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crise - Page 37

  • Notes sur la dissolution du "pouvoir politique"...

    Nous reproduisons ici ces Notes sur la dissolution du "pouvoir politique" publiées par Philippe Grasset sur son site d'analyse De Defensa.

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    Notes sur la dissolution du “pouvoir politique”

     

    Face à la structure crisique

    Notre époque a changé la définition de l’événement qu’est une “crise”, en allongeant indéfiniment un phénomène caractérisé initialement par sa briéveté, en l’“institutionnalisant” par la durée, en le structurant en une “structure crisique” qui caractérise la situation du monde. Face à cette situation, le pouvoir politique a perdu ses références et l’on découvre son incapacité complète d’adaptation dans son incapacité de trouver des références nouvelles. Le “pouvoir politique” s’est révélé comme une matière invertébrée et sans substance, dépendant totalement de références extérieures et mettant en lumière sa perte complète d'autonomie créatrice.

    Devant la “structure crisique“, – «Insensiblement, le pouvoir s’est transformé d’une certitude de fer en une liquéfaction accélérée; d’une structure de béton armée en une coulée de sable qui glisse entre les doigts... Insensiblement mais à une confondante rapidité. L’espace de temps pour mesurer ce changement est remarquablement court, – quelques années suffiront, certainement, pour en repérer les bornes, – de la décennie des années 1990 où s’installe ce pouvoir qui semble achevé, à 2006-2008, où les entreprises les plus assurées et les positions les plus affirmées semblent se dissoudre à une vitesse dont nul ne semble se rendre compte dans les palais et les ministères….»

     

    L’emprisonnement de l’âme

    Le problème essentiel qui affecte nos élites et nos directions politiques dans cette situation nouvelle est psychologique. Ces élites sont totalement “sous influence”, incapables de la moindre pensée autonome, privées de la culture générale qui permet de cultiver l’autonomie de la pensée.

    Pour autant, il ne s’agit pas de “robots” sans âme, de mécaniques. Au contraire, il y a dans les élites politiques un désarroi et une incompréhension devant la vacuité et la vanité de leurs actions, lorsque vacuité et vanité apparaissent à l’occasion d’événements de crise de plus en plus nombreux. Il en résulte une fragilité extrême de la psychologie, d’autant que le “devoir” de ces élites leur fait obligation d’applaudir le système dont l’effet de l’action est si catastrophique.«[L]a fragilité de leur psychologie se rapproche de plus en plus dangereusement du point de rupture.»

     

    Le désordre naît de l’impuissance et de la fragilité de la psychologie

    Les deux éléments additionnés, à la fois la perte de références due à la structure crisique révélant l’inexistence de la politique sans ces références, et la fragilité de la psychologie conduisent à l’impuissance complète de la réalisation du sens des événements, et à l’impuissance de toute prévision. Ces conditions créent un désordre rampant qui permet à des situations étranges de se développer, comme, par exemple, la position d’omniprésence d’un Robert Cooper dans la détermination de la politique extérieure de l’UE.

    Il ne s’agit plus ni d’idéologie, ni d’engagement éventuellement extrémiste, ni de complots, ni de corruptions diverses, – sauf, justement, la corruption psychologique qui implique une sorte de pathologie. Pathologie dans le chef de ceux qui ne sont plus capables d’animer la politique, pathologie en sens inverse d’un Cooper qui anime une politique extérieure sans aucune légitimité et au nom de principes totalement dépassés et usurpés.

     

    La psychologie malade de l’idéal de puissance

    Cette situation de la psychologie est clairement née du choix de “la politique de l’idéal de puissance” (ou, dans sa version grossière US, “la politique de l’idéologie et de l’instinct”). Cette politique est liée à une seule conception, à un seul outil, qui est la force elle-même, la “force brute”.

    Devant les déboires et les catastrophes rencontrées ces dernières années, la politique n’a fait que devenir à la fois et parallèlement, de plus en plus extrémiste et de plus en plus impuissante. C’est l’illustration de “la puissance devenue impuissance” et de la psychologie devenue pathologie extrémiste. Ces situations sont de véritables prisons et son inconsciemment subies comme telles, accentuant le malaise.

