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  • La civilisation du spectacle...

    Les éditions Gallimard viennent de publier un essai de Mario Vargas Llosa intitulé La civilisation du spectacle. Romancier et essayiste sud-américain, prix Nobel de littérature en 2010, Mario Vargas Llosa a notamment publié La guerre de la fin du monde (1981) et Le rêve du Celte (2010).

     

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    " La culture contemporaine a connu une métamorphose et plus rien, semble-t-il, ne résiste à cette dénaturation, voire à cet effacement de sa valeur. La banalisation des arts et des lettres, le triomphe de la presse people et la frivolité des politiques sont, pour Mario Vargas Llosa, les symptômes d'un mal supérieur : la sacralisation du divertissement comme but ultime de l'existence dans nos sociétés. Alors que, naguère, la culture était un outil de formation et portait une exigence de lucidité, aujourd'hui la primauté du spectacle est devenue la règle qui conduit à la distraction, au sens propre, de toute conscience morale, intellectuelle et politique. Nous vivons l'époque des fausses icônes, des denrées périssables de l'esprit, de la forfaiture morale, en un mot, de l'aveuglement. Mario Vargas Llosa, nobélisé pour avoir proposé une "cartographie des structures du pouvoir", tire la sonnette d'alarme et fait ici le procès de notre époque - futile, volage, suicidaire. Il revendique, une fois de plus, le droit à une culture autre qui, plutôt que de nous imposer de nouvelles servitudes, nous rende plus libres. "

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  • Du rôle de l'état...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue Patrice-Hans Perrier, cueilli sur De Defensa, animé par Philippe Grasset, et consacré au phénomène de la dissolution de l'état...

     

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    Du rôle de l'état

    Tentative d’explication du phénomène de la dissolution de l’état

    L’état, pour ce qu’il en reste en 2015, constitue l’appareil de représentation des intérêts en jeu au sein de la cité. À l’époque de la Grèce antique, la Polis désignait une communauté de citoyens libres et autonomes. Par-delà les débats entourant la notion équivoque de liberté, c’est l’autonomie politique qui nous interpelle avant tout.

    Le communautarisme, ce cancer des sociétés postmodernes occidentales, agit comme un dissolvant qui prive les citoyens d’une réelle autonomie. La joute qui oppose les avatars communautaires et la représentation étatique corrode toute notion de patriotisme. Derrière les avatars du communautarisme se profile une lutte de «tous contre tous», dans un contexte où la politique des lobbies (et autres obédiences) pervertit les échanges au sein d’une agora ressemblant à une place boursière.

    Voilà ce qui explique pourquoi nos états sont corrompus jusqu’à la moelle. Les politiques, acteurs cooptés par le monde du spectacle, sont élus par des minorités agissantes sur la base de fausses promesses qui ne seront jamais tenues au final. Le jeu politique consiste en une médiation entre l’ordre économique et les intérêts réels des citoyens. Cette médiation a pour but d’apaiser les craintes exprimées par les citoyens à propos de la violence vécue au quotidien.

    De citoyens à simples payeurs de taxes

    Les citoyens sont des payeurs de taxes, donc les pourvoyeurs d’un immense fond d’investissement qui profite à cette bienveillante «main invisible du marché» qui dicte l’agenda politique. Une partie des subsides de l’état sert à l’entretien d’infrastructures qui permettent aux «forces du marché» de mener à bien leurs entreprises. Une autre partie est ponctionnée au profit de «l’intérêt sur la dette». Finalement, ce qui reste est attribué aux instruments de contrôle, de répression et d’endoctrinement de la populace. Puisqu’il faut bien le dire : la citoyenneté est morte, c’est le peuple des consommateurs qui est convié à assister, en toute impuissance, à la joute politique consacrée par l’appareil médiatique.

    La politique, médiation des intérêts en lice au sein de la Polis, est tombée en désuétude. Le «monde du spectacle» a pris le relais comme médiation obligée entre les représentants de la populace et les véritables tenants du pouvoir. La médiation ne concerne plus l’équilibrage des intérêts des citoyens, elle s’apparente plutôt à une mise-au-foyer des icônes de la représentation. Voilà pourquoi nous vivons dans un monde iconoclaste et c’est, par voie de conséquence, ce qui explique pourquoi le pouvoir de la rente mobilise ses activistes stipendiés pour avilir ou détruire certaines icônes représentant l’ordre ancien.

