Nous reproduisons ci-dessous une analyse de François-Bernard Huyghe, cueillie sur son site Huyghe.fr et consacrée à trois exemples qui illustrent parfaitement la déconnexion entre les détenteurs du pouvoir et le peuple...
Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais et a publié dernièrement La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2016).
Communication contre politique
Discours publicitaire et déni du réel
Sur l'espace d'une semaine, la gauche ou ce qu'il est convenu d'appeler la gauche, commet trois erreurs de communication majeures. C'est du moins ce que disent les médias, unanimes à fustiger la ringardise de la forme et l'inefficacité du discours. Cela ne signifie pas que la droite ne pourrait faire pire, mais cela indique que la rhétorique des détenteurs du pouvoir - surtout lorsqu'ils veulent reconquérir les classes ou les courants culturels sur qui ils estiment devoir compter de droit-, échoue systématiquement. Mais est-ce une question de "com" ?
Passons rapidement sur l'échec de la "Belle alliance populaire", réunion de bistrot (ce n'est pas une injure : cela se passait au Paname Café) sensée rajeunir une version branchée de la gauche plurielle. Sur les trois points ("beauté", unité et popularité), les uns ont ironisé sur le caractère "populaire", d'un rassemblement qui réunit des ministres, des membres de la bourgeoisie d'État, des dirigeants d'association subventionnées, des représentants "de la société civile" très cathodiques, mais guère de prolétaires. Les autres ont fait remarquer que la dimension unitaire d'un rassemblement de gens qui sont déjà rassemblés par des intérêts communs et coopèrent au quotidien est un peu redondante : ils n'ont guère besoin "d'élaborer une alternative au libéralisme ambiant et au nationalisme montant", ou de démarches innovantes et de "coconstruction politique", pour continuer à se redire ce qu'ils se disent depuis quelques années. Pour notre part, c'est la dimension "esthétique" de la chose qui nous le plus surpris, sauf à trouver un sens symbolique pop au logo du mouvement visiblement inspiré de la marque Celio.
Le second échec de la semaine est celui du président dont l'émission ne réussit ni à rassembler un taux d'audience décent, ni à faire la première page des journaux, ni surtout à changer l'opinion de qui que ce soit. Il est vrai que l'exercice qui consistait- en récitant chaque fois sa fiche chiffrée par son cabinet et en réaffirmant que le mal n'est que dans nos esprits (la France a d'énormes atouts, la situation commence à s'améliorer) - à rassurer des gens qui vivent des drames ou des angoisses tout à fait réels a ses limites. L'empathie est surjouée - on comprend la patronne, la mère de jihadiste, l'électeur FN, le jeune qui va retourner à la Bastille peut-être pour scander "tout le monde déteste le PS", on est du côté de tout le monde et face à nulle part- et surtout dialoguer ne consiste pas à assurer aux gens que l'on compatit et qu'avec un peu de pédagogie, ils vont se sentir mieux. Le style très technocratique de la démonstration faisait penser aux pires prestations de Giscard d'Estaing initiant des citoyens aux "réalités" du monde et de l'économie, c'est-à-dire à des nécessités. À trop refuser le principe d'autorité (ce qui encourageait ses interlocuteurs à le traiter de manière quasi agressive), à vouloir être trop "proche des gens", toujours dans la compassion, et surtout à ne rien dire que "nous allons faire plus du même", chiffres à l'appui, le président échouait dans une mission qui était peut-être impossible.
Troisième faute, reconnue hautement, celle d'Emmanuel Macron. L'homme qui fait se pâmer les rédactions avec des idées comme "ni droite, ni gauche, en marche", ou "ayons des idées nouvelles, accueillons tous les talents et dépassons tous les clivages" avait commencé par produire un clip qui n'était pas sans évoquer les publicités des banques ou de Coca Cola des année 80 (il empruntait pas mal de plans à des banques d'images américaines). Mais sa "bêtise" reconnue consistait surtout à se faire encenser par Paris Match dans un style qui, lui, évoque le marketing politique à la Kennedy : couple idéal en dépit de la différence d'âge, introduction dans l'intimité familiale, sourire perpétuel, autocongratulation, sans oublier les indispensables allusion à la modernité et au dynamisme de gens en accord avec leur époque. Rebelotte lorsque le jeune surdoué plein de galanterie révèle qu'il s'agit d'une "bêtise" de sa femme pas très habituée au système médiatique et que l'on ne recourra plus jamais à cette stratégie (ah bon, c'était une stratégie).
Dans tout ce qui précède, il y a des maladresses personnelles (ou celles des spin doctors surpayés qui ont concocté tout cela) et il y a, ce n'est pas très original de la dire, la traduction d'un incroyable fossé entre la vision du monde des élites et celle du peuple. Mais, au-delà des petits gags sur lesquels il est facile d'ironiser, un symptôme plus grave : ces gens sont entrés en post-politique. Ils vivent mentalement dans un monde régi par l'économie en dernière instance, un monde parachevé où il suffit d'un peu plus de gouvernance d'Europe et de PNB pour que les choses s'arrangent, un monde où il n'y a pas d'intérêts divergents ni d'ennemis mais des problèmes à résoudre tantôt par une gestion plus "moderne" et une meilleure allocation des ressources, tantôt par un peu de pédagogie (chasser les peurs, comprendre ses atouts, éclairer les "gens" tentés par le populisme ou le découragement...). C'est peut-être ce monde-là auquel ne croient plus que ceux qui en agitent le fantôme.François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 16 avril 2016)