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europe - Page 97

  • Démographie et civilisation...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Metamag et consacré à l'importance de la question démographique dans le devenir de la civilisation européenne. Professeur de sciences politiques et de géopolitique, Gérard Dussouy est, notamment, l'auteur de Quelle géopolitique au XXIe siècle (Editions Complexes, 2002) et de Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013), un ouvrage préfacé par Dominique Venner.

     

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    Démographie et civilisation

    De temps à autre, il faut aller au fond des choses, il faut réfléchir et aller au-delà du vernis médiatique quotidien, boursoufflé par l’émotionnel et l’ethnocentrique. Et les événements peuvent, paradoxalement, y obliger quand ils mettent en exergue un enjeu civilisationnel (en l’occurrence la liberté d’expression, aussi vulgairement instrumentalisée et dévoyée soit-elle, et la tolérance) et que l’on sait que celui-ci a un rapport direct avec la démographie, c'est-à-dire avec le substrat humain qui l’a toujours porté et fait vivre. Or, ce rapport est en cause parce que les populations française et européenne ont changé, déjà et cela va continuer, et parce que leur environnement démographique mondial est bouleversé. Rien n’est jamais acquis et tout est contextuel, faut-il le rappeler ?

    Les civilisations, comme l’a expliqué, en long et en large, Fernand Braudel, sont, justement, des contextes, à la fois, matériels (états d’avancement de la technique et des conditions de vie) et historico-culturels (systèmes de valeurs et de croyances) qui conditionnent tous ceux qui, individuellement ou collectivement, en sont issus. Réciproquement, il va de soi que chaque civilisation dépend, pour sa vitalité et sa durabilité, des hommes qui la portent, et de leur attachement à leurs valeurs et à leurs styles de vie. Or, les sociétés européennes sont vieillissantes, dramatiquement pour certaines d’entre elles, et on assiste au remplacement progressif des générations par des populations jeunes issues d’autres civilisations. Sachant que « la religion est le trait le plus fort, au cœur des civilisations, à la fois leur passé et leur présent » (F. Braudel), il est logique que les nouveaux arrivants, quand ils sont devenus les plus nombreux, imposent leur culte, leur manière d’être au monde et leur conception de la liberté. La journée du Dimanche 11 Janvier 2015, dans son « unanimisme » apparent, aura-t-elle été celle du « chant du cygne » de la pensée moderne ? Il faut souhaiter que non, mais cette dernière a commis l’erreur fatale, après avoir séparé la nature de la culture, d’avoir surévalué le rôle de l’idéologie.

    Dans la dialectique entre le matériel et l’idéel, le premier l’emporte plus souvent que ne veulent le croire les idéologues français. De même, la démographie conditionne souvent la puissance d’une culture ou d’une civilisation. Allez donc dire aux Indiens d’Amérique que le « grand remplacement » n’existe pas, et que l’arrivée massive des Européens dans le second quart du XIX° siècle n’a pas totalement « transformé » leur civilisation ! Quant à la Chine, elle s’homogénéise de mieux en mieux, grâce à sa réserve considérable d’individus appartenant à l’ethnie des Hans. Leurs déplacements d’Est en Ouest, et du Nord au Sud, aux dépens des Ouïgours et des Tibétains, aujourd’hui, après que cela fut le cas, autrefois, des Mandchous et des Mongols (de la Mongolie Intérieure), les rend de plus en plus largement majoritaires dans les provinces périphériques de la Chine.