    Les marchands du temple

    Qu’il nous soit permis de rappeler à nos lecteurs que la médiation au sein de la Polis se joue sur la valeur marchande des échanges, non plus à partir d’une verticalité ontologique. Le Veau d’or, pourtant conspué dans la Bible, a retrouvé sa place à New-York, Babylone des temps modernes. Et, ses vestales sont les opérateurs de transactions boursières qui ressemblent de plus en plus à des incantations qui échappent aux citoyens.

    Ce changement d’allégeance explique la frénésie actuelle des élites aux commandes pour ce qui est de permuter les valeurs symboliques, dans un contexte où la «liberté d’expression» est, plus que jamais, à géométrie variable. Puisque, ne l’oublions pas, c’est la sphère marchande qui dicte l’ordre moral. Plus que jamais les ministères à vocation éducative, culturelle, ou qui s’occupent du monde de la communication, se voient investis d’une mission capitale pour le capital. Il s’agit de neutraliser tous les relais de la représentation pour que la mémoire collective soit harnachée en fonction de ce fameux «narratif» de service.

    L’histoire est prise en otage par les prescripteurs embauchés par le «monde du spectacle». Le monde de la «politique spectaculaire». Plus que jamais, les vainqueurs réécrivent l’histoire à leur avantage et, bien avant qu’un événement ne se produise, il convient d’afficher le récit officiel qui finira par s’imposer de lui-même. La sphère politique est comparable à un prétoire à l’intérieur duquel les représentants du grand capital font semblant de … nous représenter.

    La corruption et la vertu

    L’état serait, toujours de l’avis de nos habiles prescripteurs, cet arbitre impartial qui a pour mandat de faire en sorte que les «affaires de la cité» soient menées au bénéfice du plus grand nombre. Justement, le plus grand nombre désigne cette masse protéiforme qui se déplace en fonction des flux monétaires qui détruisent certains marchés économiques pour en reconstruire d’autres. Sous d’autres latitudes et en fonction d’agendas géopolitiques qui satisfont aux desideratas de la nouvelle gouvernance mondialiste.

    Il s’agit de satisfaire aux caprices (travestis en aspirations) du plus grand nombre à l’intérieur d’un grand «marché maximus» s’adaptant aux objectifs de la rente. C’est ce qui explique pourquoi les anciennes vertus ont cédé la place aux vices de la surconsommation à outrance. Et, à défaut de denrées et services en espèces trébuchantes, il restera toujours de l’information à consommer. Comme l’explique Guy Debord dans son essai «La Société du Spectacle», le spectacle de la consommation se suffit à lui-même et les consommateurs sont assujettis à un ordre marchand qui édicte une doxa que nul ne peut contester.

    Le procès de la consommation fonctionne comme une concaténation qui se nourrit, inexorablement, de corruption et de prébendes. La «rectitude politique» réclame toujours plus de vertu, d’intentions vertueuses; alors que les « forces du marché » tablent sur la corruption totalitaire à tous les échelons du spectacle ambiant. La corruption permet d’accélérer le processus de liquidation des «places fortes» de nos antiques démocraties mourantes. Le modus operandi est simple : il suffit d’acheter des dirigeants et des politiques, de les corrompre et de les remplacer par de nouveaux acteurs. Cette machination a été calquée sur le modèle du «star system» hollywoodien.

    Le pouvoir est corruptible

    Les lobbies, et autres obédiences qui oeuvrent en sous-main, s’accaparent la meilleure part du gâteau. Il s’agit de faire adopter divers agendas qui constituent les pierres d’un édifice qui nous embastillera tous, de manière inexorable. L’agenda consiste à laisser pourrir de l’intérieur l’état et tous ses relais : de l’entretien des infrastructures jusqu’à l’éducation nationale, en passant par la défense nationale. De toutes manières, les partenariats public-privé (PPP) ont déjà pris le relais.

    Ainsi, le plus simplement du monde, les écoles et les prisons sont privatisées, les multinationales des grands travaux publics et des infrastructures de l’eau ont été mis dans le coup et, jusqu’aux ministères de la défense qui doivent sous-contracter des mercenaires (de type Blackwater ) afin d’assurer la projection militaires sur certains terrains d’opération. De grands groupes d’actuaires (KPMG et consorts) viennent auditionner les comptes courants de nos gouvernements, en attendant que les agences de notation privées ne décident de faire plonger dans le rouge la cote financière des états qui refusent de s’aligner sur les politiques du jour.

