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  • Et si la France commençait à s’intéresser sérieusement à l’Italie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la montée en puissance de l'Italie en Europe. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    Et si la France commençait à s’intéresser sérieusement à l’Italie ?

    La décomposition du Moyen Orient s’accroît et s’étend, on meurt toujours en Ukraine même si l’on commence enfin à parler de paix, l’Amérique gonfle ses prétentions et ses ambitions, la Chine poursuit discrètement ses prises de contrôle, l’Afrique retrouve ses démons et oublie le désespoir des populations, l’Europe, à force de se perdre dans le nombrilisme et l’autosatisfaction, s’étiole et s’efface, la France se délite et fait le spectacle… Essayons d’oublier un moment ce contexte préoccupant et intéressons-nous à un proche et beau pays.

    Les Français ont l’habitude de regarder l’Italie avec un mépris certain : pour eux, l’Italie, ce sont de belles, mais vieilles, pierres, un bel canto juste bon pour une promenade en gondole, et des pizzas bien pratiques pour rendre sages les enfants turbulents ; les Européens dignes de nous, ce sont les Allemands et les Britanniques car eux, au moins, sont sérieux. Ne serait-il pas temps d’abandonner ces niaiseries ?

    L’Italie est le 3ème pays de l’Union Européenne par la population [1], le 3ème aussi par le PIB [2]. Elle a demandé son admission à l’ONU dès 1947 [3], fut l’un des 12 pays qui ont fondé l’OTAN en 1949 et a, dès l’origine, participé à l’aventure européenne en étant l’un des 6 pays signataires du Traité de Rome de 1951 créant la CECA.

    Son positionnement géographique la place à proximité de plusieurs foyers de tension qui menacent l’Europe : le Proche-Orient, l’Afrique du Nord et les Balkans. Elle est autant que la France soucieuse à la fois d’entretenir des relations de confiance avec les pays concernés et de se prémunir contre leurs influences délétères.

    C’est aussi une puissance économique. Elle est désormais le 4ème exportateur mondial, devant le Japon. Ses capacités sont particulièrement reconnues dans les secteurs industriels de haute technologie, grâce à un outil industriel mêlant entreprises de stature mondiale [4] et un tissu extrêmement dense d’ETI œuvrant, soit directement, soit comme sous-traitants des grands groupes mondiaux (on estime ainsi que 20 % de la valeur d’une automobile allemande correspond à ses composants venant d’Italie [5]). Les qualités de cet outil industriel expliquent que l’Italie soit le 3ème pays d’excédent commercial de l’Union Européenne (la France étant le pays dont le déficit est le plus important) et qu’au cours de la dernière décennie, les exportations italiennes ont été les plus dynamiques du G7 [6].

    L’Italie tient également une place significative en matière de recherche fondamentale et dispose d’instruments de recherche particulièrement novateurs utilisés dans le cadre de coopérations mondiales [7].

    Enfin, l’instabilité gouvernementale qui a longtemps caractérisé l’Italie n’est plus de mise aujourd’hui. Giorgia Meloni est l’une des rares personnes au pouvoir en Europe à être sortie renforcée du scrutin européen, son gouvernement a déjà dépassé la durée moyenne des gouvernements italiens des cinquante dernières années, et la présidente du conseil reste, après plus de deux ans de pouvoir, la personne politique préférée des Italiens. Les dirigeants européens ne peuvent pas tous en dire autant.

    A l’heure ou la Grande-Bretagne renforce son ancrage anglo-saxon – tout en cherchant à palier certaines conséquences du Brexit – et où l’Allemagne fait face à la fois à une remise en cause de son modèle économique (perte de l’approvisionnement en gaz russe à bon marché et chute des exportations en Chine) et à une instabilité politique nouvelle, la France aurait intérêt à raffermir ses liens avec l’Italie. Celle-ci pourrait l’aider à équilibrer un dialogue franco-allemand qui évolue régulièrement, avec l’appui de la présidente de la Commission européenne, en faveur de nos voisins et à notre détriment. Deux dossiers récents illustrent ces possibilités de convergence : Giorgia Meloni a annoncé officiellement son souhait de recourir au nucléaire [8] pour son approvisionnement énergétique et l’Italie a rejoint la France et la Pologne dans leur opposition au traité du Mercosur, auquel l’Allemagne est favorable.

