire ? Le bonheur réside dans la consommation…

    La réclame a toujours existé, puisqu’un fabricant a besoin de faire savoir que ses produits existent ; mais cela semble être devenu une industrie à part entière. Le faire savoir compterait-il plus désormais que le savoir-faire ?

    Le problème ne tient pas à l’existence de ce qu’on appelait autrefois la« réclame ». Il tient à ce que la publicité envahit tout et mobilise les esprits dans des proportions dont les gens ne sont même pas conscients. Un enfant connaît aujourd’hui beaucoup plus de marques publicitaires qu’il ne connaît d’auteurs classiques. Les paysages urbains sont défigurés par des panneaux publicitaires qui prolifèrent comme des métastases. Les campagnes n’y échappent pas non plus. La télévision ne propose plus des programmes financés par la publicité, mais des messages publicitaires entrelardés de programmes qui ne sont là que pour inciter à regarder les premiers. Rappelez-vous les déclarations de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, en juillet 2004 : « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »Même chose dans la presse, puisque les principaux titres ne peuvent plus survivre qu’en accumulant les pages de publicité. Dans tous les cas, la publicité se voit dotée d’un pouvoir qui va bien au-delà du « faire savoir » – d’autant qu’elle n’est pas la dernière à véhiculer des images, des slogans (de plus en plus fréquemment proposés en anglais, d’ailleurs), des situations, des rapports sociaux, voire des types humains, qui sont en stricte consonance avec l’idéologie dominante. Autrefois, on parlait de propagande. Aujourd’hui, on parle de communication. La publicité est devenue la forme dominante de la communication (y compris, bien sûr, de la communication politique) dans la mesure où elle tend à s’instaurer comme la forme paradigmatique de tous les langages sociaux.

    Dans un entretien précédent, vous disiez considérer la publicité à la télévision comme infiniment plus obscène que n’importe quel film pornographique. Etait-ce une allusion à l’habitude des publicitaires de dénuder des femmes pour vendre des yaourts ou des voitures ? Ou bien vouliez-vous dire que le point commun de la publicité et de la pornographie est qu’elles suscitent l’une et l’autre de la frustration ?

    Ce qui est obscène ne se rapporte pas seulement à la sexualité, mais aussi à la morale sociale, à tout ce qui choque la « décence commune » chère à George Orwell. Étymologiquement, l’« ob-scène » est ce qui n’appartient pas à la scène, ou ne devrait pas lui appartenir. La publicité est obscène, non seulement parce qu’elle est mensongère (toutes les publicités sont mensongères), mais parce qu’elle véhicule implicitement un seul et unique message : le bonheur réside dans la consommation. La raison d’être de notre présence au monde est réduite à la valeur d’échange et à l’acte d’achat, c’est-à-dire à un acte performatif qui voue nécessairement à la frustration (car toute possession dans l’ordre de la quantité appelle nécessairement le désir de posséder plus encore). Jean Baudrillard l’avait bien montré dans ses travaux pionniers sur le système des objets : la publicité est le principal vecteur d’une logique inhérente au système capitaliste qui consiste, d’un côté, à persuader les individus qu’ils éprouvent réellement tous les besoins qu’on veut leur inculquer, et de l’autre à susciter en eux des désirs que la consommation ne peut satisfaire.

    Le pouvoir de la publicité est de faire oublier qu’un produit est issu avant tout d’un travail, c’est-à-dire d’un certain type de rapport social, et de le faire percevoir comme un simple objet consommable, c’est-à-dire une commodité. L’expérience économique réelle est remplacée par des signaux visuels inhérents à un message conçu en termes de séduction. En dernière analyse, l’individu ne consomme pas tant le produit qu’on l’incite à acheter que la signification de ce produit telle qu’elle est construite et projetée dans le discours publicitaire, ce qui l’infantilise et occulte la capacité du produit acheté à revêtir une véritable valeur d’usage. La publicité, enfin, contribue au conformisme social – et à un ordre social obéissant aux modèles diffusés par la mode – dans la mesure où elle se fonde sur une forme de désir purement mimétique : en cherchant à nous convaincre de consommer un produit au motif qu’il est consommé par (beaucoup) d’autres, la publicité nous dresse à calquer notre désir sur le désir des autres, en sorte qu’en fin de compte la consommation est toujours consommation du désir d’autrui. Conscience sous influence !

    De plus en plus de cinéastes – Ridley Scott au premier chef – viennent de la publicité. Simple effet du hasard ?

    Même les réalisateurs qui ne viennent pas de la publicité sont touchés. La porosité de la frontière entre la publicité et le cinéma n’a rien pour surprendre, puisque l’une et l’autre relèvent du système du spectacle, mais le plus caractéristique est que la publicité influe de plus en plus sur l’écriture cinématographique. De plus en plus de films destinés au grand public – et non des moindres – ressemblent à une suite de clips publicitaires, ces derniers étant d’ailleurs de plus en plus conçus eux-mêmes comme de très brefs courts-métrages.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 mai 2014)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • L'idéal de puissance...