     

    Le pouvoir face à son néant existentiel

    Des exemples en cours montrent la façon dont le pouvoir politique se trouve complètement à la dérive. Il est faux de dire qu’il ne dispose plus de moyens et de pouvoirs. C’est lui qui a mobilisé des ressources colossales pour sauver le système financier. Quoi qu’on pense de cette opération, il reste que c’est une démonstration de pouvoir. Le résultat en est une aggravation de la crise, une aggravation de la paralysie du pouvoir, comme si la démonstration de l’existence de son pouvoir n’avait eu comme effet que d’accentuer à la fois la sensation et la situation d’impuissance du pouvoir politique.

    Que ce soit BHO face au “oil spill”, Israël face à l’affaire des “flottilles de la liberté”, les pays européens dans le crise de l’euro, on se trouve devant un gâchis systématique de la fonction de responsabilité du pouvoir. On n’y voit aucune action construite mais des réactions à court terme face à des événements par ailleurs prévisibles. Le résultat est un “pouvoir politique” courant derrière l’événement et laissant les événements construire une réalité politique.

    La structure crisique de la situation du monde à réduit le pouvoir politique à une situation proche de l’entropie, à un “néant existentiel”.

     

    Le point de fusion

    Comme on l'a dit, cette quasi disparition du pouvoir politique ne tient nullement à l’absence de pouvoirs ni de moyens mais plus généralement à sa position au point de confrontation des deux forces qui conduisent le système général. La crise de ce système général conduit en effet à un antagonisme de plus en plus constant, de type automatique, entre les deux forces qui le constituent : le système du technologisme, fournisseur de puissance, et le système de la communication, créateur de virtualisme pour habiller cette puissance.

    Cette situation d’antagonisme a commencé en 2004-2005 et s’est institutionnalisé depuis la crise du 15 septembre 2008. Le système du technologisme accumule les échecs et les catastrophes tandis que le système de la communication, répondant à sa fonction primale s’inspirant de la philosophie médiatique du sensationnel qui devait faire la promotion des victoires du technologisme, fait la promotion de ce qui est sensationnel, c’est-à-dire de ses défaites.

    Pris dans cet antagonisme, le pouvoir politique ne sait plus comment agir ni dans quel sens. Sa puissance est devenue inefficiente, et littéralement impuissante. Sa paralysie est complète.

     

    Le cadavre bouge-t-il encore, – en attendant la suite ?

    Aujourd’hui, le pouvoir politique ne peut plus espérer retrouver une quelconque efficacité que dans des situations extraordinaires où il se trouve, d’une façon spectaculaire qui serait mise en évidence par le système de communication, en opposition avec une initiative du système du technologisme.

    On peut envisager l’hypothèse que, dans les événements récents, le comportement du Turc Erdogan face à Israël a été dans ce sens. C’est bien insuffisant pour annoncer le moindre tournant sérieux, mais cela signale l’existence d’une certaine diversité possible dans l’activité du pouvoir politique par rapport au système (contre le système).

    Tout cela reste extrêmement parcellaire. La situation générale est bien de cette paralysie du pouvoir politique pour la cause objective des contradictions du système général en crise. C'est un processus d'autodestruction du système. Effectivement, – «La plus criante [des contradictions du système] est la destruction systématique du pouvoir politique qui, pendant deux siècles, l’a généreusement et scrupuleusement servi. Ces temps heureux où le système de l’idéal de la puissance semblait encore avoir une certaine cohésion, notamment avec des pouvoirs politiques puissants, sont définitivement finis. […] Nous ne [les] regretterons certes pas, occupés à observer ce qui pourrait [le] remplacer…»

     

    Philippe Grasset, De Defensa, 14 juin 2010

     

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  • L'argent mène-t-il à la catastrophe ?...