    Certaines faiblesses de l’Italie, souvent invoquées, méritent d’être relativisées quand on les compare aux performances de la France. La croissance économique italienne est faible, 0,9 %, mais celle de la France n’est qu’à peine plus élevée : 1 %. Le chômage est significatif, mais moindre qu’en France (6,2% contre 7,5%). Le fort endettement public est très préoccupant (137% du PIB contre 112% en France) ; mais la dette italienne est prioritairement détenue par des Italiens (35%) alors que la dette française l’est par des étrangers (54%), ce qui accroît les risques de déstabilisation financière externe. De plus, l’endettement privé est beaucoup plus faible en Italie qu’en France : 95,3% du PIB contre 136,6%. Si le spread [9] italien est encore supérieur au français, il décroît alors que celui de la France augmente : le premier est passé, en un an, de 180 à 108 pb alors que le second a augmenté de 50 à 90 pb.

    Les vraies faiblesses de l’Italie sont ailleurs. Son taux de natalité est extrêmement faible (6,7 pour mille contre 10,6 pour mille en France), ce qui menace le dynamisme économique futur du pays. Son approvisionnement en énergie repose pour l’essentiel sur les importations, ce qui est à l’évidence un facteur de dépendance. L’économie informelle est importante et par définition hors de contrôle. Enfin, sa politique étrangère est ultra-atlantiste et l’influence des Etats-Unis sur la politique italienne est très forte, si bien qu’on peut s’interroger sur les véritables marges d’autonomie du pouvoir italien en la matière.

    Les deux pays ayant, dans de nombreux domaines, des intérêts communs, la France aurait tort de se priver de l’atout que serait, sur certains dossiers importants et en particulier au sein des instances de l’Union européenne, une convergence avec l’Italie. Un « accord du Quirinal » a bien été signé entre les deux pays en 2021 mais n’a guère eu de suites. Faisons le vivre !

     Certains, bien sûr, diront que Madame Meloni pense mal. On pourra leur répondre que le peuple italien est souverain pour penser ce qu’il veut et qu’il ne s’agit pas pour la France de discuter avec un parti, dont le pouvoir est transitoire, mais avec un pays, qui demeure quels que soient ses dirigeants. Ou qu’il ne faudrait pas jeter l’opprobre sur un dirigeant qui, contrairement à d’autres que l’on fréquente, n’a pas cherché à influencer ou déstabiliser une puissance étrangère, ni à faire assassiner un opposant. Et que Mme Meloni bénéficie, si l’on en croit les sondages, d’un appui populaire dont rêveraient tous ceux qui dirigent, ou aspirent à diriger, la France.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 16 décembre 2024)

     

    Notes :

    [1] Allemagne 84 millions d’habitants, France 68, Italie 59, Espagne 48.

    [2] Allemagne 4122 Md€, France 2803, Italie 2085, Espagne 1462.

    [3] Elle n’a été admise qu’en 1955, à la suite d’un long processus politique et administratif. Bien évidemment, elle ne dispose pas d’un siège permanent au Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie).

    [4] Ces entreprises sont particulièrement actives dans les secteurs de l’aéronautique, notamment militaire (Leonardo, anciennement Finmeccanica), l’espace (c’est grâce à Avio que l’Europe a pu se doter, avec Vega, d’un lanceur spatial léger), les missiles (Leonardo est l’un des trois actionnaires du missilier MBDA), la construction navale (Fincantieri). Lorsque des coopérations internationales d’ampleur sont envisagées, ces grands groupes italiens ne se retrouvent pas toujours (de leur fait ou de celui de leurs partenaires) dans les équipes auxquelles la France participe : pour le programme d’avion de 6ème génération SCARF[4] l’Italie s’est alliée à la Grande-Bretagne et le Japon, qui rivaliseront avec l’Allemagne, l’Espagne et la France ; de même, pour le char du futur Leonardo, longtemps tenté par le programme franco-allemand confié à l’industriel binational KNDS, a finalement choisi de s’allier à l’autre grand industriel allemand Rheinmetall pour fabriquer un char concurrent. De même, le rapprochement entre Fincantieri et les Chantiers de l’Atlantique a fait long feu en 2021.

    [5] Aussi les sous-traitants italiens subissent-ils actuellement les conséquences des difficultés des constructeurs allemands.

