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progrès - Page 8

  • Bienvenue dans un monde sans frontière...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent article de Romaric Sangars, cueilli sur Causeur et consacré à l'attaque par des djihadistes d'un centre commercial de Nairobi...

    Romaric Sangars anime avec Olivier Maulin le Cercle Cosaque.

     

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    Prise d’otages de Nairobi : la Charia contre le Marché

    Si le XXème siècle a été traversé par une grande « guerre civile européenne » (selon l’expression d’Ersnt Nolte), en deux phases, mutant ensuite en une guerre mondiale Est-Ouest verrouillée par le feu nucléaire, le XXIème siècle est entré dans une phase de guerre civile mondialisée, et les récents événements au Kenya en sont un symptôme extraordinairement révélateur. Dans un supermarché – métaphore assez littérale de ce que la planète est en passe de devenir -, des civils européens ont été abattus par des jihadistes européens au nom d’une idéologie politico-religieuse d’origine arabo-musulmane, au sein d’un pays d’Afrique noire qui représentait un lieu de tourisme pour certaines victimes, de terrorisme pour les bourreaux, l’assaut ayant été relayé en temps réel sur Twitter, afin que son écho médiatique soit mondial. Comment résumer plus éloquemment la nature du conflit où nous sommes sommés jetés ?

    Ce massacre doit être au moins l’occasion du procès d’un certain nombre de lieux communs débiles qui pourrissent depuis trop longtemps dans la pensée dominante. Cette pensée est manichéenne, simpliste, benoîtement optimiste, bref : criminelle. Elle supposait, avec une naïveté touchante, que la relativisation ou la disparition des frontières nationales, signifierait mécaniquement la fin des guerres sous l’égide bienveillante de l’ONU. Résultat : la guerre ne se déroule presque plus entre nations – peut-on appeler « guerre » au sens classique les opérations de gendarmerie menées par les Occidentaux ? -, non, la guerre est civile et elle est mondiale. On chantait les bienfaits de la circulation accélérée des individus sur toute la planète et des nombreux échanges rendus possibles grâce au réseau Internet. Oui, mais cela signifie également la potentielle omniprésence fantôme de l’ennemi, et la diffusion exponentielle des haines. On se pâmait devant la symbolique du métissage, en tant que dissolution des différences par la grâce de l’amour. Le couple mixte qu’a formé la « Veuve blanche » avec son djihadiste de mari, l’a mené à assassiner ses compatriotes, sans distinction de races, au nom de l’universalisme islamique. United colors of total war.

    Oui, décidément, il y a quelque chose de pourri dans le village global. Nous qui ne sommes pas bêtement « progressistes » nous nous doutions bien qu’un phénomène – comme celui de la mondialisation -, n’est jamais innocent, et porte toujours son revers, et que là où un certain Bien semble s’affirmer, le mal mute. Aussi ne sommes-nous pas tellement étonnés. Mais permettez tout de même que nous expliquions aux mondialistes béats que si cette guerre présente gagne en intensité, alors sans doute nous n’aurons plus d’armée aux frontières, pas la moindre ligne Maginot, non, mais un flic ou une caméra dans chaque rue et un ennemi dans chaque immeuble. S’il n’y a plus de front, le front est partout. Si nous sommes tous « citoyens du monde », cela implique que désormais, toute guerre sera civile. C’est-à-dire, selon Pascal : le pire des maux.