    Vus pouvez découvrir ci-dessous une analyse passionnante de Philippe Grasset, infatigable animateur du site De Defensa, consacré à l'idéal de puissance comme forme de l'hybris du système...

    Philippe Grasset est l'auteur des essais intitulés Le Monde malade de l'Amérique (Chronique sociale - EVO, 1999), Chroniques de l'ébranlement (Mols, 2003), et de La grâce de l'Histoire (Mols, 2014).

     

    Lien permanent Catégories : Multimédia, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Le plus beau but est une passe...

    Les éditions Flammarion viennent de publier dans leur collection Climats un essai de Jean-Claude Michéa intitulé Le plus beau but est une passe. Philosophe, Jean-Claude Michéa est un de ceux qui ont produit au cours des quinze dernières années une des critiques les plus brillantes et les plus radicales du système, au travers d'essais comme Impasse Adam Smith (Flammarion, 2006), Le complexe d'Orphée (Flammarion, 2011) ou Les mystères de la gauche (Flammarion, 2013). Passionné de football, il a également écrit un essai consacré à ce sport et intitulé Les intellectuels, le peuple et le ballon rond (Flammarion, 1998).

     

     

    Ecrits sur le football.jpg

    " Le souci du beau jeu a progressivement cédé la place à l'idée jugée plus « réaliste » selon laquelle une équipe doit d'abord être organisée pour ne prendre aucun but. La nécessité de marquer des buts, elle, ne repose plus sur une culture spécifique et sur des phases construites et apprises à l'entraînement, mais seulement sur les erreurs de l'adversaire, sur l'exploit individuel et sur les coups de pieds arrêtés. C'est ce refus a priori de privilégier la construction du jeu qui explique que tant de matchs soient, de nos jours, si ennuyeux à regarder. Et pourtant, les admirateurs du beau jeu ne manquent pas, comme en témoigne l'auteur de ce livre, lequel doit son titre à l'une des répliques cultes du film de Ken Loach, Looking for Eric. Comme Eric Bishop (le working class hero du film) lui demandait quel était le plus beau but de sa carrière, Éric Cantona avait répondu : « Mon plus beau but ? C'était une passe ! » Boutade de génie, qui constitue assurément le plus bel hommage à ce passing game qui définit, depuis la fin du xixe siècle, l'essence même du football ouvrier et populaire, autrement dit, construit et tourné vers l'offensive. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Phobies en tous genres...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la façon dont le système s'attache à discréditer ses opposants en les présentant comme des malades...

     

    alain de benoist,turbocapitalisme,hollande,taubira,révolution

     

    Phobies en tout genre et points Godwin : l’État se défend comme il peut…

    Islamophobie, lepénophobie, judéophobie, homophobie, cathophobie et maintenant familiophobie… Le débat politique serait-il en train de passer de la traditionnelle confrontation d’idées à un bidule se situant entre salles d’urgence et cérémonie vaudou ?

    Certains de ces termes ne veulent pas dire grand-chose. D’autres se justifient : Pierre-André Taguieff n’a pas tort de parler de « judéophobie » plutôt que d’antisémitisme, terme de toute évidence mal construit (les Arabes sont aussi des Sémites). Mais c’est un fait que, de phobie en phobie, on passe à côté de l’essentiel. Il est tout simplement faux qu’une critique dirigée vers une idéologie ou une croyance quelconque, et par extension vers ceux qui se reconnaissent en elle, soit nécessairement l’expression d’une phobie, c’est-à-dire d’une détestation systématique et irraisonnée de tout ce qui s’y apparente. On peut critiquer l’islam sans être islamophobe (ni même islamistophobe), le christianisme sans être christianophobe, les catholiques sans être cathophobe, etc. La vérité oblige cependant à dire que l’attitude phobique se rencontre aussi. On la reconnaît sans peine à l’incapacité d’admettre la complexité du réel, de tenir compte des nuances ou de faire les distinctions nécessaires. Les islamologues de comptoir, qui traitent de l’islam comme d’un tout homogène et unitaire, citent (de seconde main) les sourates du Coran comme d’autres « experts » citent les Protocoles des Sages de Sion, et dénoncent leurs contradicteurs comme des « islamo-fellateurs », « lécheurs de babouche » et « dhimmis » en puissance, rentrent dans cette catégorie, qui relève moins de la politique que du trouble obsessionnel compulsif.

    Une phobie, c’est une peur irraisonnée, telle celle du vide ou des araignées. En serions-nous revenus au temps de l’URSS, quand les opposants étaient placés soit en hôpital psychiatrique, soit au Goulag ?

