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national-socialisme - Page 4

  • Le salaire de la destruction ?...

    Les éditions Les Belles Lettres ont publié en fin d'année 2012 une étude monumentale et brillante de l'historien britannique Adam Tooze intitulée Le salaire de la destruction - Formation et ruine de l'économie nazie. Passionnant et donnant des analyses inattendues, ce livre bénéficie d'une excellente traduction et mérite d'être lu par tous ceux qui sont intéressés par la période.

    Nous reproduisons ci-dessous la critique qu'en a fait Michel Lhomme sur Metamag.

     

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    LE SALAIRE DE LA DESTRUCTION

    Un ouvrage de référence sur la raison économique du nazisme

    Certes, le titre, Le Salaire de la destruction est condescendant à l’air du temps et il a, sans doute, été choisi commercialement par l’éditeur car il rend compte maladroitement de la portée de la publication. Or, il s’agit là d’un ouvrage monumental et inédit sur le système économique du IIIe Reich, devenu ouvrage de référence, une somme époustouflante sur les fondements et les ressorts du nazisme.

     
    Unanimement reconnu à l'étranger mais toujours dérangeant pour les Français (Reds don’t read !), l'ouvrage propose l’histoire la plus aboutie de l’économie nationale-socialiste et en même temps, il amorce une nouvelle lecture de la Seconde guerre mondiale, changeant par exemple radicalement la place occupée par les États-Unis dans cette histoire du point de vue de l’Allemagne. 

    Le livre d’Adam Tooze est de ces livres qui déclassent tous les ouvrages antérieurs écrits sur la question. Très sérieux, le style y est à la fois précis et haletant, jamais technique en fait comme dans les meilleurs livres d’historien (Braudel, Duby). Par ses trouvailles, son approche globale de la question nazie et le nombre d'idées reçues sur le régime remises ici en question, cet ouvrage va devenir pour beaucoup une lecture indispensable. Il était paru en anglais en 2006. Son auteur est diplômé de King's College (Cambridge) et de la London School of Economics, il  enseigne l'histoire de l’Allemagne à Yale. Il avait déjà publié Statistics and the German State, 1900-1945: The Making of Modern Economic Knowledge (Cambridge University Press, 2001) que les spécialistes de la période avaient déjà remarqué. Dans Le salaire de la destruction dont le sous-titre est Formation et ruine de l’économie nazie, Adam Tooze passe au crible les rouages économiques du système nazi, de la prise de pouvoir à l’anéantissement final.

    En donnant naissance au mythe du Blitzkrieg, le succès foudroyant et inattendu de la campagne de France avait accrédité l'image d’une Allemagne national-socialiste invulnérable, forte technologiquement, riche et assise sur une économie industrialisée d’une grande efficacité. Prenant le contrepied des nombreuses histoires exclusivement politiques du régime, Tooze en décline les entraves et les défaillances puis s’efforce de montrer que la guerre eut au contraire sa source non dans la puissance économique du 3ème Reich, un leurre une désinformation montée de toutes pièces mais dans les faiblesses du Reich. Pour ce faire, Tooze a revisité le pourquoi de chaque événement, de chaque décision, démontant ainsi la rationalité économique fondamentale à l’œuvre derrière le nazisme.
     
    Pionnier dans l’analyse économique du IIIème Reich, il jette un sort aux mythes issus des allégations d’Albert Speer et parfois colportées (notamment par l’économiste Galbraith, dès la fin de la guerre) affirmant que l’Allemagne d’Hitler était un miracle économique. Non, les trains n’arrivaient pas à l’heure sous le Troisième Reich (la dégradation du parc roulant fut un handicap jusqu’à la fin de la guerre), le régime n’a jamais connu le plein emploi et passé l’euphorie des premiers mois de gouvernement, c’est allé de crise en crise jusqu’en 1938, avant que la crise tchèque ne décide le chancelier à mettre son pays sous perfusion, en vase clos, au service de ses ambitions guerrières, auxquelles tout allait être désormais subordonné. La guerre comme porte de sortie d’un échec économique du nazisme, c’est une position originale quand on sait que l’argumentaire classique des défenseurs du régime est de relever justement la force économique du régime et même d’appuyer le clou sur sa réussite matérielle.
     