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    Le mardi 8 juin 2010, de 21 heures 30 à 23 heures, vous pourrez écouter sur Radio Courtoisie Le libre journal des enjeux actuels, dirigé par Arnaud Guyot-Jeannin.

    Thème de l'émission : L'argent mène-t-il à la catastrophe?

    Invités : Alexis Arette (ex-président de la fédération française de l'agriculture, chroniqueur de L'Homme Nouveau) par téléphone, Claude Rousseau (philosophe, maître de conférence honoraire de philosophie à Paris Sorbonne), Pierre Le Vigan (journaliste et essayiste, auteur du Front du cachalot chez Dualpha), Janpier Dutrieux (économiste, directeur du site Prospérité et partage.

    Rediffusion : le jeudi 10 juin à la même heure.

    Radio Courtoisie peut être écouté sur le site de la radio : http://www.radiocourtoisie.net

    Par ailleurs, les programmes des émissions sont annoncés sur le blog de radio Courtoisie : http://radio-courtoisie.over-blog.com/

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  • L'administration de la peur

    La peur comme technique de contrôle de nos sociétés libérales "démocratiques" occidentales ?... C'est cette idée qu'explore le philosophe Paul Virilio dans un entretien avec Bertrand Richard, intitulé L'administration de la peur, publié aux éditions Textuel.

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    "Nous vivons dans l’administration de la peur.
    Qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord que la peur est devenue un environnement, un paysage quotidien. Autrefois les guerres, les famines, les dangers étaient localisés et circonscrits dans le temps. Aujourd’hui, c’est le monde lui-même, limité, saturé, manipulé qui nous étreint et nous « stresse ». Crises boursières contaminantes, terrorisme indifférencié, pandémie fulgurante, suicides « professionnels » (France Télécom)… La peur est monde, panique, au sens premier du terme.
    L’« administration de la peur », cela signifie aussi que les États sont tentés de faire de la peur, de son orchestration, de sa gestion, une politique. La mondialisation ayant progressivement rogné les prérogatives traditionnelles des États (celles de l’État providence), il leur reste à convaincre les citoyens qu’ils peuvent assurer leur sécurité corporelle. La double idéologie sanitaire et sécuritaire peut se mettre en place, faisant peser de réelles menaces sur la démocratie.
    Paul Virilio nous montre comment la « propagande du progrès », l’illuminisme des nouvelles technologies, sont les vecteurs inespérés de la peur car ils fabriquent de la frénésie et de l’hébétude. Toutes choses qui rendent possible, après la dissuasion nucléaire de la Guerre froide, une nouvelle forme de dissuasion civile, dont le génie génétique pourrait s’emparer, pour « domestiquer l’être », le rendre plus adapté à nos nouvelles conditions, raréfiées, de vie..."
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  • La bouffe ou la vie ?...

    Le nouveau numéro du Choc du mois, daté de mai 2010, est disponible en kiosque dès aujourd'hui. On y trouve notamment un dossier sur la "malbouffe", un sur la crise et un article d'Alain de Benoist consacré à la correspondance entre Jünger et Heidegger. Une belle carte... on en redemande !

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    Sommaire du numéro

    SOCIETE
    France, le féminisme le plus bête du monde
    Les chiffres tronqués de l’immigration

    DOSSIER : QUAND MANGER TUE

    Attention, aliments toxiques !
    Entretien avec William Reymond
    La malbouffe fait son cinéma… d’épouvante
    400 millions d’obèses : et moi, et moi, et moi…
    De la chimie plein les papilles
    Big Brother à table
    Entre gavage pas cher et ravage sanitaire
    Garçon, un cancer !
    Entretien avec le professeur Dominique Belpomme
    Comment l’Europe réinvente le bio… chimique
    Dis, c’est quoi une « Amap » ?
    Et la gastronomie bordel !
    Entretien avec Jean-Robert Pitte

    CRISE
    Capitalisme : vers la crise finale ?
    Du krach au crash
    L’Europe ne sera sauvée que par une remise en cause du dogme libre échangiste
    Entretien avec Jean-Luc Gréau
    L’Europe, maillon faible de la crise
    Un capitalisme mutant

