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islamisme - Page 36

  • Insécurité, islamisme : du déni de réalité à l’orchestration de la peur...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à l'utilisation de l'insécurité et de la peur par l'oligarchie pour consolider son pouvoir... Une analyse qui recoupe celle d'Eric Werner dans son essai L'avant-guerre civile récemment réédité chez Xénia.

     

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    Insécurité, islamisme : du déni de réalité à l’orchestration de la peur, la nouvelle stratégie de l’oligarchie

    La novlangue au service du déni d’insécurité

    Face à l’augmentation de la délinquance, conséquence de l’idéologie laxiste qu’elle a mise en œuvre, l’oligarchie a d’abord inventé dans les années 1980 le fameux sentiment d’insécurité, une sorte de phobie d’extrême droite qui faisait, selon elle, voir la réalité sous un jour trop sombre. Elle a aussi inventé le concept d’incivilités qui permettait de banaliser la progression des délits, notamment ceux imputables aux jeunes issus de l’immigration.

    On nous a ainsi expliqué, par exemple, qu’il était traditionnel de brûler des voitures à la Saint-Sylvestre. Car chaque fait divers se trouvait dépeint sous des couleurs les plus lénifiantes possibles : on nous présentait les délits voire les crimes comme incompréhensibles car intervenant toujours jusque-là dans des quartiers populaires mais tranquilles ou sans histoire (*). On ne comprenait donc pas le coup de folie qui avait pu saisir les auteurs de ces actes : sans doute parce qu’un banal vol de sac à main, une drague ou une bagarre par balles avait mal tourné. Bref, ce n’était pas vraiment la faute de ces individus bien connus des services de police, mais plutôt le fait de victimes de la malchance, du chômage et de la discrimination.

    La novlangue au service du déni d’islamisme

    L’apparition de délits commis par des personnes se réclamant de l’islam a subi le même traitement politico-médiatique. On a ainsi assisté à la négation systématique du caractère islamiste de ces agissements, comme par exemple lors des attaques commises en France à la Noël 2014.

    L’oligarchie a donc mis l’accent sur le caractère isolé de ces loups solitaires, victimes d’une autoradicalisation pathologique. Même si ensuite on découvrait que leurs proches faisaient l’objet de poursuites ou que des filières avaient été démantelées !

    Ou bien on les présentait comme des individus au comportement incompréhensible ou incohérent, comme par exemple dans le cas du profanateur du cimetière de Castres. Ou bien encore des individus dérangés, ce qui permettait d’ôter toute signification autre que médicale à leurs actes. On a même été jusqu’à nous présenter l’auteur musulman d’un attentat à l’arme automatique en Belgique comme un amateur d’armes !

    Pas d’amalgame

    Dans le souci de ne pas faire d’amalgame avec l’islam on a aussi beaucoup insisté sur le fait que ces criminels n’étaient pas de vrais bons musulmans, ou bien des convertis de fraîche date, donc connaissant mal leur nouvelle religion. On nous a dit aussi que finalement les victimes étaient… les musulmans eux-mêmes dont l’image risquait de pâtir de ces agissements.

    Ce type d’argumentaire est largement répandu en Europe. On se souvient, par exemple, de ce que déclarait le premier ministre anglais à la suite de l’assassinat horrible d’un militaire décapité en pleine rue : « Ce n’était pas seulement une attaque contre la Grande-Bretagne et le mode de vie britannique. C’était aussi une trahison de l’islam et des communautés musulmanes qui apportent tant à notre pays. Rien dans l’islam ne justifie un tel acte épouvantable » (**).

    Le même discours a été entendu en France.

    Le déni de la cathophobie

    On a aussi systématiquement nié le caractère antichrétien de certains délits ou agressions.

    Ainsi, pour nos médias les églises ou les cimetières chrétiens ne sont jamais profanés, à la différence des sépultures juives ou musulmanes. Ils sont seulement dégradés ou à la rigueur vandalisés.

    Pour la même raison on n’a mis l’accent que sur les actes antimusulmans ou antijuifs : une façon de dénier toute réalité aux actes antichrétiens et à l’existence d’un racisme antifrançais ou antiblanc que, curieusement, la justice n’arrive jamais à identifier.

    Enfin, les médias nous ont beaucoup parlé du fait religieux en général (cf. notamment la dernière enquête sur le fait religieux dans l’entreprise) : une manière de cacher la progression des revendications musulmanes.

    Bref, l’oligarchie a mobilisé la novlangue et tout le puissant appareil médiatique au service du déni de réalité.

    Une nouvelle stratégie

    Cette stratégie a cependant fait long feu en 2015.

    Certes, l’oligarchie reste attachée à la ligne pas d’amalgame, dans le souci de ne pas se couper de l’électorat musulman d’ici 2017. Les différents plans contre le racisme et l’islamophobie remplissent la même fonction séductrice.

    Mais il n’empêche que la réalité est plus forte que la novlangue. La progression de la délinquance ne peut plus être cachée par les services de police et de gendarmerie, pas plus que celle de la violence islamiste.

    L’oligarchie a donc progressivement décidé de changer de stratégie en 2015 : de passer du déni de réalité à l’orchestration de la peur. Pour plusieurs raisons.

    Le déni n’est plus crédible

    D’abord parce que la situation lui échappe de plus en plus.

    Derrière les annonces périodiques relatives aux coups de filets, aux attentats miraculeusement déjoués, censés démontrer l’efficience de nos forces de l’ordre, ou relatives à l’inflexion prétendue des statistiques de délinquance, l’actualité migratoire ou criminelle, en France ou à l’étranger, rend de moins en moins crédible la stratégie du déni. Et l’EI se charge de son côté de la démentir.

    Mais surtout l’oligarchie a compris qu’elle avait tout à gagner à orchestrer la peur.

    Opération Je suis Charlie

    L’opération Charlie Hebdo autour des attentats de janvier 2015 marque le coup d’envoi de la nouvelle stratégie du pouvoir.

    Car du jour au lendemain on ne nous parle plus de loups solitaires ou d’actes incompréhensibles : désormais on ne nous parle plus que de filières djihadistes, d’attentats terroristes commandités de l’étranger, de caches d’armes et de complices. La langue officielle et médiatique se délie comme par enchantement. Et les incendiaires d’hier revêtent la tenue des pompiers.

    Dans un premier temps l’opération Charlie Hebdo tente de rejouer la séquence du président de la République chef de guerre et de l’union nationale contre le terrorisme : ce sera la marche républicaine censée remettre en selle un pouvoir à l’impopularité abyssale et destinée aussi à créer un nouveau cordon sanitaire contre la progression du Front national, pour le plus grand profit de l’UMPS.

    Cette tentative a cependant échoué : l’image de marque du gouvernement socialiste retombe aujourd’hui progressivement à son niveau d’avant le 11 janvier. Et le Front national est devenu en nombre de voix le premier parti de France lors des élections départementales.

    De nouveaux leviers d’action

    Le déni de réalité avait l’inconvénient de priver l’oligarchie de prétextes : s’il n’y a pas de péril sécuritaire ou islamiste, il n’y a pas de raison d’agir contre. Reconnaître, au contraire, la réalité permet de réclamer de nouveaux moyens d’action.

    Le prétexte de la lutte contre le terrorisme permet ainsi de faire passer la loi sur le renseignement qui a pour objectif réel de censurer Internet et de mettre en place une surveillance généralisée de la population. Comme partout ailleurs en Occident. Par ce biais, les dispositifs liberticides de surveillance mondiale des communications dénoncés par les lanceurs d’alerte américains se trouvent aussi légitimés. Coup double pour l’oligarchie !

    Bien entendu, comme l’a indiqué ingénument le ministre de l’Intérieur lors du débat sur la loi sur le renseignement, cette surveillance portera sur la détection des discours de haine, également imputés aux milieux identitaires, par exemple.

    La liberté de censurer désormais reconnue

    L’effet « Je suis Charlie » a permis, en faisant croire que les islamistes visaient la liberté d’expression, de renforcer la chape du politiquement correct antiraciste et contre l’islamophobie en France.

