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jérôme leroy - Page 6

  • Jérôme Leroy et l'Apocalypse...

     

    Le Cercle Cosaque est un cabaret littéraire animé par Olivier Maulin et Romaric Sangars le premier jeudi de chaque mois, au café à l'enseigne du Grand Turc de la Sublime Porte, autrement appelé "Chez Barak", rue Sambre et Meuse dans le dixième arrondissement de Paris. On y invite et célèbre des auteurs vivants, on y débat, on s'y querelle, on y boit du vin. Déconseillé aux abstèmes, aux fâcheux et aux tièdes.

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    Fukushima, révoltes, guerres, catastrophes en tout genre, réchauffement climatique... bientôt l'apocalypse ?
    Pour en parler, Romaric Sangars et Olivier Maulin recevront l'écrivain de la fin du monde, Jérôme Leroy, le 7 avril prochain autour d'une tasse de thé au radium. Entrée libre. Sas de décontamination. Mesure de radioactivité obligatoire. Venez nombreux !
    Horaire et lieu:
    jeudi 7 avril, à partir de 20 heures 30,
    Chez Barak
    29 rue Sambre et Meuse
    Paris 10
     

    Rappelons pour ceux qui ne le saurait pas que Jérôme Leroy est le maître de l'anticipation noire avec des romans comme Monnaie bleue (1997) , La grâce efficace (1999), Bref rapport sur une très fugitive beauté (2002), Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque (2007) ou La minute prescrite pour l'assaut (2008) dont nous vous conseillons vivement la lecture !...

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  • Une littérature du désordre...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Jérôme Leroy, cueilli sur son blog Feu sur le quartier général, consacré à la littérature policière. Jérôme Leroy est l'auteur de plusieurs excellents polars d'anticipation comme Monnaie bleue, Bref rapport sur une très fugitive beauté ou La minute prescrite pour l'assaut.

      

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    Roman noir : les infortunes de l'engagement

    Le simple fait de poser la question de la politique et de l’engagement en ce qui concerne la littérature policière revient à nous interroger sur sa définition même. Roman policier, roman noir, whodunit, thriller, techno thriller ? Nous ne sommes pas ici simplement en présence de sous-genres mais aussi de projets littéraires qui n’ont plus grand chose à avoir entre eux, sinon la place qu’ils occupent dans les rayons d’une médiathèque, d’une bibliothèque municipale ou d’une librairie quand on les rassemble arbitrairement par commodité commerciale ou paresse intellectuelle.

    Et cela peut faire sourire car quelques minutes de lucidité de la part d’un de ces professionnels du livre devraient pourtant lui montrer qu’il y a pas ou plus grand chose de commun entre un lecteur qui va acheter le dernier Fred Vargas et celui qui va s’offrir la réédition récente en un seul volume des romans de Dashiell Hammett (1), entre celui qui emprunte spasmodiquement les Agatha Christie et autres reines du crime comme Martha Grimes ou Elisabeth Georges,  celui qui ne jure plus que par le polar scandinave façon Mankell et celui pour qui ce genre littéraire est devenu le lieu d’expérimentations narratives et stylistiques, notamment chez l’Anglais David Peace mais aussi des Américains comme James Ellroy, James Sallis, Chuck Palahniuk ou encore Don De Lillo.

    La littérature policière est, par essence, une littérature du désordre. Elle va mettre en scène, pour le lecteur qui retrouve avec elle l’ancestral plaisir de la peur, des meurtres, des vols, des complots, des manipulations, des escroqueries, des massacres avec les mobiles les plus violents parce que les plus primaires : l’envie, la jalousie, l’appât du gain, l’ivresse du pouvoir, la folie psychotique ou la volonté de puissance. Elle est, à proprement parler, cette part maudite présente dans toutes les sociétés, cet impensé radical dont parle Georges Bataille et que Baudrillard définit ainsi : « Dans l'optique de Bataille, la part maudite est quelque chose qui ne peut pas s'échanger selon l'échangé conventionnel, et donc doit être sacrifiée pour retrouver une forme d'équilibre fonctionnel. » 

    On voit d’ailleurs pourquoi la littérature policière est si directement la fille de la tragédie antique et qu’elle joue chez le lecteur contemporain le rôle cathartique que lui assignait Aristote envers le spectateur grec d’Eschyle ou de Sophocle : « La tragédie par la pitié et la crainte purge ses semblables de ses semblables passions. »

    Que ce soit dans les antichambres de la CIA ou dans la bibliothèque d’un manoir anglais, dans les bas-fonds mondialisés de l’horreur à New-York, Londres, Paris ou dans le huis clos étouffant des familles provinciales recuites dans leurs haines généalogiques, la littérature policière est là pour apporter le dérèglement, la crise, la fin d’une harmonie quand bien même celle-ci se serait révélée entièrement factice.Désordre, oui, et donc révélation. 