    L’historien britannique nous montre alors comment la stratégie d’Hitler s’est efforcé au début des années 30 de coller aux aspirations allemandes liées à leurs conditions de vie difficiles, comment il a fallu ensuite durant la guerre mener une politique de razzia vu l’échec productif du régime. Relisant les textes mêmes de Hitler et des théoriciens de l’agrarianisme, l’auteur décentre aussi l’histoire de la guerre en donnant une place capitale aux États-Unis, devenus la véritable obsession de Hitler. Dès 1938, la question importante devint chez lui, plus que la question juive, la question américaine, l’Amérique synonyme du monde de la finance, des banquiers et des usuriers de tous ordres. Or, le Führer savait dès 1939 qu’avec ses armées sous-équipées, il avait peu de chance de l’emporter dans une guerre longue contre le monde occidental, contre l’Amérique.
     
    C’est donc un Hitler nouveau qui nous est présenté : versatile, œuvrant au grès des circonstances matérielles et économiques mais arc-bouté à un but, à une idéologie éco-démographique et géopolitique : reculer de 1 000 kms les frontières de l’Allemagne vers l’Est pour constituer une « Grande Allemagne », et ainsi donner à la Germanie son espace vital agricole mais surtout énergétique afin de constituer au cœur de l’Europe une nation comme fer de lance politique et militaire d’une puissance capable de s’opposer à la civilisation américaine.

    Le livre du britannique Adam Tooze est remarquable par l’analyse rigoureuse des sources, des statistiques et des documents internes, souvent exploités pour la première fois. Toutes ces nouvelles archives consultées présentent du IIIème Reich l’image d’un régime toujours aux abois économiquement et qui ne dut de tenir si longtemps qu’à des pratiques de spoliation et d’asservissement perpétuelle. Sans le fanatisme idéologique mais aussi sans cette agressivité économique dans la guerre, jamais l’Allemagne n’aurait pu tenir si longtemps.

    Le texte, à un moment donné, revient sur l’opération Barbarossa, celle du 22 juin 1941 où Hitler envahit sans déclaration de guerre l’Urss, pays avec lequel il avait pourtant signé un pacte défendu par le Parti Communiste français un an plus tôt. L’auteur reprend ici la thèse officielle et commune d’un chancelier germanique qui décida pour triompher de cet adversaire de lancer rapidement l’opération Barbarossa en accord avec des projets d’extermination, d’asservissement et de colonisation de l’Est parfaitement définis dès les années 1930. Nous ne partageons pas cette vision de l’événement. Il faut revoir l’opération Barbarossa à la lumière du programme de Staline qui s’apprêtait à mettre main basse sur la Pologne et à engager un conflit unilatéral. Aussi, pour l’opération Barbarossa, nous ne saurions que recommander l’ouvrage traduit récemment en Français de Joachim Hoffmann, La Guerre d’extermination de Staline. Cet ouvrage rétablit la vérité historique sur les événements de l’été 41. Comme Le salaire de la destruction, La Guerre d’extermination est un livre indispensable pour qui veut comprendre le plus objectivement possible la Seconde Guerre mondiale.

    Dans Le Salaire de la destruction, l’auteur, Adam Tooze termine son analyse par la question qui nous taraude : l’Allemagne a perdu la guerre, la paix est revenue et l’Allemagne est toujours là. Aujourd’hui, l’Europe se range dans les bras de l’Otan et se prépare à recevoir le coup mortel, le dernier coup qui l’abattra, signer le Traité Transatlantique. C’est le triomphe de l’occidentalisme (l’identification de la vision américaine à la vision européenne) d’une culture américaine qui n’a rien à voir avec la culture européenne ou n’en est que sa forme dégénérée. Les Etats-Unis restent l’ennemi et Tooze de s’interroger alors carrément : « Que pourrait être la politique en Europe, au-delà des fastidieuses chamailleries d’abondance insatisfaites ? ». Ainsi, son livre synthétique et riche de thèses nouvelles, bouleverse non seulement des idées reçues, constitue un tournant dans l’historiographie de la seconde guerre mondiale mais en plus, réinterroge le sens même des vaincus de l’Histoire présente et passée.
     