    La prétendue liberté d’expression sert à promouvoir la liberté de censurer en toute bonne conscience puisqu’il s’agit de garantir le vivre ensemble ou les valeurs de la République – et, par exemple dans le cadre du nouveau plan de lutte contre le racisme, de remettre en cause ouvertement les protections offertes par la loi sur la liberté de la presse de 1881.

    Vive la peur !

    L’oligarchie a finalement très bien compris le caractère contre-productif de la stratégie du déni de réalité. Elle sait maintenant que plus les citoyens ont peur pour leur sécurité, leur emploi ou leurs économies, moins ils peuvent se mobiliser sur d’autres causes, a fortiori s’agissant des autochtones vieillissants. D’ailleurs, il n’y a aujourd’hui que la communauté asiatique, identitaire et dynamique, qui manifeste contre l’insécurité en France ! Les vieux Européens n’osent rien dire.

    Et il suffit de regarder les télévisions pour se rendre compte que l’on programme consciemment partout la mise en scène de la peur et de la violence : aux actualités sanglantes s’ajoutent les séries policières, les histoires de juges, de femmes-flics ou de femmes harcelées, les affaires criminelles, sans oublier les émissions édifiantes montrant nos forces de l’ordre en pleine action contre la délinquance. Sans parler des militaires qui patrouillent désormais dans les rues.

    La peur soutenait déjà un fructueux commerce sécuritaire. Elle devient aujourd’hui un puissant moyen de sidération des autochtones à qui l’on apprend ainsi très tôt à raser les murs.

    Rien de tel pour mâter le populisme en Europe et consolider le Système !

    Michel Geoffroy (Polémia, 27 avril 2015)

     

    Notes :

    (*)     Ex. : « Sid Ahmed Ghlam, étudiant sans histoires et terroriste amateur », Le Monde du 24 avril 2015.
    (**)   LeMonde.fr du 23 mai 2013.

     

     

     

     

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  • Comment l'antiracisme empêche le débat sur le multiculturalisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté, cueilli sur Figarovox et consacré à l'antiracisme comme instrument idéologique destiné à faire taire les détracteurs du multiculturalisme...

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    Comment l'antiracisme empêche le débat sur le multiculturalisme

    Les attentats du 7 janvier n'ont finalement pas provoqué de grand réveil politique en France. La prise de conscience patriotique s'est vite dissipée, la haine de soi est revenue. On avait déjà remarqué que la lutte contre l'islamisme s'était transformée en lutte contre l'islamisme et l'islamophobie, comme s'il fallait équilibrer les maux à tout prix. L'islamisme a vite été laissé de côté: on a parlé du terrorisme en général, en évitant de le caractériser, pour éviter de stigmatiser. On avait aussi noté que la France s'était finalement reconnue responsable de la haine à son endroit d'une partie de la jeunesse immigrée en se déclarant coupable d'apartheid.

    Le dispositif pénitentiel qui pousse à croire bien méritée la haine anti-occidentale fonctionne comme jamais. C'est à cette lumière qu'il faut comprendre l'offensive annoncée du gouvernement de Manuel Valls contre le «racisme.»

    L'époque se veut en lutte contre le racisme. On comprend naturellement pourquoi et cette lutte a sa part de légitimité. Mais on sait aussi qu'elle a été depuis un bon moment détournée. N'est-elle pas utilisée avec une légèreté déconcertante pour en finir avec un contradicteur gênant, pour l'expulser des médias, ou encore, pour censurer certaines analyses remettant en question la vision officielle et bucolique du vivre-ensemble multiculturel? L'accusation de racisme servira à marquer publiquement et à disqualifier définitivement un homme politique ou un intellectuel commentant avec trop de franchise les dégâts du multiculturalisme. Elle permettra aussi de reléguer dans les marges de l'espace public les défenseurs de l'identité nationale, toujours suspectés du pire.

    On pourrait parler d'une extension du domaine du racisme. Et quiconque jette un œil dans la sociologie antiraciste d'inspiration américaine en verra l'ampleur. Elle repose sur une thèse forte: la structure même des sociétés occidentales, serait raciste, en ce sens qu'elle institutionnaliserait, en les dissimulant sous le masque de l'universalisme, les avantages d'une majorité historique «blanche». La sociologie antiraciste parle alors de racisme universaliste. En France, on dénoncera par exemple les «mensonges» de l'égalité républicaine qui favoriserait de manière systémique les «Français de souche». Inversement, ceux qui distinguent entre les cultures et se demandent lesquelles sont compatibles sur un même territoire, et lesquelles ne le sont peut-être pas, tant elles sont différentes, seront accusés de racisme différentialiste.

    La sociologie antiraciste en arrive ainsi à conceptualiser une société raciste sans «racistes». Il suffirait toutefois de participer à sa reproduction pour se rendre coupable de racisme sans le savoir et sans même le vouloir. Celui qui refuse, par exemple, la discrimination positive, sera accusé de s'opposer à un mécanisme visant à corriger les inégalités structurelles causées par le racisme occidental. Celui qui, quant à lui, plaidera pour une réduction significative de l'immigration subira la même accusation: n'entend-il pas maintenir l'hégémonie d'un groupe ethnique majoritaire dans nos sociétés, alors qu'il faudrait plutôt le dépouiller de ses privilèges institutionnels et culturels? À terme, c'est la simple remise en question de la sociologie antiraciste qui sera assimilée au racisme.

    Des pans de plus en plus grands de la réalité tombent sous l'accusation de racisme simplement à travers un jeu de définitions de plus en plus agressif.

    On aura compris que le racisme n'est aussi qu'à sens unique - il représente un système de domination qui pousse à l'exclusion et à la discrimination contre les minorités issues de l'immigration. Mais les minorités ne pourraient jamais s'en rendre coupable, et on refusera par exemple de prendre au sérieux le rap des banlieues où s'exprime pourtant la véritable haine raciale en France. La situation est presque loufoque. D'un côté, on étend sans cesse la définition du racisme pour continuer à combattre les sociétés occidentales en son nom, alors qu'il ne trouve plus d'échos que dans les marges les plus éloignées de la vie sociale, au point même d'être souvent dénoncé dans les partis qu'on dit «d'extrême-droite». De l'autre, on refusera de voir le racisme lorsqu'il s'exprime crument et brutalement chez certaines franges de la population immigrée. Au pire, il ne serait rien d'autre chez eux qu'un réflexe de défense.

    On comprend dès lors la portée de la législation qui s'en vient.

    La dissidence devant le multiculturalisme était déjà psychiatrisée à travers la multiplication des phobies dépistées chez ses contradicteurs. Elle sera désormais potentiellement criminalisée. On devine ainsi ce que les associations antiracistes les plus zélés sauront faire de ces nouvelles dispositions juridiques. Ne faudrait-il pas plutôt remettre en question la sociologie antiraciste et plus largement, cette fâcheuse manie qui consiste à accuser les sociétés occidentales d'être historiquement coupables de crimes si abjects à l'endroit de la diversité qu'elles ne pourront les expier qu'en se convertissant au multiculturalisme. Chose certaine, la restriction de la liberté d'expression, ici, sert bien moins la lutte contre le racisme que la diabolisation de ceux qui ne croient pas les sociétés occidentales coupables d'exister.

    Mathieu Bock-Côté (Figarovox, 20 avril 2015)

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  • La Syrie illustre-t-elle une crise de la diplomatie française ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une excellente analyse d'Alexandre Latsa, cueilli sur son blog Dissonance et consacré à la faillite de la politique syrienne de la France...

     

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    La Syrie illustre-t-elle une crise de la diplomatie française ?

    Ces dernières semaines, plusieurs nouvelles du front syrien ont pu laisser penser aux observateurs les plus attentifs que notre diplomatie avait commis de lourdes erreurs d’appréciation, et qu’une prise de conscience était en cours.

    Victime d’une agression extérieure à haute intensité qui a commencé en 2011, l’Etat syrien mène une guerre pour maintenir l’unité nationale et éviter une désintégration qui transformerait le pays en un Irak bis.