    Il reste à savoir ce que la littérature policière va faire de cette révélation.

    Et c’est là qu’intervient le problème de l’engagement de l’auteur. La littérature policière, par son projet même, est vite suspecte aux yeux de l’ordre établi et de la critique officielle. Contrairement à la tragédie, elle s’adresse à un public populaire dans une forme en elle-même toujours tenue pour un peu suspecte, une forme moins « noble » : le roman. Elle est donc, potentiellement, subversive. On remarquera d’ailleurs l’absence presque totale de littérature policière dans les sociétés totalitaires qui se vivent parfaites par essence.

    Une des premières occurrence du terme « roman policier » est, de fait, péjorative. Elle apparaît sous la plume d’un certain Gaschon de Molènes, en 1842, dans la Revue des Deux Mondes. Il qualifie ainsi Une ténébreuse affaire de Balzac en signifiant que ce livre « appartient à la pire espèce des œuvres littéraires. ». On classerait aujourd’hui Une ténébreuse affaire dans la catégorie des thrillers politiques et Balzac est ici un des tous premiers à montrer le rôle décisif des polices secrètes dans le fonctionnent des sociétés modernes et leur aptitude à manipuler et monter des provocations pour permettre au pouvoir de se consolider dans la répression de périls imaginaires.

    Serge Quadruppani, lui même auteur de romans noirs, mais aussi essayiste et analyste subtil de la question, a appelé « idéologie antiterroriste » cette étrange pratique dont même les démocraties font un usage abondant. Pour s’en convaincre, on pourra lire, justement, des romans policiers ou plutôt des romans noirs : le triptyque de James Ellroy sur l’histoire des USA au moment de Kennedy et de Nixon, de Cuba et de la guerre du Vietnam mais aussi par exemple Les terroristes de Sojwall et Walhoo qui se passe dans le décor apparemment beaucoup plus apaisé de la Suède social-démocrate des années soixante.

    Peindre un désordre est une chose, savoir ce qu’on en fait en est une autre.

    Ellroy, par exemple, est un conservateur et ne s’en cache pas tandis que Sojwall et Walhoo étaient membre du parti communiste suédois. Pour l’un montrer l’infamie du politique renvoie à une méditation assez désespérée sur la perversité intrinsèque de la nature humaine tandis que pour les autres, il s’agit avant tout d’une critique sociale montrant les imperfections et les impasses d’un État Providence par trop auto satisfait.

    Critique sociale, le mot est lâché. La littérature policière est aussi devenue, non sans ambigüités, une littérature de la critique sociale. Le cas de la France est à ce titre exemplaire puisqu’elle a vu naître un courant, le néo polar, qui s’est diffusé un peu partout en Europe mais n’en reste pas moins un phénomène spécifique comme l’ont montré dans une étude pertinente, Le polar français (2), deux universitaires allemands Elfriede Müller et Alexander Ruoff. Le néo polar apparaît au début des années 70 et va renouveler un genre à bout de souffle comme en témoignait concrètement le déclin commercial de certaines collections historiques comme Le Fleuve Noir ou même La Série Noire.

    Les auteurs du néo polar sont à cette époque, pour la plupart, des anciens de Mai 68 ayant appartenu aux chapelles les plus différentes de l’extrême gauche maoïste, trotskyste ou situationniste. Le père de ce courant est Jean-Patrick Manchette (1942-1995). Il est aujourd’hui considéré comme un écrivain à part entière et des auteurs de la littérature « blanche » aussi prestigieux que Jean Echenoz lui reconnaissent une dette stylistique immense.

    L’idée de Manchette est simple : si la révolution a échoué en 1968, il faut la continuer par d’autres moyens et le roman policier en est un. Il récusera au passage cette appellation de roman policier et préfèrera parler de roman noir. En ce sens, il renvoie très clairement au courant « hard boiled » américain né au moment de la crise de 29 avec le grand Dashiell Hammett, communiste et prisonnier politique des geôles de Mac McCarthy, dont Moisson Rouge est le chef d’œuvre fondateur. Moisson Rouge, pour résumer, raconte un carnage. Le patron d’une petite ville minière du Montana a utilisé les services de truands pour réprimer les grèves. Mais ces derniers, comme les mercenaires carthaginois dans Salammbô, ne veulent plus lâcher leur part du gâteau. On engage un privé qui est le narrateur et qui va jouer la carte de la division entre les truands, jusqu’à ce que ceux-ci se massacrent joyeusement. L’intérêt du livre, bien entendu, est avant tout dans le traitement de cette intrigue par une forme d’écriture totalement inédite, qu’on a pu appeler behavioriste ou comportementaliste. Les motivations et les sentiments des personnages ne sont jamais exprimés ou explicités. Le lecteur peut deviner ce qui se passe seulement à partir des indices extérieurs qui lui sont donnés.