    [6] Elles ont augmenté de 48%, contre 28% pour la France et 27% pour l’Allemagne.

    [7] En particulier le Laboratoire du Gran Salto pour les recherches sur les particules et VIRGO, près de Pise, pour les recherches sur les ondes gravitationnelles.

    [8] L’Italie pense en priorité aux petits réacteurs dits SMR (small modular reactor).

    [9] L’écart entre le taux d’intérêt des obligations publiques d’un pays avec celui de celles d’Allemagne est d’autant plus élevé que la confiance à l’égard des finances publiques du pays est faible. Il se mesure en points de base (pb), qui sont l’écart entre les taux intérêt (une différence de taux entre 3,10% et 3,20% induit un spread de 10 pb).

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  • Sang...

    Les éditions Flammarion viennent de publier dans leur collection de poche un recueil de nouvelles de Malaparte intitulé Sang et autres nouvelles.

    Journaliste, essayiste et fasciste dissident, Malaparte est l'auteur de plusieurs livres célèbres comme son essai Technique du coup d'état ou ses récits Kaputt et La peau

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    " Malaparte (1898-1957) fut un héros mondain, un homme d’engagements et de provocations, dont l’existence mouvementée suscitait le vertige. Ses multiples facettes et son goût du transformisme ont fait de lui une figure protéiforme que dévoile en partie cette œuvre peu connue mais exceptionnellement intense.
    Récits d’enfance, histoires insulaires, scènes d’un réalisme tantôt magique, tantôt cruel, ces nouvelles manifestent la nostalgie d’un étrange paradis perdu, une quête involontaire d’affection et de racines, et comme le regret d’avoir été abandonné – image solitaire et désespérée de Malaparte, image chatoyante, pourtant, où le vermeil domine. "

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  • Les secrets de la villa Malaparte...

    Les éditions Stock viennent de publier un ouvrage de Pierre de Gasquet intitulé Les trente-deux marches - Les secrets de la villa Malaparte. L'auteur, qui a vécu pendant dix ans en Italie, où il a travaillé comme chercheur à l’Institut Universitaire Européen (IUE) de Florence, est aujourd’hui grand reporter, spécialiste des relations internationales et des affaires culturelles, basé à Paris.

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    " Pour tous ceux qui l’ont approchée, de près ou de loin, c’est une œuvre obsédante. Temple païen, lanterne magique posée sur un piton rocheux ? La villa Malaparte, à Capri, est d’abord et surtout un autoportrait de pierre. Il faut se replonger dans la vie rocambolesque de Curzio Malaparte, cet « Architalien » né en 1898, pour percer le mystère de son aura. Fasciste de la première heure devenu antifasciste et placé sous surveillance par Mussolini, l’écrivain se muera, sur le tard, en admirateur de Mao Tsé-toung. L’auteur de La Peau et de Kaputt échappe à toute définition. Mystificateur né, aventurier impénitent, plus proche de Blaise Cendrars que de Louis-Ferdinand Céline, l’écrivain est resté à la fois ébloui et traumatisé par la guerre.Il a fait de sa maison un rempart contre la banalité. Construite entre 1938 et 1943, la villa Malaparte est un des vestiges les plus singuliers de l’architecture du XXe siècle. D’inspiration rationaliste, courant en vogue sous le régime fasciste, elle s’est émancipée de son esquisse originelle pour devenir un monument surréaliste. Son toit-terrasse qui domine les rochers et son grand escalier pyramidal sont célèbres dans le monde entier. Jean-Luc Godard y a tourné Le Mépris, avec Brigitte Bardot, en 1963. Fritz Lang a voulu y imaginer le retour d’Ulysse, sous la caméra de Godard. À Capri, on parle du rite de la montée des marches. Soigneusement restaurée et préservée par ses héritiers, la villa reste une œuvre mystérieuse, un mausolée dédié à l’insolence et l’insoumission. D’une plume vive et sûre, Pierre de Gasquet nous invite dans le Capri littéraire du siècle dernier, et entrouvre la porte sur les mystères d’une villa légendaire et d’un écrivain rebelle, qui voulut bâtir « une maison à son image »."
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  • Le défi au futur...

    Les éditions Synthèse viennent de publier un ouvrage de Gabriele Adinolfi intitulé Le défi au futur.