    Dès le début des événements, en 2011, la France a pris sans réfléchir des positions tranchées qui semblaient ne laisser aucun avenir au système Assad. Notre ministre des Affaires étrangères nous ressassait en 2011 et 2012 que Bachar el-Assad n’en avait plus « que pour quelques mois », ajoutant que même les Russes « envisageaient de laisser tomber le président syrien ».Visiblement très mal informée de la réalité de la situation sur le terrain, notre diplomatie n’avait pas envisagé un quelconque scénario alternatif. Pourtant, de nombreux experts non alignés avaient fait à l’époque d’autres prévisions qui se sont finalement réalisées: au cours des années 2013 et 2014, la coalition syrienne, c’est à dire l’appareil politique et militaire syrien et ses nombreux soutiens intérieurs et extérieurs, allait petit a petit regagner du terrain et connaître d’importants succès militaires et politiques.

    Ces succès militaires engrangés au cours des deux dernières années permettent au régime de contrôler aujourd’hui 60% du territoire et environ 75% de la population du pays. En parallèle de cette dynamique positive pour le pouvoir syrien, l’opposition dite démocratique s’est retrouvée de plus en plus écrasée entre la puissance des loyalistes et l’éclosion d’une multitude de fractions islamistes radicales à l’influence croissante. Parmi ces dernières, le front Al-Nosra qui tient une grande poche entre Idlib et Alep, ou l’Emirat islamique qui contrôle la zone allant de l’est d’Alep à la frontière irakienne dans le nord du pays. Cette carte éditée par le blogueur Peto_Lucem illustre à titre informatif les rapports de force sur le terrain fin janvier 2015.Alors que la France s’apprêtait à frapper militairement la Syrie et l’Etat syrien à la fin septembre 2013, c’est finalement une coalition militaire de 22 pays impliquant puissances occidentales et arabes qui procéda à une intervention militaire au cœur de l’été 2014 mais cette fois contre… l’Etat islamique et non le régime syrien! Un renversement historique total.

    Il faut rappeler que si l’abominable décapitation du journaliste James Foley a été l’un des déclencheurs médiatiques de cette opération militaire contre l’Etat islamique, le mainstream médiatique n’a cessé ces derniers mois d’insinuer que ce dernier avait été kidnappé par les forces d’Assad, comme on peut le voir ici.

    Alors que l’EI connaît actuellement ses premières défaites militaires importantes que ce soit face aux forces kurdes (Kobane) ou face à l’armée syrienne (Deir ez-Zor, Palmira…), après presque cinq ans de guerre, Assad est toujours là et il y a désormais peu de chances qu’il s’en aille aussi rapidement que certains avaient envisagés ou que l’Armée syrienne ne soit militairement défaite, sans une intervention extérieure très appuyée. La récente et courageuse visite de parlementaires français en Syrie confirme que l’homme est visiblement « tout sauf isolé (…) parfaitement informé de la situation (…) Et ne compte pas quitter la barque ».Alors que pour le président, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères français aucune négociation avec le président syrien ne semble encore envisageable, ce n’est apparemment plus le cas pour la diplomatie américaine dont la ligne de conduite semble connaître une inflexion assez importante: John Kerry lui-même a admis la possibilité de négociations avec le président syrien. Washington peine, il est vrai, à trouver les milliers de volontaires qu’elle souhaitait former pour aller combattre le régime syrien dans un premier temps, mais dont l’objectif serait désormais d’aller combattre au sol l’Etat islamique.

    Il est plausible que les chancelleries européennes, France en tête, vont sans doute dans les mois qui viennent devoir revoir leur copie sur le dossier syrien et prendre en compte quelques réalités de terrain.— Tout d’abord, si le régime syrien semble ne pas pouvoir l’emporter militairement aussi rapidement qu’il l’envisageait, il continue sa reconquête militaire et territoriale.

    — Il n’existe quasiment plus en Syrie d’opposition modérée au régime d’Assad (ayant un poids militaire ou politique suffisant) avec qui discuter.

    — Un fort consensus international s’établit progressivement sur le fait que la priorité est de neutraliser la nébuleuse « Etat islamique » pour éviter qu’elle ne devienne un élément supplémentaire et décisif de déstabilisation régionale. Une priorité d’autant plus importante pour l’Occident et la Russie que des milliers de citoyens européens et russes combattent au sein des milices islamiques, ce qui représente un gros risque pour leurs pays d’origine.

    Cette équation complexe implique donc que si la guerre continue, l’armée syrienne devrait progresser dans sa reprise de contrôle du territoire syrien; dans le même temps, il n’existe plausiblement pas d’interlocuteurs crédibles pour remplacer Assad. Dans un tel cas de figure, ce dernier, après avoir déjoué l’agenda des grandes puissances impérialistes (occidentales ou pays du Golfe) pourrait potentiellement apparaître comme un symbole d’un genre nouveau, une sorte de De Gaulle arabe, héros de la souveraineté nationale. L’équation syrienne pourrait constituer un piège pour la France si notre diplomatie devait s’entêter, pour des raisons idéologiques et non pragmatiques, à refuser de constater que non seulement Assad n’est pas prêt à partir, mais qu’il est aussi la clef du dossier syrien.

    Un dossier dont la solution est strictement politique, comme ne cesse de le répéter la diplomatie russe depuis maintenant près de cinq ans.

    Alexandre Latsa (Dissonance, 5 avril 2015)

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  • « L’État islamique a été créé par les États-Unis ! »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'ennemi islamiste, au Levant et en France...

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    « L’État islamique a été créé par les États-Unis ! »

    Pour que cette union nationale dont on nous rebat les oreilles depuis des jours ait un sens, cela nécessite la menace d’un ennemi commun. Mais quel est-il, sachant que personne ne l’a pour l’instant désigné ? Car se contenter d’évoquer le « terrorisme », ça demeure un peu vague…

    Nous assistons actuellement à d’incessantes gesticulations visant à tout faire pour ne pas désigner l’ennemi sous son nom. La notion d’ennemi devient problématique dès l’instant où l’on ne veut pas en avoir, parce que l’on a oublié que l’histoire est tragique et qu’on a voulu mettre la guerre hors la loi. Mais il y a au moins deux autres raisons à ce refus d’appeler l’ennemi par son nom. La première est que cette désignation paraît politiquement incorrecte, car susceptible d’« amalgame » (le mot est d’origine arabe : âmal a-jammâa). La seconde, la plus fondamentale, est que la classe politique n’est pas étrangère à son apparition.

    La France a fait deux erreurs gravissimes : la guerre en Libye, qui a plongé ce pays dans la guerre civile et l’a transformé en arsenal à ciel ouvert, et l’affaire syrienne, où nous avons apporté notre appui aux adversaires de Bachar el-Assad, qui sont les mêmes islamistes que nos troupes combattent en Irak et au Mali. À cela s’ajoute que « l’État islamique a été créé par les États-Unis », comme l’a rappelé sans ambages le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre, au Sénat le 17 décembre dernier, et que le terrorisme n’a cessé d’être financé par le Qatar et l’Arabie saoudite, que nous considérons à la fois comme des clients et des alliés.

    Dans le cas du terrorisme intérieur, le problème est le même. Nous ne sommes plus en effet confrontés à un « terrorisme global » tel qu’on en a connu par le monde à la grande époque d’Al-Qaïda mais, comme Xavier Raufer ne cesse de le répéter, à un terrorisme autochtone, qui est le fait de racailles des cités ayant fait leurs classes dans le grand banditisme avant de se transformer en bombes humaines sous l’effet de l’endoctrinement ou d’un délire partagé. De Mohammed Merah aux frères Kouachi, ce terrorisme est indissociable de la criminalité (ce n’est pas avec des pétrodollars mais des braquages de proximité que les terroristes se procurent leurs kalachnikov). Lutter contre le « gangsterrorisme » implique donc de s’appuyer sur le renseignement criminel. Or, si les renseignements existent, ils ne sont pas exploités, précisément parce qu’on se refuse à admettre la réalité, à savoir que ce terrorisme est l’une des conséquences de l’immigration. La France, en d’autres termes, a sécrété un nouveau type de terrorisme en laissant s’installer un milieu criminel qui échappe en grande partie à son contrôle. C’est pour cela que chez ces terroristes, qui étaient pourtant surveillés, on n’a pas repéré le risque de passage à l’acte. Les directives données par le renseignement intérieur n’étaient pas les bonnes. On a préféré surveiller Internet et spéculer sur le retour des djihadistes plutôt que d’être sur le terrain, au cœur même des cités. Or, le problème ne se situe pas au Yémen ou en Syrie, mais dans les banlieues.