    Jean-Patrick Manchette importa ce style en France pour ses propres romans mais il importa aussi la thématique qui allait avec. Le roman noir ne se contentait plus du meurtre en chambre close, ou de la banale histoire de mauvais garçons façon Albert Simonin, il abordait frontalement la question sociale, la critique du système capitaliste, la violence des rapports de production. Et surtout, surtout, le « hard-boiled » se refusait à tracer une frontière entre les bons et les méchants comme il se refusait à donner une fin « où tout rentre dans l’ordre » puisque précisément, l’ordre en question est critiquable voire nuisible. Pas question d’arrêter le criminel pour rassurer tout le monde puisqu’il n’est plus certain que le criminel en soit un ou en tout cas que ses raisons d’avoir commis un crime ne soient pas infiniment plus respectables que celles de ceux qui vont l’arrêter et le juger.

    Comme Dashiell Hammett qui influencera directement tous les grands noms du roman noir américain des trois décennies suivantes (Goodis, Thompson, Himes, Burnett…), Jean-Patrick Manchette va lui aussi être suivi d’une série d’écrivains, tous issus de l’extrême gauche(3), qui vont donner des œuvres importantes. On citera, pour mémoire Frédéric Fajardie et Thierry Jonquet, décédés en 2008 et 2009 mais aussi Jean-Bernard Pouy, Jean-François Vilar, Serge Quadruppani ou Didier Daenincks. Qu’ils revisitent des périodes historiques sombres comme l’occupation ou la guerre d’Algérie ou qu’ils dénoncent une société vivant une guerre à bas bruit dans ses banlieues et autres quartiers de relégation, ces auteurs ont connu un grand succès tant ils étaient en écho avec une société sortant difficilement des Trente Glorieuses à travers une crise économique de longue durée qui allait bouleverser tous les repères.

    La création de la collection du Poulpe, anti SAS (l’espion créé par Gérard de Villiers à l’anticommunisme rabique), par Pouy, Raynal et Quadruppani en 1995 marque un sommet dans ce désir d’un polar ouvertement engagé. Héros récurrent, Le Poulpe, alias Gabriel Lecouvreur, est confronté aux principaux problèmes rencontrés par la société française dans chacune de ses aventures ayant toutes pour titre un jeu de mots (4) et écrites par un auteur différent: sectes, corruptions, montée de la xénophobie, délocalisations massives… Parfois très réussis, parfois franchement ratés, les Poulpe sont néanmoins un phénomène littéraire d’écriture collective unique en son genre et qui après une interruption de quelques années, a repris de plus belle et en est à sa 270ème aventure.

    Le problème est que le néo polar n’est plus très néo et a tendance à s’épuiser, faute de se renouveler. L’antifascisme affiché a souvent chez les successeurs et les épigones actuellement en activité de Manchette pris l’allure d’une posture commerciale plus que d’un engagement de fond. On dispose, ou on croit disposer d’une « niche » auprès d’un public convaincu. Une sorte de bonne conscience politiquement correcte, de manichéisme moralisateur voire de maccarthysme inversé comme celui de Didier Daenincks dressant périodiquement des listes de confrères qu’il juge mal pensants, conduit à une exténuation du néo polar et à la figure par trop limitée de l’écrivain engagé.

    C’est d’autant plus dommage que ce vide laisse la place à un roman policier qui retrouve son innocuité de pur divertissement consumériste à une époque qui aurait pourtant besoin, plus que jamais, d’un polar qui sait raconter de bonnes histoires mais aussi tirer des sonnettes d’alarmes sur les nouveaux périls de notre monde comme les catastrophes écologiques ou les crispations ethnico-religieuses. Le succès d’un Frank Thilliez et d’un Maxime Chattam avec leurs thrillers « à l’américaine » ou d’une Fred Vargas, qui se targue elle-même d’écrire des « polars calmants. » n’est pas forcément bon signe. Quelle que soit la qualité littéraire que l’on puisse reconnaître à ces textes, cela marque une forme de régression par rapport à une littérature qui avait presque réussi à s’imposer comme un genre littéraire à l’égal des autres.