    Moi qui ne suis pas un « citoyen du monde » au sens où ils emploient cette expression, mais un Français héritier de 2000 ans d’Histoire, c’est avec un dédain parfaitement aristocratique que j’observe les bannières des camps en présence, m’interrogeant seulement : « Reste-t-il une voie entre la Charia et le Marché ? » Les deux idéologies sont des hérésies en miroir. La seconde adore un argent devenu bien trop abstrait, la première un esprit franchement lourd, si temporel, tellement littéral. J’ai la nostalgie d’une âme dans un corps. Une culture singulière au sein d’une géographie définie. J’ai la nostalgie de la forme nationale, parce qu’elle est à taille humaine, parce qu’elle est une grande personne avec son tempérament propre, son passé, ses drames, parce qu’on peut la voir, la cerner, parce qu’elle est plus facilement bridée dans ses volontés hégémoniques. Bien entendu, défendre aujourd’hui la forme nationale ne pourrait se faire qu’à condition de s’adapter au paradigme actuel, de viser une sorte d’Internationale des peuples souverains et des cultures, tel que Dominique de Roux voulut le faire avec son « gaullisme révolutionnaire » auquel les gaullistes de son temps n’ont pas compris grand-chose. La France pourrait justement, dans cette optique, jouer un rôle de premier ordre, en tant que modèle, par excellence, de la « vieille nation historique ». Oui, mais pour cela, il faudrait déjà qu’elle se souvienne qu’elle existe.

    Romaric Sangars (Causeur, 27 septembre 2013)

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  • L'avant-garde du grand bond en arrière !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un enregistrement de l'émission On ne parle pas la bouche pleine !, diffusée le 23 juin 2013 sur France Culture. Alain Kruger recevait Olivier Maulin à l'occasion de la sortie de son roman Le Bocage à la nage (Balland, 2013).

     

    olivier maulin,progrès,décroissance,ré-enracinement

    " Cette semaine, nous sommes à table dans un monde alternatif avec le romancier Olivier Maulin.

      Son dernier roman, Le Bocage à la nage (Balland), rappelle des courants politiques oubliés : les anarchistes végétariens, végétaliens ou naturiens de la fin du XIXème siècle, qui bien avant les hippies et les « vegans » prônaient le ré-enracinement et un régime alimentaire radical.

      Puisqu’il est aujourd’hui probable qu’hier revienne demain et que le retour à la terre soit notre futur, écoutons les conseils de cuisine de cette « avant-garde éclairée du grand retour en arrière ». "

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  • Libérer le peuple des illusions du progrès...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une conférence donnée par Pierre Le Vigan à Nice, le 23 mai, pour l'association Le Castellaras, et consacrée aux idées développées par Jean-Claude Michéa, notamment dans son dernier livre Les mystères de la gauche (Climats, 2013).

    Pierre Le Vigan collabore aux revues Eléments, Krisis et Le spectacle du monde. Il a publié plusieurs essais, dont le dernier en date est intitulé Ecrire contre la modernité (La Barque d'or, 2012).

    La conférence a été mise en ligne par le site Les non-alignés.

     

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  • Aux origines de la théorie du « gender »...

    Un ami nous a fort opportunément signalé cet excellent article du sociologue Michel Maffesoli, publié sur Nouvelles de france et consacré à la théorie du genre... Auteur important, Michel Maffesoli a publié en 2012, aux éditions du CNRS, un essai intitulé Homo eroticus - Des communions émotionnelles.

     

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    Aux origines de la théorie du « gender »

    Tout cela a un côté hystérique. Un petit grain de folie qui traverse la France. Mais, au fond, si « cette loi » suscite tant de passion, n’est-ce point parce qu’elle est insensée, en ce qu’elle croit au sens de l’Histoire ?

    Croyance largement partagée, il faut en convenir. Croyance qui est au fondement même du mythe du Progrès. Mais ce que l’on oublie par trop souvent, c’est que ce dernier n’est que la forme profane du messianisme d’origine sémite. L’homme ayant été chassé du Paradis par la faute originelle, il s’agit de réintégrer celui-ci. Qu’il soit céleste ou terrestre.

    Et ce péché originel, qu’était-il, sinon que les yeux d’Adam et d’Eve « s’ouvrirent et connurent qu’ils étaient nus ; ils cousirent des feuilles de figuiers et se firent des pagnes », (Genèse, 3, 7). En bref, ils découvraient la différence, et donc la complémentarité. Ils quittaient le vert paradis d’une enfance indifférenciée pour accéder à la rude et dure loi naturelle de l’altérité sexuelle.