    La société liquide

    La pression du grand capital a fini par faire éclater les digues qui protégeaient la cité. Les flux financiers se déplacent de manière instantanée grâce à la numérisation des transactions. Le monde de la finance impose sont ubiquité à tous les relais du pouvoir et les agences de notation donnent le «la».

     

    Les grands prêtres de la finance ont décidé quand et comment il fallait mettre en place des sanctions économiques contre la Russie. Ensuite, ils ont concocté les montages financiers destinés à armer la junte au pouvoir en Ukraine. Puis, les agences de notation ont abaissé la note de crédit souverain de la Russie … les dirigeants russes ont rétorqué par l’entremise du premier ministre russe Dimitri Medvedev que «l’abaissement de la notation d’un pays constitue un élément politique pur et dur». En fait, les dirigeants russes ont très bien compris que la politique internationale se décide sur les places financières de la cité virtuelle par excellence : la City.

    Outre le fait que les dirigeants russes ne désirent plus transiger en utilisant les pétrodollars, c’est leur entêtement à vouloir conserver une direction politique qui choque les milieux financiers. Contrairement à leurs alliés chinois, les parlementaires russes refusent de laisser les places sacrées de leur Polis être souillées par les incantations des grands prêtres de la finance.

    La politique internationale est, désormais, au service de la haute finance qui, en dernier ressort, exécute les desseins d’une caste de grands prêtres aux commandes. Les religions antédiluviennes refusent de céder la place. La Grèce antique avait façonné le logos. La Chrétienté mettra de l’avant la charité. De cette alliance historique naîtra la civilisation européenne.

    Une société liquide vient de leur succéder. L’indifférenciation constitue une des pierres d’assise du nouveau contrat social. Tout doit pouvoir s’échanger de manière fluide et sans contraintes politiques. Voilà pourquoi la politique fonctionne comme une entreprise de relations publiques totalement assujettie aux marchés financiers.

    Le traité transatlantique (TAFTA), qui devrait être adopté en 2015, si tout va bien, poursuivra l’œuvre de laminage entreprise par l’Union européenne. De la sorte, une poignée de puissants conglomérats pourra dicter sa loi aux états moribonds situés de part et d’autre de l’Atlantique. Tous les Council on Foreign Relations (FCR) et les Round Table de ce monde n’auront servi qu’à aplanir les divergences émanant de nos gouvernement tenus en otage. Pour que le «langage machine» des opérateurs financiers finisse par remplacer la dialectique d’une «rectitude politique» qui ne sert plus à rien au bout du compte. Le compte y est.

     

    Patrice-Hans Perrier (De Defensa, 11 mars 2015)

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  • Le spectacle de l'insignifiance...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le sociologue Jean-Pierre Le Goff au Figaro et consacré à la désacralisation du pouvoir politique. On lira, en particulier, avec intérêt la conclusion...

     

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    Jean-Pierre Le Goff : «Scandales, révélations... Nous assistons au spectacle de l'insignifiance»

    FigaroVox : Dans quelle mesure le livre de Valérie Trierweiler dégrade-t-il la politique?

    Jean-Pierre Le Goff : Ce livre n'est pas seulement le déballage et la revanche d'une femme humiliée. L'auteur du livre a participé aux côtés du Président de la République aux cérémonies officielles ; elle a occupé pendant quelque temps une fonction à l'Élysée qui dépasse sa personne privée. Ce livre dévoile et met en question les comportements du chef de l'État qui n'est pas un individu comme tout le monde, mais il incarne et représente le pays à travers sa fonction. Qu'ils le veuillent ou non, les deux protagonistes ont un statut particulier qui les distingue des citoyens ordinaires. C'est cette dimension symbolique essentielle à la représentation qui est déniée quand on veut en faire une simple affaire privée de règlement de comptes au sein d'un couple qui s'est séparé, comme on en voit beaucoup aujourd'hui. Ce déni et l'irresponsabilité politique qui l'accompagne sont symptomatiques d'un individualisme nouveau en politique pour qui le rapport à l'institution, les contraintes et les sacrifices qu'implique le service de l'État et du pays ne vont plus de soi. Après la publication des photos de l'escapade de François Hollande à scooter dans Closer, la publication de ce livre est un nouveau coup porté à l'autorité politique, au plus haut sommet de l'État, dans un moment particulièrement critique marqué par une crise politique et l'impuissance face au chômage de masse, sans compter les effets délétères sur l'image de la France dans le monde.