    Mais Manchette, toujours lui, ne remarquait-il pas dès 1978 : « Quand le monde a cessé d'être frivole, les polars le deviennent".

    Jérôme Leroy (Revue générale de Belgique, janvier 2011)

    (1)  Gallimard, collection Quarto

    (2)  La fabrique éditions

    (3)  A la notable exception du grand ADG, mort en 2004. Cet auteur de la Série Noire est le contemporain de ses petits camarades rouges, raconte admirablement les mêmes histoires qu’eux mais adopte un point de vue d’anarchiste de droite qui lui vaudra l’inimitié des idiots et l’amitié des esprits libres comme Frédéric Fajardie, ex-mao et donc franchement de l’autre bord.

    (4)  La petite écuyère a cafté, Sarko et Vanzetti, Mort à Denise

     

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  • Big sister...

    Les éditions Mille et une nuits viennent de republier Big sister, un petit polar d'anticipation de Jérôme Leroy. On retrouve l'univers sombre et violent de l'auteur de Monnaie bleue, de Bref rapport pour une très fugitive beauté ou de La minute prescrite pour l'assaut. A lire ! 

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    "Mers et cieux pollués, voies rapides entrelacées à l'infini, publicité omniprésente, argent roi... la société du futur - qui ressemble tant à la nôtre - est désormais sous le contrôle d'un super-ordinateur à la voix de pin-up : grâce à ses brigades qui veillent, rien n'échappe à Big Sister. Dans ce monde en sursis digne de celui de George Orwell, seuls quelques hommes et femmes cherchent à échapper aux règles édictées par la machine : la jolie gauchiste Céline Loup et son ancien amant, le lieutenant François Kieffer, sont dans Son colimateur... Dans une course effrénée contre l'arbitraire, ils cherchent désespérément une issue."

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  • J'ai deux Zemmour...

    Nous reproduisons ici un article de Jérôme Leroy, écrivain et auteur de plusieurs excellents polars d'anticipation, publié sur Causeur, à propos des poursuites engagées à l'encontre d'Eric Zemmour.

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    J'ai deux Zemmour

    Le moyen le plus simple pour perdre des amis, ou faire le tri, est assez simple. Il suffit de dire ce que l’on pense vraiment sur certains sujets comme, au hasard, l’islam, le vin naturel, la délinquance, le conflit israélo-palestinien, le retour de la mode des gros sacs chez les filles ou le procès fait à Eric Zemmour. J’ai donc décidé d’en avoir beaucoup moins, d’amis, en disant que je trouve absolument scandaleux qu’Eric Zemmour soit poursuivi devant les tribunaux. Je sais très bien ce qui va se passer mais c’est plus fort que moi.

    À gauche, on va me soupçonner (on est souvent suspicieux à gauche). On va dire qu’au fond, j’ai toujours été de droite et qu’il n’y a qu’à faire un tour dans ma bibliothèque pour le savoir. Ça passe son temps à lire Bloy et Bernanos, Drieu et Nimier et ça vient se prétendre communiste.
    À droite, on va ricaner (on est souvent ricaneur à droite). On va dire que je veux faire mon malin, mon anticonformiste mais au fond, que je suis toujours pour l’appropriation collective des moyens de production et que si ça se trouve, je pense que le bilan des pays de l’Est est globalement positif. Sans compter que l’on m’a vu soutenir Julien Coupat et que je passe son temps à dire du bien des étudiants anglais et des anarchistes grecs.
    En fait, j’ai envie de défendre Eric Zemmour malgré Eric Zemmour.

    Je m’explique. Eric Zemmour est poursuivi parce qu’il a fait du Eric Zemmour. Ça nous guette tous. Quand l’homme politique, le polémiste, le poète, l’écrivain, le journaliste sont trop sollicités, ils s’auto-pastichent, se caricaturent et finissent toujours par se ridiculiser ou par dire une bêtise. Paul Verlaine, qui avait compris ce danger, avait décidé de le prévenir et avait lui-même écrit un poème intitulé « Dans le genre de Paul Verlaine », histoire de montrer qu’il était conscient de ses tics.
    Eric Zemmour aurait dû faire du Eric Zemmour en privé et pas chez Ardisson dont on sait qu’il a une vieille pratique de l’interview conçue comme une chasse à l’homme sauf chez ceux qui font l’unanimité médiatique du moment. Eric Zemmour a fait du Eric Zemmour à cause de nous tous, aussi, nous ses auditeurs, ses lecteurs, ses spectateurs qui le détestons, l’aimons et parfois les deux à la fois.