    Et le désir profond de la « Cité de Dieu », tout comme celui d’une société parfaite, est de revenir à une androgynie originelle, où le sexe n’ait plus, véritablement droit de cité. Les querelles byzantines sur le « sexe des anges » en témoignent. Les théorie du « genre » actuelles n’en sont que le lointain reflet. On le sait, d’antique mémoire, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Et même si cela doit chagriner les sectateurs d’un Progrès indéfini, il faut leur rappeler ce qu’ils doivent à leur cerveau reptilien judéo-chrétien : la nostalgie d’un paradis indifférencié, où, « vêtus de probité candide et de lin blanc », on aura réussi à réduire l’autre au même. Reductio ad unum, c’est bien ainsi qu’au XIXe siècle, Auguste Comte résumait le but que s’était fixé la religion de l’humanité, celle du Progrès. Le Progrès est l’idéologie du « bourgeoisisme » moderne. Le « mariage pour tous » en est son abatardissement petit-bourgeois.

    Ainsi, est-ce faire injure aux progressistes de tous poils que de leur rappeler qu’ils sont en pleine régression : retourner à l’état embryonnaire de l’indifférenciation sexuelle.

    Mais contre toute orthodoxie (ce penser droit lénifiant), il faut savoir penser le paradoxe. En la matière, le progressisme régressif repose, essentiellement, sur la prétention, quelque peu paranoïaque qui veut construire le monde tel que l’on aimerait qu’il soit, et non s’adapter, tant bien que mal, à ce qu’il est. Tout simplement, rien n’est donné, tout est construit.

    Construire le monde, c’est-à-dire construire son monde, ou construire son sexe, c’est tout un ! La nature doit être gommée par la culture. Le « don » d’une richesse plurielle effacé au profit d’un égalitarisme sans horizon. Qui a dit que l’ennui naquit de l’uniformité ? Ce qui est certain, c’est qu’en plus de l’ennui, ce qui va résulter du prurit du nivellement, de la dénégation du naturel est immanquablement ce que M. Heidegger nommait la « dévastation du monde ». A quoi l’on peut ajouter la dévastation des esprits dont la folie actuelle est une cruelle illustration.

    Souvenons nous du mythe du « Golem » légué par la mystique juive. Ce robot construit, sans discernement, détruit la construction et son constructeur.

    C’est au nom d’un monde à venir, lointain et parfait, le « meilleur des mondes » en quelque sorte, que, en un même mouvement, l’on construit /détruit la féconde diversité de ce qui est. Tout cela reposant sur le vieux fantasme « robespierrien », postulant la liaison du Progrès et du bonheur. Entre l’égalité pour tous et le nivellement, la différence est ténue, qui aboutit, de fait, à la négation de la vie, reposant elle, sur le choc des différences.

    Comme le rappelait, avec justesse Albert Camus, « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». Et le présent, c’est précisément de ne pas être obnubilé par un « paradis à venir », mais à s’ajuster, au mieux, à ce est, ce qui est là, donné.

    Certains ont nommé cela, avec sagesse, la « pensée progressive » ; alternative au progressisme/régressif. Progressivité s’enracinant dans la nature, s’accordant à l’ordre des choses, affirmant qu’on ne commande bien à la nature qu’en lui obéissant. On ne peut faire fi de la tradition, elle est gage de la continuité de la vie. C’est bien ce que la sagesse antique savait bien : « Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».

    Dès lors, pourquoi « faire » des lois fallacieuses, qui ont pour conséquence d’abstraire du terreau culturel et anthropologique à partir duquel, sur la longue durée s’est élaboré l’être ensemble ?

    La vraie radicalité, celle attentive aux racines, est autrement plus concrète. Elle a le sentiment, issu de l’expérience ancestrale, de la limité. Cette « nécessité » dont la philosophie grecque nous a rappelé la fécondité. En la matière, il y a une constante anthropologique, celle de la différence sexuelle. C’est un « donné ». Inutile de la dénier, il suffit de ruser avec.

    Il s’agit là d’une duplicité structurelle : être double et duple. Le bon père de famille s’épanouissant avec ses « petits amis », l’épouse fidèle organisant des « des cinq à sept » avec des partenaires de son choix. Sur la longue durée, la création culturelle, film, roman, peinture, trouve là son moteur principal.