    Essayiste, théoricien et ancien activiste politique italien, Gabriele Adinolfi, qui est l’auteur notamment des Pensées corsaires (Editions du Lore, 2008) et de Années de plomb et semelles de vent (Les Bouquins de Synthèse nationale, 2014), est rédacteur en chef de la revue Polaris et dirige le centre d’études éponyme.

     

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    “ « Nous sommes parvenus à une ère de léthargie angoissée, caractérisée par des. abstractions en forme de slogans au sein desquelles tout ce qui était le fruit d’une pensée vivante a été comme gelé ».

    Ainsi s’exprime Gabriele Adinolfi au début de ce livre dans lequel il explique comment, dès les premières années de son exil, dans les années 1980, il a travaillé de manière très différente des pratiques habituelles, en mettant en place des réseaux politiques et méta politiques internationaux, composés de centres d’études italiens et européens, de Rome à Bruxelles, d’associations, de média en ligne, en se concentrant sur la formation et l’innovation, tout en veillant à ce que les fondamentaux de l’Idée du Monde dont l’auteur est issu soient toujours respectés. De cette volonté, naquirent Les Lansquenets d’Europe…

    L’auteur ajoute : « Avec ce livre, j’ai voulu expliquer ce que sont et ce que doivent devenir les Lansquenets, au cœur d’un projet de Réseau Impérial avec toutes ses composantes telles qu’elles sont produites par tout ce à quoi nous sommes liés, ou se formant d’elles-mêmes au sein d’un même courant en vue d’objectifs communs poursuivis indépendamment (…) Nous ne pouvons pas dire que le rôle joué par les Lansquenets soit devenu décisif, car en réalité il l’a toujours été.

    Aujourd’hui, cependant, la nécessité de ce rôle commence à être comprise, et c’est la raison pour laquelle il est opportun qu’ils gagnent en nombre et en visibilité par rapport au passé » . "

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  • France - Italie : l'autre couple de l'Europe...

    Le nouveau numéro de la revue Conflits (n°46, juillet - août 2023), dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré à l'Italie et à sa relation avec la France.

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    Au sommaire de ce numéro :

    ÉDITORIAL

    L'autre couple de l'Europe, par Jean-Baptiste Noé

    CHRONIQUES

    LE GRAND ENTRETIEN

    « La relation franco-italienne est stratégique, mais instable »
    Entretien avec Federico Petroni

    IDÉES

    Guerre en Ukraine : avons-nous encore peur de la bombe ?, par Alexis Feertchak

    PORTRAIT

    Lula est-il le cheval de Troie de Biden ?, par Tigrane Yegavian

    ENJEUX

    La Bavière, un autre esprit du capitalisme, par Jean-Marc Holz

    Amérique latine : la « vague de gauche » peut-elle y arriver ? , par Nicolas Klein

    Les Kurdes et le Kurdistan, grands oubliés de Lausanne, par Fabrice Monnier

    La Chine de Xi Jinping sur la ente glissante d'une dictature absolutiste, par Pierre-Antoine Donnet

    GRANDE STRATÉGIE

    Une approche tactique des guerres irrégulières, par Pierre Santoni

    HISTOIRE BATAILLE

    Austerlitz (2 décembre 1805). Un chef-d’œuvre de A à Z , par Pierre Royer

    LIVRES

    GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISE

    LECTURE

    IDÉE REÇUE 

    RIEN QUE LA TERRE

    FILM

    CHEMINS DE FRANCE

    ART ET GÉOPOLITIQUE

     

    DOSSIER

    Afrique de l'Ouest

    La diaspora italienne, une perte qui risque de déclasser le pays, par Edoardo Secchi

    Adieu les techniciens. L'Italie à l'épreuve d'un gouvernement politique, par Francesco de Remigis

    Le défi des réformes qui peuvent changer le pays, par Francesco de Remigis

    L'européisme à la sauce tomate ou comment l'Italie espère rebattre les cartes au parlement européenpar Francesco de Remigis

    Le dilemme italien: comment renforcer le pouvoir exécutif ?, par Francesco de Remigis

    Un projet pour la Méditerranée : plus de gaz, moins d'immigrants illégaux, par Francesco de Remigis

    Traité du Quirinale : la France et l'Italie rapprochent leurs intérêts stratégiques, par Edoardo Secchi et Emmanuel Dupuy

    Italie, terre du luxe, par Chloé Payer

    Aérospatiale et défense, l'Italie sur le toit de l'Europe, par M. Bertrand

    Traversées alpines entre la France et l'Italie : des tunnels pour s'affranchir de la géographie, par Côme de Bisschop

    Immigration : pomme de discorde entre les deux pays, par Étienne de Floirac

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  • Métaphysique de Silvio Berlusconi...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxence Smaniotto cueilli sur le site de la revue Rébellion et consacré à Silvio Berlusconi.