    Par exemple, Zemmour a fait du Zemmour pour être encore plus aimé par une droite populaire et dure. Résultat, on finit par être aimé par le député tourquennois Christian Vanneste pour qui Marine Le Pen est une gauchiste, les homosexuels des sous-hommes et la France une nation chrétienne, forcément chrétienne, une nation qui fait n’importe quoi depuis, mettons, 1789. Quand j’ai appris que Christian Vanneste soutenait Eric Zemmour, je me suis dit que même si je n’étais pas toujours d’accord avec lui, il ne méritait pas ça, Zemmour. Et j’ai tout de suite pensé, allez savoir pourquoi, au titre du film qui a raconté le procès contre Charlie Hebdo au moment des caricatures de Mahomet.
    Mais Zemmour a aussi fait du Zemmour pour être encore plus détesté. Etre détesté est un grand plaisir narcissique, ce que ne savent pas les gens qui vous détestent car s’ils le savaient, ils cesseraient de vous détester pour ne pas vous faire plaisir. Le champion de la détestation zemmourienne, je crois, c’est Claude Askolovitch. Pour Claude Askolovitch, quand on dit le mot France, on est déjà fasciste. Et quand on dit le mot France et qu’on est de gauche, on finit par devenir fasciste un jour ou l’autre. Le syllogisme de la mort.

    La preuve, nous dit Askolovitch, Chevènement soutient Zemmour. Tiens, encore une bonne raison de soutenir Zemmour, ça, pour moi. Chevènement a beau avoir un peu oublié le volet antilibéral de son souverainisme, c’est tout de même en participant à sa campagne de 2002 qu’il m’est arrivé deux choses bénéfiques : ma rencontre avec Elisabeth Levy et la possibilité de penser enfin à peu près clairement l’articulation entre nation et progrès social, quand règne partout la mondialisation.
    Tenez, je pense que Zemmour, au bout du compte, n’est pas attaqué pour ce que l’on dit dans les gazettes mais parce qu’il critique la mondialisation et l’Union Européenne de façon tout aussi virulente qu’un altermondialiste dans un séminaire sur le commerce équitable à Porto Alegre. Et que l’on n’est pas habitué à ce que ce genre d’attaque vienne de ce côté là. Ou alors qu’on lui en veut, dans une société de l’indifférenciation sexuelle programmée, pour avoir rappelé, un peu brutalement, que le transgenre n’était pas forcément l’horizon indépassable des rapports homme/femme.

    On sait très bien, depuis l’Antiquité, que les porteurs de mauvaises nouvelles paient pour la mauvaise nouvelle. On fait semblant, quand on les traduit devant les tribunaux, de leur en vouloir pour une chose, par exemple l’immoralité pour Flaubert ou l’antisémitisme pour Céline. Alors que c’est en fait pour l’angle de vue inédit (on appelle parfois aussi cela le style) apportés sur nos manques et nos lâchetés qu’ils sont cloués aux gémonies et voués au pilori, à moins que ce ne soit le contraire.
    Pourquoi est-il poursuivi, d’ailleurs, Zemmour ? Parce qu’il a dit que la plupart des trafiquants en prison étaient noirs et arabes. Et alors, pour avoir fait quelques ateliers d’écriture en milieu carcéral, comme on dit, même pour moi, c’est évident. Il aurait même pu ajouter qu’on trouve aussi des Gitans, souvent spécialisés dans le braquage.
    J’ai mon idée, de gauche, sur le pourquoi de cette surreprésentation. Ce n’est pas celle de Zemmour. Enfin, je ne crois pas.
    Mais a-t-il dit pour autant, un seul instant, qu’ils étaient là en raison de prédispositions génétiques ou pour des raisons de formule sanguine ? Il ne me semble pas. S’il l’avait dit, cela aurait été, effectivement, raciste. Là, il a juste oublié de terminer sa phrase, ce qu’il fait si bien quand il écrit Petit frère, qui n’est pas aussi bon sur le même sujet que Ils sont votre épouvante de Thierry Jonquet, mais qui n’est pas mal tout de même. Il pense que c’est dû à la mondialisation qui a fait perdre le sentiment d’appartenance à une même nation qu’il définit à la Renan comme un plébiscite renouvelé chaque jour. Jusque-là, je serais plutôt du même avis.
    Pour le reste, savoir pourquoi il y a des gens dans les quartiers qui ne participent plus au plébiscite (mais est-ce que les patrons délocaliseurs et les exilés fiscaux y participent encore, eux ?), on a le droit d’apporter la réponse que l’on veut.

