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claude bourrinet

  • Quelle sera donc la religion du futur ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Euro-Synergies et consacré à la question de la religion du futur.

    Ancien professeur, Claude Bourrinet a notamment publié L'Empire au cœur (Ars Magna, 2013), Stendhal (Pardès, 2014) et Ernst Jünger - Dans le ventre du Léviathan (Perspectives libres, 2023).

    Pour prolonger la réflexion à la suite de la lecture de cet article, on pourra se reporter au livre de Gabriel Martinez-Gros, La traîne des empires (Passés Composés, 2022) qui développe d'autres perspectives, guère plus réjouissantes, sur le sujet.

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    Quelle sera donc la religion du futur ?

    Le fonctionnement intellectuel et imaginaire humain est tel qu'il lui est nécessaire de s'appuyer sur des comparaisons. Un exercice scolaire itératif consiste à établir des parallèles entre des périodes de l'histoire. Cette paresseuse tentation, malgré parfois les séductions de l'apparence, a le défaut d'oublier un facteur important: la réalité. Si le cycle de la naissance, du développement, et de la mort, loi naturelle, se retrouve en permanence dans la longue marche de l'humanité - encore est-ce là une perception distanciée, car quand on y regarde de près, les limites imparties à chaque phase ne sont pas si tranchées, et, en tenant compte des différents domaines des réalisations humaines, on est contraint de constater qu'il y a, au fil du temps, d'innombrables naissances, et autant de développements et de morts, ce qui rend fort problématique les découpages auxquels les historiens se sont tenus à un certain niveau - pour le reste, c'est-à-dire les hypothétiques similitudes entre certaines époques, il faut bien en rabattre: l'homme, être plastique, modulable, protéique, change à tel point de nature, qu'il n'est plus le même à mesure qu'il évolue. Un Romain du 1er siècle est complètement dissemblable d'un Romain du 4ème, et ne parlons pas des hommes de moyen âge, ou de l'époque contemporaine. L'hétérogénéité n'est pas seulement de degré, mais elle est radicale. Lorsqu'on pense "comprendre" un texte de Cicéron, par exemple, nous l'appréhendons en fonction de ce que nous sommes. Il est impossible de le saisir comme un citoyen romain de la République romaine. On ne peut que s'en approcher, prudemment, à l'aide d'un appareil critique conséquent.

    Il en va de même de toutes les productions humaines. L'histoire ne repasse pas les plats, où il s'agit alors de parodie, de singerie. Les Révolutionnaires français ont mimé Sparte, Rome etc., mais la Révolution est la source de la modernité, non de l'Antiquité renaissante. La tranchée est immense entre un Brutus, et un Robespierre. Ce sont deux espèces différentes.

    Aussi a-t-on tenté de prévoir la "spiritualité" de l'avenir, et certains se sont essayés à dessiner les contours de la religion qui succédera à un christianisme moribond. Les nationalistes identitaires occidentaux craignent l'islam, sans se demander de quel islam ils parlent, et si celui-ci ne subira pas le sort du christianisme, et pour les mêmes causes (société de consommation, nihilisme techniciste etc.). Il faudrait aussi analyser les causes d'un soi-disant revival musulman, dans une région qui subit de plein fouet l'effet destructeur de l'Occident. L'islam actuel n'est peut-être que la réaction moderne, voire moderniste (l'utilisation pointue de la technique, par exemple) d'une société qui craint de mourir.

    Il est courant de prévoir que l'extinction du christianisme, sous toutes ses formes, amènera l'avènement d'une nouvelle religion, éclectique, inspirée d'un New age, qui est déjà installé dans les pays occidentaux depuis près d'un siècle, mais qui ne touche que les classes moyennes. Ce courant n'est structuré qu'en une multitude de sectes, et il règne comme atmosphère mentale, inspirant par exemple la publicité, la production d'objets, et des pratiques tenant de très près aux finalités hygiénistes ou thérapeutiques de bien-être et d'adaptabilité à une société sous tension. Il est difficile de parler à son sujet de religion, ni même de spiritualité. Mais il est indéniable que des millions d'individus en sont adeptes, même si la profondeur de leur engagement n'est pas très convaincants, malgré les prédictions d'un Jünger, qui pensait qu'une sorte de shintoïsme, de bouddhisme cool, de paganisme éthéré, suivrait l'avènement de l'Etat universel, ou, plus sérieusement, une nouvelle poésie de l'être, comme l'espérait Heidegger, sans trop y croire.