    Sommes-nous en guerre ?

    Le terrorisme, c’est la guerre en temps de paix. Et aussi, comme l’a dit Paul Virilio, la « guerre sans fin, aux deux sens de ce mot ». À l’étranger, nous sommes en guerre contre le djihadisme, branche terroriste de l’islamisme salafiste. En France, nous sommes en guerre contre un terrorisme intérieur, pur produit de cette immigration incontrôlée qu’on a laissée se développer comme un chaudron de sorcières d’où sortent des racailles plus ou moins débiles, passées du gangstérisme à l’islamisme radical, puis de l’islamisme radical au djihad pulsionnel.

    Qui peut croire que l’on résoudra le problème avec des « cours civiques » à l’école, des incantations à la laïcité, de pieuses considérations tirées de l’histoire sainte du « vivre ensemble » ou de nouvelles lois en forme de gris-gris vaudous « contre-toutes-les-discriminations » ? C’est pourtant très exactement là que nous en sommes. La classe dirigeante est devenue totalement prisonnière de son incapacité à voir les choses en face, cause principale de son indécision (et de son désarroi, car elle ne sait plus que faire). Elle prétend se battre contre un ennemi dont elle ne veut pas reconnaître qu’il s’agit d’un Golem qu’elle a engendré. Le docteur Frankenstein ne peut pas lutter contre sa créature parce que c’est sa créature. Les terroristes dont Mohammed Merah reste le prototype sont les fruits de trente ans d’angélisme et de cécité volontaire sur l’immigration, d’une « politique de la ville » qui se résume à 100 milliards d’euros partis en fumée après avoir été distribués à des associations fictives, et d’une « culture de l’excuse » qui s’est muée en culture de l’impunité.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 février 2015)

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  • Qu'est-ce qu'un événement ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Grégoire Gambier, cueilli sur le site de l'Iliade, l'institut pour la longue mémoire européenne, et consacré à la notion d'événement...

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    Qu'est-ce qu'un événement ?

    Les attaques islamistes de ce début janvier 2015 à Paris constituent à l’évidence un événement. Tant au sens historique que politique et métapolitique – c’est-à-dire total, culturel, civilisationnel. Il provoque une césure, un basculement vers un monde nouveau, pour partie inconnu : il y aura un « avant » et un « après » les 7-9 janvier 2015. Au-delà des faits eux-mêmes, de leur « écume », ce sont leurs conséquences, leur « effet de souffle », qui importent. Pour la France et avec elle l’Europe, les semaines et mois à venir seront décisifs : ce sera la Soumission ou le Sursaut.

    Dans la masse grouillante des « informations » actuelles et surtout à venir, la sidération politico-médiatique et les manipulations de toute sorte, être capable de déceler les « faits porteurs d’avenir » va devenir crucial. Une approche par l’Histoire s’impose. La critique historique, la philosophie de l’histoire et la philosophie tout court permettent en effet chacune à leur niveau de mieux reconnaître ou qualifier un événement. « Pour ce que, brusquement, il éclaire » (George Duby).

    C’est donc en essayant de croiser ces différents apports qu’il devient possible de mesurer et « pré-voir » les moments potentiels de bifurcation, l’avènement de l’imprévu qui toujours bouscule l’ordre – ou en l’espèce le désordre – établi. Et c’est dans notre plus longue mémoire, les plis les plus enfouis de notre civilisation – de notre « manière d’être au monde » – que se trouvent plus que jamais les sources et ressorts de notre capacité à discerner et affronter le Retour du Tragique.

    Tout commence avec les Grecs…

    Ce sont les Grecs qui, les premiers, vont « penser l’histoire » – y compris la plus immédiate.

    Thucydide ouvre ainsi son Histoire de la guerre du Péloponnèse : « Thucydide d’Athènes a raconté comment se déroula la guerre entre les Péloponnésiens et les Athéniens. Il s’était mis au travail dès les premiers symptômes de cette guerre, car il avait prévu qu’elle prendrait de grandes proportions et une portée dépassant celle des précédentes. (…) Ce fut bien la plus grande crise qui émut la Grèce et une fraction du monde barbare : elle gagna pour ainsi dire la majeure partie de l’humanité. » (1)

    Tout est dit.

    Et il n’est pas anodin que, engagé dans le premier conflit mondial, Albert Thibaudet ait fait « campagne avec Thucydide » (2)

    Le Centre d’Etude en Rhétorique, Philosophie et Histoire des Idées analyse comme suit ce court mais très éclairant extrait :

    1) Thucydide s’est mis à l’œuvre dès le début de la guerre : c’est la guerre qui fait événement, mais la guerre serait tombée dans l’oubli sans la chronique de Thucydide. La notion d’événement est donc duale : s’il provient de l’action (accident de l’histoire), il doit être rapporté, faire mémoire, pour devenir proprement « historique » (c’est-à-dire mémorable pour les hommes). C’est-à-dire qu’un événement peut-être méconnu, mais en aucun cas inconnu.

    2) Il n’y a pas d’événement en général, ni d’événement tout seul : il n’y a d’événement que par le croisement entre un fait et un observateur qui lui prête une signification ou qui répond à l’appel de l’événement. Ainsi, il y avait déjà eu des guerres entre Sparte et Athènes. Mais celle-ci se détache des autres guerres – de même que la guerre se détache du cours ordinaire des choses.

    3) Etant mémorable, l’événement fait date. Il inaugure une série temporelle, il ouvre une époque, il se fait destin. Irréversible, « l’événement porte à son point culminant le caractère transitoire du temporel ». L’événement, s’il est fugace, n’est pas transitoire : c’est comme une rupture qui ouvre un nouvel âge, qui inaugure une nouvelle durée.

    4) L’événement ouvre une époque en ébranlant le passé – d’où son caractère de catastrophe, de crise qu’il faudra commenter (et accessoirement surmonter). Ce qu’est un événement, ce dont l’histoire conserve l’écho et reflète les occurrences, ce sont donc des crises, des ruptures de continuité, des remises en cause du sens au moment où il se produit. L’événement est, fondamentalement, altérité.

    5) Thucydide, enfin, qui est à la fois l’acteur, le témoin et le chroniqueur de la guerre entre Sparte et Athènes, se sent convoqué par l’importance de l’événement lui-même. Celui-ci ne concerne absolument pas les seuls Athéniens ou Spartiates, ni même le peuple grec, mais se propage progressivement aux Barbares et de là pour ainsi dire à presque tout le genre humain : l’événement est singulier mais a une vocation universalisante. Ses effets dépassent de beaucoup le cadre initial de sa production – de son « avènement ».

    Repérer l’événement nécessite donc d’évacuer immédiatement l’anecdote (le quelconque remarqué) comme l’actualité (le quelconque hic et nunc). Le « fait divers » n’est pas un événement. Un discours de François Hollande non plus…

    Il s’agit plus fondamentalement de se demander « ce que l’on appelle événement » au sens propre, c’est-à-dire à quelles conditions se produit un changement remarquable, dont la singularité atteste qu’il est irréductible à la série causale – ou au contexte – des événements précédents.

    Histoire des différentes approches historiques de « l’événement »

    La recherche historique a contribué à défricher utilement les contours de cette problématique.

    L’histoire « positiviste », exclusive jusqu’à la fin du XIXe siècle, a fait de l’événement un jalon, au moins symbolique, dans le récit du passé. Pendant longtemps, les naissances, les mariages et les morts illustres, mais aussi les règnes, les batailles, les journées mémorables et autres « jours qui ont ébranlé le monde » ont dominé la mémoire historique. Chronos s’imposait naturellement en majesté.