    Nonobstant ce que je viens de dire, il est évident qu’accuser systématiquement n’importe quel contradicteur d’être phobique de quelque chose n’est qu’une manière de disqualifier son argumentation, et donc d’éviter le débat. Un certain nombre d’opinions étant par ailleurs désormais considérées comme des « délits », l’exclusion de principe des présumés cinglés et des criminels en puissance permet d’assurer à la pensée unique le monopole de la parole légitime. Mais il ne faut pas oublier non plus que la phobie est avant tout un terme médical, et que le langage médical est l’une des langues préférées de l’État thérapeutique et hygiéniste. Je mettrai cette façon de faire en rapport avec la tendance de l’idéologie dominante à « psychologiser » les problèmes auxquels les individus sont confrontés. Afin de masquer les causes politiques et sociales des diverses misères qui frappent les citoyens, on cherche à les convaincre que leurs « difficultés » renvoient à une mauvaise gestion de leurs affects, et qu’il faut avant tout traiter leur « ressenti ». Le chômage engendré par les licenciements boursiers renvoie ainsi, non au cynisme des patrons du CAC 40, mais à des « problèmes d’existence » qui trouvent leur source dans le fait de s’être mal orientés dans la vie. En d’autres termes, on reconvertit sous l’angle de la psychologie individuelle des réalités qui relèvent tout simplement de la politique, quand ce n’est pas de la lutte de classes.

    Cette intrusion sémantique médicale a été précédée par des incantations relevant de l’ordre moral. « Mieux vaut perdre les élections que de perdre son âme », assurait le repris de justice Michel Noir. Du coup, on se demande qui est fou et qui ne l’est pas. Et, pis que tout, qui est en train de le devenir…

    Au sens de la métaphore, la « folie » peut prendre bien des formes. Ce qui frappe dans les débats actuels, c’est la façon dont la moindre polémique entraîne maintenant une surenchère dans la montée aux extrêmes. La quenelle devient un « salut nazi inversé », le grand écrivain Richard Millet est décrété « pire que Hitler », les opposants au mariage gay sont réputés véhiculer des idées « nauséabondes » (comme si les idées avaient une odeur !), et Le Nouvel Observateur peut publier une photo d’Éric Zemmour pour illustrer une première page sobrement titrée « La haine ». L’excommunication mémorielle va de pair avec l’éternel retour des « années trente », et la distribution tous azimuts des points Godwin. On a l’impression qu’une grande partie de la nouvelle classe politico-médiatique est effectivement devenue folle au sens clinique du terme. Ces gens-là deviennent fous parce qu’ils ne sont plus en mesure d’analyser le moment historique où nous sommes, parce qu’ils n’ont plus que des références intellectuelles obsolètes, parce qu’ils ne sont plus producteurs ni de socialité ni de véritable culture. Et surtout parce qu’ils sont sur la défensive. Terrorisés à l’idée de perdre leurs positions, leurs jetons de présence et leurs privilèges, ils deviennent fous parce qu’ils savent qu’ils ont le dos au mur. C’est pour cela qu’ils traitent d’extrémistes, de fascistes et de nazis tout ceux qui les contredisent. N’ayant plus d’arguments, ils se raccrochent désespérément à ces termes qui s’usent chaque jour un peu plus – et d’autant plus vite qu’ils en font plus usage. Il y a quelque chose de tristement pathétique dans ce spectacle. Plus ils donnent dans l’hystérie, plus ils scient la branche sur laquelle ils campent. La fin d’un monde.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 mars 2014)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Ne manquez pas les Bobards d'or !...

    Bobards d'or.jpg

    La cérémonie des Bobards d’or se tiendra le mardi 11 mars 2014 à 20h00 Salle Athènes-Services, 8 rue d’Athènes 75009 Paris

    Désormais bien établie dans le paysage de la réinformation, cette cérémonie satirique distingue les journalistes les plus habiles à désinformer pour servir le Système. Et cette année 2013 a été chargée ! De nouvelles catégories ont d’ailleurs été créées, l’imagination des médias pour donner une version partiale de la vérité étant sans limite.

    Le Bobard républicain (à venir) par exemple, fait quasiment l’unanimité chez les bobardeurs professionnels ! Il s’agit, dans un réflexe pavlovien de protection du Système, de s’alarmer d’un retour de la bête immonde, no-pasaran-ventre-encore-fécond-qui-rappelle-les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, et d’en profiter pour, ni vu ni connu, maquiller la réalité afin de lui donner une moue de circonstance : digne, concernée, grave, républicaine… légendaire… bidon !

    Découvrez également le Bobard complice (à venir), une coproduction de politiques et de journalistes. Les derniers filent un coup de main aux premiers pour diffuser leur propagande, quitte à tricher avec la vérité un peu… beaucoup… passionnément…

    Ou encore le Bobard Diafoirus, car dans le domaine médical nos journalistes mentent par conflit d’intérêts, par paresse, quand ce n’est pas par omission, oubliant alors leur devoir de donner tous les points de vue et non seulement ceux du Système.

    Découvrez toutes les autres catégories et les ficelles des candidats pour installer ce totalitarisme doux, dont les mensonges répétés finissent par s’imposer dans les esprits et dictent les politiques de droite, comme de gauche sur le site des Bobards d'or.

     

    Lien permanent Catégories : Décryptage, Infos 0 commentaire Pin it!