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christophe guilluy - Page 8

  • Ces 40 ans qui ont tout changé...

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    Le numéro de février 2014 de la revue Le spectacle du monde est en kiosque. 

    Le dossier est consacré à la période 1974-2014, les 40 ans qui ont transformé la France. On pourra y lire, notamment, des articles d'Eric Branca ("Les 40 ans qui ont tout changé"), de Josée Pochat ("Communisme : de la toute-puissance à l'agonie"), d'Arnaud Folch ("Front national. De Le Pen à Le Pen"), de Frédéric Paya ("Une France qui glisse") et de Jean-Luc Gréau ("Du libre-échange au libre-échangisme"), ainsi qu'un entretien avec Christophe Guilluy ("A la recherche du peuple disparu").

    Hors dossier, on pourra aussi lire, notamment, des articles de François Bousquet ("L'écologie humaine selon Hervé Juvin"), de Philippe d'Hugues ("Irremplaçable Giraudoux"), et de Stéphane Guégan ("Zurbarán, génie de la Contre-Réforme"). Et on retrouvera aussi  les chroniques de Bertrand de Saint-Vincent ("Des hommes aux semelles de vent"), de Bruno de Cessole ("Thomas Bernhard, l'amour-haine de l'Autriche"), de Laurent Dandrieu ("Miyazaki ou l'étoffe des songes"), de Patrice de Plunkett ("Boussoles en folie") et d'Eric Zemmour ("Carton plein").

     

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  • A droite et à gauche... (4)

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    "Je retrouvai la maîtrise de moi-même dans l'abstinence d'alcool et de tabac et une excellente forme physique dans la pratique de la culture physique et des sports de combat. La lecture du Bushido, ou code des samouraïs, me portait vers une exaltation du combat, un goût pour le stoïcisme guerrier, la mort les armes à la main. J'aurais aimé être parachuté au siège de Diên Biên Phu, qui faisait la une de France-soir, pour prêter main-forte. J'aimais chez Dürer Le Chevalier et la Mort, la charge des chevaliers teutoniques sur le lac gelé dans Alexandre Nevski, d'Eisenstein, exaltée par la musique de Prokofiev m'enthousiasmait. J'aurais aimé faire partie de ceux qui chargeaient, dans cette puissante course vers le choc. Je trouvais l'Allemagne attirante à cause des Réprouvés d'Ernst von Salomon et des corps-francs combattant aux marches de de Courlande... Je trouvais imposant le film vu à la Cinémathèque de Leni Riefenstahl sur Nuremberg (1934). [...] Je lisais Nietzsche en prenant des notes : « Il faut dominer les passions et non point les affaiblir ou les extirper. Plus grande est la maîtrise de la volonté, plus on peut accorder de liberté aux passions. »

    « Il faut avoir gardé en soi un peu de chaos, pour enfanter une étoile dansante. » "

    Gérard Chaliand, La pointe du couteau (Robert Laffont, 2011)

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    " Les cris d'une centaine d'oiseaux blancs sur une lagune, au loin, me paraissaient préférables à la voix de mes compatriotes – des touristes culturels, pourtant, de ces professeurs à la retraite qui, visitant consciencieusement le monde, ne font qu'arpenter les décombres de la culture : ils semblent partout chez eux et consomment du culturel comme on fait une cure thermale ou ce que les théologiens de l'hygiénisme nomment, en France, un « parcours de santé ». Le monde entier ne sera d'ailleurs bientôt plus, gageons-le, qu'un parcours de santé politique et moral, un cauchemar totalitaire, une dégénérescence de l'idée de Bien. "

    Richard Millet, Eesti – Notes sur l'Estonie (Gallimard, 2011)

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    Alain Finkielkraut, dans un numéro de l'Express consacré aux Français juifs (10 octobre 2012) :

    « Nous avons pu jouer un rôle dans le désamour de la France vis-à-vis d'elle-même en contribuant à répandre une vision unilatérale et pénitentielle du devoir de mémoire ».