    La proximité qu'affichent les politiques avec «les vrais gens» n'est-elle pas la cause profonde de ce genre d'événements?

    Jean-Pierre Le Goff : Cet événement s'inscrit dans un processus d'érosion de la dimension transcendante de l'État et de dévalorisation de la représentation politique auquel les hommes politiques ont participé. Ils portent une responsabilité particulière, à gauche comme à droite, dans la mesure où beaucoup ont voulu donner à tout prix une image d'eux-mêmes qui soit celle de tout un chacun. Après les années gaulliennes et ce qu'on a appelé la «monarchie républicaine», le rapprochement entre l'État et la société a marqué une nouvelle étape démocratique. Les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard, d'Estaing puis celles de Mitterrand et de Chirac ont développé un nouveau lien entre gouvernants et gouvernés, tout en maintenant, tant bien que mal, la distance nécessaire. Mais très vite, avec le déclin du sens historique et de l'institution, beaucoup d'hommes politiques ont fait du surf sur les évolutions sociétales problématiques en espérant en tirer quelques profits électoraux. Dès les années 1980-1990, on a vu apparaître sur les plateaux de télévision le mélange des genres entre des animateurs de télévision plus ou moins drôles, des personnalités du show-biz et des politiques cherchant une notoriété à bon compte, au risque de l'insignifiance et du ridicule. Certains hommes politiques se sont mis à la chansonnette, racontant leur vie ou faisant visiter par le menu leur appartement devant les caméras. À la même époque, les premières émissions de déballage psychologique en direct ont vu le jour, avec une nouvelle catégorie d'animateurs-psychologues au style décontracté. Les chaines du service public ont suivi.

     

     

    La campagne de 2007 fut une étape décisive?

    La campagne présidentielle de 2007 a franchi une nouvelle étape en faisant apparaître une génération d'hommes et de femmes politiques élevés et éduqués dans une nouvelle époque marquée par l'érosion des repères symboliques de l'autorité et l'«ère du vide» des années 1980. Cette génération a poussé plus loin la volonté d'être à tout prix «proche des vrais gens», en faisant valoir le thème de la souffrance et une subjectivité quelque peu débridée dans le domaine sentimental comme dans les autres. Durant la campagne pour l'élection à la plus haute fonction de l'État, les démêlés sentimentaux de Nicolas Sarkozy et ceux de Ségolène Royal ont donné lieu à un feuilleton politico-médiatique comme on n'en avait encore jamais vu. Dans l'émission de télévision «Saga», la candidate a demandé François Hollande en mariage, sans du reste que le principal intéressé ait été mis préalablement au courant. En pleine soirée électorale du second tour des législatives, la «séparation du couple Hollande-Royal» a constitué un «événement» que les journalistes ont cru bon de mettre en avant face à des hommes politiques traditionnels visiblement décontenancés. Quelques années plus tard, en 2008, on assistera à une opération semblable dans un autre domaine, quand Raymond Domenech tentera de masquer sa responsabilité dans l'échec de l'équipe de France de Football, en faisant sa demande en mariage en direct à la télévision.

     

     

    Le nouveau style politique s'est développé dans les années suivantes avec un ministre de l'intérieur qui reçoit torse nu des journalistes en pratiquant des jugements à l'emporte pièce sur ses «amis» politiques, un président de la République qui grimpe les marches de l'Élysée en tenue de jogger, déclare tout bonnement qu'«avec Clara, c'est du sérieux», ou encore un président qui se veut «normal» en prenant le train comme tout le monde, trompant sa compagne et s'éclipsant discrètement de l'Élysée à scooter pour retrouver sa nouvelle conquête… La «normalité» s'étend désormais au nouvel état des mœurs.

    À force de se présenter comme des hommes ordinaires, les femmes et les hommes politiques dévalorisent eux-mêmes leur rôle et leur fonction. Le discours politique officiel tend désormais à s'aligner sur un «franc parler» qui fait fi de la syntaxe ; on parle mal mais comme tout le monde ; les femmes et les hommes politiques font volontiers la bise et appellent chacun par son prénom. Nous sommes arrivés au paroxysme de cette évolution.