    Michel Lhomme (Metamag, 22 octobre 2013)

    - Adam Tooze, Le Salaire de la destruction. Formation et ruine de l’économie nazie, trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Les Belles Lettres, 812 pages, 28 euros.
    - Joachim Hoffmann, La Guerre d’extermination de Staline, Akribéia, juin 2012, 450 pages, 30 euros.
     
     
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  • Des légions maudites...

    Le magazine Ligne de Front, dans un numéro hors-série actuellement en kiosque (n°17), s'intéressent aux nombreux volontaires étrangers qui ont combattu sous l'uniforme allemand pendant la deuxième guerre mondiale. Si tout le monde a entendu parler des volontaires européens au travers des livres de Jean Mabire, on sera tout de même étonné de croiser au détour des pages des Arméniens, des Arabes, des Indiens, des Kalmouks, des Tatars et même un Coréen !... L'iconographie est particulièrement riche et originale. A découvrir...

     

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    "L’armée hitlérienne présente le phénomène unique de mobiliser sous son étendard de très nombreux nationaux étrangers, engagés dans la « Croisade contre le bolchevisme ».

    En 1945, ces hommes représenteront toutes les nationalités du continent européen, voire au-delà, et on en dénombrera alors près de 2 millions au sein de la Wehrmacht (Heer, Luftwaffe, Kriegsmarine) et de la Waffen-SS.

    Qu’ils soient Volksdeutsche, « germaniques » (Suédois, Norvégiens, Finlandais, Wallons, Flamands, Espagnols, Français…) ou encore « étrangers » (Russes, Polonais, Hongrois, Roumains, Serbes, Tchèques, Slovaques,Croates…), ce conglomérat forme une véritable « Internationale » nationale-socialiste.

    Mais qui sont ces hommes, qu’ils soient légionnaires ou volontaires SS, qui combattent sur tous les théâtres d’opérations ?

    Pourquoi et comment leurs motivations évoluent-t-elles avec le temps ?

    Superposent-ils leurs buts de guerre à ceux du Führer, où se réclament-ils pleinement de son idéologie ?

    Quelle est la proportion de « soldats politiques » et d’engagés « pour la gamelle » ?

    Et comment la SS, lorsqu’elle les accueille en son sein, s’accommode-t-elle avec ses dogmes idéologiques et raciaux ?

    A-t-elle d’ailleurs comme désir plus ou moins avoué d’en faire de purs combattants du national-socialisme ? Enfin, quelle influence leur participation a-t-elle eue sur le déroulement des opérations militaires ?"

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  • Du surréalisme au fascisme...

    Les éditions Via Romana publient Jean Fontenoy, aventurier, journaliste et écrivain, une biographie signée par Philippe Vilgier. Docteur en sciences politiques, Philippe Vilgier a publié plusieurs ouvrages consacrés à la droite avec Francis Bergeron (dont un réjouissant Paris by right - Guide de l'Homme de droite à Paris, au début des années 90 !...).

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     "Journaliste et écrivain, homme d’action aussi à l’aise avec une machine à écrire qu’avec un pistolet-mitrailleur, Jean Fontenoy (1899-1945) a participé aux convulsions révolutionnaires de la première moitié du XXe siècle : avant-garde littéraire, Grande Guerre, Russie bolchevique, Chine de Chiang Kaï-chek et des Seigneurs de la guerre, drogue, engagement sur le front finlandais en 1939 contre l’URSS, enfin adhésion militante à la politique de Collaboration avec l’Allemagne nationale-socialiste.
       Fidèle à ses origines modestes, il est cependant toujours resté hanté par la question sociale dans les tours et détours souvent complexes de sa vie.
       Correspondant de presse, responsable d’agence, fondateur et directeur de journaux, auteur d’articles et de livres remarqués, Jean Fontenoy a participé, avec une réelle indépendance d’esprit et le souci d’être au cœur des événements, à la vie politique et culturelle de son temps, et notamment à l’évolution du nationalisme français de l’entre-deux-guerres.
       Voici la première biographie non romancée de cet étonnant personnage, fondée sur une documentation ample et précise, et présentée du point de vue de l’histoire des idées politiques."