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    Métaphysique de Silvio Berlusconi

    Un métaphysicien de la politique internationale ?

    Silvio Berlusconi, quatre fois premier ministre d’Italie, n’est plus. Avec lui s’en va une certaine façon de « far politica » à l’italienne. Il n’était guère un disciple de Machiavel, et nous pouvons affirmer avec une certaine exactitude qu’il ne fut, au fond, même pas un vrai homme politique. La preuve : il ne lâchait jamais tomber ses amis (même ceux qui étaient condamnés). Un homme politique n’a pas d’amis – Berlusconi, lui, en avait. Des salopards, diront certains. En particulier Vladimir Poutine ; Berlusconi et le Russe étaient tellement proches qu’ils passaient les vacances ensemble. Cette proximité, que certains confondent avec de la finesse géopolitique, préoccupe profondément l’Union Européenne, c’est-à-dire les USA. Les Russes investissent un peu trop en Italie, et l’Italie fait de même en Russie. Alors, Silvio Berlusconi, homme aux quarante procès pour tout et pour rien, se fit éjecter en parfait style états-unien : des histoires de cul. 

    Berlusconi était en effet un queutard, un hédoniste, mais au moins un queutard assumé, loin, très loin de ces inquiétants politiciens lisses, asexués, politically correct qui menacent nos existences : Macron, Trudeau, Renzi, Michel, Merkel… Rendez-nous Berlusconi, Chirac et Trump ! 

    Homme dépourvu de toute transcendance, Berlusconi fut néanmoins, grâce à ses pitreries, un excellent révélateur de l’essence de l’ignoble théâtre grisonnant des politicards internationaux, ceux des sourires photoshopés et des postures balai-dans-le-cul. On le vit faire « buh ! » à Angela Merkel lors d’un sommet Italie-Allemagne en 2008, appeler publiquement « kapo’ » l’insupportable Martin Schulz en plein Parlement européen, saluer la victoire de Barack Obama avec un « il est jeune, beau et bronzé », et la liste pourrait être encore longue. 

    En jouant au guignol, Berlusconi révèle la dimension faussement sérieuse des hommes et des femmes d’État. En cela, Berlusconi fut un vrai métaphysicien de la politique internationale : il en révéla les constantes les plus profondes, les plus fausses. « Ils sont des pitres comme moi, mais moi, je le montre. Eux, non » semblait-il nous dire. 

    Une géopolitique berlusconienne 

    Aujourd’hui, certains prêtent à l’ancien premier ministre italien des compétences en géopolitique. Les photos le montrant en train de serrer la main à Kadhafi, Chavez, Poutine et Bachar al-Assad seraient, selon des eurasistes peu renseignés et des dissidents un peu trop épidermiques, des preuves de sa prévoyance dans les questions internationales. 

    Or, Berlusconi ne comprenait rien à la géopolitique. Pour lui, les États étaient des entreprises dirigées par des hommes forts ou faibles avec qui il était possible ou pas de s’entendre. Il y avait certes un certain réalisme en tout ça, une volonté de multiplier les accords avec des partenaires différents sans tenir en compte leurs idéologies, mais certainement pas de vision stratégique. Il n’était pas un Karl Haushofer, ni un Samuel Huntington ou un Zbigniew Brzezinski, il n’avait jamais entendu parler de « monde multipolaire ». Sa géopolitique était faite d’affaires et de relations personnelles. Il était d’accord avec Poutine, Bush, Loukachenko, les princes des monarchies du Golfe et bien d’autres, c’est tout. Si on prend une carte du monde et on divise la planète selon la vision soi-disant stratégique de Berlusconi, on n’y voit pas beaucoup de cohérence ; il a serré la main à Kadhafi et puis il a laissé l’Italie devenir un porte-avions de l’OTAN contre la Libye en 2011. Et que dire de l’Irak ? L’Italie participe à sa destruction et à son occupation en 2003 alors que Vladimir Poutine, déjà grand ami de Berlusconi, s’y opposait fermement avec la France et l’Allemagne. 