    Contre le fantasme « légalitaire » par essence mortifère, la concrétude de la vie se contente de rappeler que seul le paradoxe est créateur. Contre l’unidimensionalité du nivellement, elle souligne que c’est la multiplicité antagoniste qui est féconde. Enfin, souchée sur la tradition, elle ne peut que répéter l’ambiguïté paradigmatique de l’humain.

    Il s’agit là de banalités qui méritent d’être rappelées. L’inflation de lois st le signe irréfragable de la faiblesse du pouvoir. De la déconnexion aussi d’un réel, autrement plus complexe que la rachitique réalité que la politique veut imposer. La vraie sagesse consistant à laisser être ce qui est, à s’accrocher à la nature des choses et, ainsi, à tirer profit de la riche expérience qui s’est sédimentée sur la longue durée.

    Dans la foultitude des lois, cause et effet d’une civilisation décadente, celle qui est en cours d’examen, et les théories du genre lui servant de fondement, sont insensées, parce que, ainsi que je l’ai rappelé, elles croient au sens de l’histoire. À l’opposé d’un tel sens finalisé, la sagesse populaire sait, de savoir incorporé, qu’il faut suffit de s’ajuster à ce que le destin a fait de nous, et savoir ruser avec. Voilà qui est autrement plus ambitieux. Face à la persistance obsessionnelle du mythe du progrès, enfant de Prométhée, la souplesse de Dionysos est tout à la fois plus pertinente et plus prospective. Critiquant l’utopie, dont ce rationaliste quelque peu irrationnel de Rabelais, rappelait que « la plus grande rêverie du monde est de vouloir gouverne avec une cloche ». En la matière, la « cloche de la loi ». Est-ce cela que nous voulons, un pensionnat pour enfants attardés ?

    Michel Maffesoli ( Nouvelles de France, 16 mai 2013)
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  • Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Claude Michéa, cueilli sur le site de l'hebdomadaire Marianne et consacré à son dernier livre Les mystères de la gauche, publié aux éditions Climats. 

     

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    Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»

    Marianne : Vous estimez urgent d'abandonner le nom de «gauche», de changer de signifiant pour désigner les forces politiques qui prendraient à nouveau en compte les intérêts de la classe ouvrière... Un nom ne peut-il pourtant ressusciter par-delà ses blessures historiques, ses échecs, ses encombrements passés ? Le problème est d'ailleurs exactement le même pour le mot «socialisme», qui après avoir qualifié l'entraide ouvrière chez un Pierre Leroux s'est mis, tout à fait a contrario, à désigner dans les années 80 les turlupinades d'un Jack Lang. Ne pourrait-on voir dans ce désir d'abolir un nom de l'histoire comme un écho déplaisant de cet esprit de la table rase que vous dénoncez sans relâche par ailleurs ? 