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  • Un dialogue entre Ernst Nolte et Dominique Venner...

    A l'occasion de la sortie dans la collection de poche Tempus de l'ouvrage d'Ernst Nolte, La guerre civile européenne, nous reproduisons ci-dessous un dialogue entre l'auteur et Dominique Venner, que la revue Eléments (n°98, mai 2000) avait publié à l'occasion de la première parution de ce livre en traduction française aux éditions des Syrtes.

     

     

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    Ernst Nolte et Dominique Venner, une rencontre...

    Dominique Venner : La « querelle des historiens » remonte à 1986, au 6 juin 1986 pour être précis, date à laquelle est publié en Allemagne votre article « Un passé qui ne veut pas passer ». Un an plus tard paraît La guerre civile européenne 1917-1945, que viennent de traduire en français les éditions des Syrtes. Vous y soulignez que le national-socialisme et le bolchevisme ne peuvent se comprendre que l'un par rapport à l'autre. Pour être plus précis, le « nœud causal » entre les deux idéologies réside dans l'émergence du national-socialisme comme réponse ou réaction au bolchevisme, à la menace de mort qu'il faisait planer sur la civilisation européenne. Comment expliquez-vous que cet article et ce livre aient suscité en Allemagne un tel scandale intellectuel?

    Ernst Nolte: Le « scandale » réside dans le fait que j'ai pris au sérieux l'auto-interprétation que les nationaux-socialistes donnaient de leur engagement à savoir la lutte contre le communisme, avec les mêmes moyens que le communisme. Cette motivation est évidente dans la guerre germano-soviétique (1941-45), et on en trouve un exemple célèbre dans le discours de Himmler à Posen. Le chef de la SS raconte comment un commissaire de l'Armée rouge, voyant revenir un régiment défait au combat, convoque ses officiers et en exécute quelques-uns froidement. Loin de s'en offusquer, Himmler appelle ses troupes à une résolution plus dure et plus violente encore.

    Mais le nœud causal s'est établi bien avant la guerre. Contrairement à beaucoup de mes collègues qui s'intéressaient au national-socialisme dans sa course au pouvoir des années trente, je me suis longuement penché sur les premières années de formation et d'expression idéologiques d'Adolf Hitler, au lendemain de la Première Guerre mondiale. C'est à ce moment que le futur Chancelier du IIIe Reich cristallise sa doctrine. Il subit l'influence des auteurs comme Eckart, Scheubner-Richter, Rosenberg, et développe un anti-bolchevisme qui sera constitutif du national-socialisme comme parti de contre-dictature, de la contre-guerre civile. L'antisémitisme donnera ensuite à son discours une cohérence idéologique à vocation universelle et une efficacité passionnelle propres, selon Hitler, à lutter contre le marxisme sur son terrain.

    Là réside donc le « scandale » : dans l'Allemagne de 1986-87, il était inimaginable d'établir une connexion ne fût-ce qu'indirecte entre le Goulag et Auschwitz.  

    D.V. : De votre part, il s'agissait d'une interprétation nouvelle par rapport à vos précédents travaux... 

     

    E.N. : Pas vraiment. Dans Le fascisme dans son époque, je considérais déjà le fascisme comme un antimarxisme fondamental, quelles que soient les distinctions que l'on peut faire ensuite entre fascisme-mouvement et fascisme-régime, fascisme normal et fascisme radical. Plus précisément, je définissais le fascisme comme un antimarxisme qui vise à anéantir son ennemi en développant une idéologie radicalement opposée à la sienne (encore qu'elle en soit proche) et en appli­quant des méthodes presque identiques aux siennes, non sans les avoir transformées à sa manière, et cela dans le cadre inébranlable de l'auto-affirmation et de l'autonomie nationales.

