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football - Page 4

  • Ecce Cantona !

    Pour ceux qui n'ont pas encore pris le temps de voir Looking for Eric, l'excellent film de Ken Loach, disponible en DVD, nous publions ici la recension qu'en a fait Mathieu Le Bohec dans la revue Eléments.

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    Ecce Cantona !

    Sur le premier plan du dernier film de Ken Loach, Looking for Eric (2009), Eric Bishop (excellent Steve Evets), dans l'espoir inconscient de se tuer, brûle le pavé à plusieurs reprises en sens inverse sur un rond-point. Il est vrai que dans le gris Lancashire, ce postier est dans une mauvaise passe. Ses deux beaux-fils glissent vers le banditisme, sa vie sentimentale est un désert et sa fille lui reproche de ne pas assumer pleinement son rôle de père. Soutenu tendrement par ses collègues de travail, notamment lors d'une hilarante séance de psychothérapie de groupe, il continue néanmoins à chavirer dans la dépression. Et ce jusqu'à l'apparition, issue des vapeurs de l'herbe fumée en solitaire, du mythe qui va le patronner et lui faire reprendre sa vie en main. Il ne s'agit pas de Joséphine Ange-Gardien, mais de l'idole qui tapisse sa chambre, le footballeur français légendaire du grand Manchester United des années 1990, Eric Cantona.

    Réputé dans sa carrière sportive pour ses buts audacieux, mais aussi pour ses douteuses formules philosophiques lors d'interviews et conférences de presse, Cantona parade dans le film en prophète génial et pétri d'autodérision. Au gré des SOS «cannabistiques» du facteur, Eric The King distille pour ce dernier, via des maximes au franglais pimenté, la force nécessaire à sa renaissance sociale et amoureuse. Cette reconquête passera également par la bienveillance désormais très active de ses collègues et amis, jusqu'à la scène finale violente, drôle et triomphante, consacrant l'idée de groupe et de communauté. Ken loach l'évoque ainsi: «C'est un film contre l'individualisme: on est plus fort en groupe que seul. Il est aussi question de l'endroit où vous travaillez et de vos collègues. Même si cela peut sembler banal de dire cela, ce n'est pas dans le vent de l'époque. Ou du moins ça ne l'est plus depuis trente ans. Ceux qui vous entourent ne sont plus vos camarades, ils sont vos concurrents.» Le groupe est donc ici perçu comme une contre-société combattante, qui échafaude ses propres armes pour résister aux estocades incessantes de la société libérale. Le précepte essentiel de cette dernière étant sans nul doute l'accomplissement d'une désocialisation absolue, où l'humble, même s'il se révolte, doit se retrouver seul.

    Ken loach excelle comme à son habitude et signe là une version souriante de Raining Stones (1993), où il était déjà question de la conservation de la dignité malgré tout. Il y aborde avec une poésie truculente les valeurs d'entraide et de solidarité de la common decency orwellienne, ainsi que la dimension christique des mythes populaires, ici un joueur de football, fondements de l'âme du peuple ouvrier anglais. Ces petites gens qui n'ont plus les moyens de s'acheter un billet pour le stade, qui macèrent dans la violence, mais qui tentent de garder la tête haute, le col relevé, comme Cantona après le but.

     

    Mathieu Le Bohec (Éléments n°133, octobre-décembre 2009)

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  • "Nous sommes tous mendiants du beau jeu !"

    Le site internet Miroir du football vient de publier un excellent entretien avec Jean-Claude Michéa, à l'occasion de la réédition de son ouvrage Les intellectuels, le peuple et le ballon rond aux édtions Climats.

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    Le football est-il la joie du peuple ou l’opium des peuples ? 

    Contrairement aux anciennes formes de domination, qui laissaient généralement subsister en dehors d’elles des pans entiers de la vie sociale, le système capitaliste s’effondrerait très vite s’il cessait de trouver de nouveaux « débouchés », autrement dit de plier à ses propres lois l’ensemble des institutions et des activités humaines qui lui préexistaient ou qui s’étaient développées indépendamment de lui (qu’il s’agisse, par exemple, de la création artistique, de la recherche scientifique, de l’urbanisme, de la vie familiale, de l’organisation du travail ou des multiples traditions populaires). Il aurait donc été étonnant qu’un phénomène culturel aussi massif et aussi mondialisé que le football échappe à ce processus de vampirisation. Et, de fait, le football est devenu en quelques décennies l’un des rouages les plus importants de l’industrie mondiale du divertissement, à la fois source de profits fabuleux et instrument efficace du soft power (puisque c’est ainsi que les théoriciens libéraux de la « gouvernance mondiale » ont rebaptisé le vieil « opium du peuple »).