    Jean-Claude Michéa : Si j'en suis venu - à la suite, entre autres, de Cornelius Castoriadis et de Christopher Lasch - à remettre en question le fonctionnement, devenu aujourd'hui mystificateur, du vieux clivage gauche-droite, c'est simplement dans la mesure où le compromis historique forgé, au lendemain de l'affaire Dreyfus, entre le mouvement ouvrier socialiste et la gauche libérale et républicaine (ce «parti du mouvement» dont le parti radical et la franc-maçonnerie voltairienne constituaient, à l'époque, l'aile marchante) me semble désormais avoir épuisé toutes ses vertus positives. A l'origine, en effet, il s'agissait seulement de nouer une alliance défensive contre cet ennemi commun qu'incarnait alors la toute-puissante «réaction». Autrement dit, un ensemble hétéroclite de forces essentiellement précapitalistes qui espéraient encore pouvoir restaurer tout ou partie de l'Ancien Régime et, notamment, la domination sans partage de l'Eglise catholique sur les institutions et les âmes. Or cette droite réactionnaire, cléricale et monarchiste a été définitivement balayée en 1945 et ses derniers vestiges en Mai 68 (ce qu'on appelle de nos jours la «droite» ne désigne généralement plus, en effet, que les partisans du libéralisme économique de Friedrich Hayek et de Milton Friedman). Privé de son ennemi constitutif et des cibles précises qu'il incarnait (comme, la famille patriarcale ou l'«alliance du trône et de l'autel») le «parti du mouvement» se trouvait dès lors condamné, s'il voulait conserver son identité initiale, à prolonger indéfiniment son travail de «modernisation» intégrale du monde d'avant (ce qui explique que, de nos jours, «être de gauche» ne signifie plus que la seule aptitude à devancer fièrement tous les mouvements qui travaillent la société capitaliste moderne, qu'ils soient ou non conformes à l'intérêt du peuple, ou même au simple bon sens). Or, si les premiers socialistes partageaient bien avec cette gauche libérale et républicaine le refus de toutes les institutions oppressives et inégalitaires de l'Ancien Régime, ils n'entendaient nullement abolir l'ensemble des solidarités populaires traditionnelles ni donc s'attaquer aux fondements mêmes du «lien social» (car c'est bien ce qui doit inéluctablement arriver lorsqu'on prétend fonder une «société» moderne - dans l'ignorance de toutes les données de l'anthropologie et de la psychologie - sur la seule base de l'accord privé entre des individus supposés «indépendants par nature»). La critique socialiste des effets atomisants et humainement destructeurs de la croyance libérale selon laquelle le marché et le droit ab-strait pourraient constituer, selon les mots de Jean-Baptiste Say, un «ciment social» suffisant (Engels écrivait, dès 1843, que la conséquence ultime de cette logique serait, un jour, de «dissoudre la famille») devenait dès lors clairement incompatible avec ce culte du «mouvement» comme fin en soi, dont Eduard Bernstein avait formulé le principe dès la fin du XIXe siècle en proclamant que «le but final n'est rien» et que «le mouvement est tout». Pour liquider cette alliance désormais privée d'objet avec les partisans du socialisme et récupérer ainsi son indépendance originelle, il ne manquait donc plus à la «nouvelle» gauche que d'imposer médiatiquement l'idée que toute critique de l'économie de marché ou de l'idéologie des droits de l'homme (ce «pompeux catalogue des droits de l'homme» que Marx opposait, dans le Capital, à l'idée d'une modeste «Magna Carta» susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales) devait nécessairement conduire au «goulag» et au «totalitarisme». Mission accomplie dès la fin des années 70 par cette «nouvelle philosophie» devenue, à présent, la théologie officielle de la société du spectacle. Dans ces conditions, je persiste à penser qu'il est devenu aujourd'hui politiquement inefficace, voire dangereux, de continuer à placer un programme de sortie progressive du capitalisme sous le signe exclusif d'un mouvement idéologique dont la mission émancipatrice a pris fin, pour l'essentiel, le jour où la droite réactionnaire, monarchiste et cléricale a définitivement disparu du paysage politique. Le socialisme est, par définition, incompatible avec l'exploitation capitaliste. La gauche, hélas, non. Et si tant de travailleurs - indépendants ou salariés - votent désormais à droite, ou surtout ne votent plus, c'est bien souvent parce qu'ils ont perçu intuitivement cette triste vérité. 

    Vous rappelez très bien dans les Mystères de la gauche les nombreux crimes commis par la gauche libérale contre le peuple, et notamment le fait que les deux répressions ouvrières les plus sanglantes du XIXe siècle sont à mettre à son compte. Mais aujourd'hui, tout de même, depuis que l'inventaire critique de la gauche culturelle mitterrandienne s'est banalisé, ne peut-on admettre que les socialistes ont changé ? Un certain nombre de prises de conscience importantes ont eu lieu. Celle, par exemple, du long abandon de la classe ouvrière est récente, mais elle est réelle. Sur les questions de sécurité également, on ne peut pas davantage dire qu'un Manuel Valls incarne une gauche permissive et angéliste. Or on a parfois l'impression à vous lire que la gauche, par principe, ne pourra jamais se réformer... Est-ce votre sentiment définitif ? 