    A ce sujet, celui de la palingénésie, c'est-à-dire de la transformation  d'un ensemble religieux en un autre - songeons au remplacement du paganisme du haut-empire néoplatonicien par le christianisme de l'Antiquité tardive - nous avons certes des points apparents de comparaison. Mais la Weltanschauung d'un disciple de Plotin était en gros similaire à celle d'un saint Ambroise, par exemple. Saint Augustin a glissé du néoplatonisme au catholicisme sans véritable heurt. Les racines épistémologiques, philosophiques, théologiques, relativement parentes entre ces traditions, ont été consolidées dans la terre civilisationnelle de la vieille Europe durant plusieurs siècles.

    Rien de tel à notre époque, qui est inédite dans l'histoire. Pour la première fois, le passé est renié, considéré comme inutile pour fonder la société du présent et du futur, l'homme est, de même, aboli, perçu comme construit selon un tas de critères, la dimension suprahumaine, qui fondait le politique et les liens sociaux depuis toujours, a disparu, même à l'état de reste, plus aucun repère ne subsiste des temps anciens. On ne peut se fonder sur ce vide absolu pour imaginer une suite qui ressemblerait à ce qui s'était passé il y a des millénaires. Nous sommes dans un temps impensable. On ne peut le penser, car, pour penser, il faut comparer.

    Mais que l'on ne tombe pas dans la caricature ! Les phénomènes historiques sont rarement scindés brutalement. Il subsiste toujours des terreaux antiques, même ténus, ou, le plus souvent, contaminés. Il existera encore des chrétiens, et sans doute plus solides que maintenant, mais ils seront ultra-minoritaires. Car il ne faut pas s'imaginer qu'il puisse exister un avenir fiable pour les Eglises. Poutine peut bien se rendre à l'office, il n'en demeure pas moins qu'en la sainte Russie, comme chez nous, il n'y a plus que 2% de pratiquants. Certes, comme dit Emmanuel Todd, il se peut qu'à l'Est, on ait encore des croyants "zombies", mais arrivera le temps du degré 0 de la croyance et de la pratique, les mêmes causes créant les mêmes effets (l'occidentalisation a conquis la planète, avec son nihilisme, latent ou actif).

    Aux Etats-Unis, non seulement le nombre de ceux qui ne croient pas dépasse désormais celui des croyants en Dieu, mais, comme le faisait remarquer Rod Dreher, la pratique (ce à quoi il est indispensable de prêter attention, plutôt qu'aux déclarations de principe) le recentrement individuel, le genre de vie hédoniste et individualiste, voire narcissique, contredisent violemment les "valeurs" chrétiennes, certains "fondamentaux" évangéliques, comme la chasteté, le rejet de l'homosexualité, de l'avortement, le mépris de l'argent, de la réussite sociale impérative, l'inculture religieuse rendant parfois ce négationnisme sociétal invisible, ou acceptable. L'évangélisme, du reste, était déjà une accommodation crue et matérialiste aux séductions de l'American way of life, de son système codifié lié au travail, au commerce, au spectacle, au show business. Si de nombreux Africains ou Moyen Orientaux se laissent prendre à ce puritanisme made in USA, c'est parce qu'il permet d'échapper à l'emprise de la société traditionnelle, avec ses contraintes claniques et familiales, et délivre des liens psychologiques afin de permettre des activités plus proches de ce que le monde moderne, individualiste, utilitariste, promeut.

    L'hypothèse d'une nouvelle "religiosité" doit tenir compte de la réalité du monde de la technoscience. L'humanisme, qui était à l'origine solidaire du christianisme, est devenu une religion séculaire à partir du XVIIIe siècle. L'homme est devenu le centre de l'existence, de la civilisation, et le porteur du sens de la vie. Nous assistons maintenant à sa métamorphose. La vraie foi qui semble mouvoir les esprits, les coeurs et les corps, et susciter un véritable enthousiasme, maintenant, c'est la démultiplication des pouvoirs de l'humain, et le rêve d'un homme éternellement jeune, voire immortel. C'est un projet faustien (tout-à-fait compatible avec ce "supplément d'âme" qu'est le New Age, du reste), entreprise méphistophélique que Goethe a dépeinte dans son fameux drame, et qui est l'un des rares mythes à être encore virulent dans notre univers nihiliste. A mon sens, voilà la religion du futur, prévue, somme toute par la Bible : "Et nous serons comme des dieux".