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    Du même :

    « Aussi inconséquents que tranchants, [les bobos] se prémunissent de cela même qu'ils font profession de vouloir. Ils prônent l'abolition des frontières tout en érigeant soigneusement les leurs. Ils célèbrent la mixité et ils fuient la promiscuité. Ils font l'éloge du métissage mais cela ne les engage à rien sinon à se mettre en quatre pour obtenir la régularisation de leur « nounou » ou de leur femme de ménage. L'Autre, l'Autre, ils répètent sans cesse ce maître mot, mais c'est dans le confort de l'entre-soi qu'ils cultivent l'exotisme. Sont-ils cyniques ? Sont-ils duplices ? Non, ils sont leurs propres dupes. Ils croient ce qu'ils disent. Seulement, ce qu'ils disent les mystifie et les égare en magnifiant ou en camouflant les dispositifs prosaïques du monde réel. A l'expérience qu'ils vivent, ils substituent un récit édifiant et ils sont les premiers à être abusés par ce tour de passe-passe. Mobiles, flexibles, fluides, rapides, ils choisissent pour figure tutélaire Mercure, le dieu aux semelles de vent, alors même que les immeubles où ils habitent sont protégés comme des coffres-forts par une succession de digicodes et d'interphones. La bigarrure dont ils s'enchantent, l'ouverture dont ils s'enorgueillissent sont essentiellement touristiques. Ils rendent grâce à la technique d'avoir aboli les distances et, avec celle-ci, l'opposition du proche et du lointain : tout ce qui avait le cachet mystérieux de l'ailleurs est disponible ici, toutes les musiques, toutes les cuisines, toutes les saveurs, tous les produits et tous les prénoms de la terre sont en magasin. Le temps des blinis et de la mozzarella est aussi celui où nul n'a plus besoin d'être russe ou italien pour appeler son enfant Dimitri ou Matteo : il suffit de se servir. Au moment précis où le monde commun éclate et s'ethnicise, la consommation se mondialise et les bobos font au nom de celle-ci la leçon à celui-là. Ils aiment à regarder leur déambulation gourmande dans les allées du grand bazar comme une victoire du nomadisme sur les préjugés chauvins. Ils impriment ainsi le sceau de l'idéal à la société de la marchandise. »

    Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse (Stock, 2013)

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    Une scène de rue célinienne, tirée d'un roman de Jean Cau, Les paroissiens, écrit en 1958 alors que ce dernier était encore secrétaire de Jean-Paul Sartre :

    "  Si vous voulez y comprendre, je vous enseigne le truc, moi. D'un côté les Amerlos, de l'autre les Russes. Même farine. Les uns et les autres ne pensent qu'à une chose : nous posséder. Et si çchange pas, vous verrez, nous finirons par être cuits.

    - Si ça change pas quoi ?

    -Tout. Les ministres, le gouvernement, les responsables ? Trop de partis, trop de politique !

    - Parfaitement, dit le voyeur, de plus en plus excité. Du balai ! Tous à la porte !

    - D'abord, il y a trop d'étrangers, dit un type sans visage, blanc avec des yeux d'eau. Des bicots, des nègres, des Polonais, des Italiens, des Espagnols, la France est devenue une poubelle... des Chinois, des juifs. De ceux-là, on en voit plus qu'avant la guerre. Ils ont sans doute fait des petits dans le maquis.

    Il parle haut, le type. Il n'a pas peur. S'il y en a autour de moi qui se sentent morveux, qu'ils se mouchent ! Voilà ce qu'il a l'air de dire.

    - Vous ne croyez pas qu'ils ont faut des petits ?

    Le voyeur et un type de quarante-cinq ans aux oreilles poilues ont un rire sec , un peu gêné. Sûr, ils sont d'accord, mais dire des choses pareilles, ils n'oseraient pas. Ça leur fait plaisir de les entendre, c'est tout.

    - J'ai été à Dachau, Monsieur, et je n'y ai pas fait des petits. Je vous montrerai mon pyjama rayé si vous tenez à le voir.

    - Mets-le dans la naphtaline, il resservira.

    Le juif a ouvert de grands yeux, si grands qu'ils en étaient mouillés.

    - Salaud, espèce de salaud, de sale fasciste !

    L'homme l'a secoué, lui a fourré sous le nez une carte qui disait – le juif a lu – sous-officier, 1ère Armée et d'autres machins comme ça...