    D.V.: Sur ce point, l'utilisation indistincte du terme « fascisme » pour désigner les idéologies mussolinienne et hitlérienne risque d'introduire une certaine confusion. Le fascisme historique, authentique, né en Italie, présente des caractéristiques spécifiques très éloignées du nazisme. A mon sens, l'une des grandes différences avec le national-socialisme, et surtout avec la vision hitlérienne du monde, réside dans le fait que cette dernière se réclame d'une interprétation scientifique - ou prétendue telle - de l'histoire. Le darwinisme et le racisme biologique sont absents du fascisme italien. En revanche, dans Mein Kampf et dans les Libres propos, Hitler prétend à une justification scientifique de ses idées. Or, ce désir de scientificité du national-socialisme est aussi un trait de l'idéologie marxiste, qui se présente comme une « science », une compréhension rationnelle des lois déterminant la structure des sociétés et les mouvements de l'histoire. Je serai donc tenté de fonder sur ce point précis une parenté du national-socialisme et du bolchevisme, parenté qui exclut le fascisme italien.

    E.N.: Vous avez raison. Mais en plus du biologisme darwinien rôle de l'antisémitisme. Celui-ci permet à la doctrine hitlérienne de développer une philosophie de l'histoire proche quoiqu'opposée au marxisme. L'annihilation d'un peuple mondial voulue par Hitler est une réponse à la destruction d'une classe mondiale froidement envisagée par les bolcheviks. L'antisémitisme donnait à l'idéologie nationale-socialiste une dimension globale, universelle et, à sa manière, « rédemptrice ». A ce titre, l'antisémitisme est une nécessité intérieure du nazisme, que Mussolini et les doctrinaires du fascisme n'ont jamais développée.

    D.V.: On peut se demander si la prétention scientifique commune au national-socialisme et au bolchevisme n'est pas un des ressorts essentiels de ce que l'on a appelé le « totalitarisme ». Ce siècle a certes connu des abominations qui ne relevèrent ni du communisme ni du nazisme. Mais, en dehors des marxistes et des nationaux-socialistes, personne ne cherchait à justifier ses crimes par des arguments scientifiques. On invoquait plutôt les nécessités inhérentes à certaines situations. Or, voici deux mouvements idéologiques qui n'entendent pas se soumettre à la contingence historique, mais veulent la conformer à la vision rationnelle-scientifique qu'ils s'en font, qui justifie à leurs yeux tous les moyens. Ne tient-on pas là une clef fondamentale du totalitarisme?

    E.N.: Dans Mein Kampf, Hitler ne souhaite pas seulement opposer à l'idéologie de l'ennemi une idéologie « de même force », mais « de plus grande vérité ». Sur ce point, et au-delà du caractère scientifique dont nous parIons, il convient à mon sens de reconnaître que la philosophie de l'histoire du marxisme est authentique, alors que celle du national-socialisme est artificielle. Par authentique, je veux dire que le marxisme se fonde sur une idée très ancienne, sur un fond réel des aspi­rations humaines - la société sans classes, l'égalité entre tous, l'histoire sans conflit, la réconciliation de l'humanité, etc. Or, chez Hitler, on ne trouve pas une telle assise universelle. En ce sens, j'ai parlé de « copie pervertie »: le communisme est antérieur en tant que construction idéologique, mais aussi plus originel en tant que fond philosophique. Hitler ne peut être comparé ni à Marx ni à Staline, mais bien à Lénine.

    D.V.: Dans votre livre, vous soulignez combien la Première Guerre mondiale introduit une nouvelle barbarie dans la conduite des opérations militaires. Celle-ci n'est une invention ni du marxisme, ni du national-socialisme. Vous citez très justement la stratégie anglo-saxonne du blocus, qui était destinée à affamer le peuple allemand. jusqu'alors, la guerre ne concernait peu ou prou que les soldats: désormais, la population civile devenait une cible légitime. je pense, pour ma part, que dans leur extrémisme, le bolchevisme et le nazisme sont les produits de la Première Guerre mondiale et de son déchaînement illimité de violence.

    E.N.: Il me semble que ces barbaries, accomplies par des nations qui étaient considérées comme des « États de haute culture », auraient pu être « digérées » par ces mêmes États s'ils étaient parvenus à établir une paix juste et à s'intégrer dans la Société des nations. Mais la révolution de 1917 et l'instauration du communisme en Russie, qui s'inscrivaient à leur manière dans ces tendances à la déshumanisation manifestées par la cruauté des combats entre 1914 et 1918, ont entièrement changé la donne dans l'entre-deux guerres. D'où la responsabilité que j'attribue au bolchevisme dans le déclen­chement de la guerre civile européenne.