    Cette histoire « événementielle », qui a fait un retour en force académique à partir des années 1980 (3), conserve des vertus indéniables. Par sa recherche du fait historique concret, « objectif » parce qu’avéré, elle rejette toute généralisation, toute explication théorique et donc tout jugement de valeur. A l’image de la vie humaine (naissance, mariage, mort…), elle est un récit : celui du temps qui s’écoule, dont l’issue est certes connue, mais qui laisse place à l’imprévu. L’événement n’est pas seulement une « butte témoin » de la profondeur historique : il est un révélateur et un catalyseur des forces qui font l’histoire.

    Mais, reflet sans doute de notre volonté normative, cartésienne et quelque peu « ethno-centrée », elle a tendu à scander les périodes historiques autour de ruptures nettes, et donc artificielles : le transfert de l’Empire de Rome à Constantinople marquant la fin de l’Antiquité et les débuts du Moyen Age, l’expédition américaine de Christophe Colomb inaugurant l’époque moderne, la Révolution de 1789 ouvrant l’époque dite « contemporaine »… C’est l’âge d’or des « 40 rois qui ont fait la France » et de l’espèce de continuum historique qui aurait relié Vercingétorix à Gambetta.

    Cette vision purement narrative est sévèrement remise en cause au sortir du XIXe siècle par une série d’historiens, parmi lesquels Paul Lacombe (De l’histoire considérée comme une science, Paris, 1894), François Simiand (« Méthode historique et science sociale », Revue de Synthèse historique, 1903) et Henri Berr (L’Histoire traditionnelle et la Synthèse historique, Paris, 1921).

    Ces nouveaux historiens contribuent à trois avancées majeures dans notre approche de l’événement (4) :

    1) Pour eux, le fait n’est pas un atome irréductible de réalité, mais un « objet construit » dont il importe de connaître les règles de production. Ils ouvrent ainsi la voie à la critique des sources qui va permettre une révision permanente de notre rapport au passé, et partant de là aux faits eux-mêmes.

    2) Autre avancée : l’unique, l’individuel, l’exceptionnel ne détient pas en soi un privilège de réalité. Au contraire, seul le fait qui se répète, qui peut être mis en série et comparé peut faire l’objet d’une analyse scientifique. Même si ce n’est pas le but de cette première « histoire sérielle », c’est la porte ouverte à une vision « cyclique » de l’histoire dont vont notamment s’emparer Spengler et Toynbee.

    3) Enfin, ces historiens dénoncent l’emprise de la chronologie dans la mesure où elle conduit à juxtaposer sans les expliquer, sans les hiérarchiser vraiment, les éléments d’un récit déroulé de façon linéaire, causale, « biblique » – bref, sans épaisseur ni rythme propre. D’où le rejet de l’histoire événementielle, c’est-à-dire fondamentalement de l’histoire politique (Simiand dénonçant dès son article de 1903 « l’idole politique » aux côtés des idoles individuelle et chronologique), qui ouvre la voie à une « nouvelle histoire » incarnée par l’Ecole des Annales.

    Les Annales, donc, du nom de la célèbre revue fondée en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch, vont contribuer à renouveler en profondeur notre vision de l’histoire, notre rapport au temps, et donc à l’événement.

    Fondée sur le rejet parfois agressif de l’histoire politique, et promouvant une approche de nature interdisciplinaire, cette école va mettre en valeur les autres événements qui sont autant de clés de compréhension du passé. Elle s’attache autant à l’événementiel social, l’événementiel économique et l’événementiel culturel. C’est une histoire à la fois « totale », parce que la totalité des faits constitutifs d’une civilisation doivent être abordés, et anthropologique. Elle stipule que « le pouvoir n’est jamais tout à fait là où il s’annonce » (c’est-à-dire exclusivement dans la sphère politique) et s’intéresse aux groupes et rapports sociaux, aux structures économiques, aux gestes et aux mentalités. L’analyse de l’événement (sa structure, ses mécanismes, ce qu’il intègre de signification sociale et symbolique) n’aurait donc d’intérêt qu’en permettant d’approcher le fonctionnement d’une société au travers des représentations partielles et déformées qu’elle produit d’elle-même.

    Par croisement de l’histoire avec les autres sciences sociales (la sociologie, l’ethnographie, l’anthropologie en particulier), qui privilégient généralement le quotidien et la répétition rituelle plutôt que les fêlures ou les ruptures, l’événement se définit ainsi, aussi, par les séries au sein desquelles il s’inscrit. Le constat de l’irruption spectaculaire de l’événement ne suffit pas: il faut en construire le sens, lui apporter une « valeur ajoutée » d’intelligibilité (5).

    L’influence marxiste est évidemment dominante dans cette mouvance, surtout à partir de 1946 : c’est la seconde génération des Annales, avec Fernand Braudel comme figure de proue, auteur en 1967 du très révélateur Vie matérielle et capitalisme.

    Déjà, la thèse de Braudel publiée en 1949 (La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II) introduisait la notion des « trois temps de l’histoire », à savoir :

    1) Un temps quasi structural, c’est-à-dire presque « hors du temps », qui est celui où s’organisent les rapports de l’homme et du milieu ;

    2) Un temps animé de longs mouvements rythmés, qui est celui des économies et des sociétés ;

    3) Le temps de l’événement enfin, ce temps court qui ne constituerait qu’« une agitation de surface » dans la mesure où il ne fait sens que par rapport à la dialectique des temps profonds.

    Dans son article fondateur sur la « longue durée », publié en 1958, Braudel explique le double avantage de raisonner à l’aune du temps long :

    • l’avantage du point de vue, de l’analyse (il permet une meilleure observation des phénomènes massifs, donc significatifs) ;
    • l’avantage de la méthode (il permet le nécessaire dialogue – la « fertilisation croisée » – entre les différentes sciences humaines).

    Malgré ses avancées fécondes, ce qui deviendra la « nouvelle histoire » (l’histoire des mentalités et donc des représentations collectives, avec une troisième génération animée par Jacques Le Goff et Pierre Nora en particulier) a finalement achoppé :

    • par sa rigidité idéologique (la construction de modèles, l’identification de continuités prévalant sur l’analyse du changement – y compris social) ;
    • et sur la pensée du contemporain, de l’histoire contemporaine (par rejet initial, dogmatique, de l’histoire politique).

    Pierre Nora est pourtant obligé de reconnaître, au milieu des années 1970, « le retour de l’événement », qu’il analyse de façon défensive comme suit : « L’histoire contemporaine a vu mourir l’événement ‘naturel’ où l’on pouvait idéalement troquer une information contre un fait de réalité ; nous sommes entrés dans le règne de l’inflation événementielle et il nous faut, tant bien que mal, intégrer cette inflation dans le tissu de nos existences quotidiennes. » (« Faire de l’histoire », 1974).

    Nous y sommes.

    L’approche morphologique : Spengler et Toynbee

    Parallèlement à la « nouvelle histoire », une autre approche a tendu à réhabiliter, au XXe siècle, la valeur « articulatoire » de l’événement – et donc les hommes qui le font. Ce sont les auteurs de ce qu’il est convenu d’appeler les « morphologies historiques » : Toynbee et bien sûr Spengler.

    L’idée générale est de déduire les lois historiques de la comparaison de phénomènes d’apparence similaire, même s’ils se sont produits à des époques et dans des sociétés très différentes. Les auteurs des morphologies cherchent ainsi dans l’histoire à repérer de « grandes lois » qui se répètent, dont la connaissance permettrait non seulement de comprendre le passé mais aussi, en quelque sorte, de « prophétiser l’avenir ».

    Avec Le déclin de l’Occident, publié en 1922, Oswald Spengler frappe les esprits – et il frappe fort. Influencé par les néokantiens, il propose une modélisation de l’histoire inspirée des sciences naturelles, mais en s’en remettant à l’intuition plutôt qu’à des méthodes proprement scientifiques. Sa méthode : « La contemplation, la comparaison, la certitude intérieure immédiate, la juste appréciation des sentiments » (7). Comme les présupposés idéologiques pourraient induire en erreur, la contemplation doit porter sur des millénaires, pour mettre entre l’observateur et ce qu’il observe une distance – une hauteur de vue – qui garantisse son impartialité.