    Quel rôle joue l'information continue et les réseaux sociaux dans ce bouleversement?

    Jean-Pierre Le Goff : Ils y participent pleinement et l'accélèrent en lui donnant un plus large écho, créant une sorte de bulle médiatique et communicationnelle au sein de laquelle les individus et les politiques peuvent perdre le sens du réel, s'enfermer dans un entre soi coupé d'une bonne partie de la société, avec l'illusion de peser sur les événements et la réalité quand on les a beaucoup commentés et que l'on a exprimé son «ressenti». Là aussi, les politiques ont une responsabilité particulière quand ils cherchent à se faire valoir dans les médias par quelques formules chocs ou quand ils twittent à la moindre occasion. Quand on en arrive à interdire l'usage des smartphones lors des conseils des ministres, on ne peut s'empêcher de penser aux classes turbulentes d'adolescents avec leur portables que les enseignants confisquent pendant les cours… Comme les nouvelles technologies de l'information, les évolutions des mentalités et des comportement s'accélèrent: l'important est d'en être et d'apparaître à tout prix moderne, au risque de faire basculer la politique vers la «peopolisation» et le spectacle de l'insignifiance, au moment même où la crise s'aggrave et où les foyers de guerre se développent dans le monde. Le modernisme à tout prix est aussi une «politique de l'autruche».

    En quoi publication du livre Valérie Trierweiler est elle révélatrice d'un certain état de la société?

    Jean-Pierre Le Goff : Cette nouvelle «affaire» est en même temps révélatrice d'un éthos dégradé et du désarroi d'une partie de la société. Elle révèle un nouvel individualisme autocentré qui a le plus grand mal à s'oublier, à contenir et à transcender ses affects, pour se consacrer à une fonction ou une œuvre impliquant engagement dans la durée, dévouement et sacrifices. Les déchirements de l'ancien couple présidentiel et les aventures amoureuses d'un président en scooter reflètent une situation qui paraît banale, à l'heure des «liaisons extraconjugales» et des familles dite «recomposées», alors qu'elles sont décomposées et donnent lieu à de multiples conflits et déchirements dont les enfants sont les premières victimes.

     

    Les rapports amoureux sont marqués par ce narcissisme pour qui l'amour est synonyme d'une état fusionnel permanent qui, à la moindre déception ou contradiction, peut se retourner en ressentiment ou en haine. L'érosion globale du mariage, avec ce qu'il implique d'engagement public dans la durée aux yeux des autres, est pareillement symptomatique du développement d'une mentalité adolescente ou post-adolescente pour qui la liberté signifie refus de la limite, maintien de choix en suspens. En tout cas, le non mariage offre l'avantage d'un engagement temporaire et révisable, incluant la possibilité d'une infidélité qui peut paraître banale, alors qu'il n'en est rien. Toute une presse people, féministe et psychologique, s'en délecte et en tire profit.

    L'éditeur a prévu un tirage exceptionnel d'un livre dont la promotion médiatique est assurée d'avance, à l'heure d'un désir de «transparence» à tout prix qui fait sauter les barrières entre vie publique et vie privée, et pratique la délation. Le spectacle télévisuel, y compris sur les chaînes publiques, la «télé-réalité», internet et les selfies mettent en scène des individus narcissiques qui n'hésitent pas à afficher leurs aventures amoureuses et des «secrets d'alcôve» qui relevaient antérieurement d'une littérature de gare. Le grand déballage médiatique du couple Trierweiler/Hollande a les allures d'un mauvais feuilleton ou d'une série de télévision qui n'en finit pas, chaque nouvel épisode voyant ses antihéros s'enfoncer un peu plus dans le méli-mélo et le règlement de compte.

    Sommes nous, selon vous, au terme d'un cycle politique?

    Jean-Pierre Le Goff : Une partie de la société a déserté mentalement le champ politique et ce qu'on appelle l' «affaire Trierweiler» creuse en peu plus le fossé avec une partie de la classe politique et médiatique qui vit dans un monde à part, en ayant tendance à se prendre pour le centre du monde. Au sein de la société, existe un phénomène de «ras le bol» et de rejet de cette surmédiatisation et de ce milieu qui vit un circuit fermé. L'effet de résonnance médiatique ne saurait faire oublier les forces vives du pays qui demeurent ancrés dans le réel, se passionnent pour leur activité, ont le souci des autres et de leur pays. C'est de ce côté-là que résident le renouveau et non du côté des «m'as-tu vu» qui étalent leur image et leur rancœur à tout va.