    Je prophétise en pleurant.

    Claude Bourrinet (Euro-Synergies, 19 décembre 2024)

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  • Ernst Jünger : les journaux de guerre du plus Français des écrivains allemands...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Claude Bourrinet à François Bousquet dans Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, à l'occasion de la sortie de son essai Ernst Jünger - Dans le ventre du Léviathan (Perspectives libres, 2023).

    Ancien professeur, Claude Bourrinet est déjà l'auteur de L'Empire au cœur (Ars Magna, 2013) ainsi que d'un Stendhal (Pardès, 2014) dans la collection " Qui suis-je ? ".

     

                                             

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  • Ernst Jünger, dans le ventre du Léviathan...

    Les éditions Perspectives Libres viennent de publier un essai de Claude Bourrinet intitulé Ernst Jünger - Dans le ventre du Léviathan. Ancien professeur, Claude Bourrinet est déjà l'auteur de L'Empire au cœur (Ars Magna, 2013) ainsi que d'un Stendhal (Pardès, 2014) dans la collection "Qui suis-je ? ".

     

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    " En lisant les Journaux de guerre d’Ernst Jünger, l’on découvre un auteur d’une autre nature que l’image qu’on se fait du maître de guerre des Orages d’acier. Se dessine devant nous un humaniste chrétien, ou christianisant, relisant la Bible, s’interrogeant sur la nature humaine, et prenant le contre-pied du nietzschéisme qui sévit en Allemagne. On est frappé de constater que sa vision est encore d’une actualité brûlante. Il se livre à une auscultation du nihilisme contemporain d’un point de vue conservateur. Les idéologies mortifères et la destruction universelle dues au technicisme triomphant, qu’il nomme l’américanisation, sont engendrées, comme des monstres-Léviathans, par un monde liquéfié, démantelé,
    ruiné, où l’être indifférencié impose son vide, qu’il faut absolument emplir hystériquement du culte perverti de l’Homme autocentré. A cet arasement de la personne, il oppose l’intériorité, et son prolongement naturel et religieux, le Cosmos, unis dans la vision sacrée de l’Être. "

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  • Identité ?...

    Le numéro 40 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, vient de paraître. Le thème retenu est celui de l'identité... Le sommaire est, comme toujours, particulièrement riche et comporte, notamment, un entretien avec Jean-François Mattéi.

    Le numéro est disponible à la commande sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

     

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    Alain de Benoist : Identité ?
    Jean-Claude Kaufmann : Identité individuelle et identité collective
    • Document : Charles Taylor : Le besoin de reconnaissance
    Claude Bourrinet : Quelle identité ?
    Philippe Forget : Liberté du peuple ou assignation identitaire ? Du leurre politique de l’identité originelle
    Jean-François Gautier : « Fluctuat nec mergitur » ou la nef de Thésée
    Alain Kimmel : Généalogie et histoire de l’identité française
    • Classique : Jules Michelet : La France devant l’Europe. « Voilà notre forte unité »
    Fabrice Valclérieux / Actualité et prégnance de la question identitaire en France
    Michel Drac : La nature de la France
    Claude Bourrinet : L’identité au milieu des ruines
    Louis Baladier : Littérature et identité
    Michel Mourlet : Cinéma et identité
    • Entretien avec Jean-François Mattéi : Sur l’identité européenne
    Jure Georges Vujic : Herder et Renan à l’heure globale. Identité et mémoire d’Est en Ouest
    Alain de Benoist : Problématique de l’identité juive
    • Le texte : Simone Weil : L’enracinement. « Toutes les fidélités, tous les attachements sont à conserver »

     

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  • La crise des représentations...

    Nous vous signalons la publication du onzième numéro de la revue Perspectives libres consacré à la crise des représentations. La revue Perspectives libres, dirigée par Pierre-Yves Rougeyron, est publiée sous couvert du Cercle Aristote et est disponible sur le site de la revue ou auprès de l'Association des amis de la revue Perspectives libre (11 rue de Javel, 75015 Paris) contre un chèque de 14 euros.