    Zemmour estime que l’islam y est pour beaucoup. D’autres pensent que c’est un facteur parmi d’autres, et plutôt marginal. J’en fais partie.
    Le principal est de pouvoir en discuter. Jusqu’au bout.
    Quitte à s’engueuler gravement. Mais loin des prétoires. Très loin. Sinon, la France va finir par ressembler à une série judiciaire américaine. Et elle a beau être esquintée, fébrile, angoissée, elle mérite mieux que ça, je trouve, la France.

    Jérôme Leroy (Causeur, 18 janvier 2011)

     

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  • Le beau temps revient...

    Installez-vous à une terrasse, sortez vos lunettes de soleil, commandez un café et dégustez Physiologie des lunettes noires, un petit essai de Jérôme Leroy, publié chez Mille et une nuits.

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    "« Tu veux commencer par quoi ? Les juges chinois, La Dolce Vita, Robespierre, Monica Vitti, Bukowski, les filles de Lui et Playboy ou Raymond Bankerstein ? » 
    La chose est désormais entendue. Les lunettes noires sont de l’ordre de la séduction, du dandysme, du signe amoureux ou mystérieux, du jeu, de ce qu’il y a de plus agréable finalement dans la civilisation. Mais quand on y songe, cet accessoire qui protège autant qu’il révèle, masque autant qu’il montre, est aussi le seul point commun entre l’actrice et le dictateur. Entre Audrey Hepburn et Augusto Pinochet. 
    Jérôme Leroy cerne tout ce qui fait des lunettes noires l’accessoire décisif d’une époque qu’il faut filtrer si on veut lui survivre.

    Jérôme Leroy est poète et romancier. Depuis son premier roman, L’Orange de Malte (Le Rocher, 1990), il a publié une vingtaine de recueils et de romans, dont, dernièrement, La Minute prescrite pour l’assaut (Mille et une nuits, 2008) et Un dernier verre en Atlantide (La Table ronde, 2010)."

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  • James Ellroy, agent provocateur

    Jérôme Leroy a publié dans Valeurs actuelles (11 février 2010) un beau papier sur le dernier roman de James Ellroy, Underworld USA, paru chez Rivages.

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    James Ellroy, agent provocateur

    Fresque totale mêlant l’historique et l’intime, “Underworld USA” est l’histoire pleine de bruit et de fureur de l’envers ténébreux de l’Amérique des quarante dernières années, racontée par un romancier au sommet de son art.

    On oublie trop souvent que la littérature, comme l’infanterie, est l’arme des cent der­niers mètres. On a beau préparer le terrain avec l’artillerie de la documentation, avec des bombardements massifs de données, d’archives, de témoignages, il faudra toujours se préparer au corps à corps décisif pour remporter la victoire. Une vic­toire sur le temps et les choses cachées depuis la création du monde, sur l’opacité des amours perdues, des crimes sans rédemption et des spasmes occultes de l’Histoire.

    Seuls quelques rares romanciers semblent équipés pour affronter ces intuitions ruineuses, ces vérités ambiguës et cette « approbation de la vie jusque dans la mort », aurait dit en son temps Georges Bataille.

    James Ellroy fait partie de cette confrérie très fermée. Sur la scène américaine, on peut même penser que, depuis la mort de Norman Mailer, il ne reste plus, en ce domaine, que Don DeLillo et lui pour convoquer l’indicible sur des centaines de pages.

    Ils ont d’ailleurs tous les trois – mais est-ce un hasard ? – traité à un mo­ment donné d’un sujet identique avec la même minutie obsessionnelle, le même hyperréalisme psychotique, le même génie inquiétant : l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, un jour de novembre 1963 à Dallas. Ils en ont fait autre chose qu’une banale his­toire de complot où Lee Harvey Oswald aurait été l’idiot utile de la Mafia, du lobby militaro-industriel et des Cu­bains anticastristes. Ils ont, chacun à sa manière, transformé l’événement en une mythologie fondatrice d’une histoire américaine violente et flamboyante, occulte et féroce, épique et atroce. Pour Mailer, ce fut Oswald, un mystère américain, pour Don DeLillo Libra et pour James Ellroy American Death Trip, deuxième volet d’une trilogie dont Underworld USA qui vient de paraître est le dernier volume.