    On ne saurait désespérer de la politique dans un pays qui est le fruit d'une longue histoire marquée par l'attachement à la puissance publique et à la capacité de la politique à changer le cours des choses. Mais encore faut-il que les politiques cessent de flirter avec un nouvel air du temps problématique et une «réactivité» à tout crin. Le pays disposent encore d'hommes et de femmes politiques qui ont gardé le sens de l'État et de l'«intérêt supérieur» du pays. Aux compétences nécessaires, s'ajoute un charisme indispensable à la fonction politique. Ces qualités ne se sont pas données à tout le monde ; elles ont un caractère aristocratique (au sens grec, premier du terme, qui signifie le pouvoir des «meilleurs») ou élitaire par le type de vertu qu'elles exigent et qui peut apparaître hors du commun. Si l'on ne reviendra pas à un ancien modèle autoritaire et hautain, la crise dans laquelle le pays est plongé implique de telles exigences, faute de quoi le pays sombrera un peu plus dans une démocratie informe et le morcellement. Le délitement n'en «finit pas de finir»… Il est temps de passer à une nouvelle étape de notre histoire.

    Jean-Pierre Le Goff (Figarovox, 5 septembre 2014)

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  • L'accumulation primitive de la noirceur...

    Les éditions Allia  viennent de publier L'accumulation primitive de la noirceur , un recueil de nouvelles de Bruce Bégout. Philosophe, maître de conférences à l’université de Bordeaux, Bruce Bégout a publié plusieurs essais, dont Zéropolis : L’expérience de Las Vegas (Allia, 2002), De la décence ordinaire (Allia, 2008) et Suburbia (Inculte, 2013) ainsi qu'une fable dystopique intitulé Le Park (Allia, 2010).

     

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    " «Au fond du salon de thé encalminé dans une pénombre brune d'ambiances surannées où de vieilles rombières, tannées comme des peaux de bête ayant connu les alternances éprouvantes des hivers rudes et des étés caniculaires, font goûter à leur kiki le thé au lait qu'elles ont commandé et que ledit kiki lape avec une indifférence narquoise qui fait peine à voir, estompant dans un nuage blanc les contours de sa gueule stupide d'être sans esprit, Kate Moss feuillette un magazine de mode : l'exhibition sereine de la fausse conscience.»
    Révéler ce que l'extraordinaire a d'ordinaire : voici ce qui relierait les nouvelles de ce recueil. Chacune s'attache à des personnages singuliers, souvent seuls et désarmés, aux prises avec l'époque dans ce qu'elle a de plus excessif et de violent. Portraits de maniaques, de désaxés, d'originaux qui luttent contre "le dispositif", ainsi qu'ils nomment la combinaison d'airain de la marchandise, de la technologie et du spectacle. Bruce Bégout procède à l'inverse du film d'horreur : il désigne ce que l'insane lui-même a d'ordinaire. D'où les situations paradoxales ici mises en scène. Dans Signes particuliers : néant, un architecte conçoit, à la solde de l'État, un édifice destiné à aider les gens à se suicider. Dans Le Compteur des féminicides, suite à une injonction ministérielle, un homme dénombre les femmes tuées dans les séries, films ou vidéos. Certaines nouvelles nous plongent dans le malaise quand d'autres flirtent avec le fantastique. Bégout invente ici un ton, qu'il qualifie de "post-gothique". Dans ces récits, l'effroi, le mal, la terreur n'expriment pas seulement la fragilité psychologique des personnages face aux forces des ténèbres, mais aussi le potentiel de nuisance de l'époque. Ses vampires prennent la forme d'appareils, de produits, d'architectures mais aussi de représentations sociales, d'injonctions et de tics de langage. Bruce Bégout traque les démons non pas dans les châteaux hantés, les ruines, les églises, les forêts et les cimetières mais dans les parkings, les centres commerciaux, les banlieues pavillonnaires, la suburbia mondiale. Mais qu'en est-il de la résistance, volontaire ou non, de ces personnages dans le contexte morbide qui les broie ? Bégout manie l'humour noir, qui peut parfois triompher du réel. La raison reprendra-t-elle néanmoins ses droits ? Parviendra-t-elle à expliquer la part de fiction et de non-sens qui régit le quotidien ? "
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  • Une société du hold-up ?...