    De loin, on peut ainsi contempler la coexistence et la continuité des cultures dans leur « longue durée », chacune étant un phénomène singulier, et qui ne se répète pas, mais qui montre une évolution par phases, qu’il est possible de comparer avec celles d’autres cultures (comme le naturaliste, avec d’autres méthodes, compare les organes de plantes ou d’animaux distincts).

    Ces phases sont connues : toute culture, toute civilisation, naît, croît et se développe avant de tomber en décadence, sur des cycles millénaires. Etant entendu qu’« il n’existe pas d’homme en soi, comme le prétendent les bavardages des philosophes, mais rien que des hommes d’un certain temps, en un certain lieu, d’une certaine race, pourvus d’une nature personnelle qui s’impose ou bien succombe dans son combat contre un monde donné, tandis que l’univers, dans sa divine insouciance, subsiste immuable à l’entour. Cette lutte, c’est la vie » (8).

    Certes, le terme de « décadence » est discutable, en raison de sa charge émotive : Spengler précisera d’ailleurs ultérieurement qu’il faut l’entendre comme « achèvement » au sens de Goethe (9). Certes, la méthode conduit à des raccourcis hasardeux et des comparaisons parfois malheureuses. Mais la grille d’analyse proposée par Spengler reste tout à fait pertinente. Elle réintroduit le tragique dans l’histoire. Elle rappelle que ce sont les individus, et non les « masses », qui font l’histoire. Elle stimule enfin la nécessité de déceler, « reconnaître » (au sens militaire du terme) les éléments constitutifs de ces ruptures de cycles.

    L’historien britannique Arnold Toynbee va prolonger en quelque sorte cette intuition avec sa monumentale Etude de l’histoire (A Study of History) en 12 volumes, publiée entre 1934 et 1961 (10). Toynbee s’attache également à une « histoire comparée » des grandes civilisations et en déduit, notamment, que les cycles de vie des sociétés ne sont pas écrits à l’avance dans la mesure où ils restent déterminés par deux fondamentaux :

    1) Le jeu de la volonté de puissance et des multiples obstacles qui lui sont opposés, mettant en présence et développant les forces internes de chaque société ;

    2) Le rôle moteur des individus, des petites minorités créatrices qui trouvent les voies que les autres suivent par mimétisme. Les processus historiques sont ainsi affranchis des processus de nature sociale, ou collective, propres à l’analyse marxiste – malgré la théorie des « minorités agissantes » du modèle léniniste.

    En dépit de ses limites méthodologiques, et bien que sévèrement remise en cause par la plupart des historiens « professionnels », cette approche morphologique est particulièrement stimulante parce qu’elle intègre à la fois la volonté des hommes et le « temps long » dans une vision cyclique, et non pas linéaire, de l’histoire. Mais elle tend à en conserver et parfois même renforcer le caractère prophétique, « hégélien », mécanique. Surtout, elle semble faire de l’histoire une matière universelle et invariante en soi, dominée par des lois intangibles. Pourtant, Héraclite déjà, philosophe du devenir et du flux, affirmait que « Tout s’écoule ; on ne se baigne jamais dans le même fleuve » (Fragment 91).

    Le questionnement philosophique

    La philosophie, par son approche conceptuelle, permet justement de prolonger cette première approche, historique, de l’événement.

    Il n’est pas question ici d’évoquer l’ensemble des problématiques soulevées par la notion d’événement, qui a bien évidemment interrogé dès l’origine la réflexion philosophique par les prolongements évidents que celui-ci introduit au Temps, à l’Espace, et à l’Etre.

    L’approche philosophique exige assez simplement de réfléchir aux conditions de discrimination par lesquelles nous nommons l’événement : à quelles conditions un événement se produit-il ? Et se signale-t-il comme événement pour nous ? D’un point de vue philosophique, déceler l’événement revient donc à interroger fondamentalement l’articulation entre la continuité successive des « ici et maintenant » (les événements quelconques) avec la discontinuité de l’événement remarquable (celui qui fait l’histoire) (11).

    Dès lors, quelques grandes caractéristiques s’esquissent pour qualifier l’événement :

    1) Il est toujours relatif (ce qui ne veut pas dire qu’il soit intrinsèquement subjectif).

    2) Il est toujours double : à la fois « discontinu sur fond de continuité », et « remarquable en tant que banal ».

    3) Il se produit pour la pensée comme ce qui lui arrive (ce n’est pas la pensée qui le produit), et de surcroît ce qui lui arrive du dehors (il faudra d’ailleurs déterminer d’où il vient, qui le produit). Ce qui n’empêche pas l’engagement, comme l’a souligné – et illustré –Thucydide.

    Le plus important est que l’événement « fait sens » : il se détache des événements quelconques, de la série causale précédente pour produire un point singulier remarquable – c’est-à-dire un devenir.

    L’événement projette de façon prospective, mais aussi rétroactive, une possibilité nouvelle pour les hommes. Il n’appartient pas à l’espace temps strictement corporel, mais à cette brèche entre le passé et le futur que Nietzsche nomme « l’intempestif » et qu’il oppose à l’historique (dans sa Seconde Considération intempestive, justement). Concept que Hannah Arendt, dans la préface à La Crise de la culture, appelle « un petit non espace-temps au cœur même du temps » (12).

    C’est un « petit non espace-temps », en effet, car l’événement est une crise irréductible aux conditions antécédentes – sans quoi il serait noyé dans la masse des faits. Le temps n’est donc plus causal, il ne se développe pas tout seul selon la finalité interne d’une histoire progressive : il est brisé. Et l’homme (celui qui nomme l’événement) vit dans l’intervalle entre passé et futur, non dans le mouvement qui conduirait, naïvement, vers le progrès.

    Pour autant, Arendt conserve la leçon de Marx : ce petit non-espace-temps est bien historiquement situé, il ne provient pas de l’idéalité abstraite. Mais elle corrige l’eschatologie du progrès historique par l’ontologie du devenir initiée par Nietzsche : le devenir, ce petit non espace-temps au cœur même du temps, corrige, bouleverse et modifie l’histoire mais n’en provient pas – « contrairement au monde et à la culture où nous naissons, [il] peut seulement être indiqué, mais ne peut être transmis ou hérité du passé. » (13) Alors que « la roue du temps, en tous sens, tourne éternellement » (Alain de Benoist), l’événement est une faille, un moment où tout semble s’accélérer et se suspendre en même temps. Où tout (re)devient possible. Ou bien, pour reprendre la vision « sphérique » propre à l’Eternel Retour (14) : toutes les combinaisons possibles peuvent revenir un nombre infini de fois, mais les conditions de ce qui est advenu doivent, toujours, ouvrir de nouveaux possibles. Car c’est dans la nature même de l’homme, ainsi que l’a souligné Heidegger : « La possibilité appartient à l’être, au même titre que la réalité et la nécessité. » (15)

    Prédire ? Non : pré-voir !

    Pour conclure, il convient donc de croiser les apports des recherches historiques et des réflexions philosophiques – et en l’espèce métaphysiques – pour tenter de déceler, dans le bruit, le chaos et l’écume des temps, ce qui fait événement.

    On aura compris qu’il n’y a pas de recette miracle. Mais que s’approcher de cette (re)connaissance nécessite de décrypter systématiquement un fait dans ses trois dimensions :

    1) Une première dimension, horizontale sans être linéaire, plutôt « sphérique » mais inscrite dans une certaine chronologie : il faut interroger les causes et les remises en causes (les prolongements et les conséquences) possibles, ainsi que le contexte et les acteurs : qui sont-ils et surtout « d’où parlent-ils » ? Pourquoi ?

    2) Une deuxième dimension est de nature verticale, d’ordre culturel, social, ou pour mieux dire, civilisationnel : il faut s’attacher à inscrire l’événement dans la hiérarchie des normes et des valeurs, le discriminer pour en déceler la nécessaire altérité, l’« effet rupture », le potentiel révolutionnaire qu’il recèle et révèle à la fois.

    3) Une troisième dimension, plus personnelle, à la fois ontologique et axiologique, est enfin nécessaire pour que se croisent les deux dimensions précédentes : c’est l’individu qui vit, et qui pense cette vie, qui est à même de (re)sentir l’événement. C’est son histoire, biologique et culturelle, qui le met en résonance avec son milieu au sens large.