    - Tu vois, a dit le type. Eh bien, si je te blaire pas, c'est mon droit. Tu as peut-être été à Dachau, par force, parce qu'on en voulait à ta peau, à ton fric, parce qu'on t'a coincé, un jour...Alors, tu n'as pas à en être fier. Moi, tu vois, là (il frappe sur le carton avec son index), j'y suis allé volontaire! On ne me demandait rien. J'aurais pu rester chez moi, tranquille, au chaud et acheter du pain blanc et du sucre à tes copains qui se débrouillaient pour en vendre même en 43. J'y suis allé et j'ai risqué ma peau, tu comprends ? Et quand je suis revenu, vous en étiez sorti de Dachau, vous repreniez des kilos à toute allure, et vous recommenciez à foutre la pagaïe...

    Le juif s'éloigne, très vite, disparaît au coin de la rue. Personne ne dit plus rien. L'ex-sous-officier toussote et déclare :

    - Des fois, y'en a marre ! "

    Jean Cau, Les paroissiens (Gallimard, 1958)

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    " Nous avons vécu une société de la liberté, et nos libertés sont labourées par des exploitants industriels qui mesurent le profit à en tirer. L'histoire dira quelle part ont prise les intérêts des industriels de la vie et de la reproduction au combat pour le droit au « mariage pour tous », qui cache le transfert de la reproduction humaine vers l'industrie, la machine et le procédé. L'histoire dira quelle part ont prise les intérêts des industriels de l'appareillage du corps humain à la fabrique de sportifs handicapé et de performances des prothèses, voire au montage des jeux Olympiques pour handicapés, les jeux Paralympiques, salon payant des dernières techniques de remplacement du corps. Il est entendu que l'industrie permet de fabriquer des corps qui vont plus vite, sautent plus loin et qui déploient une force supérieure, une fois que leurs membres sont remplacés par leurs équivalents de synthèse, en titane ou en fibre de carbone. Et il est entendu que les mécanismes de la nature, la gratuité des écosystèmes le hasard de la reproduction humaine ou animale, les déterminations de l'origine, du sexe ou de l'âge seront heureusement remplacées par les prestations de l'industrie de la vie et des services du corps – que la disparition de la gratuité est le moyen le plus prometteur et le plus radical de la croissance. Peu avant la faillite de Lehmann Brothers, les humanistes de Goldman Sachs avaient annoncé que désormais, soucieuse du bonheur de ses employés, la banque remboursait les opérations de changement de sexe ! Voilà qui devrait pour le moins nous rendre défiants sur la liberté de sortie de la nature qui nous est offerte. "

    Hervé Juvin, La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013)

     

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    " Une écologie humaine est l'inverse de l'utopie de l'unité du genre humain. Elle repose sur la prise en compte des forces de séparation, des logiques de distinction et des passions discriminantes qui font l'honneur et la vie des sociétés humaines. Une nation qui ne décide pas des conditions d'accès à la nationalité et de résidence sur son sol n'est pas une nation libre. Il est permis de critiquer certaines, de juger que certaines sont meilleures que d'autres, que nous avons choisi des règles et que nous en refusons d'autres. Il ne l'est pas de dénier à une nation ce pouvoir. Une nation qui se voit dicter de l'extérieur les conditions d'accès à la nationalité, de résidence sur son sol, n'est plus une nation libre. C'est une nation ouverte à l'invasion. C'est une nation dont la langue, les lois, les mœurs ne sont plus siennes, mais celles que des mouvements de population, qu'elle constatera sans les avoir choisis, qu'elle subira sans les avoir voulus, vont décider à sa place. Il ne s'agit pas d'enfermer les uns et les autres dans un essentialisme borné, qui attribue des caractères définitifs à la religion, l'origine, la race ou la nationalité. Il n'est pas question non plus d'enfermer chacun dans son ethnie, dans sa foi ou dans ses origines et dans un déterminisme absolu. Mais il n'est pas davantage question de les identifier tous à un modèle unique, de les réduire au même, à la conformité et à la règle de l'unique. Elle se poursuit par l'expression politique de la primauté, de la diversité culturelle et identitaire sur l'unité opérationnelle des techniques et des règles. Une loi bonne au Texas n'a aucune chance de s'appliquer heureusement en Grèce. Une règle, un mode de "gouvernance" satisfaisants à Munich n'ont aucune chance d'être à Luanda ou Lusaka autre chose qu'un faux-semblant, ou un mensonge – et d'entraîner la société toute entière dans le mensonge institutionnel de la conformité des apparences. Notre tâche historique est considérable ; nous devons faire renaître la diversité collective ! Redécouvrir que l'histoire, l'origine, la race, la langue, la foi, la culture ont un sens – et que ce sens n'est pas celui des hiérarchies, des stades de développement et des barreaux successifs sur l'échelle du progrès. Ce qui allait de soi, de l'histoire, des dieux ou des fondations mythiques des pères passés, nous allons devoir l'inventer. "