    CULTURE

    EVENEMENT
    Persistance du thème
    RENCONTRE
    Jünger & Heidegger
    ESSAIS
    L’identité n’existe pas
    Le juge savant et le politique
    Résister au libéralisme (suite)
    Le petit Chaperon rouge & ses potes
    au crible de la doxa démocratique
    Oser le dire : nous sommes sortis de la culture
    Une vision géopolitique à la française
    Soudain joyeux, il dit : Daeninckx ! C’était Brigneau

    LITTERATURE
    La revanche des Basques
    Metacortex
    voyage

    Marcher, à la découverte de soi-même…
    BEAUX-ARTS
    Créativité débordante
    CINEMA
    Alice trahie

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  • Crise économique ou crise du sens ?...

    Déjà auteur d'une excellente analyse des mécanismes de la crise de 2008 dans Crise économique ou coup d'état ? , Michel Drac élargit son propos dans Crise économique ou crise du sens ? , son nouvel ouvrage publié aux éditions Le retour aux sources, pour s'intéresser, au-delà de ses symptômes, à la maladie de l'Occident américano-centré...

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    "La crise économique déclenchée en 2007/2008 n’est que le symptôme d’une crise bien plus profonde. Au-delà des apparences, ce que vivent les sociétés occidentales, c’est une dramatique crise du sens.

    La raison pour laquelle l’Occident implose, en profondeur, c’est qu’il est devenu un Empire – une construction qui n’a plus d’autre finalité que son maintien et son expansion. Derrière la fin du « mythe de la croissance », le questionnement lancinant sur le règne de la quantité.

    200 pages percutantes, sans temps mort, sans diversions techniques superflues, pour dire le vrai problème : la crise ? Mais la crise de quoi, au juste? "

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  • Cybernétique de la crise

    Cybernétique de la crise, c'est le titre du point de vue de l'écrivain Stéphane Audeguy que le journal Le Monde a publié dans la rubrique "Débats" de son numéro daté du dimanche 3 janvier 2010.

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    Cybernétique de la crise
    LE MONDE | 02.01.10 | 13h49  •  Mis à jour le 02.01.10 | 13h49

    a crise - la chose et le mot - fait l'objet d'un traitement si particulier que j'aimerais en dire ici deux ou trois choses. Non pas en tant que littérateur soucieux du beau langage ; simplement, un écrivain est un homme politique, dans un monde où la langue subit des dévoiements radicaux.

     

    Le discours dominant de la crise vise, curieusement, à masquer la crise. Et si le mot de crise est employé de façon absolue, comme disent les rhéteurs, c'est que le discours de la crise prétend régner absolument sur nous. Cet emploi est trompeur, car il désigne seulement, le plus souvent, une partie de la crise globale : celle qui concerne l'économie. Et nous sommes censés admettre que l'économie est tout. Simultanément, cette notion envahit tous les domaines de la vie sociale : sports, entreprises, santé publique, etc. Ces deux pratiques se complètent : la crise, en général, c'est la crise économique ; simultanément, tout est en crise, mais de façon dispersée, si l'on peut dire.

    Se trouve ainsi escamotée la réalité : la crise est en fait totale et cohérente : elle concerne notre civilisation, ou plutôt cette société marchande mondialisée qui n'est pas une civilisation, mais prétend s'y substituer, un peu à la façon dont le mot de culture a fini par désigner à peu près n'importe quoi, un peu à la façon dont le Centre national de la littérature est devenu Centre national du livre (chacun ajoutera ici, dans son domaine de compétence, des exemples).