    Pour Don DeLillo, l’écrivain est une autre figure du terroriste et de l’assassin. C’est cette déclaration hal­lucinée dans Mao II, l’un de ses meilleurs romans, qui met les choses au point : « C’est le romancier qui com­prend la vie secrète, la rage qui sous-tend toute obscurité ou tout abandon. Vous êtes plus ou moins meurtriers pour la plupart. »

    Pour James Ellroy, l’écrivain est plu­tôt un espion dix fois retourné, un infiltré aux fidélités contradictoires, aux étranges loyautés qui ne sait plus quel maître il doit servir pour atteindre le cœur du secret, comme nous le dit l’un de ses mystérieux narrateurs dans la déclaration liminaire d’Underworld USA : « Ce livre est construit sur des documents publics et des journaux intimes dérobés. Il représente la somme de mon aventure personnelle et de quarante années d’études approfondies. Je suis à la fois un exécuteur littéraire et un agent provocateur. »

    Et vont suivre sous la plume de “l’agent provocateur” James Ellroy huit cents pages polyphoniques pour couvrir la période allant du lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, en 1968, à la mort, en mai 1972, de J. Edgar Hoover, l’inamovible patron d’une police politique appelée FBI et à la campagne pour la réélection de Nixon portant déjà en germe le scandale du Watergate.

    « Violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants », disait déjà Alexandre Dumas. James Ellroy a suivi le conseil à la lettre, avec la soyeuse brutalité d’une écriture qui scande autant qu’elle caresse, une écriture qui dira avec la même conviction com­ment un commando anticastriste scalpe des garde-côtes cubains ou comment on peut se consumer d’amour pour une femme de quinze ans plus âgée, comment on peut à la fois être un ancien flic ra­ciste flingueur de Nègres dans les ghettos de Los Angeles ou de Las Vegas et l’amant d’une syndicaliste noire à qui l’on va consa­crer sa vie et toute son éner­gie pour retrouver le fils disparu.

    Ellroy sait que l’électricité, l’énergie d’un roman comme Underworld USA qui ambitionne la fresque totale ne peuvent circuler que dans la friction per­manente entre l’intime et l’historique. Pour l’historique, Ellroy nous em­mène chez Howard Hughes, en pleine paranoïa hypocondriaque et raciste, entouré de ses gardes mormons et achetant à prix d’or les hôtels de Las Vegas à la Mafia.

    Nous nous retrouvons aussi, et c’est une sacrée épreuve, dans la psyché en décomposition de J. Edgar Hoover, qui monte des opérations de plus en plus compliquées et kafkaïennes pour déstabiliser le nationalisme noir des Black Panthers ou les groupes hippies pour la paix, se croyant toujours à l’époque où il luttait contre la subversion communiste. Un Hoover qui angoisse même à propos des chansons qui passent à la radio en cet été 1968, et notamment Tighten Up, jouée par Archie Bell and the Drells : « Cette chanson propage une atmosphère d’insurrection et d’activité sexuelle. Je suis sûr que les libéraux blancs lui trouveront un air d’authenticité. J’ai demandé à l’A.S.C. de Los Angeles d’ouvrir un dossier sur M. Bell et de déterminer l’identité de ses Drells. »

    Pour Ellroy, l’histoire et la vérité sont liées par d’étranges rapports

    Sans compter que l’on croise à plusieurs reprises un Nixon qui doit se raser trois fois par jour pour ne pas avoir l’air d’un margoulin vendeur de voitures d’occasion et le président Balaguer, de la République dominicaine. Balaguer est un nabot cruel faisant la danse du ventre auprès de la Mafia qui veut installer ses casinos et les infrastructures touristiques qui vont avec dans une dictature qui ne risque pas de basculer du côté des rouges.

    Évidemment, tous ces personnages, qui ont réellement existé selon la formule consacrée, sont liés par des pactes plus ou moins sanglants imaginés par un James Ellroy pour qui l’histoire et la vérité entretiennent ces étranges rapports que définissait déjà l’Arioste : « Si tu veux que le vrai ne te soit pas caché/Retourne entièrement l’histoire en son contraire,/Les Grecs furent vaincus, Troie fut victorieuse/ Tandis que Pénélope fut une catin. »

    Pour rendre crédible, terriblement crédible cette vision, Ellroy a créé d’autres personnages, purement fictifs ceux-là, mais dont l’épaisseur et la cohérence rendent la présence inoubliable. Il y a d’abord les vieilles con­naissances des romans précédents comme Wayne Teadrow junior, ancien policier, chimiste, drogué, rongé par la culpabilité, parricide et homme de confiance d’Howard Hughes. Ou Dwight Holly, première gâchette de Hoover, violent, tendre et désespéré par les combats douteux qu’il doit mener. Ces deux hommes sont évi­demment amenés à se croiser, à se jauger, alliés de circonstance habités par les mêmes obsessions, le même désir de rédemption et l’amour pour des femmes qu’ils ne devraient pas aimer, comme pour Holly Karen Sifakis, militante gauchiste et professeur d’université dont le journal intime nourrit les plus belles pages du livre.