    Hervé Juvin, La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013)

     

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    " L'adhésion à l'immigration et au multiculturalisme dépend avant tout de la capacité que l'on a d'ériger des frontières avec l'Autre à travers ses choix résidentiels ou scolaires. Quand on n'a pas les moyens de contourner les cartes scolaires ou de choisir l'endroit où l'on habite, on demande à un État fort de le faire pour nous. En clair, on ne perçoit pas l'immigration de la même manière selon que l'on gagne 10 000 euros ou 1000 euros par mois! [...] 

    Quand on me demande de parler de l'immigration, je raconte toujours l'histoire d'un village qui accueille une famille d'étrangers. Ça commence bien, puis arrivent les cousins, le reste de la famille, les choses se gâtent... Et à la fin, j'explique que le village dont je parle se situe en Kabylie et qu'il s'agit de l'immigration chinoise. Posez la question de l'immigration dans n'importe quel pays du monde, vous obtiendrez la même réponse: « Je ne veux pas devenir minoritaire.» Ce rapport à l'Autre est universel. Et c'est un enjeu d'autant plus crucial que nous vivons dans une société ouverte et mondialisée. Jusqu'aux années 1970, dans la France assimilationniste, la question ne se posait pas puisque l'« autre» devenait «soi ». Mais quand on est sûr que l'« autre » ne va pas devenir « soi », on veut savoir combien d'« autres » il y aura. C'est important de savoir si, dans son immeuble, on va vivre avec une ou douze familles tchétchènes ..."

     

    Christophe Guilluy (Causeur, novembre 2013)

     

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  • La colère de la France d'à côté...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christophe Guilluy et Serge Guérin, cueilli sur le site du quotidien Le Monde et consacré à la recomposition sociale et culturelle de la France périphérique...

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    Écoutons la colère de la France d'à côté

    Étonnement des médias et des politiques devant la Bretagne intérieure qui plonge dans les jacqueries. C'est que les représentations territoriales et sociologiques des élites sont obsolètes. L'Ouest, et notamment la Bretagne, est encore identifié comme une « France tranquille », celle des classes moyennes bien insérées dans l'emploi et l'économie mondialisée. Si longtemps la hausse de l'emploi public a caché le déclin de l'industrie, si longtemps les subventions ont masqué les faiblesses d'un modèle agro-industriel mal positionné et catastrophique pour l'environnement, si longtemps les régions du Grand Ouest ont été tenues à l'écart des flux migratoires, leur récente recomposition économique, sociale et démographique a changé la donne.

    Du centre de la Bretagne à Villeneuve-sur-Lot (Aquitaine), du département de l'Oise à Brignoles (Var), des zones industrielles du Nord et de l'Est frappées par le chômage de masse aux régions rurales et industrielles de l'Ouest et du Sud-Ouest atteintes par la crise du modèle intensif et l'essoufflement des capacités redistributives, le décrochage frappe des territoires différents mais qui ont en commun d'être à l'écart des métropoles. Cette France périphérique, qui rassemble 60 % de la population, est celle où se déroule le destin de la grande majorité des catégories populaires.

    On peut ainsi relever qu'à l'Ouest la crise ne frappe pas Nantes ou Rennes, mais d'abord les espaces ruraux et industriels et les petites villes. La carte des plans sociaux est calée sur celle de la France périphérique, pas celle de la France métropolitaine, qui produit l'essentiel du PIB français. Pour la première fois dans l'histoire, les catégories populaires ne vivent pas là où se crée la richesse.

    Ce qui implose sous nos yeux, ce n'est pas seulement un modèle économique, ce sont aussi nos représentations des classes sociales. Or il faut saisir que des catégories hier opposées, ouvriers, employés, petits paysans, petits indépendants, artisans et commerçants, ou encore retraités populaires, salariés fragilisés du privé comme du public, partagent un sort commun face aux conséquences désastreuses de l'adaptation à marche forcée au modèle économique mondialisé.

