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censure - Page 4

  • Les censeurs contre la république...

    Les éditions Jeanne viennent de rééditer, sous le titre de Les censeurs contre la république, une version actualisée et augmenté de l'essai de Jean Bricmont, paru en 2014, La république des censeurs. Professeur et chercheur en physique théorique, Jean Bricmont s'est fait connaître dans le monde des idées par un livre, Impostures intellectuelles (Odile Jacob, 1997), écrit avec Alan Sokal dans lequel il étrillait quelques pontes (Gilles Deleuze, Julia Kristeva, Bruno Latour, ...) de la pensée socio-philosophique française...

     

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    " Parler de démocratie n’a de sens que lorsque le débat est libre. Et il ne peut être libre que si l’expression des idées, des opinions, des contestations est libre. Aussi iconoclaste pourrait-elle paraître, aussi éloignée du consensus, des « valeurs » mêmes de l’époque dans laquelle elle s’insère, cette libre parole est garante de la liberté tout court. Or aujourd’hui, où la démocratie est pourtant érigée en idéal absolu, servant même d’alibi à toutes sortes de guerres, médiatiques, judiciaires ou de guerres tout court, le débat est de moins en moins libre. Encadrée par des lois qui prétendent mettre fin aux discriminations, protéger les minorités ou sacraliser certains faits historiques, réprimée sur les réseaux sociaux au nom de la lutte contre la « haine », mise sous pression par diverses associations jusqu’au sein des universités, la liberté d’expression est souvent réduite à n’être qu’un étendard qu’on agite lorsque le peuple descend dans la rue au cri de « Je suis Charlie ».

    L’auteur, dans une édition actualisée et augmentée de La République des censeurs paru en 2014, et précédée d’une préface importante d’Étienne Chouard, analyse, à l’aide de nombreux exemples concrets, les moyens mis en œuvre pour restreindre le droit à la parole, de la dénonciation publique du « dérapage » aux poursuites devant les tribunaux, en passant par les carrières avortées de ceux qui ont cru que la raison était, depuis les Lumières, au-dessus des dogmes. "

     

     

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  • Le libéralisme est à la liberté ce que l’égalitarisme est à l’égalité...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist au magazine Causeur à l'occasion de la sortie de son essai La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020). Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019) et dernièrement Ernst Jünger entre les dieux et les titans (Via Romana, 2020) ainsi que La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    « Le libéralisme est à la liberté ce que l’égalitarisme est à l’égalité »

    FRANÇOISE BONARDEL. Vous êtes l’auteur d’une œuvre considérable, et une des figures les plus controversées de la vie intellectuelle française. Dans votre dernier livre (La Chape de plomb, La Nouvelle Librairie), vous vous livrez à une attaque en règle contre les « nouvelles censures ». Dans quelle intention ?

    ALAIN DE BENOIST : Je ne suis pas le premier à publier un livre sur la disparition de la liberté d’expression. Le mien se distingue des autres par un refus de se cantonner dans la déploration, et par une tentative d’explication théorique visant à expliquer comment nous en sommes arrivés là. Vous connaissez le propos mille fois cité de Bossuet sur ceux qui se plaignent des conséquences et chérissent les causes. Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que les causes sont souvent très lointaines. Pour les élucider, il faut remonter loin en amont. L’histoire des idées peut y aider.

    FRANÇOISE BONARDEL. Le fait d’avoir été ostracisé par vos pairs vous a-t-il permis de fourbir vos propres armes intellectuelles ? N’êtes-vous pas parfois tenté par la victimisation que vous dénoncez ?

    ALAIN DE BENOIST : Je mentirais si je disais que je n’ai pas souffert de cet ostracisme. Cela dit, d’autres ont beaucoup plus souffert que moi, et je n’aime pas me poser en victime. Vous connaissez l’adage : never explain, never complain. Le ressentiment est toujours un produit de la haine et de l’envie.

    FRANÇOISE BONARDEL. On parlait dans les années d’après-guerre de « terrorisme intellectuel », puis quelques décennies après de « police de la pensée ». Comment définiriez-vous les censeurs d’aujourd’hui par rapport à ceux d’hier ?