    D.V.: Le noyau initial du bolchevisme et surtout du national-socialisme était composé d'hommes qui avaient combattu sur le front en 14-18. Leur vision des choses avait été transformée par l'expérience de la guerre et, pour certains d'entre eux, de la défaite. Vous le soulignez dans votre livre: Hitler plus que d'autres a vécu comme une douleur et une humiliation terribles l'effondrement de l'armée impériale. On peut se demander si sa vision hyperconflictuelle de la vie politique ne doit pas beaucoup au sentiment de répulsion éprouvé face à cet effondrement. jusqu'à la fin, il aura la volonté d'être plus dur encore que tous ses adversaires, pour que l'Allemagne ne connaisse jamais une honte comparable à celle de 1918.

    E.N.: Les anciens officiers étaient en effet nombreux dans les rangs de la NSDAP - ce que Trotski, ayant lui-même contribué au massacre ou à l'enrôlement forcé des officiers russes, avait oublié lorsqu'il prévoyait l'écrasement probable des « petits-bourgeois » nationaux-socialistes par les communistes. Toutefois, si Hitler n'avait été, comme Rühm, qu'un ancien soldat perdu dans la vie civile, il n'aurait pas connu son destin. Au-delà de l'amertume propre aux sentiments nationalistes de l'époque, Hitler entendait devenir le soldat d'une idéologie et il dut pour cela prendre des leçons auprès de l'idéologie adverse. Certains soldats revenus du front ne peuvent s'accoutumer à la paix. Dans le cas du bolchevisme et du national-socialisme, la vraie question ne résidait pas dans une distinction entre temps de paix et temps de guerre: ces deux doctrines voulaient avant tout purifier le monde. Cette tension vers l'anéantissement de l'adversaire, constitutive de la guerre civile, existait dans un camp comme dans l'autre. J'en cite de nombreux exemples dans mon livre. Ainsi l'intellectuel de gauche Kurt Tucholsky écrit-il l'été 1927 dans ses Oanische Felder: « Que le gaz s'infiltre dans les pièces où jouent vos enfants! Qu' i Is s'affaissent lentement, les poupons. A la femme du conseiller ecclésiastique et du rédacteur en chef, à la mère du sculpteur et à la sœur du banquier, à toutes je souhaite une mort cruelle et pleine de tourments ». Même replacé dans le contexte des exactions brutales des corps-francs, ce genre d'exercices imaginatifs donne une idée de la violence de l'époque.

    D.V.: Votre thèse est que l'histoire euro­péenne, entre 1917 et 1945, est dominée par une guerre civile entre bolchevisme et anti­bolchevisme. Or, le monde anglo-saxon est lui aussi porteur d'une certaine vision du monde, une vision très différente de celles qui se développent sur le continent euro­péen. Vous montrez bien dans votre essai que Roosevelt voulait la guerre. Mais du point de vue qui était le sien, il ne s'agissait pas seulement d'écraser le national-socialisme, mais également d'éliminer une puissance capable d'unifier l'Europe sous sa direction. Cette intervention d'un troisième acteur dans la guerre civile européenne a modifié, non seulement les rapports de force, mais aussi les perspectives idéologiques. je pense ici à la manière dont Oswald Spengler, dès 1920, opposait le monde anglais et le monde prussien, en montrant qu'ils correspondaient à deux modes d'existence collective et à deux visions de l'avenir radicalement contraires. Spengler parle très peu du bolchevisme: à ses yeux, le grand antagonisme oppose le monde organique européen (symboliquement, la Prusse) et le monde mercantile anglo-saxon (symboliquement, l'Angleterre). Ne peut-on dire que 1945, de ce point de vue là, fut aussi une victoire contre l'Europe?