    Parallèlement à la montée des inquiétudes face à l’installation et au durcissement récent des communautarismes, l’opinion publique en Europe prend conscience des nouveaux rapports de forces démo-économiques irrésistibles (comme la montée en puissance de la Chine le lui démontre) qui ont été engendrés par la mondialisation. Ils sont la conséquence de la modernisation des « masses amorphes » de l’ancien Tiers-monde, comme pouvait les dénommer Gaston Bouthoul au beau milieu du XX° siècle. Et qui sont devenues, du même coup, de redoutables concurrents. Comme l’a développé à maintes reprises Pierre Chaunu, l’histoire démographique, mise en relation avec le progrès technique, prime sur tout. Selon cet historien français, l’union et la pérennité du couple (démographie/technologie), à l’intérieur d’un espace-temps donné, permettent de dégager une « succession des systèmes de civilisation » dans l’espace-temps mondial. Il avait donc tendance à croire que sur l’axe Méditerranée(Europe)-Inde-Chine, « sur lequel tout se joue » d’après ses propres termes, après le basculement en faveur de l’Occident (Grandes Découvertes du XVI° siècle, puis la révolution scientifique des XVIII° et XIX° siècles) on assisterait maintenant au retour du balancier vers l’Asie. Sauf, peut-on le penser, si l’Occident et l’Europe, pour ce qui nous concerne, réaffirmaient leurs avancées technologiques (la technologie étant le seul facteur qui pourrait encore leur octroyer une suprématie relative). Aujourd’hui, de toute évidence, la mutation de la croissance des hommes et des moyens est fondatrice d’une mondialité de plus en plus centrée sur le continent asiatique (3 milliards d’individus entre la Chine et l’Inde, susceptibles d’être « technologisés », contre 300 millions pour l’Amérique du Nord).

    Le devenir de la civilisation européenne est donc lié, à la fois à la réorganisation du monde, elle-même en grande partie commandée par les masses humaines les mieux étatiquement structurées et les plus culturellement enracinées, et à la capacité des Européens à vouloir demeurer ce qu’ils sont. Des romans ou des pamphlets, plutôt que des travaux scientifiques sur ces sujets qui font gravement défaut, révèlent par leurs succès le début d’une prise de conscience générale. Les menaces démographiques, culturelles et économiques (on ne va pas tarder à reparler de la question des retraites) commencent à cumuler leurs effets. En attestent les grandes manifestations organisées en Allemagne par le mouvement Pegida, dont il faut apprécier, au passage, la référence patriote européenne qui devrait en inspirer beaucoup d’autres en Europe, notamment en France, où l’on préfère envisager le plus souvent le recroquevillement xénophobe. Si c’était le cas, s’il essaimait sur le continent, il y aurait alors tout intérêt à ce que ce mouvement élargisse sa plateforme politique et revendicative au-delà de la seule résistance à l’islamisation de l’Europe.

    Dans l’Histoire, la démographie occupe une place primordiale qui ne se dément pas. Cela se vérifie dans la restructuration en cours du système international, et cela crée des enjeux existentiels et civilisationnels réels.

    Gérard Dussouy (Metamag, 22 janvier 2015)

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  • L'Amérique et la stratégie du bélier...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jean-Claude Empereur, cueilli sur le site d'Europe solidaire et consacré aux méthodes hégémoniques des Etats-Unis avec leurs "alliés"...

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    L'Amérique et la stratégie du bélier

    Le président de la République a choisi de présenter ses vœux aux armées depuis le porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle. Ce navire est emblématique de la multiplicité des talents et des capacités français.

    Mettre en avant la réussite conceptuelle, technologique et opérationnelle de la France dans le domaine de la défense, en l’occurrence du Rafale, du Mistral ou de nos sous-marins nucléaires, c’est inciter les États-Unis à nous neutraliser et surtout à nous interdire d’entraîner nos partenaires européens dans ce qu’ils considèrent comme une forme de dissidence stratégique.

    Les Anciens, pour détruire les murailles des fortifications de leurs adversaires, avaient inventé et perfectionné, au cours des siècles, le bélier. Les Américains ont repris le concept, pour détruire systématiquement ce qui subsiste encore des faibles protections de la vieille Europe dans des domaines pourtant stratégiques. Les exemples sont multiples. On ne retiendra que les plus récents.

    Dans l’affaire Alstom, non seulement General Electric a pris le contrôle de la branche énergie de l’entreprise, en particulier la fabrication des turbines (éléments essentiels des systèmes de propulsion de nos navires), mais aussi de manière plus subreptice, comme l’a souligné sur ce site Nicolas Gauthier, un véritable joyau technologique, une filiale spécialisée dans la surveillance des satellites.