    Pour Littré, la crise concernait les maladies : on parlait de crise heureuse ou funeste. L'issue était la mort ou la guérison. Le discours de la crise, lui, a rompu depuis longtemps avec cette façon de dire, et de penser. Le mot désigne des mutations du système économique mondialisé : simples crises de croissance d'une économie qui étend toujours davantage son empire. La seule mesure vraiment significative du sommet de Pittsburgh, c'est le passage du G8 au G20. Le G20 représente 80 % du PIB, et deux tiers de la population mondiale. Faut-il s'en réjouir ? Les décisions seront plus difficiles à prendre (car on voit mal sur quoi le Brésil et l'Inde pourraient tomber d'accord) ; d'autre part, le G20 ne représente pas ces deux tiers de la population, mais les assujettit aux lois de l'économie : que beaucoup désirent cette servitude ne change rien à l'affaire. Quant au tiers restant, il est atteint dans sa survie même (l'Afrique, sorte de tiers-état, est représentée au G20 par un seul pays : l'Afrique du Sud). Et tous, inexorablement, subissent la pollution, les mutations économiques brutales, les mouvements spéculatifs erratiques, dans un monde où l'on annonce une reprise de la consommation comme une bonne nouvelle ; à court terme, oui, en un sens ; mais, structurellement, c'est une catastrophe.

    Comment un monde qui érige la concurrence en principe intangible peut-il engendrer autre chose que des crises ? Comment les dirigeants et les experts, qui tous partagent une foi entière en la rationalité de l'économie, peuvent-ils produire autre chose qu'une gestion de la crise (expression en elle-même aberrante) ? Le politique s'est dégradé, et l'on ne s'étonne pas de voir la notion élastique de gouvernance (anglicisme qui nous vient du business, et auquel je préfère le mot de cybernétique) se substituer à celle de gouvernement : la gouvernance, sorte de transitivité occupée à maintenir l'état des choses et sa scandaleuse nocivité pour le vivant, tout en feignant d'en corriger les effets, incontrôlés parce qu'incontrôlables.

    Le mot crise renvoie en grec à l'idée de décision : un état critique appelle des décisions, des choix véritables. Le discours de la crise singe tout cela, mais énonce que nous n'avons pas le choix, puisque c'est la crise. Combien de gouvernants souhaitent secrètement se voir imposer des mesures par le Fonds monétaire international (FMI) ? Ils peuvent alors les présenter comme une douloureuse nécessité.

    Cette cybernétique s'appuie sur la figure de l'expert (d'où le succès, en Italie, d'un ploutocrate parvenu à la tête du pays en se réclamant du monde de l'entreprise). Nous sommes invités à réfléchir aux "leçons de la crise", y compris dans les colonnes du Monde (dossier du 22 septembre). Mais cette expression présuppose que la crise est un phénomène rationnel ; à vrai dire, il s'agit d'écouter les leçons de la crise, et non pas d'en tirer ; chose désormais impossible dans l'économie mondialisée, comme nous le répètent les libéraux les plus cyniques.

    Dans ce dossier du Monde, par exemple, un seul économiste, Thomas Philippon - il est jeune, et cette franchise lui passera - note entre autres choses que "l'égalité devant la loi est bafouée par la présence d'entreprises tellement grosses que personne ne sait comment les liquider sans mettre en danger l'ensemble du système" ; mais il ne songe pas à changer le système en question.

    La crise est l'instrument rêvé de la cybernétique moderne : j'en prendrai deux exemples, à dessein hors de l'économie. Après les attentats du 11-Septembre, les Etats-Unis ont créé un ministère de la sécurité intérieure. Ce Department of Homeland Security est censé lutter contre le terrorisme, l'immigration, et préserver l'intégrité des frontières. Création extraordinaire, pour un pays dont l'identité s'est longtemps constituée contre un ennemi extérieur ; mais qui prolonge, en fait, la guerre froide : l'ennemi est à chercher désormais partout, à l'intérieur (affaires de Waco, d'Unabomber, d'Oklahoma City) comme à l'extérieur (attentats du World Trade Center de 1993 et de 2001).