    ALAIN DE BENOIST : La censure est de tous les temps, et ceux qui la dénoncent ne sont que trop souvent désireux d’en imposer une autre à leur tour. Mais il y a deux grandes différences. Autrefois, la censure était essentiellement le fait des pouvoirs publics, tandis que la presse jouait un rôle de contre-pouvoir. Aujourd’hui, les médias sont presque tous gagnés à l’idéologie dominante et ce sont eux qui jouent les chiens de garde en appelant à censurer. Les journalistes dénoncent d’autres journalistes, des écrivains applaudissent à l’épuration d’autres écrivains. L’autre fait nouveau, c’est que les pouvoirs publics ont privatisé la censure en la confiant aux multinationales comme Facebook et Twitter. Cela ne s’était encore jamais vu. S’y ajoute l’apparition de tribunaux d’opinion dont les réseaux sociaux sont les relais. Le principe est celui de la justice expéditive : soupçon vaut condamnation, le tribunal ne comprend que des procureurs et les jugements ne sont jamais susceptibles d’appel. La novlangue orwellienne, qu’on appelle le « politiquement correct », et les délires des milieux néoféministes et LGBT fournissent le carburant. Le résultat est quasi soviétique : en public, on n’ose plus rien dire. L’inculture régnante fait le reste.

    FRANÇOISE BONARDEL. Vous allez jusqu’à parler de « nouvelle Inquisition » à propos du politiquement correct, de la pensée unique et du diktat des minorités. Il y aurait donc là des traits rappelant la mainmise du pouvoir religieux sur les esprits ?

    ALAIN DE BENOIST : Il y a toujours du religieux dans le fanatisme. L’idéologie dominante, qui est toujours l’idéologie de la classe dominante, est ainsi organisée qu’elle a ses grands-prêtres, ses inquisiteurs et ses dévots. Elle appelle à la repentance, elle représente le passé comme n’étant plus qu’un motif de contrition. Elle se désole que l’histoire ne soit pas morale, mais tragique, et elle entend la réécrire selon ses canons en se réclamant d’une morale (Nietzsche aurait parlé de moraline) qui veut que la société soit rendue « plus juste », fût-ce au prix de la disparition du bien commun.

    FRANÇOISE BONARDEL. Vous dites aussi que la « pensée unique » se veut rationnelle et s’interdit tout écart par rapport à un axe qui, étant celui du Vrai, est aussi celui du Bien. Comment cette rationalité technocratique s’accorde-t-elle avec la religiosité dont nous venons de parler ?

    ALAIN DE BENOIST : Les deux ne sont pas incompatibles. Auguste Comte théorisait le positivisme tout en prêchant une « religion de l’humanité ». L’une des sources, trop souvent ignorée, de la pensée unique (expression que je crois avoir été le premier à employer) est l’idée que les problèmes politiques ne sont en dernière analyse que des problèmes techniques. L’homme étant posé comme un individu rationnel qui cherche toujours à maximiser son propre intérêt, on suppose qu’il n’y a pour tout problème qu’une seule solution optimale rationnelle elle aussi (« there is no alternative », disait Margaret Thatcher). Cette conception du monde fondamentalement impolitique ignore complètement que le politique est irréductiblement conflictuel compte tenu de la pluralité des projets et de ce que Max Weber appelait le « polythéisme des valeurs ». C’est un retour à la vision saint-simonienne, selon laquelle il faudrait substituer l’administration des choses (la « gouvernance ») au gouvernement des hommes. À terme, cette vision transforme les rapports entre les hommes en rapports avec des choses. C’est ce que le jeune Georg Lukâcs appelait la « réification » (Verdinglichung) des rapports sociaux.

    FRANÇOISE BONARDEL. Vous voyez dans le rêve de transparence intégrale des sociétés postmodernes un «  idéal fondamentalement nihiliste » et totalitaire. La crise du nihilisme européen annoncée par Nietzsche à la fin du XIXe siècle est-elle en train d’accoucher d’une société à la fois compatissante et dictatoriale ?