     

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    Au sommaire :

    Pierre-Yves ROUGEYRON : « Raconter et mourir »

    Dossier : La crise des représentations

    Françoise BONARDEL : « La grande braderie »

    Dominique Jacques ROTH : « Crise de la représentation »

    Véronique HERVOUËT : « De la croyance dans les sciences à la crise des représentations »

    Jean-François GAUTIER : « Le chaos de l’uniformité »

    Libres pensées

    Erik S. REINERT et Rainer KATTEL : « L’élargissement à l’Est, une tentative de suicide européenne ? »

    Libres propos

    Norman PALMA : « Le Pape Alexandre VI Borgia et l’Histoire universelle »

    Julien FUNNARO : « L’art à l’époque du néo-libéralisme »

    Diego FUSARO : « En mémoire de Costanzo Preve »

    Philippe ARONDEL : « Europe : les chrétiens au pied du mur »

    Xavier DUPRET : « L’inévitable sortie unilatérale de la zone euro. La piste bancaire »

    Alberto BUELA : « Le retour arétéique »

    Ekaterina NAROTCHNITSKAYA : « Le multiculturalisme en tant que conception de philosophie politique »

    Norman PALMA : « Karl Polanyi et l’utopie libérale »

    Claude BOURRINET : « Une école identitaire peut-elle exister ? »

    Documents

    Document 1
    Minutes des réunions du Secrétaire d’Etat Kissinger, 25 avril, 1974

    Document 2
    Memorandum pour le président, 3 juin, 1975, de Arthur Burns

     

    Norman PALMA : « L’or et le système monétaire international »

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  • Langue française : diagnostic vital engagé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à la calamiteuse loi Fioraso qui va généraliser l'utilisation de l'anglais dans l'enseignement supérieur...

     

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    Langue française : diagnostic vital engagé

    Le 20 mars, le projet de loi Fioraso, qui engagera définitivement le processus de mise à mort de notre langue maternelle, sera présenté au conseil des ministres. Le gouvernement anti-français de collaboration avec l’impérialisme anglo-saxon achèvera ainsi, avant le plongeon mortel dans la grande zone de libre-échange transatlantique, un travail sournois, haineux, de sape de notre civilisation. La porte sera alors largement ouverte, non seulement dans les champs politique et économique, mais à l’intérieur de nous-mêmes, dans ce que nous avons de plus intime, pour que s’engouffre cette puissance dévastatrice qui abattra plus que la France, plus que son corps, son esprit.

    Cette loi est une ignominie, une scélératesse, une bassesse aussi putride que l’est le mariage dit « pour tous ». Une clique d’idéologues s’est emparée des rênes de notre pays pour le déconstruire méthodiquement, avec la patience de Judas qui trament leur petite perfidie jour par jour, pas à pas. La loi Toubon, de 1994, qui proscrivait, dans tout ce qui regardait la sphère publique, l’usage d’un autre idiome que le français, langue de la République et de la France historique, n’a cessé d'être bafouée sous la pression des milieux libéraux, de la Commission européenne, et avec la complicité du Conseil constitutionnel, d’une « élite » vendue corps et âme à la civilisation américaine, et le mépris tenace de nos gouvernants pour tout ce qui rappelle une France perçue comme un archaïsme, un résidu « rance » du passé. Les bobos, dans leur détestation de la France, ont préparé le terrain pour la venue du barbare.

    Cette entreprise de destruction programmée est à placer sur le même plan que l’intégration militaire aux forces de l’Otan, le projet de démantèlement de l’armée française, l’alignement inconditionnel sur les positions diplomatiques et stratégiques de l’empire américain, l’abdication face aux marchés, aux puissances financières internationales, l’acceptation de la désindustrialisation de notre économie, de son ravalement au secteur des services, l’abêtissement du système éducatif, l’effacement perfide de toute trace de nos gloires historiques dans la mémoire du peuple, la fatale soumission au chômage de masse et la mise en tutelle de tout esprit critique par un appareil de propagande omniprésent.