    Et si l'ennemi est ubiquitaire, l'état de crise devient la norme. En témoigne un gadget merveilleux, que chacun peut consulter sur le site du ministère. C'est un baromètre de la sécurité, qui affiche des niveaux de danger : le vert indique un risque faible ; le bleu, un risque général, jusqu'au rouge (danger extrême). Je le consulte depuis des années et, à ma connaissance, il n'a jamais été au vert ; le 5 octobre, par exemple, le "niveau de menace" est "élevé". De toutes façons, le vert n'est guère rassurant, car voici ce que le ministère conseille de faire alors : "Elaborez un plan d'urgence pour votre famille ; partagez-le avec vos amis, testez-le ; créez un kit de fournitures d'urgence pour la maisonnée ; informez-vous en vous procurant la brochure." Se préparer, c'est le bon sens : préparez-vous maintenant "sur le site www.ready.gov ; envisagez de prendre des cours de premiers secours auprès de la Croix-Rouge américaine, etc.". Voilà donc une crise de sécurité qui dure depuis sept ans, dont on ne voit pas la fin, et dont il est évident que le ministère n'a pas intérêt à voir la fin, puisqu'elle serait aussi la sienne.

    Mais en quoi consiste, dans les faits, une gestion d'une crise ? Prenons l'exemple du récent "scandale" de l'écurie Renault en F1. Voilà un constructeur automobile pris en flagrant délit de tricherie caractérisée. Les experts prévoient des sanctions sévères. Cependant, la Fédération internationale ne peut guère renvoyer des circuits une entreprise qui contribue autant à sa prospérité que Renault (ce qui frappe dans cette crise-là, comme dans la crise économique, c'est le degré d'intrication des acteurs, et la dépendance des instances censées réguler avec ce qu'elles sont censées réguler).

    On propose alors au public un bouc émissaire : le directeur de l'écurie, Flavio Briatore, est exclu à vie par la Fédération (la discussion sur la culpabilité réelle de cet homme équivalant ici, en inutilité, aux polémiques sur les bonus des traders, rouages sans importance du système). Un Italien tricheur, avec la gueule de l'emploi : quelle aubaine pour tout le monde, et par exemple pour L'Equipe, journal spécialisé dans l'indignation vertueuse ! Puis le verdict tombe : "Le Conseil mondial du sport automobile a décidé de suspendre la disqualification de Renault F1 jusqu'à la fin de 2011." Renault doit donc veiller à ne pas tricher avant la fin de la prochaine saison... Il n'est pas certain que cette gestion de crise fonctionne tout à fait bien : certains commanditaires de l'écurie Renault renâclent, semble-t-il, à continuer à associer leur nom à une entreprise malhonnête (car, s'il est possible que Renault ait ignoré la fraude de Briatore, c'est bien ce créateur d'automobiles qui a bénéficié de la tricherie et du titre afférent de champion du monde).

    Cette idéologie de la crise est un symptôme parmi d'autres d'une crise de la notion même de civilisation. La solution la moins pessimiste serait que le système connaisse, non pas une crise de plus, mais un effondrement. Nous en sommes là, entre désespoir et rage. Quand je dis nous, c'est une façon de parler ; car la ploutocratie mondialisée, elle, est assurée pour l'instant d'une quasi-immunité.

    On apprend par exemple que le jour de la faillite de Lehman Brothers, des recruteurs sont venus s'installer dans le restaurant d'à côté pour réembaucher ses cadres ; les employés des usines délocalisées, eux, reçoivent une lettre leur offrant un emploi à l'autre bout de la Terre, et pour un salaire de misère. Pour la ploutocratie, la crise peut être douloureuse, mais elle est passagère ; pour les autres, c'est-à-dire pour quasiment toute la population mondiale, c'est un mode d'assujettissement permanent et une catastrophe qui continue de s'étendre.


    Stéphane Audeguy

    Stéphane Audeguy, romancier et essayiste

    Auteur de La Théorie des nuages (2005) et de Fils unique (2006) chez Gallimard, a publié en 2009 Nous autres, In memoriam et L'Enfant du carnaval (Gallimard). Dans des chroniques intitulées Memorabilia, il évoque certains objets contemporains qui, tel le GPS, composent les signes de notre modernité (NRF, n° 592).


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