    UNE SOCIÉTÉ DÉCENTRÉE S'INVENTE

    La montée de l'abstention et du vote Front national dans cette France pas si tranquille ne doit pas cacher le développement de nouvelles formes de mobilisations solidaires de proximité, hors des cadres traditionnels et institués. L'émergence d'une contre-société qui ne croit plus aux modèles anciens, loin de marquer une droitisation des Français, montre la volonté d'une part croissante des acteurs de reprendre leur destin en main. Face à des fractures sociales et identitaires, une société décentrée s'invente, souvent avec le soutien de communes, de collectivités territoriales ou de bailleurs sociaux, à travers l'économie sociale, des associations, mais aussi des aidants bénévoles qui font face à la fragilité d'un proche ou des habitants qui se regroupent, coopèrent, mutualisent… Une partie de la société civile innove dans des formes de solidarité centrées sur la proximité, réinvestit de manière contrainte son territoire et privilégie l'économie circulaire, adapte son mode de consommation à un pouvoir d'achat en chute libre, invente des nouvelles manières de soutenir le développement local.

    Si la construction métropolitaine a démontré son efficacité à produire des richesses et à permettre l'intégration économique des populations qui vivent dans ces territoires en phase avec l'économie-monde, en revanche, un modèle économique et social alternatif et complémentaire reste à inventer. C'est à partir des réalités économiques et sociales locales que les solutions sont et seront trouvées. Politiques locales de réindustrialisation, manifeste des nouvelles ruralités, réflexions sur de nouveaux pôles d'enseignement supérieur dans des petites villes, mutualisation des services publics, prise en charge des nouveaux besoins pour les retraités populaires, les initiatives ne manquent pas. Mais ne perdons pas de vue que cette contre-société qui vient ne se développera pas dans un consensus mou.

    L'émergence de ces nouvelles fractures territoriales dessine une nouvelle géopolitique locale, de nouveaux rapports de force. Comme l'a parfaitement démontré la géopoliticienne Béatrice Giblin, les territoires ont parfois des intérêts divergents, structurent et recomposent en permanence les rapports de force politiques. Nous en sommes là. Il est donc urgent de traduire institutionnellement les réalités des territoires et les besoins des populations, en sortant du débat stérile sur le meilleur échelon territorial à privilégier, pour inventer de nouvelles formes de politique publique adaptée aux réalités et permettant l'expérimentation et l'innovation sociale.

    La recomposition sociale et politique de la France périphérique dessine non seulement les lignes de nouvelles fractures culturelles, mais aussi une redynamisation à venir du débat et même du conflit en politique. Il convient désormais d'ouvrir les yeux sur le sort des catégories populaires dans la mondialisation. Plutôt que les leçons de morale et les discours incantatoires, prenons au sérieux un malaise social et identitaire qui affecte désormais une part majoritaire de la population.

    Serge Guérin et Christophe Guilluy (Le Monde,  22 novembre 2013)

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  • Retour sur les fractures françaises...

    Les éditions Flammarion viennent de rééditer, dans leur collection de poche Champs, Fractures françaises, l'essai de Christophe Guilluy. Géographe, l'auteur annonçait dès 2010 la montée de la contestation de la mondialisation et du multiculturalisme à laquelle on assiste aujourd'hui...

     

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    "Des banlieues aux zones rurales, des métropoles aux petites villes, dans quel état se trouvent les couches populaires, après vingt ans de mondialisation ? Dans Fractures françaises, Christophe Guilluy nous propose une leçon inédite de géographie sociale. S'appuyant sur sa discipline, il révèle une situation des couches populaires très différente des représentations caricaturales habituelles. Leur évolution dessine une France minée par un séparatisme social et culturel. Derrière le trompe-l'oeil d'une société apaisée, s'affirme en fait une crise profonde du " vivre ensemble ". Les solutions politiques et une nouvelle attitude sont possibles, pour peu que les nouveaux antagonismes qui travaillent la société soient reconnus et discutés publiquement. Il y a urgence : si la raison ne l'emportait pas, les pressions de la mondialisation qui élargissent les fractures sociales et culturelles risqueraient de faire exploser le modèle républicain."

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  • Vers l'autodéfense civique ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 13 septembre 2013 et consacrée à la révolte de ces citoyens qui décident de se défendre eux-mêmes face à la montée de la criminalité...