    Pour autant, ce rappel indispensable du rôle joué par le spectacle footballistique (et le sport médiatisé en général) dans le fonctionnement du capitalisme moderne ne doit pas nous conduire à légitimer les analyses mécanistes d’un Jean-Marie Brohm (analyses qui ne constituent, pour l’essentiel, qu’une reprise des critiques que la « gauche culturelle » américaine dirigeait, dès les années cinquante et soixante, contre l’athlétisme et le baseball). Cela reviendrait à oublier, en effet, que l’industrie du divertissement a toujours fonctionné selon deux lignes stratégiques distinctes. D’un côté, il lui faut fabriquer sans cesse de nouveaux produits (par exemple la télé-réalité, les jeux vidéo, Twitter, ou la musique industrielle) qui, dans leur principe même, sont entièrement (ou presque entièrement) conçus et façonnés selon les codes de l’idéologie libérale. De l’autre, elle travaille à récupérer, c’est-à-dire à reconfigurer en fonction de ses seules exigences, toute une série d’éléments issus des  différentes cultures populaires (mais également aristocratiques) et qui, à ce titre, relevaient à l’origine d’un tout autre système de valeurs. Tel est naturellement le cas de la logique du jeu - aussi ancienne que l’humanité - dont la dimension de plaisir et de gratuité constitutive est par définition irréductible à l’utilitarisme libéral  et à son obsession permanente de rentabilité à tout prix (c’est précisément sur l’inutilité et la futilité du jeu - incompatibles avec le nouvel esprit industriel - que se sont d’abord concentrées les premières critiques bourgeoises du sport).
    On comprend donc que la réinscription progressive des pratiques ludiques dans la logique du profit capitaliste (« le jeu - écrivait Christopher Lasch - répond au double besoin  de donner libre cours à sa fantaisie et d’affronter des difficultés sans conséquences ») ne pouvait que corrompre et dénaturer en profondeur l’essence même de l’activité sportive. Il suffit d’oublier un instant cette différence fondamentale entre la fabrication délibérée d’un nouveau gadget et la récupération d’une culture préexistante (c’est le cas de ceux qui réduisent le football à une simple « peste émotionnelle »)  pour jeter le bébé avec l’eau du bain et prêter une signification « radicale » à un type d’excommunication  qui ne fait, au fond, que reprendre sous une forme plus acceptable les vieilles croisades des puritains anglo-saxons du 19ème siècle « contre l’alcool et les distractions populaires » (Lasch). Un peu, en somme, comme si on décrétait que la prostitution - c’est-à-dire la marchandisation du plaisir sexuel - constituait l’essence même de ce dernier et sa seule vérité possible.

    Il ne s’agit donc pas de nier le fait que l’industrie du football contemporain fonctionne de plus en plus à la manière d’un « opium du peuple » (un kop d’ « ultras » donne assurément une image déprimante des pouvoirs de l’aliénation). Mais il est tout aussi important de souligner que le football moderne est aussi et encore, selon la formule d’Antonio Gramsci, un « royaume de la loyauté humaine exercé au grand air », ce qui explique pour une grande part la ferveur dont il continue à être l’objet dans les classes populaires. Et cela, même s’il est clair que le développement, résistible, de la logique marchande ne pourra que réduire toujours plus les fragiles frontières de ce royaume.

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  • Les intellectuels, le peuple et le ballon rond...