    Un écorché vif caché sous une réputation de machiste réac

    C’est que l’on oublierait à quel point Ellroy, derrière sa réputation d’ultraconservateur machiste et homophobe, est avant tout, de par son propre itinéraire, un écorché vif. L’adolescent voyeur, voleur et toxicomane qu’il fut est pour toujours obsédé par la mort de sa mère, assassinée un jour de 1958, alors qu’il avait 10 ans, sans que le coupable soit jamais retrouvé.

    Il raconte tout cela dans Ma part d’ombre, son autobiographie bouleversante. Il en fait aussi le thème central du premier roman qui le fera vraiment connaître, le Dahlia noir, inspiré d’une célèbre affaire qui rappelle la mort de sa mère : l’assassinat, en 1947, d’une starlette d’Hollywood, Elizabeth Short, jamais élucidé non plus.

    Cet amour fou pour les femmes, qu’il voit comme les cibles privilégiées de tous les prédateurs, fait de James Ellroy une exception dans le roman noir. Elles ne sont chez lui ni fatales ni éplorées. Elles sont des présences vivantes, des figures fortes et vulnérables à la fois, capables de sacrifices dans un univers totalement corrompu qui a perdu jusqu’au sens de ce mot. Ainsi en va-t-il dans Underworld USA pour Karen Sifakis mais aussi pour Joan Rosen Klein, “la déesse rouge” qui traverse le roman avec sa chevelure noire et ses étranges cicatrices.

    Mais le nouveau venu le plus étonnant est sans aucun doute la projection directe d’Ellroy lui-même, le jeune Don Crutchfield. Il a 23 ans, joue le chauffeur pour des détectives privés, recherche sans espoir sa mère qui l’a abandonné, s’acoquine avec Mesplède, un mercenaire français déjà présent dans le précédent volume, ancien de l’OAS, tueur de Kennedy et toujours animé par une rage anticommuniste qui le pousse à des expéditions suicidaires et violentes sur les côtes cubaines. Mesplède ne parvient pas à pardonner le cauchemar de la baie des Cochons et nomme son petit bateau de guerre personnel PT 109, du nom donné au modèle de vedette lance-torpilles commandé par le jeune Kennedy dans le Pacifique pen­dant la Seconde Guerre mondiale, « pour dif­famer de façon ironique l’homme que j’ai tué à Dallas ».

    Pour Crutchfield, Mes­plède est le père satanique, celui qui lui apprend à tuer, et de la manière la plus impardonnable qui soit, c’est-à-dire gratuitement. Avec Crutchfield, qui se retrouve involontairement au cœur de toutes les intrigues mortifères d’Underworld USA, Ellroy a créé un véritable Candide du roman noir, à la fois pervers et angélique, qui est bel et bien, au bout du compte, le démiurge de cette histoire pleine de bruit et de fureur racontée par cet idiot sur­doué.

    Underworld USA mar­que aussi chez Ellroy un point d’équilibre qui n’était pas toujours au rendez-vous dans ses précédents ro­mans, où l’innovation formelle, le travail trop poussé sur la musicalité du style, com­me dans White Jazz, nui­saient à la narration. Cette fois-ci le dosage habituel entre coupures de presse, mémos du FBI ou de la CIA, lettres volées et journaux intimes est impeccablement maîtrisé.

    On se souviendra pour terminer de la scène inaugurale de Brown’s Requiem, le tout premier roman de James Ellroy, alors qu’il était encore caddy sur les greens de Los Angeles : un homme sort sa télévision dans sa cour et la détruit en tirant dessus au fusil à pompe. On peut y voir une jolie métaphore sur la force de l’écriture contre l’image ou alors, si vous pré­férez, un simple conseil technique pour être certain de n’être distrait par rien quand vous commencerez la lecture de ce monument appelé Underworld USA.

    Underworld USA, de James Ellroy, Rivages, coll. “Thriller”, 848 pages, 24,50 euros.

    Toute l’œuvre de James Ellroy est disponible aux éditions Rivages.

    (Source : Valeurs actuelles, 11 février 2010)

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