    Dans le domaine aéronautique, la stratégie du bélier a pour nom F-35. Ce programme, le plus coûteux de l’histoire de l’aéronautique et sans doute le plus incontrôlable, avait initialement pour objectif de doter la défense américaine d’un avion de cinquième génération multi-mission adapté aux besoins des quatre armes. Mais le programme avait aussi une autre mission, moins connue mais tout aussi essentielle : détruire les capacités industrielles et financières européennes en le substituant progressivement aux développements européens, en asséchant ainsi les ressources disponibles pour de nouveaux projets. De nombreux pays de l’Union européenne ont accepté d’entrer dans ce jeu, ce qui en dit long sur la fiabilité de nos partenaires en matière de défense commune.

    Il y a quelques mois, l’affaire Snowden, dévoilant le programme d’espionnage informatique de la NSA, avait fait grand bruit. La chancelière allemande s’était émue des écoutes dont elle avait fait l’objet. La France, pour diverses raisons, était restée très discrète. Le président Obama avait promis que l’on ne l’y reprendrait plus. Depuis, plus rien. De nombreux rapports parlementaires français, du Sénat en particulier, décrivent pourtant en détail la mise en œuvre d’une stratégie américaine de « colonialisme numérique » et l’organisation systématique du pillage de nos données, ou les failles des systèmes de sécurité informatiques de nos entreprises et de nos administrations. Personne ne semble s’en émouvoir. Le récent Chaos Communication Congress, le bien nommé, vient de mettre en évidence la focalisation des moyens de la NSA sur les techniques lui permettant de neutraliser les protections érigées par les États ou les entreprises sur Internet. Le bélier numérique fonctionne à plein rendement et dans l’impunité. On pourrait multiplier les exemples.

    Le grand marché transatlantique négocié dans l’opacité et le secret viendra, si l’on n’y prend garde, parachever ce travail de démolition. Comme le récent rapport de la délégation parlementaire au renseignement le souligne de belle manière : « L’espionnage pourra se parer des vertus de la légalité. » Ainsi que l’a indiqué, non sans une feinte candeur, Barack Obama, il s’agit, grâce à ce traité, « d’otaniser » l’économie européenne. Vaste programme dont l’ultime phase sera la création d’une communauté euro-atlantique arrimant technologiquement, économiquement, financièrement et, au bout du compte, politiquement l’Europe aux États-Unis.

    Le bélier aura achevé son œuvre : il pourra se tourner vers d’autres cibles. Les Européens auront perdu non seulement leur souveraineté mais aussi leur identité. Nous regretterons alors, non pas « l’Europe-forteresse » bête noire des serviteurs zélés de la « concurrence libre et non faussée » chère à Bruxelles, mais plus sombrement « l’Europe aux anciens parapets » que chantait jadis Rimbaud dans Le Bateau ivre, image prémonitoire de notre Europe à la dérive.

    Jean-Claude Empereur (Europe solidaire, 22 janvier 2015)

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  • L'Afrique n'est pas Charlie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan, africaniste et historien, cueilli sur son blog et consacré aux violentes réactions suscitées en Afrique par les suites de l'attentat contre Charlie Hebdo...

     

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    L'Afrique n'est pas "Charlie"

     
    Vu d'Afrique, l' "affaire  Charlie hebdo" illustre les limites de l'universalisme européo-centré. Vendredi 16 janvier, alors que les sociétés de l'hémisphère nord communiaient dans le culte de la liberté d'expression, une partie de l'Afrique s' insurgeait contre la France des "Charlie". Du Sénégal à la Mauritanie, du Mali au Niger, de l'Algérie à la Tunisie et au Soudan, le drapeau français a été brûlé, des bâtiments français incendiés et en "prime", des églises détruites. Quant aux imprudents chefs d'Etat africains qui participèrent à la marche des "Charlie", dont Ibrahim Boubacar Keita du Mali, les voilà désormais désignés ennemis de l'islam.
     