    C’est donc fondamentalement dans ses tripes que l’on ressent que « plus rien ne sera comme avant ». L’observateur est un acteur « en dormition ». Dominique Venner a parfaitement illustré cette indispensable tension.

    Il convient cependant de rester humbles sur nos capacités réelles.

    Et pour ce faire, au risque de l’apparente contradiction, relire Nietzsche. Et plus précisément Par-delà le bien et le mal : « Les plus grands événements et les plus grandes pensées – mais les plus grandes pensées sont les plus grands événements – sont compris le plus tard : les générations qui leur sont contemporaines ne vivent pas ces événements, elles vivent à côté. Il arrive ici quelque chose d’analogue à ce que l’on observe dans le domaine des astres. La lumière des étoiles les plus éloignées parvient en dernier lieu aux hommes ; et avant son arrivée, les hommes nient qu’il y ait là … des étoiles. »

    Grégoire Gambier (Institut Iliade, 18 janvier 2015)

    Ce texte est une reprise actualisée et légèrement remaniée d’une intervention prononcée à l’occasion des IIe Journées de réinformation de la Fondation Polemia, organisées à Paris le 25 octobre 2008.

    Notes

    (1) Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide, traduction, introduction et notes de Jacqueline De Romilly, précédée de La campagne avec Thucydide d’Albert Thibaudet, Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1990.

    (2) Ibid. Dans ce texte pénétrant, Thibaudet rappelle notamment l’histoire des livres sibyllins : en n’achetant que trois des neuf ouvrages proposés par la Sybille et où était contenu l’avenir de Rome, Tarquin condamna les Romains à ne connaître qu’une fraction de vérité – et d’avenir. « […] peut-être, en pensant aux six livres perdus, dut-on songer que cette proportion d’un tiers de notre connaissance possible de l’avenir était à peu près normale et proportionnée à l’intelligence humaine. L’étude de l’histoire peut nous amener à conclure qu’en matière historique il y a des lois et que ce qui a été sera. Elle peut aussi nous conduire à penser que la durée historique comporte autant d’imprévisible que la durée psychologique, et que l’histoire figure un apport incessant d’irréductible et de nouveau. Les deux raisonnements sont également vrais et se mettraient face à face comme les preuves des antinomies kantiennes. Mais à la longue l’impression nous vient que les deux ordres auxquels ils correspondent sont mêlés indiscernablement, que ce qui est raisonnablement prévisible existe, débordé de toutes parts par ce qui l’est point, par ce qui a pour essence de ne point l’être, que l’intelligence humaine, appliquée à la pratique, doit sans cesse faire une moyenne entre les deux tableaux ».

    (3) Après bien des tâtonnements malheureux, les manuels scolaires ont fini par réhabiliter l’intérêt pédagogique principal de la chronologie. Au niveau académique, on doit beaucoup notamment à Georges Duby (1919-1996). Médiéviste qui s’est intéressé tour à tour, comme la plupart de ses confrères de l’époque, aux réalités économiques, aux structures sociales et aux systèmes de représentations, il accepte en 1968 de rédiger, dans la collection fondée par Gérald Walter, « Trente journées qui ont fait la France », un ouvrage consacré à l’un de ces jours mémorables, le 27 juillet 1214. Ce sera Le dimanche de Bouvines, publié pour la première fois en 1973. Une bombe intellectuelle qui redécouvre et exploite l’événement sans tourner le dos aux intuitions braudeliennes. Cf. son avant-propos à l’édition en poche (Folio Histoire, 1985) de cet ouvrage (re)fondateur : « C’est parce qu’il fait du bruit, parce qu’il est ‘grossi par les impressions des témoins, par les illusions des historiens’, parce qu’on en parle longtemps, parce que son irruption suscite un torrent de discours, que l’événement sensationnel prend son inestimable valeur. Pour ce que, brusquement, il éclaire. »

    (4) Cette analyse, ainsi que celle qui suit concernant l’Ecole des Annales, est directement inspirée de La nouvelle histoire, sous la direction de Jacques Le Goff, Roger Chartier et Jacques Revel, CEPL, coll. « Les encyclopédies du savoir moderne », Paris, 1978, pp. 166-167.

    (5) Cf. la revue de sociologie appliquée « Terrain », n°38, mars 2002.

    (6) Cf. L’histoire, Editions Grammont, Lausanne, 1975, dont s’inspire également l’analyse proposée des auteurs « morphologistes » – Article « Les morphologies : les exemples de Spengler et Toynbee », pp. 66-73.

    (7) Ibid.

    (8) Ecrits historiques et philosophiques – Pensées, préface d’Alain de Benoist, Editions Copernic, Paris, 1979, p. 135.

    (9) Ibid., article « Pessimisme ? » (1921), p. 30.

    (10) Une traduction française et condensée est disponible, publiée par Elsevier Séquoia (Bruxelles, 1978). Dans sa préface, Raymond Aron rappelle que, « lecteur de Thucydide, Toynbee discerne dans le cœur humain, dans l’orgueil de vaincre, dans l’ivresse de la puissance le secret du destin », ajoutant : « Le stratège grec qui ne connaissait, lui non plus, ni loi du devenir ni décret d’en haut, inclinait à une vue pessimiste que Toynbee récuse tout en la confirmant » (p. 7).

    (11) L’analyse qui suit est directement inspirée des travaux du Centre d’Etudes en Rhétorique, Philosophie et Histoire des Idées (Cerphi), et plus particulièrement de la leçon d’agrégation de philosophie « Qu’appelle-t-on un événement ? », www.cerphi.net.

    (12) Préface justement intitulée « La brèche entre le passé et le futur », Folio essais Gallimard, Paris, 1989 : « L’homme dans la pleine réalité de son être concret vit dans cette brèche du temps entre le passé et le futur. Cette brèche, je présume, n’est pas un phénomène moderne, elle n’est peut-être même pas une donné historique mais va de pair avec l’existence de l’homme sur terre. Il se peut bien qu’elle soit la région de l’esprit ou, plutôt, le chemin frayé par la pensée, ce petit tracé de non-temps que l’activité de la pensée inscrit à l’intérieur de l’espace-temps des mortels et dans lequel le cours des pensées, du souvenir et de l’attente sauve tout ce qu’il touche de la ruine du temps historique et biographique (…) Chaque génération nouvelle et même tout être humain nouveau en tant qu’il s’insère lui-même entre un passé infini et un futur infini, doit le découvrir et le frayer laborieusement à nouveau » (p. 24). Etant entendu que cette vision ne vaut pas négation des vertus fondatrices de l’événement en soi : « Ma conviction est que la pensée elle-même naît d’événements de l’expérience vécue et doit leur demeurer liés comme aux seuls guides propres à l’orienter » – Citée par Anne Amiel, Hannah Arendt – Politique et événement, Puf, Paris, 1996, p. 7.

    (13) Ibid. Ce que le poète René Char traduira, au sortir de quatre années dans la Résistance, par l’aphorisme suivant : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » (Feuillets d’Hypnos, Paris, 1946).

    (14) Etant entendu que le concept n’a pas valeur historique, ni même temporelle, car il se situe pour Nietzsche en dehors de l’homme et du temps pour concerner l’Etre lui-même : c’est « la formule suprême de l’affirmation, la plus haute qui se puisse concevoir » (Ecce Homo). L’Eternel retour découle ainsi de la Volonté de puissance pour constituer l’ossature dialectique du Zarathoustra comme « vision » et comme « énigme » pour le Surhomme, dont le destin reste d’être suspendu au-dessus du vide. Pour Heidegger, les notions de Surhomme et d’Eternel retour sont indissociables et forment un cercle qui « constitue l’être de l’étant, c’est-à-dire ce qui dans le devenir est permanent » (« Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ? », in Essais et conférences, Tel Gallimard, 1958, p. 139).