    J.-C.M. : Ce qui me frappe plutôt, c'est que les choses se passent exactement comme je l'avais prévu. Dès lors, en effet, que la gauche et la droite s'accordent pour considérer l'économie capitaliste comme l'horizon indépassable de notre temps (ce n'est pas un hasard si Christine Lagarde a été nommée à la tête du FMI pour y poursuivre la même politique que DSK), il était inévitable que la gauche - une fois revenue au pouvoir dans le cadre soigneusement verrouillé de l'«alternative unique» - cherche à masquer électoralement cette complicité idéologique sous le rideau fumigène des seules questions «sociétales». De là le désolant spectacle actuel. Alors que le système capitaliste mondial se dirige tranquillement vers l'iceberg, nous assistons à une foire d'empoigne surréaliste entre ceux qui ont pour unique mission de défendre toutes les implications anthropologiques et culturelles de ce système et ceux qui doivent faire semblant de s'y opposer (le postulat philosophique commun à tous ces libéraux étant, bien entendu, le droit absolu pour chacun de faire ce qu'il veut de son corps et de son argent). Mais je n'ai là aucun mérite. C'est Guy Debord qui annonçait, il y a vingt ans déjà, que les développements à venir du capitalisme moderne trouveraient nécessairement leur alibi idéologique majeur dans la lutte contre «le racisme, l'antimodernisme et l'homophobie» (d'où, ajoutait-il, ce «néomoralisme indigné que simulent les actuels moutons de l'intelligentsia»). Quant aux postures martiales d'un Manuel Valls, elles ne constituent qu'un effet de communication. La véritable position de gauche sur ces questions reste bien évidemment celle de cette ancienne groupie de Bernard Tapie et d'Edouard Balladur qu'est Christiane Taubira. 

    Contrairement à d'autres, ce qui vous tient aujourd'hui encore éloigné de la «gauche de la gauche», des altermondialistes et autres mouvements d'indignés, ce n'est pas l'invocation d'un passé totalitaire dont ces lointains petits cousins des communistes seraient encore comptables... C'est au contraire le fond libéral de ces mouvements : l'individu isolé manifestant pour le droit à rester un individu isolé, c'est ainsi que vous les décrivez. N'y a-t-il cependant aucune de ces luttes, aucun de ces mouvements avec lequel vous vous soyez senti en affinité ces dernières années ? 

    J.-C.M. : Si l'on admet que le capitalisme est devenu un fait social total - inséparable, à ce titre, d'une culture et d'un mode de vie spécifiques -, il est clair que les critiques les plus lucides et les plus radicales de cette nouvelle civilisation sont à chercher du côté des partisans de la «décroissance». En entendant par là, naturellement, non pas une «croissance négative» ou une austérité généralisée (comme voudraient le faire croire, par exemple, Laurence Parisot ou Najat Vallaud-Belkacem), mais la nécessaire remise en question d'un mode de vie quotidien aliénant, fondé - disait Marx - sur l'unique nécessité de «produire pour produire et d'accumuler pour accumuler». Mode de vie forcément privé de tout sens humain réel, inégalitaire (puisque la logique de l'accumulation du capital conduit inévitablement à concentrer la richesse à un pôle de la société mondiale et l'austérité, voire la misère, à l'autre pôle) et, de toute façon, impossible à universaliser sans contradiction dans un monde dont les ressources naturelles sont, par définition, limitées (on sait, en effet, qu'il faudrait déjà plusieurs planètes pour étendre à l'humanité tout entière le niveau de vie actuel de l'Américain moyen). J'observe avec intérêt que ces idées de bon sens - bien que toujours présentées de façon mensongère et caricaturale par la propagande médiatique et ses économistes à gages - commencent à être comprises par un public toujours plus large. Souhaitons seulement qu'il ne soit pas déjà trop tard. Rien ne garantit, en effet, que l'effondrement, à terme inéluctable, du nouvel Empire romain mondialisé donnera naissance à une société décente plutôt qu'à un monde barbare, policier et mafieux. 