     


    L'autodéfense en question après le drame de Nice par rtl-fr

     

     

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  • "La bipolarisation droite-gauche n'existe plus en milieu populaire"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le géographe et sociologue Christophe Guilluy, publié cet été dans le quotidien Le Figaro. Christophe Guilluy est l'auteur d'un essai intitulé Fractures françaises (Bourin, 2010) qui a suscité de nombreux commentaires lors de sa publication. Cet essai, devenu introuvable, sera réédité début octobre chez Flammarion, dans la collection de poche Champs.

     

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    "La bipolarisation droite-gauche n'existe plus en milieu populaire"

    LE FIGARO. - Vous êtes classé à gauche mais vous êtes adulé par la droite. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Christophe GUILLUY.- Je ne suis pas un chercheur classique. Ma ligne de conduite depuis quinze ans a toujours été de penser la société par le bas et de prendre au sérieux ce que font, disent et pensent les catégories populaires. Je ne juge pas. Je ne crois pas non plus à la posture de l’intellectuel qui influence l’opinion publique. Je ne crois pas non plus à l’influence du discours politique sur l’opinion. C’est même l’inverse qui se passe. Ce que j’appelle la nouvelle géographie sociale a pour ambition de décrire l’émergence de nouvelles catégories sociales sur l’ensemble des territoires.

    Selon vous, la mondialisation joue un rôle fondamental dans les fractures françaises. Pourquoi ?

    La mondialisation a un impact énorme sur la recomposition des classes sociales en restructurant socialement et économiquement les territoires. Les politiques, les intellectuels et les chercheurs ont la vue faussée. Ils chaussent les lunettes des années 1980 pour analyser une situation qui n’a aujourd’hui plus rien à voir. Par exemple, beaucoup sont encore dans la mythologie des classes moyennes façon Trente Glorieuses. Mais à partir des années 1980, un élément semble dysfonctionner : les banlieues. Dans les années 1970, on avait assisté à l’émergence d’une classe moyenne, c’est la France pavillonnaire.

    Vous avez théorisé la coexistence de deux France avec, d’une part, la France des métropoles et de l’autre la France périphérique.

    On peut en effet diviser schématiquement la France en deux : la France périphérique, que certains ont dénommée mal à propos France périurbaine, est cette zone qui regroupe aussi bien des petites villes que des campagnes. De l’autre côté, il y a les métropoles, complètement branchées sur la mondialisation, sur les secteurs économiques de pointe avec de l’emploi très qualifié. Ces métropoles se retrouvent dans toutes régions de France. Bien évidemment, cela induit une recomposition sociale et démographique de tous ces espaces. En se désindustrialisant, les villes ont besoin de beaucoup moins d’employés et d’ouvriers mais de davantage de cadres. C’est ce qu’on appelle la gentrification des grandes villes, avec un embourgeoisement à grande vitesse.

    Mais en même temps que cet embourgeoisement, il y a aussi dans les métropoles un renforcement des populations immigrées.

    Au moment même où l’ensemble du parc immobilier des grandes villes est en train de se « gentrifier », l’immobilier social, les HLM, le dernier parc accessible aux catégories populaires de ces métropoles, s’est spécialisé dans l’accueil des populations immigrées. On assiste à l’émergence de « villes monde » très inégalitaires où se regroupent avec d’un côté des cadres, et de l’autre des catégories précaires issues de l’immigration. Dans ces espaces, les gens sont tous mobiles, aussi bien les cadres que les immigrés. Surtout, ils sont là où tout se passe, où se crée l’emploi. Tout le monde dans ces métropoles en profite, y compris les banlieues et les immigrés. Bien sûr cela va à l’encontre de la mythologie de la banlieue ghetto où tout est figé. Dans les zones urbaines sensibles, il y a une vraie mobilité : les gens arrivent et partent.

    Pourtant le parc immobilier social se veut universel ?

    La fonction du parc social n’est plus la même que dans les années 1970. Aujourd’hui, les HLM servent de sas entre le Nord et le Sud. C’est une chose fondamentale que beaucoup ont voulu, consciemment ou non, occulter : il y a une vraie mobilité dans les banlieues. Alors qu’on nous explique que tout est catastrophique dans ces quartiers, on s’aperçoit que les dernières phases d’ascension économique dans les milieux populaires se produisent dans les catégories immigrées des grandes métropoles. Si elles réussissent, ce n’est pas parce qu’elles ont bénéficié d’une discrimination positive, mais d’abord parce qu’elles sont là où tout se passe.