    Signalons également que depuis 2015, date à laquelle Berlusconi alla rendre visite à Poutine en Crimée, il fut déclaré « ennemi de l’État » sur le tristement célèbre site ukrainien Myrotvorets. Depuis son décès, sa photo est agrémentée d’un « liquidé ». 

    En définitive, Berlusconi fut à la politique étrangère ce que Chirac fut à la politique interne française – médiocre, déconnecté. Chirac avait des réelles compétences en géopolitique mais était incompétent en politique interne. Berlusconi, en revanche, comprenait très bien les Italiens et la politique italienne. Pour le meilleur comme pour le pire. Preuve en est qu’il a, à quatre-vingt-cinq ans, fait gagner les élections à l’atlantiste pro-européenne Giorgia Meloni en 2022.

    Une politique personnalisée

    Homme dans la politique mais pas politique, Berlusconi balaya une certaine façon de penser l’Italie républicaine, avec ses entreprises d’État, son welfare, ses services publics. Contrairement à ses prédécesseurs, il personnifia les institutions républicaines, et ce, jusqu’à faire voter des lois ad hoc pour sa personne, qu’il cachait derrière sa fonction de premier ministre (ses successeurs, de gauche comme de droite, ne sont jamais revenus sur cela). Sa vision de l’État comme entreprise à diriger consacre une nouvelle façon de faire la politique en Europe – Emmanuel Macron n’en dit pas moins lorsqu’il eut l’idée ridicule de définir la France une start-up nation

    Berlusconi voyait des communistes partout, c’est-à-dire des parasites sociaux qui veulent mettre des impôts, mais il est toujours resté un grand admirateur du socialiste Bettino Craxi. Ses adversaires étaient régulièrement taclés de « communistes », surtout quand ils étaient des juges et qu’ils enquêtent pour fraude fiscale. Son irruption dans la politique redéfinit les contours de la droite italienne, accouchement aux forceps une droite libérale et hédoniste de l’ancienne démocratie chrétienne, bourgeoise, conservatrice et sociale, toute en retenue et en secrets, celle qui avait fait construire des logements sociaux pour ouvriers. Avec Berlusconi, tout le monde s’endetta pour devenir propriétaire et créer son entreprise, et ses gouvernements haussent les retraites.

    Il opéra une autre révolution, néolibérale aussi. Un golpe domestique en quelque sorte. Oligarque ayant démarré d’en bas (la petite bourgeoisie milanaise), il s’invita chez les Italiens avec ses chaînes de télévision et ses magazines. Mondadori, la plus importante maison d’édition italienne, est dirigée par sa fille Marina. Mediaset, le groupe qui rassemble ses chaînes TV, est dirigé par son fils Pier Silvio, qui en est le directeur général. 

    Ses chaînes TV gerbèrent un flot incessant de bêtises faites de « veline » (les soubrettes italiennes), de programmes sur les joueurs de foot les plus idiots, de journaux télévisés tellement  a ses bottes qu’à côté LCI passe pour une chaîne neutre, de programmes humoristiques abrutissants et ainsi de suite, faisant bien attention à éliminer les programmes culturels. 

    Il participe ainsi à façonner son propre électorat. 

    Berlusconi ne fut pas le pire. Il fut, comme le souligne pertinemment le journaliste italien Luca Bagatin dans ses articles, le moins pire. Certainement, meilleur que les loques qui infestent la politique italienne actuelle. Au moins, il avait de la personnalité, et il fut en quelque sorte le dernier à tenter de conserver un minimum de souveraineté italienne en critiquant ouvertement l’Union Européenne et en gardant de solides relations économiques et diplomatiques avec la Russie, l’Egypte et la Libye pour faire contrepoids à la toute-puissance états-unienne. 

    Berlusconi mort, une page de la politique italienne se tourne définitivement. On verra ce que le « Bel Paese » nous réserve. 

    Maxence Smaniotto (Rébellion, 14 juin 2023)

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