    ALAIN DE BENOIST : « Compatissante et dictatoriale » est une bonne formule. La façon dont la sensiblerie a remplacé la sensibilité, dont l’émotionnalisme lacrymal s’est substitué aux argu­ments raisonnés est très parlante à cet égard. Ce n’est plus Big Brother qui gouverne, mais Big Mother. Voyez ce que Christopher Lasch a écrit sur la montée de l’« État thérapeutique». À l’heure de la chasse au coronavirus, on constate que c’était prophétique.

    FRANÇOISE BONARDEL. « Nous vivons désormais sous l’horizon de la fatalité » , écrivez-vous. Iriez-vous jusqu’à penser, comme Maria Zambrano en 1945, qu’il s’agit là d’une « servilité devant les faits » annonçant l’agonie prochaine de l’Europe?

    ALAIN DE BENOIST : Il y a une révérence devant « les faits » qui conduit elle aussi à l’impuissance. C’est l’un des ressorts de l’expertocratie. Or, les faits ne signifient rien par eux-mêmes, ils sont indissociables d’une herméneutique. L’homme est un animal qui interprète ce qu’il connaît en fonction de ses projets et de ses choix. Quand je parle d’un « horizon de la fatalité », je veux dire que le message implicite distillé aujourd’hui par à peu près tous les médias est que nous vivons dans un monde certes imparfait, mais qui reste quand même le meilleur sinon le seul possible. Beaucoup de nos contemporains ont intériorisé cette idée, à laquelle je ne crois pas un instant.

    FRANÇOISE BONARDEL. Vous reprochez aux nouveaux censeurs de faire des Lumières un« socle de légitimité» qui leur permet d’imposer des formes inédites de Terreur. Quel regard portez-vous sur les Lumières ?

    ALAIN DE BENOIST : La philosophie des Lumières s’est voulue émancipationniste, et elle nous a effectivement libérés de certains dogmes religieux. Malheureusement, elle a aussi rendu possible d’autres formes d’aliénation humaine, ainsi que l’avaient bien vu Horkheimer et Adorno : disloca­tion des cultures enracinées et des valeurs partagées, soumission aux diktats de la Technique, esclavage du salariat (le remplacement du métier par l’emploi), obsession de la croissance et hybris de la marchandise, remplacement des inégalités de statut par l’explosion des inégalités économiques, etc. Son épine dorsale, l’idéologie du progrès, qui conviait à regarder toute l’histoire advenue avant nous comme un amas de traditions et de superstitions sans valeurs, est aujourd’hui entrée en crise. La peur de l’avenir a remplacé les « lendemains qui chantent ». Les Lumières ont joué leur rôle, mais elles ont aussi fait leurs temps (aux deux sens du terme).

    FRANÇOISE BONARDEL. De manière directe ou indirecte, c’est la modernité que vous attaquez dans la plupart de vos livres. La liberté de pensée que vous revendiquez ne fait pourtant pas de vous un antimoderne fidèle à une tradition spécifique. Est-ce là l’équation personnelle qui est à l’origine de bien des malentendus vous concernant, et qui fait qu’il est si difficile de vous situer sur l’échiquier intellectuel contemporain ?

    ALAIN DE BENOIST : Je suis très allergique aux étiquettes, c’est sans doute pour cela qu’il est difficile de me situer ! Cela dit, les « malentendus » dont vous parlez se dissipent vite si l’on prend la peine de me lire. Je suis en effet un critique d’une modernité essentiellement portée par l’économisme et l’individualisme qui caractérisent l’Homo œconomicus. Mais je n’ignore pas que je suis aussi un enfant de cette modernité. Disons seulement que, tout en étant conscient que beaucoup de choses « étaient mieux avant », je ne suis pas un adepte du restaurationnisme. Je crois plutôt à la possibilité d’un nouveau commencement.

    FRANÇOISE BONARDEL. Face à la tyrannie des minorités, vous affirmez que la véritable majorité « est dans le peuple. Elle est le peuple ». Les débats autour du « populisme » montrent pourtant que la notion de « peuple » est devenue problématique. Les classes populaires ne sont-elles pas les premières atteintes par la pensée unique ?