    "Avec les hold-up financiers, l’on assiste à une inversion totale de polarité. En l’espèce, ce n’est plus un citoyen qui braque une banque, mais la banque qui braque l’ensemble des citoyens. Et, alors que le hold-up traditionnel était illégal, et pouvait être à certains égards - et c’est ainsi que le présente le cinéma - légitime, le hold-up des financiers en est la parfaite image inversée. Totalement légal - puisque ce sont les acteurs du système financier qui édictent leurs propres règles sous le regard approbateur de l’Etat - mais illégitime, car les seuls à en payer le prix sont les citoyens. Si le braqueur à l’ancienne était hors la loi, les braqueurs de la finance sont confortablement installés au-dessus des lois. Cyniques et iniques, favorisant leur caste, les banques se comportent en Robin des Bois à rebours : elles volent les pauvres pour donner aux riches." 


    Les éditions Mille et une nuits viennent de publier un essai de Paul Vacca intitulé La société du hold-up. Philosophe de formation, Paul vacca est scénariste et essayiste.

     

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    "Le hold-up, forme illégale d’appropriation apparue aux États-Unis au lendemain de l’Indépendance, raconte depuis deux siècles notre société capitaliste.
    Autrefois, en marge, magnifié par le cinéma – aux temps héroïques des ennemis publics nº 1 et des « casses du siècle » –, il se posait en défi au capitalisme, refusant ses règles. 
    Aujourd’hui, c’est au cœur même de la machine capitaliste que le hold-up prospère : dans les banques où les « déréglementeurs » engrangent profits par millions ; dans les entreprises, où les adeptes de la disruption braquent les marchés pour se constituer en monopoles, à l’instar d’Apple, de Google ou de Facebook ; ou dans l’industrie du spectacle et de l’information qui se repaît de blockbusters et de buzz… Devenu paradigme absolu, il tend à régir notre société mondialisée où tout se vit dans l’immédiateté. Désormais chacun rêve de « faire son coup » pour se mettre à l’abri de la précarité…
    Paul Vacca explore avec originalité cette histoire jalonnée de faits divers, de films et de crises et décrypte, exemples à l’appui, la montée inexorable de la logique de hold-up dans notre société."

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  • L'homme superflu ?...

    Les éditions Le Passager clandestin viennent de publier L'homme superflu - Théorie politique de la crise en cours, un essai de Patrick Vassort. Universitaire, l'auteur dirige la revue transdisciplinaire Illusio.

     

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    "Le monde capitaliste est engagé désormais dans ce qui risque d'être la plus importante et la plus longue de ses crises. Non pas que sa dimension économique soit inattendue ou plus violente que les précédentes, mais bien parce que celle-ci touche désormais au fondement même de la vie humaine, de la vie en société et du système capitaliste. C'est à partir de ce postulat que Patrick Vassort revisite, dans cet ouvrage, les théories althussériennes sur les appareils idéologiques d'Etat pour montrer leur obsolescence et leur transmutation en ce qu'il nomme " Appareils stratégiques capitalistes ". Ainsi les appareils classiquement désignés comme idéologiques (école, famille, religion, syndicats, etc.) ont subi des transformations sociales et politiques, la vitesse et l'accélération devenant les outils centraux de la formation des individus dans toutes les formes de compétitions mondialisées. Ces appareils idéologiques, devenus des appareils stratégiques de " mise en conformité " des populations mondiales, font disparaître la complexité, l'altérité et écrasent les différentiations culturelles et historiques. Ils mettent entre parenthèses l'humanité de l'homme dans toute sa diversité universelle faisant de celui-ci l'appendice du développement accéléré des techno-sciences au service de la productivité capitalistique. C'est au travers de la structuration de ces appareils que le monde capitaliste touche à sa contradiction ultime qui le mène à la crise inévitable tout en mettant, enfin, en lumière la catégorie centrale essentielle à son développement, au développement de la valeur, du travail en tant qu'exploitation, de la marchandise et du spectacle, de l'écrasement définitif de son environnement : la superfluité de l'homme, de toutes ses productions, de son environnement et de la vie."

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