"Alors avec l'entrée dans le stade commence l'apothéose. Le terrain fait figure d'arène, d'enceinte sacrée. Un destin véritable se joue sous nos yeux, ouvert, entre deux équipes de champions que l'on s'est choisi : l'avenir se décide en deux mi-temps, qui rangeront les uns dans la honte des vaincus, les autres dans la gloire des vainqueurs. Le stade est un réceptacle populaire où l'on peut voir surgir l'ineffable. L'être biologique isolé est pris dans l'exaltation des spectateurs plus ou moins entassés : l'émotion est là du début à la fin dans un jeu qui opère sur le mode constant de l'intensité maximale. L'investissement est total : pas question de regarder du bout des yeux, il faut chanter, crier, trépigner, exploser de joie, de tristesse ou de colère. Le stade étant, surtout en Europe, un des derniers endroits d'émotion collective active devant un destin qui n'est pas joué d'avance, on mesure sans peine tout ce qui peut s'y investir."
Cercle Héraclite, La civilisation du football, in Eléments n°59, été 1986
La dimension païenne du match de football vécu dans le stade par les supporters, c'est le sujet de Dans les tribunes, un ouvrage de Jean-françois Pradeau, professeur de philosophie à l'université de Lyon III et spécialiste de Platon, que les éditions Les Belles Lettres doivent publier début mai.
"Le football est le sport le plus pratiqué au monde. Il est aussi et surtout le plus commenté, le plus observé et le plus regardé. Chaque semaine, en France comme ailleurs, des centaines de milliers de supporters viennent peupler les tribunes des stades pour encourager leur équipe, chanter, danser, crier, deux heures durant. Dans les tribunes est une réflexion sur la vie des tribunes, sur ce qui s'y dit et s’y fait, sur la manière dont on y chante et on y danse. Une réflexion qui part du principe qu’en dénonçant souvent la violence ou la bêtise des supporters, on ne comprend rien à la célébration très particulière qui se déroule dans les tribunes et qui est l’une des particularités du football. Une célébration qui mêle l’amour et le savoir.
Car dans les tribunes des matchs de football, la cérémonie qui se déroule a bien quelque chose de sacré. Non pas qu’elle ressemble à une messe, mais parce que ceux qui s’y rendent accomplissent en son sein un rituel dont l’issue est à chaque fois une véritable révélation, ce que les anciens Grecs appelaient une « apocalypse » : une danse et une transe collectives à la faveur desquelles les hommes et les dieux se rencontrent. Les tribunes sont aujourd’hui l’équivalent de ce qu’étaient dans l’Antiquité les cultes à mystère.
Il fallait réunir le supporter et l’antiquisant pour le comprendre."