    ALAIN DE BENOIST : Je n’idéalise pas le peuple, que j’essaie d’envisager dans sa double dimension de l’ethnos et du demos. Vous avez raison de dire que cette notion est problématique, ce que je souligne moi-même dans mon livre sur le populisme (Le Moment populiste, 2017). Mais les élites sont plus subjuguées encore par l’idéologie dominante, parce que celle-ci correspond à leurs intérêts. Je reste sur ce point fidèle à Jean-Claude Michéa : c’est dans le peuple, dans les classes populaires, où les réactions spontanées sont plus saines, qu’il faut rechercher le sujet historique de notre temps.

    FRANÇOISE BONARDEL. Votre dernier livre est une invitation « au rassemblement des esprits libres et des cœurs rebelles »· Un hymne à la liberté en somme, dévoyée par le libéralisme. Pourriez­vous revenir sur cette question qui est présente dans la plupart de vos écrits ?

    ALAIN DE BENOIST : Le libéralisme est à la liberté ce que l’égalitarisme est à l’égalité. Son anthropologie reposant sur un homme hors-sol, dessaisi de ses appartenances et de ses héri­tages, se construisant lui-même à partir de rien, la seule liberté qu’il reconnaisse est la liberté individuelle. Les cultures, les peuples, les pays ne sont à ses yeux que des agrégats hasardeux d’individus. Je pense au contraire que la liberté est indissociable du commun : je ne peux pas être libre si mon pays ne l’est pas.

    FRANÇOISE BONARDEL. Vous invitez à une sorte de fronde civique et intellectuelle, mais la grande question demeure : pourquoi est-il devenu si difficile, et si risqué, d’être courageux aujourd’hui ?

    ALAIN DE BENOIST : Le courage civil est plus rare que le courage militaire. Il comporte des risques que la plupart des riches et des puissants trouvent insupportables : perdre sa carrière, perdre son rang, perdre ses privilèges, perdre son argent. C’est toujours plus facile de rallier les « mutins de Panurge », comme disait notre cher Philippe Muray.

    FRANÇOISE BONARDEL. Parmi les procédés inquisitoriaux, il en est un qui consiste, dites-vous, à fouiller le passé d’un auteur pour y découvrir quelque péché de jeunesse « comme si la vie d’un homme pouvait être ramenée à un épisode de son existence »· Pensez-vous être resté fidèle à vous-même ou avoir évolué ?

    ALAIN DE BENOIST : La formule que vous citez est de Karl Marx. Le fait d’avoir évolué ne m’a jamais empêché d’être fidèle à moi-même. C’est en restant l’esprit en éveil, en gardant intacte sa capacité de curiosité, que l’on est le mieux fidèle à soi-même. Chez moi, cette évolution a, comme toujours, été marquée par des lectures décisives (Hannah Arendt, Günther Anders, Louis Dumont, Karl Polanyi, Charles Péguy, Martin Buber et tant d’autres), mais elle est aussi le reflet du monde extérieur. Je suis de ceux qui ont eu le triste privilège d’avoir vu disparaître en l’espace d’une génération une civilisation (française) et une religion (chrétienne). On peut y ajouter la fin du monde rural, l’arraisonnement du monde, le déchaîne­ment de l’axiomatique de l’intérêt, l’effondrement de la culture, la marchandisation planétaire, le règne de l’argent transformé en capital, la montée de l’indistinc­tion sous les effets de ce que j’ai appelé l’idéologie du Même. En trente ans, nous avons totalement changé de monde. On n’analyse pas ce qui vient en regardant dans le rétroviseur !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Françoise Bonardel (Causeur n°85; décembre 2020)

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  • L’assassinat de Samuel Paty, un bon prétexte pour la censure des réseaux sociaux ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Babeau à Figaro Vox et consacré au retour du projet de censure des réseaux sociaux sous couvert de lutte contre l'islamisme. Professeur en sciences de gestion à l’université de Bordeaux, Olivier Babeau est également président de l'Institut Sapiens.