     "[...] Ce qui déplaît visiblement à certains adversaires du sport est qu'il soit éminemment populaire -  que le peuple, ainsi qu'il l'a toujours fait, s'enthousiasme pour les compétitions sportives (d'autant plus qu'à notre époque, il n'a plus guère d'occasion de s'enthousiasmer pour autre chose). Or le prestige du champion est indissociable de la fierté du groupe auquel il appartient et qui se reconnaît en lui : la compétition sportive implique un monde commun et des valeurs partagées.[...]"  Robert de Herte, Règne des records ou gloire des champions ?, in Eléments n°125, été 2007 

     

    Dans Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, que les éditions Climats rééditent sept ans après sa première sortie, Jean-Claude Michéa, auteur de L'empire du moindre mal et de Impasse Adam Smith, défend le football en tant que grand sport populaire et dénonce sa marchandisation. A lire avant la déferlante télévisuelle de la Coupe du monde !... 

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    "Ce texte est d’abord prétexte à rendre hommage à Football, ombre et lumière, un grand livre de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, paru aux éditions Climats en 1998. Mais Jean-Claude Michéa ne se contente pas ici de signaler l’intérêt philosophique indéniable de cet ouvrage, ni d’écrire de très belles pages sur ces footballeurs qui défièrent la gravité et donnèrent leurs noms à des gestes impensables. En dévoilant les mécanismes du mépris entretenu par une bonne partie des classes éduquées à l’encontre des sports populaires en général, et du football en particulier, il approfondit sa critique de l’Économisme, et de cette “ minorité civilisée ” chargée de mettre en pratique ses diktats. Le texte de Jean-Claude Michéa, introduit par une note de présentation de l’éditeur, sera accompagné de quelques nouvelles d’Eduardo Galeano, tirées de son livre, Football, ombre et lumière. Beckenbauer et Baggio y côtoient en bonne intelligence Camus et Pasolini. "

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  • Football païen !

    "Alors avec l'entrée dans le stade commence l'apothéose. Le terrain fait figure d'arène, d'enceinte sacrée. Un destin véritable se joue sous nos yeux, ouvert, entre deux équipes de champions que l'on s'est choisi : l'avenir se décide en deux mi-temps, qui rangeront les uns dans la honte des vaincus, les autres dans la gloire des vainqueurs. Le stade est un réceptacle populaire où l'on peut voir surgir l'ineffable. L'être biologique isolé est pris dans l'exaltation des spectateurs plus ou moins entassés : l'émotion est là du début à la fin dans un jeu qui opère sur le mode constant de l'intensité maximale. L'investissement est total : pas question de regarder du bout des yeux, il faut chanter, crier, trépigner, exploser de joie, de tristesse ou de colère. Le stade étant, surtout en Europe, un des derniers endroits d'émotion collective active devant un destin qui n'est pas joué d'avance, on mesure sans peine tout ce qui peut s'y investir."

    Cercle Héraclite, La civilisation du football, in Eléments n°59, été 1986 

    La dimension païenne du match de football vécu dans le stade par les supporters, c'est le sujet de Dans les tribunes, un ouvrage de Jean-françois Pradeau, professeur de philosophie à l'université de Lyon III et spécialiste de Platon, que les éditions Les Belles Lettres doivent publier début mai.  

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    "Le football est le sport le plus pratiqué au monde. Il est aussi et surtout le plus commenté, le plus observé et le plus regardé. Chaque semaine, en France comme ailleurs, des centaines de milliers de supporters viennent peupler les tribunes des stades pour encourager leur équipe, chanter, danser, crier, deux heures durant. Dans les tribunes est une réflexion sur la vie des tribunes, sur ce qui s'y dit et s’y fait, sur la manière dont on y chante et on y danse. Une réflexion qui part du principe qu’en dénonçant souvent la violence ou la bêtise des supporters, on ne comprend rien à la célébration très particulière qui se déroule dans les tribunes et qui est l’une des particularités du football. Une célébration qui mêle l’amour et le savoir.
    Car dans les tribunes des matchs de football, la cérémonie qui se déroule a bien quelque chose de sacré. Non pas qu’elle ressemble à une messe, mais parce que ceux qui s’y rendent accomplissent en son sein un rituel dont l’issue est à chaque fois une véritable révélation, ce que les anciens Grecs appelaient une « apocalypse » : une danse et une transe collectives à la faveur desquelles les hommes et les dieux se rencontrent. Les tribunes sont aujourd’hui l’équivalent de ce qu’étaient dans l’Antiquité les cultes à mystère.
    Il fallait réunir le supporter et l’antiquisant pour le comprendre."
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