    La France se dirige-t-elle vers le multiculturalisme ?

    La France a un immense problème où l’on passe d’un modèle assimilationniste républicain à un modèle multiculturel de fait, et donc pas assumé. Or, les politiques parlent républicain mais pensent multiculturel. Dans la réalité, les politiques ne pilotent plus vraiment les choses. Quel que soit le discours venu d’en haut, qu’il soit de gauche ou de droite, les gens d’en bas agissent. La bipolarisation droite-gauche n’existe plus en milieu populaire. Elle est surjouée par les politiques et les catégories supérieures bien intégrées mais ne correspond plus à grand-chose pour les classes populaires.

    Les classes populaires ne sont donc plus ce qu’elles étaient…

    Dans les nouvelles classes populaires on retrouve les ouvriers, les employés, mais aussi les petits paysans, les petits indépendants. Il existe une France de la fragilité sociale. On a eu l’idée d’en faire un indicateur en croisant plusieurs critères comme le chômage, les temps partiel, les propriétaires précaires, etc. Ce nouvel indicateur mesure la réalité de la France qui a du mal à boucler les fins de mois, cette population qui vit avec environ 1 000 euros par mois. Et si on y ajoute les retraités et les jeunes, cela forme un ensemble qui représente près de 65 % de la population française. La majorité de ce pays est donc structurée sociologiquement autour de ces catégories modestes. Le gros problème, c’est que pour la première fois dans l’histoire, les catégories populaires ne vivent plus là où se crée la richesse.

    Avec 65 % de la population en périphérie, peut-on parler de ségrégation ?

    Avant, les ouvriers étaient intégrés économiquement donc culturellement et politiquement. Aujourd’hui, le projet économique des élites n’intègre plus l’ensemble de ces catégories modestes. Ce qui ne veut pas dire non plus que le pays ne fonctionne pas mais le paradoxe est que la France fonctionne sans eux puisque deux tiers du PIB est réalisé dans les grandes métropoles dont ils sont exclus. C’est sans doute le problème social, démocratique, culturel et donc politique majeur : on ne comprend rien ni à la montée du Front national ni de l’abstention si on ne comprend pas cette évolution.

    Selon vous, le Front national est donc le premier parti populaire de France ?

    La sociologie du FN est une sociologie de gauche. Le socle électoral du PS repose sur les fonctionnaires tandis que celui de l’UMP repose sur les retraités, soit deux blocs sociaux qui sont plutôt protégés de la mondialisation. La sociologie du FN est composée à l’inverse de jeunes, d’actifs et de très peu de retraités. Le regard porté sur les électeurs du FN est scandaleux. On les pointe toujours du doigt en rappelant qu’ils sont peu diplômés. Il y a derrière l’idée que ces électeurs frontistes sont idiots, racistes et que s’ils avaient été diplômés, ils n’auraient pas voté FN.

    Les électeurs seraient donc plus subtils que les sociologues et les politologues… ?

    Les Français, contrairement à ce que disent les élites, ont une analyse très fine de ce qu’est devenue la société française parce qu’ils la vivent dans leur chair. Cela fait trente ans qu’on leur dit qu’ils vont bénéficier, eux aussi, de la mondialisation et du multiculturalisme alors même qu’ils en sont exclus. Le diagnostic des classes populaires est rationnel, pertinent et surtout, c’est celui de la majorité. Bien évidemment, le FN ne capte pas toutes les classes populaires. La majorité se réfugie dans l’abstention.

    Vous avancez aussi l’idée que la question culturelle et identitaire prend une place prépondérante.

    Les Français se sont rendu compte que la question sociale a été abandonnée par les classes dirigeantes de droite et de gauche. Cette intuition les amène à penser que dans ce modèle qui ne les intègre plus ni économiquement ni socialement, la question culturelle et identitaire leur apparaît désormais comme essentielle. Cette question chez les électeurs FN est rarement connectée à ce qu’il se passe en banlieue. Or il y a un lien absolu entre la montée de la question identitaire dans les classes populaires « blanches » et l’islamisation des banlieues.