     

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    «Il ne faudrait pas que l’assassinat de Samuel Paty serve à légitimer les projets de censure des réseaux sociaux»

    FIGAROVOX. - «Les réseaux sociaux ont joué un rôle dans ce que nous vivons aujourd’hui» a déclaré Laetitia Avia à propos de la décapitation de Samuel Paty. Partagez-vous son avis?

    Olivier BABEAU. - Oui, c’est une évidence. Exactement comme le téléphone joue un rôle dans l’organisation de méfaits depuis qu’il existe, quand il sert aux malandrins à se coordonner. Couper le téléphone ne permettra malheureusement pas d’empêcher les crimes et délits. Il importe de comprendre comment les réseaux ont été des courroies de transmission dans le scénario tragique qui a conduit à un crime barbare. Il appartiendra à la justice de faire la lumière sur les circonstances particulières du drame et il est évidemment utile que nous cherchions à en tirer le plus vite possible des leçons. Mais il faut se garder de réactions simplistes qui n’auraient que l’avantage politique de donner l’impression d’une réaction rapide, mais qui passeraient à côté du problème.

    La loi Avia ne risque-t-elle pas d’avoir un effet pervers en permettant aux militants islamistes de censurer toute critique de l’islamisme et même de l’Islam?

    Il ne faudrait pas que l’assassinat de Samuel Paty serve à légitimer les projets de censure des réseaux sociaux. Ce serait tomber de Charybde en Scylla: pour échapper au chaos des expressions extrêmes, on créerait par la force un jardin à la française de débats aseptisés. On n’échapperait à l’hystérie qu’au prix de l’apathie. Ce serait guérir une maladie en tuant le malade: le débat serait enfin propre, mais il n’y aurait plus de débat.

    Le risque est que la loi tue ce qu’elle est censée protéger: la liberté de parole. La censure ouvre une boîte de Pandore: celle de l’interdiction de tous les propos jugés dérangeants. Or aucune définition de ce qu’est un «discours de haine» ne sera jamais suffisamment précise pour éviter qu’elle soit utilisée par les ennemis de la tolérance. Il est d’ailleurs significatif que l’on utilise à tort le suffixe «phobie» pour stigmatiser des attitudes alors que ce mot signifie «peur», et non haine (qui est le préfixe «miso», comme dans mysogynie).

    En pensant désarmer les discours d’intolérance, on risque au contraire de leur donner de nouvelles armes: toute critique, toute remise en cause, toute divergence, pourra devenir à terme assimilée à un discours de haine. Et donc interdit. C’est bien l’argument qu’avaient utilisés les islamistes contre les caricatures: parce qu’elles choquent certains croyants, elles doivent être interdites. C’est exactement ce qu’il se passe dans les universités américaines où la domination de l’orthodoxie progressiste assimile tout désaccord à une forme de violence devenue intolérable.

    L’hyper-sensibilité face aux contradictions qui en naît désapprend la confrontation aux arguments adverses. Le fanatique est celui qui n’est plus capable d’imaginer que l’autre pourrait avoir raison et se sent finalement si fragile dans son obsession qu’il ne peut supporter le spectacle de quelqu’un vivant ou pensant autrement. C’est ce fanatisme qui mine notre société. Il est accru mais non pas créé par le numérique.

    S’en prendre aux réseaux sociaux plutôt qu’à ceux qui les alimentent de contenus haineux, n’est-ce pas faire l’autruche?

    Les réseaux sociaux ne sont que des caisses de résonance de phénomènes sociaux qui existent indépendamment d’eux. Ils les amplifient et peuvent en précipiter les formes les plus extrêmes, mais ils ne les créent pas. Le terrorisme existait avant eux et existerait sans eux. On ne supprimera pas le radicalisme islamique et on ne réglera pas le problème désormais clairement dénoncé du séparatisme en débranchant internet. Pas plus qu’on règle la cause d’un mal en éliminant les symptômes.