    Et ce qui enrage particulièrement, outre ce sabotage en règle qui devrait nous inciter à nous soulever immédiatement, c’est l’hypocrisie écoeurante avec laquelle il est conduit, au nom de l’utilité, de la nécessité, et de toutes ces bonnes raisons censées nous pousser à accepter la « réalité » d’un monde absolument intolérable pour un Français digne de ce nom. L’argument fallacieux avancé pour justifier la substitution de notre langue par une langue étrangère, évincement supposé rendre plus « attractif » (anglicisme emblématique !) notre enseignement supérieur pour des « Coréens et des Indiens », n’est bien sûr qu’un sophisme, car si des étudiants étrangers viennent en France poursuivre leur cursus, c’est bien sûr pour la qualité de l’enseignement (prodigué en français, vieille langue scientifique, langue de Descartes, au demeurant !), et par amour du français. On voit bien ce qui se cache derrière ces contorsions rhétoriques : c’est la volonté, chez ces gens censément de « gauche », mais semblables en ce domaine comme en d’autres à leurs compères de « droite », d’intégrer la France à la logique capitaliste mondiale, et de l’anéantir dans sa volonté d’autonomie, dans sa singularité civilisationnelle.

    Pour récapituler tous les arguments qui nous convainquent de l’absurdité d’une telle entreprise de décivilisation, et de sa nocivité même, je ne saurais trop conseiller la lecture de Contre la pensée unique (aux éditions Odile Jacob), ouvrage magnifique de notre talentueux linguiste Claude Hagège, véritable champion de la lutte pour la défense et l’illustration de notre langue. Dans cet essai brillant et rigoureux, l’auteur démonte le mythe de l’utilité d’emprunter l’anglais pour les échanges internationaux (et a fortiori nationaux !), y compris dans les secteurs économiques et scientifiques. Ces assertions mainte fois pilonnées par les médias ne sont que de la vulgaire propagande, que les personnes insuffisamment informées répètent sans y porter assez d’attention.

    Pire, l’adoption de l’anglais est l’aveu clair et net de la volonté de s’immerger dans l’univers matérialiste, marchand, hostile à la haute culture, du monde anglo-saxon. C’est se plier au joug de l’argent, abdiquer toute valeur réellement spirituelle. Il n’est pas fortuit que les héritiers des libertaires de mai 68, hargneusement hostiles à une culture considérée comme « bourgeoise et élitiste », aient rejoint les rangs des militants de la cause entrepreneuriale, pour s’en prendre à notre langue. Tout ce beau monde se concilie dans l’usage approximatif de la syntaxe, un vocabulaire singulièrement appauvri, l'utilisation immodérée de termes angais, la haine de Madame de Lafayette ou de Proust. On retrouve le même jargon, le même pot pourri de sophismes usés à la portée de tout petit cadre dynamique complètement inculte chez les responsables de « gauche » comme de « droite », au parti socialiste comme à l’UMP, à la CFDT comme au MEDEF.

    Cette démagogie, qui voudrait opposer la haute culture à la basse, quand le peuple français, dans sa longue histoire, a toujours voué une admiration franche et heureuse pour les Rabelais, les Molière, les Corneille, les Voltaire, les Victor Hugo etc., est l’aveu d’une vulgarité qui est à l’image de ce que tous ces gens nous proposent, et contre quoi s’offusque le goût français. Shakespeare, Swift, Stevenson, De Quincey, Poe, Melville, Orwell etc. nous ont offert une langue littéraire admirable, et parfois inégalée, mais lorsque, maintenant, à l’époque des tarmacs métissés, des hôtels cosmopolites, de la télévision infestée par la marchandise et le mensonge, on entend parler cette langue chuintante, douteuse, sommaire et grossière qu’est le globish, on ne peut qu’éprouver la sensation d’être englué dans un immense chewing gum empâtant le monde avec une bouillie infecte qui colle à la boue.

    L'objectif suprême est clair, sans véritable ambiguïté pour celui qui voit assez loin : à terme, il s'agit, pour la ploutocratie atlantiste et mondialiste, d'unifier une caste apatride, qui parlera anglo-américain, remisant les peuples dans les marges de la consommation et de la production, et réduisant leurs langues à un misérable patois avili et ridiculisé.

    On peut rêver, pour défendre ce qui est plus que nous, qui est nous, mais davantage, qui incarne ce qu’il y a eu de meilleur en nous, l’intelligence, l’esprit, la beauté, notre mémoire, de défiler aussi nombreux que ceux qui ont combattu le « mariage pour tous ». Il y va de notre survie, et d’une résistance à l’Ordre mondial, que d’autres soutiendront probablement à notre place, si nous disparaissons définitivement, quand nous ne serons plus qu’un vague souvenir historique.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 12 avril 2013)

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