    Vaut-il parfois mieux habiter une cité de La Courneuve qu’en Picardie ?

    Le paradoxe est qu’une bonne partie des banlieues sensibles est située dans les métropoles, ces zones qui fonctionnent bien mieux que la France périphérique, là où se trouvent les vrais territoires fragiles. Les élites, qui habitent elles dans les métropoles considèrent que la France se résume à des cadres et des jeunes immigrés de banlieue. Ce qui émerge dans cette France périphérique, c’est une contre-société, avec d’autres valeurs, d’autres rapports au travail ou à l’État-providence. Même s’il y a beaucoup de redistribution des métropoles vers la périphérie, le champ des possibles est beaucoup plus restreint avec une mobilité sociale et géographique très faible. C’est pour cette raison que perdre son emploi dans la France périphérique est une catastrophe.

    Pourquoi alors l’immigration pose-t-elle problème ?

    Ce qui est fascinant, c’est la technicité culturelle des classes populaires et la nullité des élites qui se réduit souvent à raciste/pas raciste. Or, une personne peut être raciste le matin, fraternelle le soir. Tout est ambivalent. La question du rapport à l’autre est la question du village et comment celui-ci sera légué à ses enfants. Il est passé le temps où on présentait l’immigration comme « une chance pour la France ». Ne pas savoir comment va évoluer son village est très anxiogène. La question du rapport à l’autre est totalement universelle et les classes populaires le savent, pas parce qu’elles seraient plus intelligentes mais parce qu’elles en ont le vécu.

    Marine Le Pen qui défend la France des invisibles, vous la voyez comme une récupération de vos thèses ?

    Je ne me suis jamais posé la question de la récupération. Un chercheur doit rester froid même si je vois très bien à qui mes travaux peuvent servir. Mais après c’est faire de la politique, ce que je ne veux pas. Dans la France périphérique, les concurrents sont aujourd’hui l’UMP et le FN. Pour la gauche, c’est plus compliqué. Les deux vainqueurs de l’élection présidentielle de 2012 sont en réalité Patrick Buisson et Terra Nova, ce think-tank de gauche qui avait théorisé pour la gauche la nécessité de miser d’abord sur le vote immigré comme réservoir de voix potentielles pour le PS. La présidentielle, c’est le seul scrutin où les classes populaires se déplacent encore et où la question identitaire est la plus forte. Sarkozy a joué le « petit Blanc », la peur de l’arrivée de la gauche qui signifierait davantage d’islamisation et d’immigration. Mais la gauche a joué en parallèle le même jeu en misant sur le « petit Noir » ou le « petit Arabe ». Le jeu de la gauche a été d’affoler les minorités ethniques contre le danger fascisant du maintien au pouvoir de Sarkozy et Buisson. On a pu croire un temps que Hollande a joué les classes populaires alors qu’en fait c’est la note Terra Nova qui leur servait de stratégie. Dans les deux camps, les stratégies se sont révélées payantes même si c’est Hollande qui a gagné. Le discours Terra Nova en banlieue s’est révélé très efficace quand on voit les scores obtenus. Près de 90 % des Français musulmans ont voté Hollande au second tour.

    La notion même de classe populaire a donc fortement évolué.

    Il y a un commun des classes populaires qui fait exploser les définitions existantes du peuple. Symboliquement, il s’est produit un retour en arrière de deux siècles. Avec la révolution industrielle, on a fait venir des paysans pour travailler en usines. Aujourd’hui, on leur demande de repartir à la campagne. Toutes ces raisons expliquent cette fragilisation d’une majorité des habitants et pour laquelle, il n’y a pas réellement de solutions. C’est par le bas qu’on peut désamorcer les conflits identitaires et culturels car c’est là qu’on trouve le diagnostic le plus intelligent. Quand on vit dans ces territoires, on comprend leur complexité. Ce que le bobo qui arrive dans les quartiers populaires ne saisit pas forcément.

    Christoph Guilluy (Le Figaro, 19 juillet 2013)

     

    *Christophe Guilluy est un géographe qui travaille à l’élaboration d’une nouvelle géographie sociale. Spécialiste des classes populaires, il a théorisé la coexistence des deux France : la France des métropoles et la France périphérique. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage très remarqué : Fractures françaises.

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