    Il est exact néanmoins que les activistes de tout poil ont trouvé dans les plateformes d’échange des outils providentiels pour le recrutement d’adeptes et l’organisation d’actions. Les réseaux ont accru le pouvoir du meilleur comme du pire de la société. En rendant la communication aisée et abaissant le coût de formation de communautés, les réseaux sociaux ont permis l’émergence de mouvements inédits.

    Cette émergence n’aurait tout simplement pas été possible du temps où l’information était plus visqueuse et filtrée par quelques institutions. Il doit être possible de mieux en surveiller les dérives sans en briser la dynamique. C’est le défi qui se pose à nous: juguler les violences, stopper les projets criminels, limiter les effets de bulle cognitive pour ne garder que le meilleur des réseaux sociaux.

    N’est-il pas paradoxal de défendre la liberté d’expression des enseignants mais de s’en prendre aussitôt après à celle des internautes?

    C’est le drame de la liberté d’expression: beaucoup de gens ont tendance à penser qu’elle s’applique surtout à l’expression de ses propres opinions. Le plus difficile est justement de comprendre qu’il faut tolérer, en son nom, des discours opposés à ce que nous pensons. La liberté ne peut pas uniquement être celle de penser comme soi. Il revient à nos institutions d’organiser ces expressions contradictoires sans prendre parti.

    C’est précisément la raison pour laquelle les projets de censure sont une solution perverse: ils reviennent nécessairement à choisir une option morale particulière et à la promouvoir comme seule possible. Mais si l’on réfléchit au mouvement des idées et des mœurs depuis des millénaires, on constate qu’il n’a été possible que parce que, sous forme de transgressions incontrôlées ou tolérées, des alternatives aux discours dominants ont pu se développer. On n’attend pas de l’Etat qu’il dise le vrai et le bien. On attend de lui qu’il garantisse la libre confrontation des interprétations à ce sujet, sans jamais qu’aucune d’elles ne puisse avoir le pouvoir d’écraser les autres.

    Olivier Babeau (Figaro Vox, 21 octobre 2020)

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  • Les snipers de la semaine... (206)

    Croix de fer.jpg

    Au sommaire cette semaine :

    - sur le site de la revue Éléments, Xavier Eman dézingue le concours Lépine de la réaction niaise ou grotesque qui s'est à nouveau ouvert après le sauvage assassinat islamiste de Conflans...

    En attendant le prochain massacre… sans haine ni amalgame

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    - sur son site, l'Observatoire du journalisme allume le gouvernement qui, tirant prétexte de l'utilisation des réseaux sociaux par certains protagonistes de l'assassinat islamiste de Conflans, veut relancer la loi Avia...

    Au secours, la loi Avia revient !

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    Au secours, la loi Avia revient !
    Au secours, la loi Avia revient !
    Au secours, la loi Avia revient !
    Au secours, la loi Avia revient !
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  • Feu sur la désinformation... (302)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias, présentée cette semaine par Michel Geoffroy et Nicolas Faure.

    Au sommaire:

    • 1 : L’image de la semaine
      Des images, évidemment presque pas diffusées par les médias dominants, montrent que certains « jeunes » semblent peu enclins à la compassion après l’assassinat de Samuel Paty par un migrant islamiste.
    • 2 : Islamisme : la prise de conscience médiatique ?
      Si certains médias persistent à vouloir minorer la dangerosité de la menace islamiste ou bien à détourner l’attention en attaquant les catholiques, il semble y avoir une prise de conscience générale au sein des médias français.
    • 3 : Revue de presse
    • 4 : Retour de la censure et perspectives
      Profitant du drame, certains voudraient remettre sur le devant de la scène la loi Avia. Pour clore l’émission, Michel Geoffroy reviendra sur les perspectives liées à ce timide début de prise de conscience générale.

     

                              

     

     

     

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  • Censure et autocensure...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh Info, dans lequel il évoque la sortie de La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020), un recueil de textes qu'il a consacré à la question de la censure. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

     

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    Alain de Benoist : « La répression des pensées non conformes n’est pas d’aujourd’hui, elle est de tous les temps »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, vous publiez un livre qui s’attaque aux nouvelles censures en cette rentrée. Pouvez-vous nous en parler ? Quelle est la thèse centrale de votre ouvrage ?