    E.N.: Mais aussi, d'un autre point de vue, une victoire pour l'Europe, si l'on considère le système « libéral » comme un système originairement européen. Par système libéral, j'entends le régime politique fondé sur la séparation et la balance des pouvoirs, et au-delà, sur la pluralité d'expression des réalités sociales. Un tel système, très imparfaitement maintenu aux États-Unis, n'existait plus en Europe sous la férule nationale-socialiste ou bolchevique. En ce sens, la victoire des États-Unis a permis la survie d'une forme d'organisation de la vie politique que je crois européenne dans son essence. Au fur et à mesure de son évolution, Hitler se pensait de plus en plus comme un ennemi de l'Europe existante - l'Europe des classes dirigeantes, l'Europe chrétienne, etc. Comme les bolcheviks, Hitler voulait faire table rase sur le Vieux Continent, mais dans le sens d'un mode de vie archaïque, fondée sur la vertu militaire. Bolcheviks et nationaux-socialistes combattaient chacun à leur manière contre l'histoire, l'un vers une post-histoire « radieuse », l'autre vers un retour aux commencements, avant cette décadence que les nazis voyaient par­tout à l' œuvre dans les siècles récents de l'Europe.

    D.V.: De la « querelle des historiens » à l' « affaire Sioterdijk », en passant par les prises de position très discutées d'auteurs comme Günter Maschke, Botho Strauss, Heimo Schwilk, Rainer Zitelmann, Martin Walser, on a le sentiment d'un réveil du débat outre-Rhin. Ce qui ne va pas sans inquiéter certains esprits, à commencer par celui que l'on a présenté comme le philosophe officiel de l'ancienne République de Bonn, Jürgen Habermas. Qu'en est-il?

    E.N.: Voici quelques jours, j'ai tenu une conférence à Turin sur l'éthique de la discussion, concept forgé par Habermas. A mon sens, si l'on considère cette éthique de la discussion dans la totalité de ses conséquences, elle aboutit au spectre terrifiant d'une huma- nité clonée. Car ce que Habermas recherche comme finalité de la discussion rationnelle, c'est le consensus général. Or, celui-ci n'est possible qu'au prix de l'éradication des différences entre les hommes. Dans sa polémique avec le philosophe de Francfort, Sioterdijk l'a qualifié de « jacobin » dans la mesure où il se veut une sorte de pape séculaire régentant tous les termes le débat.

    Je ne sais si tous les exemples que vous citez sont réellement représentatifs d'un renouveau du débat proprement dit. Il s'agit plus de « scandales » lancés par des médias qui recherchent des événements susceptibles de capter sur une courte durée l'attention du grand public. La querelle des historiens, par exemple, n'a pas été continuée et la publication de ma correspondance avec François Furet ne l'a pas réveillée. De même, la traduction récente du Livre noir du communisme s'est surtout soldée par des polémiques lancées par d'anciens gauchistes contre Stéphane Courtois.

    D.V.: Les querelles idéologiques sont la version froide de la guerre civile. Elles ne prêtent pas au débat, sauf en de brèves occasions, entre dissidents rendus à la liberté par leur dissidence. Mais, d'une façon générale, cela se fait en dehors des grands moyens d'expression qui sont sous contrôle de la pensée unique.

    E.N.: Depuis la fin de la guerre froide, le libéralisme - à ne pas confondre avec le système libéral d'équilibre des pouvoirs dont nous parlions - tend en effet à devenir la pensée unique de l'Occident. Ce n'est pas un totalitarisme au sens classique du terme, car cette notion est liée à la violence physique à l'encontre des personnes. Mais il s'agit bien d'une espèce de totalitarisme doux ou mou, d'une forme inconnue jusqu'à ce jour. Le « politiquement correct » se traduit ainsi par un spectre très restreint d'opinions acceptables dans le débat public.

    D.V.: Ce blocage du débat est patent en ce qui concerne la mémoire du national-socialisme et celle du communisme: la comparaison dépassionnée des deux totalitarismes n'est toujours pas à l'ordre du jour ...

    E.N.: Oui, et il y a beaucoup de causes à cela. En France, par exemple, j'ai le sentiment que les communistes dans leur immense majorité ont été des hommes de gauche avant tout préoccupés de questions sociales françaises: la Russie paraît donc lointaine, et la réalité du communisme russe plus lointaine encore. Par ailleurs, la France ne pourrait pas se quaifier de « victorieuse » sans reconnaître son alliance avec Staline: elle a donc une obligation de gratitude envers la Russie communiste - ce dont témoigne encore votre station de métro Stalingrad!