    Vous réaffirmez dans ce livre votre foi en l'idée que le peuple serait dépositaire d'une common decency [«décence ordinaire», l'expression est de George Orwell] avec lesquelles les «élites» libérales auraient toujours davantage rompu. Mais croyez-vous sincèrement que ce soit aujourd'hui l'attachement aux valeurs morales qui définisse «le petit peuple de droite», ainsi que vous l'écrivez ici ? Le désossage des structures sociales traditionnelles, ajouté à la déchristianisation et à l'impact des flux médiatiques dont vous décrivez ici les effets culturellement catastrophiques, a également touché de plein fouet ces classes-là. N'y a-t-il donc pas là quelque illusion - tout à fait noble, mais bel et bien inopérante - à les envisager ainsi comme le seul vivier possible d'un réarmement moral et politique ? 

    J.-C.M. : S'il n'y avait pas, parmi les classes populaires qui votent pour les partis de droite, un attachement encore massif à l'idée orwellienne qu'il y a «des choses qui ne se font pas», on ne comprendrait pas pourquoi les dirigeants de ces partis sont en permanence contraints de simuler, voire de surjouer de façon grotesque, leur propre adhésion sans faille aux valeurs de la décence ordinaire. Alors même qu'ils sont intimement convaincus, pour reprendre les propos récents de l'idéologue libéral Philippe Manière, que seul l'«appât du gain» peut soutenir «moralement» la dynamique du capital (sous ce rapport, il est certainement plus dur d'être un politicien de droite qu'un politicien de gauche). C'est d'ailleurs ce qui explique que le petit peuple de droite soit structurellement condamné au désespoir politique (d'où son penchant logique, à partir d'un certain seuil de désillusion, pour le vote d'«extrême droite»). Comme l'écrivait le critique radical américain Thomas Franck, ce petit peuple vote pour le candidat de droite en croyant que lui seul pourra remettre un peu d'ordre et de décence dans cette société sans âme et, au final, il se retrouve toujours avec la seule privatisation de l'électricité ! Cela dit, vous avez raison. La logique de l'individualisme libéral, en sapant continuellement toutes les formes de solidarité populaire encore existantes, détruit forcément du même coup l'ensemble des conditions morales qui rendent possible la révolte anticapitaliste. C'est ce qui explique que le temps joue de plus en plus, à présent, contre la liberté et le bonheur réels des individus et des peuples. Le contraire exact, en somme, de la thèse défendue par les fanatiques de la religion du progrès. 

    Jean-Claude Michéa, propos recueillis par Aude Ancelin (Marianne, 12 mars 2013)

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  • Quoi de neuf ?...

    Nous vous signalons la parution d'un essai de David Edgerton, intitulé Quoi de neuf ? - Du rôle des techniques dans l'histoire globale. Historien, David Edgerton est un spécialiste de l'histoire des sciences et des technologies qui remet en cause l'idée d'un progrès linéaire lié à l'accumulation d'innovations techniques...

     

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    " Cette histoire globale de la technologie moderne prend le contre-pied des narrations usuelles sur les inventions de quelques individus géniaux pour mettre au premier plan l’analyse des usages collectifs. Elle amène à réévaluer profondément la signification des technologies couramment tenues pour avoir transformé la société ? la pilule, l’informatique, la bombe atomique, l’aviation ? et à prendre en compte une grande variété de technologies moins visibles mais non moins importantes, venant de diverses parties du monde.

    Parmi ces exemples méconnus : les pousse-pousse japonais, les tracteurs soviétiques, les usines baleinières nazies, le pétrole synthétique espagnol, etc. C’est que nombre de techniques anciennes recèlent des potentiels de rénovation considérables : voir le train avec le TGV !

    Entrelaçant histoire politique, histoire économique et histoire culturelle, ce livre met en cause l’idée selon laquelle nous vivrions une ère de transformations techniques toujours plus rapides et suggère que les technologies les plus importantes pour le XXIe siècle ne sont guère reconnues pour telles. En sapant la technophilie naïve et infondée (par exemple l’idée d’un prétendu âge de l’information), et sans pour autant donner prise à une technophobie non moins naïve, Edgerton appelle et inaugure une façon radicalement neuve de penser la technique dans l’histoire. "

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