    Aveuglés par la légitime émotion et noyés sous l'immédiateté, nos responsables politiques n'ont pas songé à se demander comment l'Afrique percevait les événements. Or, alors que pour nous, il s'agit d'un ignoble attentat contre la liberté d'expression commis contre des journalistes, personnes sacrées dans nos sociétés de la communication, pour une grande partie de l'Afrique, il s'agit tout au contraire de la "juste punition de blasphémateurs".  Qui plus est ces derniers n'en étaient pas à leur coup d'essai et ils avaient même été solennellement mis en garde. Voilà pourquoi leurs assassins sont considérés comme des "héros". Quant aux foules de "Charlie", elles sont vues comme complices des insultes faites au Prophète. De plus, comme le président de la République a marché à leur tête, cela signifie que la France et les Français sont coupables.
     
    Les conséquences géopolitiques qui vont découler de cette situation ne peuvent encore être mesurées, notamment dans les pays du Sahel en raison du jihadisme récurrent contre lequel nos troupes sont engagées. Le plus grave est ce qui s'est passé au Niger où Boko Haram qui, jusqu'à présent ne s'était pas manifesté, a pris le prétexte de la nouvelle livraison de Charlie Hebdo pour lancer les foules contre le centre culturel français de Zinder; au même moment, nos postes militaires avancés veillent aux frontières du pays...
     
    Personne n'a dit ou vu que l' "affaire Charlie Hebdo" n'est que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase des impératifs politiques et moraux que nous imposons à l'Afrique: démocratie, droits de l'homme, avortement, mariage homosexuel, anthropomorphisme etc. Tous y sont considérés avec dédain ou même comme de "diaboliques déviances".
     
    C'est donc dans les larmes et dans le sang que les bonnes âmes et les idéologues vont devoir constater que le "village Terre" n'existait que dans leurs fantasmes universalistes. Ce qui est bon ou juste aux yeux de leur branchitude est en effet une abomination pour une grande partie de l'Afrique et même de la planète.
    En plus de cela, pour nombre d'Africains, l'Europe est devenue une terre à prendre : ses habitants ne croient plus en Dieu, ses femmes à la vertu volage ne font plus d'enfants, les homosexuels s'y marient et la féminisation y a dévirilisé ses mâles. Paradoxe cruel, ceux qui, depuis des décennies, ont permis cette révolution en tournant systématiquement en dérision les valeurs fondatrices et le socle social (famille, travail, discipline, ordre, effort, armée, police etc.) ont été odieusement assassinés par les enfants de ceux auxquels ils ont si largement ouvert les portes...
     
    Nous voilà donc au terme du processus. Désormais, la contradiction est telle que seul un "saut qualitatif brusque", comme le disaient les marxistes, permettrait de la surmonter. L'obsolète méthode "soustellienne" de l'intégration ou celle du "radeau de la Méduse" de la laïcité n'y suffiront sans doute pas...

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 17 janvier 2015)
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  • L'Institut Iliade fête son premier solstice d'hiver !...

    L'Institut Iliade, fondé en mémoire de Dominique Venner, démarre demain, jour du solstice d'hiver, son activité en direction du public.

    Vous pouvez découvrir ci-dessous sa vidéo de présentation.

    Le site de l'institut sera accessible à partir de demain : Institut Iliade 

     

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  • "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec à l'hebdomadaire Marianne et consacré à l'affaire de la vente des deux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral à la Russie. Olivier Zajec est maître de conférences en science politique à l'université de Lyon 3 et a notamment publié La nouvelle impuissance américaine - Essai sur dix années d'autodissolution stratégique (Editions de l’œuvre, 2011).

     

     

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    "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"