    Alain de Benoist : Le livre s’appelle La chape de plomb, et vient de paraître aux éditions de la Nouvelle Librairie. C’est bien entendu une critique des censures de toutes sortes que l’on voit se multiplier aujourd’hui, mais c’est surtout une analyse en profondeur des méthodes auxquelles elles ont recours (amalgames, procès d’intention, citations hors contexte, reductio ad hitlerum, etc.), en même temps qu’une étude à la fois théorique et historique de la façon dont on en est arrivé là. En quoi par exemple les nouvelles censures se distinguent-elles de celles qu’on connaissait autrefois ? Voilà le genre de questions auxquelles je m’efforce de répondre, car s’en tenir à la déploration, ainsi qu’on le fait trop souvent, ne sert absolument à rien.

    La censure va souvent de pair avec la répression judiciaire… Comment interprétez-vous les poursuites judiciaires qui se multiplient à l’encontre d’Eric Zemmour ? Et la volonté manifeste d’enfermer certains dissidents qui ont écopé de prison ferme et qui sont pour certains (Hervé Ryssen) en prison à l’heure où nous parlons ? La guerre contre la dissidence est-elle déclarée ?

    Elle n’est pas déclarée, elle se poursuit, elle se renforce et elle s’accélère. La répression des pensées non conformes n’est pas d’aujourd’hui, elle est de tous les temps. Je vous rappelle que le grand théoricien socialiste français Louis-Auguste Blanqui, mort en 1881, a passé un total de 35 ans en prison, raison pour laquelle on l’avait surnommé « l’enfermé ». On pourrait donner bien d’autres exemples. Zemmour et Ryssen en sont quand même encore loin !

    Mais la répression dont vous parlez, précisément parce qu’elle n’est pas nouvelle, n’est pas ce qui caractérise le plus la censure aujourd’hui. Cette répression-là est une répression étatique, une répression dont les pouvoirs publics prennent l’initiative. Or, ce qui caractérise le climat inquisitorial actuel, c’est qu’il part de la société globale, qu’il est le fait d’associations, de groupes de pression, d’individus isolés, qui exigent des sanctions et des « cordons sanitaires » sur la seule base de leur subjectivité et en s’inspirant des modèles du politiquement correct. Ces sont des journalistes qui demandent qu’on coupe le micro à d’autres journalistes, des écrivains qui réclament l’ostracisme de certains de leurs confrères, des femmes qui se plaignent d’un « sexisme » qui n’existe dans leur imagination, des obsédés de la race qui s’interrogent gravement pour savoir un Blanc a le droit de photographier un Noir sans tomber dans l’« appropriation culturelle », des fous furieux qui pensent que pour lutter contre le racisme il faut déboulonner les statues de Christophe Colomb, de Colbert ou de Napoléon. Devenue un empilement de susceptibilités, la société globale se transforme en Absurdistan. C’est cela qui est nouveau, et les pouvoirs publics n’y sont pas directement impliqués (ils se contentent de laisser faire, sous l’influence de l’idéologie dominante).

    Le résultat, c’est la généralisation de l’autocensure, qui est à certains égards bien plus terrible que la censure. Les gens ont peur. Peur d’être mis en pilori, c’est-à-dire dénoncés sur les réseaux sociaux, pour une mauvaise blague, un propos un peu leste, ou même pour un mot de trop. Comme à l’époque soviétique, il y a désormais un langage public, où l’on navigue à vue en étant sur ses gardes, et certaines choses qu’on n’ose plus dire qu’en privé (et à condition d’être avec des gens sûrs). Une telle situation, qui s’aggrave tous les jours, est à mon sens beaucoup plus grave que les conditions de censure et de répression qu’on connaissait autrefois.

    Comment faire face, avec quelles armes, à cette censure, à ces menaces judiciaires ? La technique de la guérilla plus que celle de l’opposition frontale au Système est-elle celle que vous préconisez ?