    (15) « Post-scriptum – Lettre à un jeune étudiant », in Essais et conférences, ibid., p. 219. En conclusion à la conférence sur « La chose », Heidegger rappelle utilement que « ce sont les hommes comme mortels qui tout d’abord obtiennent le monde comme monde en y habitant. Ce qui petitement naît du monde et par lui, cela seul devient un jour une chose »…

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  • Six thèses sur l’angélisme qui nous gouverne : être Charlie ne suffira pas...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Vincent Coussedière, publié sur Figaro Vox et signalé par Polémia. Dans ce texte, l'auteur d’Éloge du populisme (Elya, 2012),  revient sur les attentats des 7, 8 et 9 janvier et leurs suites politiques.

     

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    Six thèses sur l’angélisme qui nous gouverne : être Charlie ne suffira pas

    1) Etre fidèle à Charlie aujourd’hui, c’est rompre l’unanimité et la bien-pensance de façade, c’est rompre l’identification du «Je suis Charlie». Ce slogan est déficient dans chacun de ses termes. Il ne s’agit pas de dire «je» mais de dire «nous», pour marquer la différence entre une identification individuelle de «spectateur» et une réaction politique par définition collective. Il ne s’agit pas non plus d’«être», c’est-à-dire de se substituer à la victime par identification imaginaire. Il s’agit de «faire», c’est-à-dire d’agir contre ceux qui se déclarent nos ennemis. Enfin il ne s’agit pas seulement de Charlie, mais de policiers, de juifs, c’est-à-dire de personnes libres et reconnues comme telles en tant que citoyennes de l’Etat français. Ce sont les Français et la France qui sont attaqués. Et la réponse doit se faire à ce niveau. «Nous sommes français», et c’est parce que nous sommes français que nous défendons Charlie comme tous les autres qui ont été attaqués dans leur liberté de vivre en France.

    2) Nous sommes français et nous avons des ennemis qu’il faut nommer. Il ne s’agit pas de lutter contre le terrorisme qui est une abstraction qui permet de noyer le poisson. Le terrorisme est un moyen utilisé par notre ennemi. Il ne suffit pas encore à définir notre ennemi. Notre ennemi est l’islamisme et cela encore est trop général, car il y a concurrence et émulation entre différents groupes islamistes appuyés par différents Etats. Ces ennemis ne frappent pas aujourd’hui parce que jusqu’à présent ils auraient échoué, mais parce qu’ils l’ont décidé. Et il faut expliquer pourquoi ils l’ont décidé. Ils l’ont décidé parce que nous sommes aussi entrés en guerre contre eux, et il aurait fallu expliquer clairement aux Français le risque que nous prenions et pourquoi. Cela n’a pas été fait. Le terrorisme n’est pas un phénomène météorologique qu’on pourrait conjurer avec des alertes oranges. Il faut cesser de prendre les Français pour des imbéciles.

    3) Une fois nommé l’ennemi : l’islamisme, il ne suffira pas de combattre sa variante terroriste pour l’endiguer. Car le terrorisme n’est qu’un des moyens utilisés par l’islamisme pour mener à bien son projet, projet qu’il s’agit aussi d’identifier et qui est bien un projet d’islamisation de notre société. Il faudra cesser de taxer d’«islamophobe» (terme lancé sur le marché des «idées» par Khomeiny, pour interdire toute critique de l’islam et de l’islamisme, et repris aujourd’hui bêtement par la vulgate médiatico-politique) tous ceux qui agissent pour améliorer la connaissance et la dénonciation de ce projet de domination, car c’en est un. La terreur n’est que le versant complémentaire d’un projet d’islamisation «par le bas» qui instrumentalise l’échec de l’assimilation républicaine et se substitue à elle. Quelle crédit accorder désormais aux politiques qui prétendent combattre le terrorisme sans affronter le terreau de l’islamisation?

    4) Il ne suffira pas de brandir le tabou de l’«amalgame» pour désamorcer le risque bien réel et en partie déjà effectif de guerre civile dans notre pays. La première chose qu’auraient dû faire nos élites politiques, au contraire de ce qu’elles ont toutes cru nécessaire de faire, ce n’était pas de brandir le risque de l’«amalgame», mais c’était de féliciter le peuple français de sa patience et de sa générosité, de n’avoir justement, jusqu’à présent, jamais cédé à l’amalgame. Car l’amalgame entre islam et islamisme, c’est d’abord aux musulmans français qu’il s’agit de faire la preuve qu’il n’est pas pertinent. Demander aux Français non musulmans de ne pas faire d’«amalgame», dès la première réaction aux événements, comme l’ont fait aussi bien F. Hollande que N. Sarkozy et M. Le Pen, c’était renverser la responsabilité et la charge de la preuve. Pourquoi les Français devraient-ils être savants en matière d’islam et être rendus responsables de la difficile articulation entre islam et islamisme? C’est aux musulmans, par définition «savants» en islam, qu’il appartient de ne pas s’amalgamer à l’islamisme et de montrer à leurs concitoyens, par leurs paroles et par leurs actes, qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur et que cet amalgame est effectivement infondé. Ce discours empressé et unanime à dénoncer le risque d’amalgame pose deux problèmes : il est le symptôme d’une forme de lâcheté à l’égard des musulmans français, qu’on ne met pas au pied du mur en les forçant à affronter le lien problématique entre islam et islamisme, comme si, en décrétant d’emblée qu’il n’y avait aucun rapport, on voulait leur éviter le travail de la réforme ; il est le symptôme d’un mépris du peuple français, dont on méconnaît l’intelligence et qu’on soupçonne par avance de faire cet amalgame avant qu’il ait eu lieu.

    5) Charlie est peut-être devenu le symbole de la liberté française. Pour ma part je ne suis pas sûr qu’il ait toujours été le parangon de cette liberté. La liberté n’est pas la licence et l’irresponsabilité à l’abri d’un Etat maternel et protecteur, fût-il gaullien. Il y a quelque chose de tragique et d’hégélien dans cette histoire. Si Charlie est devenu le symbole d’une liberté véritable et admirable, s’il est devenu admiré et a gagné de nouveaux lecteurs, c’est depuis cette affaire des caricatures de 2006. C’est parce qu’il a rencontré le maître islamiste et qu’il a relevé le défi que Charlie est devenu libre. Ici, l’ironie de l’Histoire est tragique, car Charlie, pour continuer à être lui-même, a dû renouer avec des valeurs bien éloignées de son anarchisme soixante-huitard. Il a dû prouver sa liberté devant le risque de mort, et reconnaître la liberté de ceux qui l’ont longtemps protégé, pas assez longtemps malheureusement: les policiers. Ceux qu’on brocardait autrefois dans la stupidité du slogan CRS-SS… Aujourd’hui, tous ceux qui croient qu’«être Charlie» peut s’afficher comme un slogan publicitaire du type «Touche pas à mon pote» ou «Agriculture biologiquement certifiée» restent incapables de mesurer ce changement dans les conditions de l’exercice de la liberté. Ils n’ont pas compris la leçon qu’il faut tirer de cet événement tragique qui clôt une page de notre histoire, la page de l’irresponsabilité gauchiste.

    6) Comment peut-on prendre au sérieux l’appel à l’unité nationale de la part de ceux qui, à droite comme à gauche, n’ont cessé de la détricoter depuis 40 ans? L’unité nationale ne sera pas le produit de l’indignation morale et des masses rassemblées pour l’exprimer. Le peuple n’est ni la foule ni la masse, mais une certaine forme de sociabilité en laquelle on «communie» chaque jour dans les paroles et les gestes banals de la vie quotidienne, une «décence commune», comme dirait Michéa reprenant Orwell, que se sont acharnées à détruire nos élites par l’étau de l’immigration incontrôlée et de l’individualisme consommateur déchaîné. Le peuple n’est ni la foule ni la masse, mais l’exercice d’une souveraineté collective à travers un Etat digne de ce nom, c’est-à-dire capable de maintenir son indépendance, dont les ressorts ont également été détruits par les européistes béats qui découvrent tout aussi béatement aujourd’hui qu’ils «sont Charlie» alors qu’ils n’ont rien fait depuis si longtemps pour le prouver en étant tout simplement des défenseurs de la liberté française qui inclut la liberté pour Charlie d’être Charlie.

    Vincent Coussedière (Figaro Vox, 15 janvier 2015)

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