    Marianne : La France a suspendu sine die la livraison du Mistral « Vladivostok » à la Russie. Que vous inspire cette décision et quelles seraient selon vous les conséquences stratégiques et économiques d’une non-livraison de ces bateaux ?
    Olivier Zajec* : Je suis en faveur de la livraison de ce bâtiment, et j’ai peur que le report décidé le 25 novembre ne soit à la fois impolitique, masochiste et décrédibilisant. Impolitique, car nous avons intérêt, sur le long terme, à une relation plus adulte avec la Russie, et ce n’est pas en reniant notre parole que nous y parviendrons.  Masochiste, car nous fragilisons notre industrie de défense, l’un de nos atouts les plus solides sur le plan industriel. Décrédibilisant, car la valeur ajoutée de l’offre française d’armement sur le marché export réside justement dans une alternative à la vassalisation technologique et normative américaine. C’est ce que recherche un client comme l’Inde. Avec cette décision qui ravit les paléo-atlantistes, nous manifestons notre soumission à des postures stratégiques qui ne servent pas nos intérêts (et je ne parle pas seulement de la France, mais de l’Europe). Livrer le Mistral n’empêcherait nullement la France de jouer son rôle dans la crise en cours en Ukraine, qui doit absolument être dénouée. Tout au contraire, en réalité, car cette manifestation d’indépendance lui conférerait le rôle de tiers, ce qui lui permettrait d’arbitrer le pugilat grotesque qui oppose les nostalgiques de l’URSS que l’on rencontre parfois au Kremlin, et les hystériques russophobes qui semblent avoir pris l’ascendant à l’OTAN. Notons tout de même que beaucoup de ceux qui s’élèvent contre cette vente sont les mêmes qui dansaient de joie lors de l’entrée des Américains dans Bagdad en 2003. À défaut d’autres qualités, il faut leur reconnaître une certaine constance dans l’aveuglement. 

    Comment évaluez-vous les conséquences d’une brouille avec Moscou notamment en ce qui concerne les négociations avec l’Iran ou sur la Syrie ?
     Moscou est un acteur incontournable du jeu moyen-oriental, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette. M. François Hollande, étant donné la complexité du puzzle régional et suivant l’impulsion américaine, est en passe, bon gré mal gré, de se convertir au réalisme sur le dossier iranien, ce qui était hors de question il y a encore peu de temps. Puisque cette lucidité bienvenue s’applique désormais vis-à-vis de Téhéran, qui redevient un interlocuteur, pourquoi ne pas l’appliquer – même provisoirement – à Damas, étant donné la nature de l’adversaire commun ? Bachar el-Assad n’est pas la menace immédiate. La fourniture d’armes aux islamistes syriens fut une faute majeure de notre diplomatie. Agir stratégiquement, c’est aussi hiérarchiser les priorités et coordonner les fronts : que se passerait-il si le régime syrien s’effondrait aujourd’hui ? Il suffit d’observer la Libye post-kadhafiste pour le comprendre. L’intervention militaire peut être une solution, il ne faut jamais l’exclure a priori. Mais à condition qu’elle ne perde jamais de vue le contexte de l’engagement. « Frapper » n’est pas une fin en soi, mais seulement le préalable ponctuel et maîtrisé d’un nouvel équilibre instable des forces politiques. L’État islamique n’est pas sorti tout armé des enfers du soi-disant « terrorisme global ». Ce n’est pas un phénomène de génération spontanée. Il est comptable d’une histoire longue qui plonge ses racines dans l’échec du nationalisme laïc arabe. Cet échec a des causes internes, à commencer par la haine qui sépare Sunnites et Chiites, et les réflexes claniques des élites arabes. Mais aussi des causes externes, en particulier l’incroyable légèreté avec laquelle certaines puissances (et d’abord les États-Unis) ont, depuis des décennies, détruit les fragiles équilibres de la région en jouant l’obscurantisme pétro-rentier contre l’autoritarisme laïc, et le wahhabisme contre la puissance iranienne. Les Occidentaux, de ce point de vue, ont aussi besoin de Moscou pour parvenir à une solution sur place, qui prenne en compte l’intérêt de tous les acteurs.

    Pourtant lors du récent G20 de Brisbane, Poutine a été à l’unanimité, par les médias comme les politiques, présenté comme « isolé » sur la scène internationale...
    « Si tout le monde pense la même chose, c’est que quelqu’un ne pense pas ». Cet unanimisme, sur un sujet aussi complexe, n’est certainement pas un très bon signe pour la pensée stratégique et politique française. Vladimir Poutine est moins isolé sur la scène mondiale que François Hollande sur la scène européenne. Tout est question de focale, d’échelles d’analyse, et en l’occurrence, c’est une myopie persistante qui caractérise le commentaire journalistique occidental.