    Il faut évidemment continuer à écrire et à témoigner. Il faut dénoncer les sycophantes et les grands délirants, les Précieuses ridicules et les Torquemadas de plateaux de télévision, et protester de toutes les façons possibles contre le climat délétère que nous subissons. Il faut aussi dérouter l’adversaire : ne jamais se laisser entraîner sur son terrain, resurgir là où l’on ne vous attend pas. Mais permettez-moi d’ajouter qu’on n’est pas non plus obligé d’exprimer ce qu’on veut dire sous une forme provocatrice ou convulsive, alors qu’on pourrait dire exactement la même chose d’une manière à peu près civilisée.

    Il ne faut pas se lasser, enfin, de répéter que la liberté d’expression (il faudrait préciser : la liberté d’exprimer une opinion, car c’est bien de cela qu’il s’agit) doit être défendue inconditionnellement. La liberté d’expression ne se divise pas. Je ne suis pas sûr, malheureusement, que ceux qui critiquent aujourd’hui la censure dont ils sont l’objet auraient la même attitude si c’était leurs adversaires qui en faisaient les frais. Le mot souvent prêté à Voltaire (en substance : je déteste vos opinions, mais je suis prêt à mourir pour que vous soyez libre de les défendre) est très certainement apocryphe, mais n’en énonce pas moins une règle qu’on peut faire sienne. Rosa Luxemburg, dans son livre La Révolution russe, publié à Paris en 1939 (vingt ans après son assassinat), écrivait que « la liberté, c’est toujours la liberté de qui pense autrement (die Freiheit der Andersdenkenden) ». J’ai du mal à prendre au sérieux ceux qui n’approuvent pas cette maxime.

    Vous allez publier par ailleurs la « Bibliothèque du jeune Européen ». Parlez-nous de ce projet pédagogique. N’est-ce pas finalement assez vain que de prétendre à faire lire une jeunesse européenne qui fuit les bibliothèques et à laquelle l’Education nationale n’offre plus aucune ambition ?

    Une précision d’abord : je ne suis pas l’auteur de ce volume collectif, qui doit paraître début novembre aux éditions du Rocher. J’en ai apporté l’idée, mais son véritable maître d’œuvre a été Guillaume Travers. Et c’est justement parce que l’Education nationale s’est effondrée, et que les jeunes sont aujourd’hui plus attirés par les écrans que par les livres, que nous avons estimé urgent de proposer à ceux qui ne se résignent pas à cette situation un ouvrage facile à manier, qui soit de nature à leur donner l’envie et la possibilité d’aller plus loin. Le livre a retenu 200 auteurs, avec un livre pour chaque auteur faisant l’objet d’une fiche détaillée, qui ont apporté quelque chose d’important dans le domaine des idées, de l’Antiquité à nos jours. La sélection n’a pas été facile, mais je pense que le résultat obtenu en valait la peine. A l’approche des fêtes, c’est en plus le cadeau idéal !

    Vous évoquez 200 ouvrages. Et si vous deviez n’en garder que 5, pour commencer une formation politique essentielle ?

    Je suis tout à fait incapable de répondre à cette question, qui est un peu du style : si vous deviez partir sur une île déserte en n’emportant qu’un seul livre, lequel choisiriez-vous (je réponds toujours que j’emporterais un dictionnaire, parce que par définition c’est celui qui contient tous les autres !). D’abord, je n’ai jamais été l’homme d’un seul livre ou d’une seule source.

    Ensuite, je crois que, même si l’on s’en tient au seul domaine politique (la Bibliothèque du jeune Européen aborde aussi les sciences de la vie, les sciences sociales, la philosophie, la psychologie, etc.), on aurait bien du mal à établir la liste que vous me demandez. Il n’y a pas de « Bible » à laquelle on puisse se référer, mais toute une pléiade d’auteurs qu’il est indispensable d’avoir fréquenté « pour commencer une formation politique ». D’une façon générale, quand on part à l’aventure, il ne faut se demander d’abord où sont les raccourcis !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh info, 8 octobre 2020)

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