    Au-delà de ces raisons, qui relèvent du passé singulier de chaque nation, la différence de traitement entre national-socialisme et bolchevisme tient aussi à la profonde affinité des doctrines universalistes. Le national-socialisme fut un particularisme, un racisme au sens réel du terme - et non au sens impropre des polémiques médiatiques qui, à travers un supposé « racisme », condamnent toutes les formes de l'instinct de conservation. Les nationaux-socialistes furent, pour beaucoup, des racistes authentiques: ils croyaient à la hiérarchie des races, ils possédaient une vision supranationale d'un destin racial commun, etc. Cette vision particulariste de l'histoire reste étrangère aux autres doctrines de la modernité, qui peuvent au moins se trouver un fond commun sur la question de l'universalisme.

    D.V.: Curieux universalisme que celui du communisme, qui impliquait la liquidation de la moitié non prolétarienne de l'humanité! Quant au racisme hitlérien, on peut se demander s'il ne comportait pas beaucoup plus d'universalisme qu'on ne l'a dit. On ne saurait oublier son opposition doctrinale et politique au différentialisme culturel, ethnique ou national. Mais pour conclure provisoirement ce débat, je voudrais attirer de nouveau l'attention sur une conséquence majeure de la Deuxième Guerre mondiale. Celle-ci ne s'est pas seulement terminée par la défaite du nazisme, ce dont on se réjouirait, mais aussi par la victoire écrasante de l'Union soviétique et des États-Unis, deux puissances hostiles à l'Europe et à ses valeurs de civilisation. Avec le recul du temps, on voit bien que, malgré les efforts ultérieurs du général de Gaulle, cette guerre fut une catastrophe pour l'Europe et les Européens.

    Propos recueillis par Charles Champetier (Eléments n°98, mai 2000)

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  • La guerre civile européenne : 1917 - 1945

    Les éditions Perrin viennent de publier dans leur collection de poche Tempus, La guerre civile européenne - National-socialisme et bolchevisme 1917 - 1945 du philosophe et historien allemand Ernst Nolte. Il s'agit d'un ouvrage essentiel pour comprendre le vingtième siècle et dont la parution a provoqué en Allemagne un séisme équivalent à celui sucité en France, quelques années plus tard, par Le passé d'une illusion de François Furet ou par Le livre noir du communisme de Stéphane Courtois.

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    "À sa sortie en Allemagne en 1987, ce livre a eu l’effet d’une bombe idéologique : le nazisme, explique Nolte, doit avant tout être replacé dans le contexte d’une « guerre civile » inaugurée par Lénine en 1917, provoquant un séisme qui faillit emporter l’Europe jusqu’à la défaite d’Hitler en 1945. Par un mimétisme paradoxal, les régimes fasciste et nazi empruntèrent en effet au communisme ses méthodes pour mieux le combattre. Il existerait donc un « nœud causal » entre la révolution bolchevique et la naissance des fascismes. Nolte cherche à comprendre pourquoi la réaction antibolchevique d’Hitler a trouvé dans le mythe de la race l’unique réponse à l’internationalisme soviétique ; pourquoi le juif est devenu, dans la mythologie nazie, l’« auteur perfide » de l’État communiste ? L’hypothèse centrale de Nolte a eu l’assentiment de l’historien François Furet, auteur d’une magistrale synthèse sur l’histoire du communisme, Le Passé d’une illusion, et qui a entretenu avec lui une passionnante correspondance : « Issus du même événement, écrit Furet, la Première Guerre mondiale, les deux grands mouvements idéologiques de l’époque se définissent largement l’un par rapport à l’autre… la relation dialectique entre communisme et fascisme est au centre des tragédies du siècle. » La Guerre civile européenne a fait l’objet d’un très vaste débat en Allemagne, la « querelle des historiens », qui s’est largement poursuivie en France lors de sa traduction. Toutefois, aucun des adversaires de Nolte n’a jamais nié son extraordinaire compétence ni la rigueur de son travail historique."

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