    Lors du dernier sommet de l’APEC (un forum de coopération économique dans la région Asie-Pacifique, ndlr), Moscou et Pékin ont eu, de leur côté,  plaisir à mettre en scène leur rapprochement entre « isolés » de la scène internationale. Ce rapprochement est-il viable et peut-il marquer un changement majeur dans les équilibres internationaux ?

     Très certainement. Mais il ne faut surtout pas surestimer ce rapprochement. Pékin et Moscou se méfient l’un de l’autre. Cependant, sur ce sujet comme sur d’autres (politique spatiale, énergie, défense du principe de non-ingérence dans les relations internationales), Russes et Chinois semblent poussés les uns vers les autres par un certain unilatéralisme moraliste occidental. 

    Beaucoup de commentateurs considèrent que l’objectif de Poutine est de reconstituer un empire soviétique. On retrouve également tout un discours sur les supposés « réflexes de guerre froide de la Russie ». Comment percevez-vous l’agitation de ce spectre d’une nouvelle guerre froide  ? 
    J’y discerne le signe que le logiciel de certains experts est resté bloqué en 1984, et que leur appréhension diplomatique est celle qui prévalait sous Ronald Reagan. Les saillies de M. John McCain sont typiques de ce blocage générationnel : « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, dit-il, pour empêcher que les ténèbres du monde de M. Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Sans nier la vigueur des réactions russes en Ukraine, il faut remettre les choses dans leur contexte, car cette crise procède d’éléments de nature différente : la profonde corruption des élites ukrainiennes, pro et antirusses confondus ; l’extension ininterrompue de l’OTAN aux marges de la Russie, depuis plus de vingt ans, alors que la main tendue s’imposait ; la méfiance atavique des Baltes et des Polonais vis-à-vis de Moscou, qui ne cesserait que si les Russes rentraient dans l’OTAN (et encore n’est-ce pas sûr) ; enfin, la propension américaine à jouer sur les divisions européennes. La France et l’Allemagne, qui ont tout à gagner à une relation apaisée avec la Russie, sont les premiers perdants du mauvais remake de John le Carré auquel nous assistons. 

    Que pensez-vous justement de l’absence totale d’identité stratégique de l’Europe, sinon l’alignement aveugle sur Washington ?
    Je crois sincèrement que les mots ont un sens. Il n’y a pas, en l’état, d’identité « stratégique » de l’Europe. Nous apportons simplement un appui tactique ponctuel à des opérations relevant d’une stratégie américaine, qui a intérêt à ce que l’Europe demeure un objet et non un sujet des relations internationales. Cette tutelle prolongée sur des alliés tétanisés permet à Washington de masquer sa propre perte d’auctoritas au niveau mondial. Plus généralement, les démocraties « occidentales » semblent s’ingénier à se placer dans le temps court du spasme moral, et non dans le temps long de la stratégie. S’il en était autrement, nos décisions sur les dossiers ukrainien, irakien, syrien, libyen et iranien auraient pris une autre tournure, moins tonitruante et plus réaliste. Pour avoir une stratégie, il faut avoir une conscience politique. L’Europe prise dans son ensemble n’en a pas, malheureusement. La France, elle, qui a la chance de disposer d’une armée extrêmement professionnelle malgré des budgets en baisse constante, a prouvé au Mali en 2013 et en Côte-d’Ivoire en 2002 qu’elle pouvait agir avec efficacité. Et qu’elle pouvait donc encore avoir une stratégie. Ce sont ces modèles, mesurés et dépourvus d’hubris, qu’il faut considérer en priorité.

    Olivier Zajec, propos recueillis par Régis Soubrouillard (Marianne, 1er décembre 2014)

     

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  • Faut-il fonder un état européen ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Gérard Dussouy réalisé par Martial Bild et Élise Blaise dans le journal de TV libertés du 24 novembre 2014. Ancien professeur de sciences politiques et de géopolitique à l'université de Bordeaux, Gérard Dussouy est, notamment, l'auteur de Quelle géopolitique au XXIe siècle (Editions Complexes, 2002) et de Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un état européen (Tatamis, 2013).

     

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